Source :Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 23-07-2018
Toulon, 20 juillet 2018.
Contrairement à ce qu’affirmaient un peu vite quelques idéologues fatigués, l’histoire ne s’est pas perdue dans les gravats du mur de Berlin, ni dans les délices d’une mondialisation qui ne pouvait qu’être heureuse… Non, l’administration tranquille des choses et des hommes ne s’est pas substituée mécaniquement au bruit et à la fureur des passions et des intérêts. Les identités se réveillent, les frontières se réaffirment, les pauvres du Sud se jettent sur les routes de l’exil vers un Nord fantasmé, tandis que des nostalgies d’empire remontent de la nuit des temps à coups de menton et de Tweets…
Dans cette anomie générale, la gauche s’est convertie au libéralisme économique, tandis que la droite s’appropriait les droits de l’homme et les « valeurs » du nouveau héros moderne : le Bobo/bourgeois-bohème qui boursicote en écoutant France-Culture. Comme les partis de gauche n’ont plus rien à dire, comme ceux de droite ne savent plus qui ils sont et comme la nature politique continue à avoir horreur du vide, le Bobo s’est mis en marche. Vers quoi ? La réponse n’est pas simple et se perd dans une récurrente scolastique qui n’est plus de grande fraîcheur : réforme, modernisation, innovation et communication. Communication permanente ! L’important n’est plus de faire et savoir faire mais de faire savoir, partout, tout le temps et par tous les temps.
Là-dessus, la révolution numérique n’a pas arrangé les choses, le Bobo s’acharnant à liker ou disliker le monde, accumulant des millions d’amis tout en continuant à ignorer cordialement son voisin de palier. Bien au-delà de tout ce que pouvait imaginer George Orwell, de ce qu’il nous annonçait dans son 1984, le Bobo ne respire plus qu’avec son téléphone, ne quitte plus son GPS et ses merveilleuses Apply qui comptabilisent ses pas, ses battements de cœur, ses pets et ses envies les plus secrètes. La disruption a remplacé le désir : le progrès technologique ne libère plus mais impose ses procédures et ses normes. Le Bobo prend le train, va au cinéma comme au supermarché sans n’avoir plus aucun contact avec l’homme laborieux. Il s’enthousiasme d’emprunter métros et bus automatisés, dépourvus de toute espèce d’intervention humaine tout en s’inquiétant d’une montée exponentielle, structurelle et structurale du chômage.
IMPLOSION DU POLITIQUE
En fait, rien (ou presque) n’échappe à cette anomie boboïsante durable, généralisée et disruptive qui s’est emparée de nos vies et – on l’a dit – sans que les discours des élites sociales et politiques puissent y changer quoi que ce soit… Dès le début des années 1980, notre ami Jean Baudrillard annonçait l’implosion du politique en lançant un avertissement prémonitoire : « que feront les gouvernants lorsqu’il n’y aura plus de gouvernés ? » On ferait bien de relire sa thèse – L’échange symbolique et la mort -, pour essayer de comprendre ce qui nous arrive et remettre en chantier quelques machineries susceptibles de tisser à nouveau un lien social de survie.
À la différence des sociétés primitives ou traditionnelles, nos sociétés numérisées ne génèrent plus d’échanges symboliques susceptibles de mettre en forme des pratiques régulatrices. C’est peut-être pourquoi le symbolique les hante comme leur propre mort, comme une exigence sans cesse barrée par la loi de la valeur. Sans doute depuis Marx, une certaine idée de la révolution avait tenté de se frayer une voie à travers cette loi de la valeur, mais elle est depuis longtemps redevenue une révolution selon la Loi. Sans doute la psychanalyse tourne autour de cette même hantise, mais elle la détourne en même temps, la cantonnant à un inconscient individuel, en la soumettant à la loi du Père, de la castration et du signifiant. Toujours la Loi.
Pourtant, au-delà de toutes les économies, politiques ou libidinales, se profile dès maintenant, sous nos yeux, le schéma d’un rapport social fondé sur l’extermination de la valeur, dont le modèle renvoie aux formations primitives, mais dont l’utopie radicale commence d’exploser lentement à tous les niveaux de notre société : ce sont les accélérations et les enjeux qu’analyse le dernier livre d’Hervé Juvin1, à travers des registres aussi différents que la santé, le travail, la sécurité alimentaire, les territoires, la mer, l’armée ou la nation. De ces différents niveaux, il s’agit de comprendre pourquoi ça ne marche plus et d’essayer de bricoler des alternatives et pourquoi pas un projet !
Economiste et essayiste, Hervé Juvin construit patiemment et en silence, une œuvre pluridisciplinaire de rupture. Comme le relève la dernière livraison de la revue Eléments2, rien à voir avec le blabla des experts et faiseurs de rapports : la pensée Juvin est claire et distincte parce qu’elle est opérationnelle. Cet empêcheur de penser en rond a notamment publié L’Occident mondialisé – Controverse sur la culture planétaire (avec Gilles Lipovetski)3, La Grande séparation – Pour une écologie des civilisations4 et Le Gouvernement du désir5. De l’ouverture de ces différents chantiers, Hervé Juvin a forgé une conviction et un outil : la France et la Nation sont des idées neuves, les monades nécessaires et vitales pour résister aux théodicées mondialistes/mortifères.
NOUVEL APPEL DU 18 JUIN
Renouant avec la profondeur de la fameuse conférence de 1882 à la Sorbonne de Renan « Qu’est-ce qu’une nation ? », sinon avec les exigences du programme du Conseil national de la résistance (CNR), Hervé Juvin veut anticiper la prochaine campagne présidentielle, délimitant le champ de toute politique future : « le temps du ‘Je’ s’achève, le temps du ‘nous’ commence. Le retour de l’histoire détermine le moment politique exceptionnel que va vivre la France, le moment que vivent les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la Russie, l’Inde ou la Chine. Car nous n’avons plus le choix. Confrontée à des échéances inéluctables, celles de l’occupation de son territoire et de la colonisation de ses ressources, celles de la faillite sociale et du recul de la civilisation, celle du retour de la misère et de l’esclavage, celle enfin de la puissance ou de la guerre, la France doit reforger son projet pour le siècle, pour l’Europe, et d’abord pour les Français. C’est le moment où chaque Français redécouvre que la France est ce qu’il y a de meilleur. Le moment où l’unité nationale redevient la condition de survie de chacune et de chacun ».
Cet appel d’un nouveau 18 juin part d’une évidence qui commence à être enfin prise en compte : « la France est bleue ». Hervé Juvin : « la France bleue est un axe central de la renaissance nationale. La transformation de la France viendra aussi de la mer, elle se jouera notamment sur la mer et dans ces territoires ultramarins que les Français doivent redécouvrir. Ils sont l’un des meilleurs atouts dans le siècle qui vient. Une politique résolue de maritimisation de notre économie et de nos projets doit permettre à la fois de mieux valoriser les ressources de nos côtes et de nos mers, de la culture d’algues à l’utilisation des énergies marines, et d’assurer, dans notre zone économique exclusive, que la surpêche et le piratage de nos ressources ne viennent pas compromettre les intérêts des générations à venir ; les quantités prélevées et les méthodes de prélèvement devant rester compatibles avec la reconstitution de chaque espèce… »
S’ensuit une ethnographie serrée de nos territoires, de leurs identités ainsi que des menaces qui les ciblent. Ces dernières font converger, à la fois des minorités exigeant les droits acquis de la majorité, mais aussi des entreprises globales comme Starbucks et d’autres saloperies qui gangrènent nos centres-villes, banlieues, estomacs et cerveaux. Hervé Juvin souligne combien et comment l’évolution d’un droit – de plus en plus exclusivement axé sur la revendication de désirs individuels – déconstruit l’existence d’un nous collectif devenu incompatible avec l’empire global d’un bien normatif hors sol… « La même confusion entretenue tantôt par l’idéologie techniciste, tantôt par la fabrique de l’émotion, a fait grossir démesurément l’empire du Bien. La complaisance qui entoure 45 000 ONGs et fondations recensées dans le monde, dans lesquelles certains recyclent l’argent provenant du pillage des systèmes sociaux, des infrastructures publiques ou de la ruine des monnaies, n’est pas la moindre expression d’une régression politique et morale qui voit partout la charité privée remplacer la justice et le capital se faire juge des Etats », l’individu connecté supplanter toute espèce de collectivité !
Que faire ? Léniniste kantien, donc pragmatique, Hervé Juvin ne livre pas de programme commun, mais une série de pistes – du local au global – qu’une lecture attentive permettra d’évaluer et de transformer. Toutes divergent et convergent d’un même impératif catégorique : « la seule question pour que vive la France réside dans la renaissance de la France politique, de la France libre. Le seul combat est de réapprendre à dire ‘nous’ ».
REMONTER AUX CAUSES DU TERRORISME
Une même volonté refondatrice et nationale innerve notre second livre de l’été : Les Voies de la paix – Rahma, concorde et réconciliation dans le monde6. Comme Hervé Juvin, Ammar Belhimer n’est pas un perdreau de l’année. Docteur en droit, professeur à l’université d’Alger-1, il est essayiste et chroniqueur du quotidien Le Soir d’Algérie. Auteur de plusieurs ouvrages en langues arabe et française, Ammar Belhimer a, notamment publié La Dette extérieure de l’Algérie : une analyse critique des politiques d’emprunts et d’ajustement7, Les Printemps du désert8 et Les Dix nouveaux commandements de Wall Street9. L’universitaire n’en délaisse pas pour autant l’actualité quotidienne de son pays, du Maghreb et plus largement de la Méditerranée, des Proche et Moyen-Orient.
Au carrefour de ses grandes compétences en droit, en économie politique et relations internationales, Ammar Belhimer a recherché les causes profondes de La Décennie sanglante (1988 – 1998) – une guerre civile très meurtrière déclenchée par des Islamistes algériens et étrangers bien avant l’interruption du processus électoral en décembre 1991 – afin de restituer l’expérience algérienne en matière de contre-terrorisme et de retour à la paix.
Qu’elles succèdent à des périodes de dictatures ou qu’elles résultent de conflits internes, d’ordre ethnique ou théocratique, les politiques de réconciliation visent partout à initier un dialogue entre protagonistes pour panser les blessures, réparer les dégâts matériels, physiques et psychologiques, avant de retrouver le chemin du développement, de la démocratie et des libertés. De l’Afrique du Sud au Maroc en passant par la Birmanie et l’ex-Yougoslavie, ces politiques révèlent une grande diversité de voies et moyens susceptibles de réconcilier les parties et forces en présence pour les ramener à une paix retrouvée, durable et constructive.
Le modèle algérien de dialogue, de concorde et de réconciliation déroge au kit usité de « vérité et réconciliation », élaboré par les organisations internationales des droits de l’homme en empruntant une voie référendaire (pour une solution négociée et consensuelle) sur la base d’un texte juridique singulier et inédit : la Charte pour la paix et la réconciliation. Mais avant de nous traduire soigneusement cette voie algérienne, Ammar Belhimer interroge les causes du terrorisme, de la violence radicale et leurs développements dans le monde des années 1980, c’est-à-dire bien avant les attentats du 11 septembre 2001.
Il s’agit d’abord de sonder les lendemains de dictatures en Espagne, au Chili, dans l’Allemagne de la chute du Mur, en Afrique du Sud après l’apartheid, au Rwanda après les génocides, en Bosnie ou en Tunisie. Plus en amont encore, Ammar Belhimer interroge les responsabilités du wahhabisme saoudien et les « réformes » du jeune prince héritier Mohammed ben Salman (MBS) en visitant les effets destructeurs de cet islamisme du chéquier en Asie centrale et en Asie du Sud-Est, en Malaisie-Singapour, en Indonésie et aux Philippines.
Et puis ce seront les attentats du 11 septembre 2001, quand l’Occident découvre soudainement la violence de l’Islam radical par qu’elle vient de frapper le cœur du territoire des Etats-Unis. Médiatisée globalement, l’attaque va provoquer une « guerre globale contre la terreur » qui tournera vite au fiasco en augmentant le mal qu’elle était censée combattre, alimentant de multiples disputatios sur le jihadisme, les Musulmans de gauche, les islamo-gauchistes, la déradicalisation, la laïcité et la lutte anti-terroriste, autant d’objets et rhétoriques qui vont occuper le devant des scènes médiatiques, universitaires et politiques sans pour autant éclaircir le contenu des dossiers en question.
Tout au contraire, cet empilement de problématiques liées au terrorisme et à la sécurité va générer une économie spécifique et profonde, parfaitement conforme aux procédures inhérentes à la mondialisation néo-libérale. « L’apport des ‘réseaux sociaux’ à la radicalisation, à la conversion et au recrutement des jeunes européens témoigne largement de cette donne. « Analysant le ‘choix cornélien’ entre sécurité et liberté, entre guerre et mesure policière, entre dispositifs législatifs réguliers et d’exception au cœur des politiques anti-terroristes, les Algériens ont été des précurseurs en la matière, en se divisant entre éradicateurs et réconciliateurs », souligne Ammar Belhimer qui tamise une masse considérable d’archives et de témoignages.
PAIX ET DERADICALISATION EN ALGERIE
Il fallait d’abord corriger nombre d’idées reçues et de contre-sens sur cette « deuxième guerre d’Algérie » et déconstruire aussi les figures propagandistes de la presse parisienne, inventeurs du fameux « Qui-tue-qui ? ». Cette fantasmagorie attribuait les attentats islamistes à… l’armée algérienne, cherchant ainsi à se maintenir au pouvoir !!! Il fallait le trouver et oser l’affirmer !!! Libération, Le Monde et bien d’autres l’ont fait, engageant plusieurs pays européens à accueillir des égorgeurs de l’ex-FIS (Front islamique du salut) et des GIA (Groupes islamiques armés) au nom de la démocratie et de la défense des droits de l’homme.
Si elle a été consciencieusement ostracisée et dénaturée par la grande presse internationale, La Décennie sanglante ne s’est pas, pour autant, déroulée en vase clos. Ammar Belhimer passe en revue acteurs, protagonistes proches et plus lointains dont les Comité des droits de l’homme de l’ONU, les ONGs et les médiateurs comme ceux de la communauté de Sant’Egidio. C’est à la lumière de différents contextes politiques nationaux et internationaux qu’il s’agit aussi de restituer les fondements de la voie algérienne : traitement initial, loi sur le terrorisme et la subversion, ordonnances « Clémence et repentance », accompagnements institutionnels en matière de droits de l’homme, enfin textes « Clémence et concorde civile ».
En juillet 1999, trois mois après son arrivée au pouvoir, le président Abdelaziz Bouteflika fait adopter par le parlement une loi sur « la concorde civile », qui sera, par la suite, approuvée par référendum le 16 septembre 1999. Il s’agit de la loi numéro 99-08 du 13 juillet 1999 relative au rétablissement de la concorde civile. Son objet : « des mesures particulières en vue de dégager des issues appropriées aux personnes impliquées et ayant été impliquées dans des actions de terrorisme ou de subversion qui expriment leur volonté de cesser, en toute conscience, leurs activités criminelles en leur donnant l’opportunité de concrétiser cette aspiration sur la voie d’une réinsertion civile au sein de la société ». Ainsi, les personnes qui cessent toute activité de terrorisme, en avisent les autorités compétentes et se présentent à elles, bénéficient – selon le cas – de l’une des mesures suivantes : « l’exonération des poursuites, la mise sous probation, l’atténuation des peines et l’exonération des poursuites ».
La mise en œuvre de ces différentes mesures n’a pas été sans problème, toujours est-il qu’hormis quelques queues de réseaux, notamment dans le sud du pays, l’activité terroriste a été globalement éradiquée en Algérie. Le ministre des Affaires religieuses Mohamed Aïssa a lancé plusieurs programmes de déradicalisation qui ont intéressé plusieurs pays dont… les Etats-Unis. Néanmoins, des concessions – comme la fermeture de débits de boissons alcoolisées – ont dû être faites aux islamistes et à plusieurs de leurs organisations qui ont renforcé leur emprise dans les quartiers et la rue algérienne.
En définitive, conclut Ammar Belhimer, la lutte contre le terrorisme et l’ouverture des voies de la paix ne dépendent pas d’un coup de baguette magique, ni de formules incantatoires. « Les politiques de réconciliation résultent nécessairement de compromis entre belligérants (…) Ces politiques n’offrent pas de kit(s) prêt(s) à l’emploi, mais résultent bien plus souvent d’une sorte de ‘tâtonnement walrasien’: les parties en conflit se jaugent, pèsent leurs forces et leurs faiblesses, évaluent leurs intérêts réciproques pour parvenir à des compromis et des solutions négociées plus ou moins durables et acceptables pour tous. Elles y parviennent d’autant mieux (au moindre coût) et vite que leurs échanges auront été libres et conscients ».
On a souvent eu l’occasion de l’écrire ici, dans ces colonnes : le contre-terrorisme n’est pas une science exacte mais nécessite d’abord une mobilisation résolue d’appareils d’Etat nationaux volontaires. Avec douleur mais détermination, l’Algérie (dans une grande solitude internationale) a fait face à l’une des offensives terroristes les plus meurtrières de l’histoire contemporaine. Sa résistance et ses ripostes ont valeur d’exemples et nous transmettent nombre d’enseignements.
Le livre d’Ammar Belhimer en constitue Le discours de la méthode. Il prolonge la leçon magistrale en philosophie politique appliquée d’Hervé Juvin. Ces deux textes entrent en convergence opérationnelle parce qu’ils ouvrent des perspectives et forgent des moyens de riposte à mettre en œuvre face à une mondialisation sauvage qui génère – organiquement – la violence terroriste, la casse des Etats-nations, de leurs services publics, de leurs politiques de redistribution sociale et, en dernière instance, de leur souveraineté.
Le soleil se couche sur la rade de Toulon. La frégate Courbet appareille. Bientôt son profil furtif ne sera plus qu’un point se confondant avec l’horizon parce que notre défense commence au large…
Bonne lecture, bon été et à la semaine prochaine.
Richard Labévière
23 juillet 2018
1 Hervé Juvin : France, le moment politique – Manifeste écologique et social. Editions du Rocher, 2018.
2 Eléments – Le magazine des idées. Juin – juillet 2018, numéro 172 : « La France, mode d’emploi – Hervé Juvin, l’anti-commission Attali ».
3 Editions Grasset, 2010.
4 Editions Gallimard, 2013.
5 Editions Gallimard, 2016.
6 Ammar Belhimer : Les Voies de la paix – Rahma, concorde et réconciliation dans le monde. ANEP – Editions, 1er semestre 2018.
7 Casbah-Editions, 1998.
8 ANEP-Editions.
9 ANEP-Editions, 2017.
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Source :Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 23-07-2018
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Commentaire recommandé
Sans vouloir être pessimiste, pour devenir une puissance maritime, on a du boulot. C’est avant tout culturel : la France n’est absolument pas maritime culturellement. Le meilleur exemple en est que quand un marin dit qu’il est marin, le Français moyen lui demande s’il est militaire, pêcheur ou s’il fait de la régate avec Kersauson (Kerso pour les intimes). Quid de la marine marchande alors ? En France, on sait à peine que ça existe. On est pourtant vaguement au courant qu’il y a des « cargos » qui se baladent au large (des navires dans le jargon), voire même quelques uns qui viennent s’échouer sur nos côtes à l’occasion, mais le Français moyen ne fait jamais le lien avec les petits bonshommes qui sont dessus. Marin, c’est militaire, pêcheur ou sportif (ou plaisancier à la rigueur, comme les parigos qui font de la voile avec les pare battages dans l’eau : c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît). Point barre.
Nombre de marins Français (c’est-à-dire nombre de livrets professionnels maritimes en circulation) ? Environ 15 000, c’est-à-dire rien du tout. Il faut dire qu’en plus de notre sous-culture en la matière, l’internalisation du schmilblick et donc la concurrence des pays émergents ou moins riches n’aide pas non plus. Le marin typique est Philippin, Chinois, Indien, Russe ou d’Europe de l’Est. Pas Français. Certains pays Européens font de la résistance parce qu’ils ont une haute culture maritime, notamment les nordiques (Norvégiens, Suédois & Finlandais), les Anglais, les Italiens et les Grecs, mais en général dans des secteurs très ciblés (l’offshore pétrolier pour les norvégiens, la croisière pour les italiens, etc.)
Un exemple frappant est les rassemblements de grands voilier, type Brest 92 : on voit des flottes entières débarquer en France, des dizaines de vieux gréements anglais, américains, russes, norvégiens, danois, hollandais, portugais, italiens, etc. etc. Et les représentants français ? Le Bélem (qui est ridicule par rapport à des monstres comme le Sedov)… et c’est à peu près tout. A la rigueur on peut ajouter le Bel Espoir (qui est associatif), l’Etoile et la Belle Poule (qui sont militaires), à la limite le Renard et la Recouvrance, mais autant parler de la planche à voile qui est dans mon jardin par rapport aux centaines de grands voiliers qui arrivent des autres pays. Nous avions pourtant une vieille marine à l’époque de la Royauté et même du temps de Napoléon, mais où sont-ils donc maintenant tous ces bateaux ? Au lieu de les rénover et de les entretenir (comme les autres), on en a fait du bois de chauffage, c’est tout dire…
Et je ne parle pas de la sous-exploitation, ou plutôt de la non-exploitation de nos fleuves et de nos canaux (et pourtant on a une richesse exceptionnelle en la matière). Le néant est la règle. Notre truc, ce serait plutôt les bons vieux camions sur les routes, lobbies obligent… A croire que les exemples néerlandais, allemands, danois et autres ne nous parlent pas (chez eux, il y a une vraie vie sur les canaux et donc aussi sur leurs berges).
Devenir une puissance maritime ? J’adhère à 200%, j’applaudis des 2 mains comme dirait l’autre, mais changer une culture est au mieux une œuvre de long terme, et je ne parle pas des investissements colossaux qu’il faudrait faire au niveau des infrastructures. Et surtout, il faudrait commencer par sortir de l’Europe. Pour info, la commission européenne a décidé récemment que le surplus de trafic maritime dû au Brexit (les navires qui n’iront plus livrer en Angleterre du fait de la libre circulation des marchandises, et qui iront donc les livrer dans les ports européens voisins) n’irait pas à Dunkerque, mais à Anvers et Rotterdam… No comment.
9 réactions et commentaires
Pour la clarté et la fermeté du propos, Juvin est difficile à battre.
+5
AlerterAutant je trouve Juvin brillant à l’oral, même si je ne partage pas toutes ses analyses, autant je le trouve terne à l’écrit. Ce bouquin ne m’a rien appris et sa problèmatique n’a rien d’original.
+1
AlerterLe deuxième paragraphe du titre : Nouvel Appel du 18 juin, concernant la régénérescence de la France maritime est très bien vu.
La France est une puissance maritime et doit le redevenir pour autant que la France puisse couper décisivement sa laisse de petit chien qu’elle s’est imposée par une sale manie à l’ « Europe », plus son autre laisse de petit chien à l’empire anglo-américain et consorts, l’OTAN, etc;, etc.
Le drame historique de la France est de ne jamais s’être vraiment rendue compte qu’elle est – naturellement – une puissance maritime. Les concurrentes historiques de la France : l’Angleterre, les Pays-bas, l’Espagne et le Portugal, au moins celles-ci, se ‘pensaient’ – naturellement – en tant que puissances maritimes. Pendant ces mêmes époques, la France n’a jamais fini de s’emberlificoter sans fin avec ses marches du Nord-Est, Flandres, Franche-Compté, Luxembourg, Alsace, Lorraine, etc. Un parcours du combattant au bilan historique désastreux, coûteux et stérile. Dans ce quart Nord-Est de la France eurent lieu les plus grands affrontements militaires historiques et d’innombrables soucis séculaires pour la France depuis le 15ème siècle au moins, jusqu’en plein 20ème siècle (1945).
Ce fut seulement à partir du Roi Louis XV que la pensée maritime commença a se développer plus sérieusement en France. Puis, sous le Roi Louis XVI la cause de la mer était entendue et en grand développement, mais la Révolution vint mettre un terme brutal et tragique au développement maritime français. Les officiers de marine furent pour la plupart exécutés ou durent prendre l’exile. Sous Napoléon 1er, la déroute de Trafalgar et ses conséquences funestes et durables en sont directement la cause. En effet, il n’y avait plus, pour longtemps, d’officiers de marine compétents pour placer avec efficacité la France sur les océans. Ce parvenu de Napoléon se prit la tête pour finir misérablement dans les pleines glacées de la Russie (avec une hécatombe de 2 à 300 000 morts!) après s’être épuisé à ne jamais dominer l’Espagne territoriale. Alors que, à partir de ce moment, la puissance maritime britannique allait s’accentuer fortement de partout durant tout le 19ème siècle. La Révolution française et Napoléon 1er ont favorisé l’empire britannique en lui donnant 30 à 40 ans d’avance en maints domaines stratégiques durant ces époques.
Voilà ce qui arrive quand on avait déjà 4000 kilomètres de côtes au total sur l’Océan Atlantique et la Méditerranée et qu’on perd stupidement son temps et ses forces à l’Est ! Bilan désolant !
+5
AlerterLe drame de la France est d’avoir été un pays central coincé entre l’empire de Charles Quint et le reste de l’Europe. Difficile de maîtriser l’ensemble de ses frontière avec des voisins belliqueux et une Rome hostile jouant à la géopolitique.
D’ailleurs l’Espagne le paie aujourd’hui très cher car la construction de grande flotte maritime a tondu ainsi que ses moutons une bonne partie de son écosystème.
+0
AlerterSans vouloir être pessimiste, pour devenir une puissance maritime, on a du boulot. C’est avant tout culturel : la France n’est absolument pas maritime culturellement. Le meilleur exemple en est que quand un marin dit qu’il est marin, le Français moyen lui demande s’il est militaire, pêcheur ou s’il fait de la régate avec Kersauson (Kerso pour les intimes). Quid de la marine marchande alors ? En France, on sait à peine que ça existe. On est pourtant vaguement au courant qu’il y a des « cargos » qui se baladent au large (des navires dans le jargon), voire même quelques uns qui viennent s’échouer sur nos côtes à l’occasion, mais le Français moyen ne fait jamais le lien avec les petits bonshommes qui sont dessus. Marin, c’est militaire, pêcheur ou sportif (ou plaisancier à la rigueur, comme les parigos qui font de la voile avec les pare battages dans l’eau : c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît). Point barre.
Nombre de marins Français (c’est-à-dire nombre de livrets professionnels maritimes en circulation) ? Environ 15 000, c’est-à-dire rien du tout. Il faut dire qu’en plus de notre sous-culture en la matière, l’internalisation du schmilblick et donc la concurrence des pays émergents ou moins riches n’aide pas non plus. Le marin typique est Philippin, Chinois, Indien, Russe ou d’Europe de l’Est. Pas Français. Certains pays Européens font de la résistance parce qu’ils ont une haute culture maritime, notamment les nordiques (Norvégiens, Suédois & Finlandais), les Anglais, les Italiens et les Grecs, mais en général dans des secteurs très ciblés (l’offshore pétrolier pour les norvégiens, la croisière pour les italiens, etc.)
Un exemple frappant est les rassemblements de grands voilier, type Brest 92 : on voit des flottes entières débarquer en France, des dizaines de vieux gréements anglais, américains, russes, norvégiens, danois, hollandais, portugais, italiens, etc. etc. Et les représentants français ? Le Bélem (qui est ridicule par rapport à des monstres comme le Sedov)… et c’est à peu près tout. A la rigueur on peut ajouter le Bel Espoir (qui est associatif), l’Etoile et la Belle Poule (qui sont militaires), à la limite le Renard et la Recouvrance, mais autant parler de la planche à voile qui est dans mon jardin par rapport aux centaines de grands voiliers qui arrivent des autres pays. Nous avions pourtant une vieille marine à l’époque de la Royauté et même du temps de Napoléon, mais où sont-ils donc maintenant tous ces bateaux ? Au lieu de les rénover et de les entretenir (comme les autres), on en a fait du bois de chauffage, c’est tout dire…
Et je ne parle pas de la sous-exploitation, ou plutôt de la non-exploitation de nos fleuves et de nos canaux (et pourtant on a une richesse exceptionnelle en la matière). Le néant est la règle. Notre truc, ce serait plutôt les bons vieux camions sur les routes, lobbies obligent… A croire que les exemples néerlandais, allemands, danois et autres ne nous parlent pas (chez eux, il y a une vraie vie sur les canaux et donc aussi sur leurs berges).
Devenir une puissance maritime ? J’adhère à 200%, j’applaudis des 2 mains comme dirait l’autre, mais changer une culture est au mieux une œuvre de long terme, et je ne parle pas des investissements colossaux qu’il faudrait faire au niveau des infrastructures. Et surtout, il faudrait commencer par sortir de l’Europe. Pour info, la commission européenne a décidé récemment que le surplus de trafic maritime dû au Brexit (les navires qui n’iront plus livrer en Angleterre du fait de la libre circulation des marchandises, et qui iront donc les livrer dans les ports européens voisins) n’irait pas à Dunkerque, mais à Anvers et Rotterdam… No comment.
+6
Alerter« sous Louis XV la cause de la mer était entendue et en grand développement » c’est quand même ce roi qui a signé la réddition avec l’Angleterre et abandonné la Nouvelle France…Il me semble que les grandes conquêtes coloniales se sont faites avant, Louis XIII et Louis XIV, et après la révolution.
La France a souvent navigué entre deux eaux, au sens propre comme au figuré.
+1
AlerterLa déshérence maritime française nous aura donné un architecte militaire de premier plan : Vauban. Ses normes architecturales conservent aujourd’hui beaucoup d’atouts de défense à plus d’un titre.
Mon propos était d’enjamber à toute vitesse la situation géo-historique de la France. Mais tout à fait d’accord avec, ci-dessus : Olivier77, Wakizashi et Brigitte. En particulier Wakizashi, je rajoute que les français ont peu émigrés et se sont donc bien trouvés dans ce bout d’EurAsie. Il y eut la réaction ou compensation inconsciente avec l’aviation où la France aura excellé. Par exemple, lors du prestigieux saut de puce de l’aviateur Blériot en 1909, faisant la nique au plus grand empire maritime du monde basé sur la rive d’en face. Puis il y eut la 1ère traversée aérienne de la Méditerranée avec Roland Garros en 1913, de St-Raphaël à la Tunisie. Il y eut aussi l’épopée mythique de l’Aéropostale des années 30 (Toulouse à Buenos-Aires, les Andes et le Chili) qui démontra que l’Atlantique (ici l’Atlantique Sud) est bien l’espace qui correspond géographiquement à la France ainsi qu’au Portugal et à l’Espagne qui sont ses devanciers. De Toulouse à Buenos-Aires et la Patagonie, on ne change pas de cap. L’on peut souligner encore que la base des fusées de lancement de satellites à Kourou en Guyane (Macron croyait que c’était une île!…) est un indice notable qui correspond à la créativité de la France dans toutes ces régions.
+3
AlerterC’est amusant de lire ce genre d’article…depuis des lustres,je suis anti libéral,anti mondialisation,antiinternationalismes divers et variés,anti institutions supra nationales en général. Seulement voilà…il y a quarante ans en arrière,mes convictions me valaient au choix des contradictions rageuses ou un mépris supérieur et affligé,surtout d’ailleurs de la part de cette gauche bizarre qui a livré l’Europe au monstre UE,mis place l’Omc Saloperies du même acabit…j’ai dit amusant? Attristant serait le bon mot…
+3
Alerter« Confrontée à des échéances inéluctables, celles de l’occupation de son territoire et de la colonisation de ses ressources, »
Alors, remettons un peu les choses en perspective:
– la France est une puissance néocoloniale (inutile de détailler les réseaux de la françafrique mis en place par Jacques Foccart, l’implantation des grands groupes français en Afrique, l’arnaque du CFA et j’en passe, je pense que tout le monde ici connait ça);
– en imaginant qu’on ferme ses frontières à la fois à l’importation de matières premières et à l’exportation de déchets, le pays ne tiendrait pas longtemps avant de sombrer dans la chienlit totale. Pas seulement par pénurie et pollution, mais parce-que l’atomisation sociale actuelle ne tarderait pas à dégénérer en affrontements.
La France vit au-dessus de ses ressources. L’empreinte écologique de la France est 2.79 fois au-dessus de la limite soutenable mondiale, ce qui veut dire qu’en termes de ressources physiques d’une part la France vit à crédit (sur le dos des générations futures), d’autre part elle vit aux dépens d’autres pays, non souverains, dont elle prélève de précieuses ressources à faible coût.
Pas grand-monde n’occupe le territoire de la France ni ne « colonise » ses ressources. Tout juste le foncier agricole commence-t-il à intéresser quelques fonds de spéculation chinois, et ce, malheureusement, pour la joie des agriculteurs français pris à la gorge, qui soldent leur patrimoine foncier pour sortir la tête de l’eau.
Juvin a une analyse assez bonne des dérives post-modernes et du blabla autour de la « disruption », mais en appelant à la reconstruction d’une grandeur perdue il passe de l’analyse rationnelle au fantasme, et se fourvoie complet. Dommage. Essayer d’inverser le réel ne mène pas loin, le réel sera toujours plus fort que nous.
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