Source : Consortium News, Norman Solomon
La victoire de M. Biden à l’élection présidentielle démocrate de 2020 dépendra en grande partie du peu que les électeurs sauront de son bilan réel, écrit Norman Solomon.
Biden n’est pas un ami de la classe ouvrière ;
A fortement soutenu l’Invasion de l’Irak en 2003
Lorsque le New York Times a mis à la une sa dernière polémique contre la gauche en la faisant passer pour un article d’actualité, son article du 9 mars déclarait : « Si l’ancien vice-président Joseph R. Biden Jr. s’engageait dans la course, comme le promettent ses meilleurs conseillers, il aurait immédiatement la meilleure chance avec les modérés. »
Sur le point de se remettre en piste, M. Biden est prêt à venir à la rescousse de l’establishment politique institutionnel – à un moment où, selon le Times, « le virage à gauche marqué du Parti démocrate et la montée des candidats progressistes à la présidence perturbent les démocrates modérés ». Après 36 ans au Sénat et huit ans en tant que vice-président, M. Biden est de loin le serviteur le plus expérimenté du pouvoir corporatif qui prie pour qu’il devienne le prochain président.
Lorsque Biden a lu ce paragraphe dans un récent article de Politico, ses oreilles ont dû siffler : « Un soutien précoce de la part de dirigeants financiers avec des moyens financiers considérables pourrait donner un coup de pouce important pour la collecte de fonds aux démocrates qui cherchent à sortir du peloton. Mais toute association avec des banquiers expose aussi les candidats à la présidence aux attaques brutales d’une gauche qui monte. »
La proie directe de l’association de Biden avec les banquiers, qui dure depuis cinq décennies, est constituée de millions d’étudiants et d’anciens étudiants aux prises avec une avalanche de dettes ; ils peuvent remercier Biden pour les services prodigieux qu’il a rendu à l’industrie du crédit. Andrew Cockburn identifie un éventail de victimes, dans le portrait dévastateur qu’il fait de Biden dans le numéro de mars du magazine Harper’s. Par exemple :
- « Biden a longtemps été un fantassin volontaire dans la campagne d’émasculation des lois permettant aux débiteurs d’être libérés des prêts qu’ils ne peuvent pas rembourser. Dès 1978, il a participé à la négociation d’un accord visant à défaire la protection contre la faillite des diplômés ayant obtenu des prêts étudiants fédéraux et, en 1984, il a travaillé à faire de même pour les emprunteurs ayant obtenu des prêts pour des écoles professionnelles. »
- « Même lorsque l’objectif apparent était ailleurs, comme dans le cas des crimes liés à la drogue, M. Biden n’a pas oublié ses amis banquiers. Ainsi, la Loi sur le contrôle de la criminalité de 1990, dont Biden était le principal commanditaire, a encore plus limité la capacité des débiteurs à bénéficier de la protection de la loi sur la faillite. »
- M. Biden s’est employé avec diligence à renforcer l’emprise des sociétés de cartes de crédit sur les consommateurs. En même temps, « le géant des cartes de crédit MBNA a été le plus grand donateur de Biden pendant une grande partie de sa carrière au Sénat, tout en employant son fils Hunter comme cadre et, plus tard, comme consultant grassement payé. »
La mythologie médiatique sur « Lunch Bucket Joe » [Lunch Bucket : boîte dans laquelle les ouvriers apportent leur repas NdT] ne résiste pas à l’examen. Sa bonne foi en tant qu’ami des travailleurs est à peu près aussi solide et crédible que celle du dernier candidat démocrate à la présidence.
Mais l’allégeance de Biden au pouvoir des entreprises n’a été qu’un aspect de son palmarès aux multiples facettes que les progressistes trouveront largement répugnant dans la mesure où ils en auront connaissance.
Depuis le début du mouvement #MeToo, une couverture médiatique rétrospective a permis d’évaluer le rôle très problématique de M. Biden dans la présidence des audiences de la Commission judiciaire du Sénat dans l’affaire Clarence Thomas-Anita Hill. [ Anita Hill a affirmé, lors d’audiences devant le Sénat des États-Unis en 1991, que Thomas lui a fait des remarques à caractère sexuel alors qu’il était son superviseur – NdT]. Et ces derniers jours, les reportages du Washington Post ont mis en lumière son passé d’indulgence pour le racisme blanc envers les Afro-Américains pendant la majeure partie de sa carrière au Sénat.
Ça n’a pas d’importance
Comme l’a fait remarquer en 1975 M. Biden, sénateur de 32 ans : « Je n’adhère pas au concept, populaire dans les années 60, qui disait : « Nous avons réprimé l’homme noir pendant 300 ans et l’homme blanc est maintenant loin devant dans la course pour tout ce que notre société offre. Pour rétablir l’équilibre, nous devons maintenant donner à l’homme noir une longueur d’avance, ou même retenir l’homme blanc, pour rééquilibrer la course ». Je n’y adhère pas. »
Il convient également d’accorder plus d’attention au rôle de M. Biden en tant que président de la Commission judiciaire, qui a fait adopter le projet de loi de 1994 sur la lutte contre la criminalité, aujourd’hui emblématique. Alors qu’il se faisait le champion du projet de loi, M. Biden mettait en garde contre les « prédateurs dans nos rues » lors d’un discours prononcé au Sénat en 1993.
« Peu importe qu’ils aient été privés ou non de leur jeunesse », proclamait M. Biden. « Peu importe qu’ils n’aient pas eu d’éducation leur permettant de se socialiser et s’intégrer dans le tissu social. Peu importe qu’ils soient ou non victimes de la société. Le résultat final est qu’ils sont sur le point de frapper ma mère à la tête avec un tuyau en plomb, de tuer ma sœur, de battre ma femme, de s’en prendre à mes fils. »
Aujourd’hui, un nouveau sondage de l’Iowa montre Biden et Bernie Sanders au coude à coude dans la course à l’investiture, le reste des candidats étant loin derrière dans l’État. Depuis un certain temps, Biden a affûté sa hache de guerre pour s’attaquer au populisme progressif en général – et à Bernie en particulier.
Dans son style typique, l’ex-vice-président Biden est soucieux de se situer au milieu de la route, entre capitalisme ultra-prédateur et solidarité avec la classe ouvrière. Lors d’une réunion en octobre 2017 en Alabama, il a déclaré : « Hé, les gars, Les riches sont aussi patriotes que les pauvres. Je sais que Bernie n’aime pas que je dise ça, mais ils le sont ». Plus tard, M. Biden a développé ce thème lorsqu’il a déclaré à un auditoire de la Brookings Institution : « Je ne pense pas que cinq cents milliardaires soient la raison pour laquelle nous sommes en difficulté. Les gens au sommet ne sont pas des mauvais gars. »
Comme l’a souligné Branko Marcetic l’été dernier dans le magazine Jacobin, « à une époque où le populisme de gauche est de plus en plus accepté comme l’antidote à Trump et au discours nataliste et favorable aux entreprises du GOP [Grand Old Party : Parti Républicain américain NdT] , Biden est un vestige de la politique démocrate de triangulation et de pseudo-gauche dont on a sans cesse répété qu’Hillary Clinton était l’incarnation ». [En science politique, la triangulation désigne le fait pour une personnalité politique de présenter son idéologie comme étant « au-dessus et entre » la droite et la gauche de l’échiquier politique NdT]
Biden manifeste clairement son dégoût pour la vague populiste progressiste actuelle. « Je sais que certains veulent accuser les grandes entreprises de tous les maux », écrit-il dans un article de blog. « Il est vrai que l’équilibre s’est trop orienté en faveur des entreprises et contre les travailleurs. Mais les consommateurs, les travailleurs et les dirigeants ont le pouvoir d’exiger de chaque entreprise qu’elle respecte des normes plus élevées, et non pas simplement de considérer les affaires comme l’ennemi ou de laisser l’industrie s’en tirer à bon compte. »
L’une des nombreuses industries que M. Biden a depuis longtemps l’habitude de laisser « se tirer d’affaire », c’est le secteur de la guerre. Dans ce mode, M. Biden a fait plus que tout autre sénateur démocrate pour donner son feu vert à l’invasion de l’Irak en mars 2003.
Ce n’est pas seulement le fait que M. Biden ait voté pour la guerre en Irak au Sénat cinq mois avant qu’elle ne commence. Au cours de la période qui a précédé ce vote, en août 2002, en tant que président de la Commission des affaires étrangères, il a présidé des simulacres d’audiences – refusant aux experts opposés à une invasion la possibilité de placer un seul mot – alors qu’un cortège de faucons de guerre témoignaient sous les feux de la rampe à travers tout le pays.
« L’importance du rôle que M. Biden a joué dans la tragédie de la guerre en Irak n’est en rien surestimée », a écrit Stephen Zunes, professeur d’études sur le Moyen-Orient. « Plus de deux mois avant l’adoption de la résolution de 2002 sur la guerre, dans ce qui était largement interprété comme le premier signe que le Congrès approuverait une invasion américaine de l’Irak, M. Biden a déclaré le 4 août que les États-Unis allaient probablement entrer en guerre. En tant que puissant président de la Commission sénatoriale des affaires étrangères, il a orchestré un spectacle de propagande destinée à vendre la guerre à des collègues sceptiques et au public américain en veillant à ce que les voix dissidentes ne puissent être entendues de manière équitable. »
Le personnage chaleureux de Joe Biden à la télévision plaît à beaucoup. Il sourit bien et a un don pour le papotage. La plupart des journalistes politiques des médias de masse l’aiment bien. C’est un bon chef de file pour le complexe militaro-industriel et la structure de pouvoir des entreprises qu’il sert. La possibilité pour M. Biden de remporter l’investiture du parti démocrate à la présidence en 2020 dépendra en grande partie du nombre d’électeurs qui n’en savent que peu sur son bilan réel.
Norman Solomon est cofondateur et coordinateur national de RootsAction.org. Il a été délégué de Bernie Sanders de Californie à la Convention nationale du parti démocrate de 2016 et il est actuellement coordonnateur du nouveau réseau des délégués de Bernie. Solomon est l’auteur d’une douzaine de livres dont War Made Easy : How Presidents and Pundits Keep Spinning Us to Death [La Guerre Facile: comment les présidents et les experts continuent de nous entraîner vers la mort].
Source : Consortium News, Norman Solomon, 11-03-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Commentaire recommandé
Les démocrates US nous refont le même coup qu’avec Hillary Clinton : pour que tout change, rien ne doit changer. Surtout rassurer les banquiers, le complexe militaro-industriel etc…
En résumé tout faire pour discréditer Bernie Sanders qui fait tellement peur à l’oligarchie.
Encore une « superbe manoeuvre » qui va faire ré-élire a coup sûr D. Trump.
‘A qui profite le crime ?’
4 réactions et commentaires
Les démocrates US nous refont le même coup qu’avec Hillary Clinton : pour que tout change, rien ne doit changer. Surtout rassurer les banquiers, le complexe militaro-industriel etc…
En résumé tout faire pour discréditer Bernie Sanders qui fait tellement peur à l’oligarchie.
Encore une « superbe manoeuvre » qui va faire ré-élire a coup sûr D. Trump.
‘A qui profite le crime ?’
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AlerterIl y a-t-il des modérés dans cette génération quel que soit le parti? Trump a été élu en promettant de mettre fin à ces guerres interminables et se laisse entraîner sur la pente fatale d’en commencer une autre pire que les précédentes !
Elle a fait tant de mal depuis des décennies qu’il est tant de la virer à coup de pieds au c…
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AlerterJe me souviens d’un extrait de débat TV en 2016 à la télé US. Un journaliste un peu plus futé que els autres disaient que l’année 2016 ne ressemblait à aucune autre et qu’lil fallait laisser tomber les anciennes oppositions. Il racontait qu’il avait assisté avec les gens de l’équipe de Trump aux débats de la honteuse primaire démocrate qui a abouti à écarter Sanders. Il disait que pour les stratège de Trump les choses étaient très claires: la seule chance pour leur candidat d’être élu était d’avoir Clinton face à lui, Sanders était leur grande crainte, car ils savaient qu’il exprimait lui aussi la grande révolte contre le système néo-libéral et qu’il pouvait prendre une partie de l’électorat prêt à voter Trump.
Avec Joe Biden, ce sera bis repetita. C’est quand même pas encore fait, les choses bougent vite aux USA, en ce sens l’élection de Trump a donné un coup d’accélérateur bienvenu.
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AlerterSi Trump marche dans la combine de Bolton, attaquer l’Iran, c’en est fini de sa ré-élection.
Au mieux, il devrait l’éjecter et vite.
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