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29.avril.202329.4.2023 // Les Crises

L’économie fossile américaine vit ses dernière années avant la fin de l’ère du pétrole

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La production pétrolière américaine est sur le point d’atteindre son maximum, mais le monde n’est pas préparé aux conséquences économiques et politiques considérables qui en résulteront. La seule voie possible est celle de la transformation énergétique et économique.

Source : Age of Transformation, Nafeez Ahmed
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Photo de Maarten van den Heuvel / Unsplash

L’économie mondiale est actuellement au bord de la crise bancaire. Le GIEC vient de publier son dernier grand rapport, qui avertit que les émissions mondiales de carbone doivent atteindre leur maximum et diminuer immédiatement si nous voulons éviter de sombrer dans un dangereux réchauffement climatique en franchissant la limite de sécurité de 1,5C. Ces dernières semaines et ces derniers mois, les dirigeants de l’industrie ont annoncé que la révolution du pétrole et du gaz de schiste aux États-Unis était terminée.

Pourtant, peu de gens, voire personne, ne s’interrogent sur les raisons pour lesquelles ces événements se produisent en même temps et sur leur signification réelle.

L’un de nos plus sérieux problèmes est que nous avons tendance à penser en cloisonnement et en domaines. Mais dans le monde réel, les domaines que nous supposons fonctionner séparément sont en fait fondamentalement interconnectés. Nous ignorons et minimisons ces interactions systémiques à nos risques et périls.

La persistance de l’inflation mondiale a surpris de nombreux économistes. S’ils reconnaissent que l’impact de la guerre de la Russie en Ukraine sur l’approvisionnement en énergie et en denrées alimentaires a été le principal moteur, cette hypothèse cloisonnée a conduit à ne pas comprendre pourquoi il est peu probable que l’inflation disparaisse tout simplement de sitôt.

Nous avons de bonnes raisons de penser que les facteurs sous-jacents de l’inflation ne se limitent pas à la guerre en Ukraine. Bien qu’ils soient extrêmement difficiles à quantifier, le changement climatique et la dégradation de l’environnement alimentent l’inflation en érodant la productivité agricole, ce qui entraîne une hausse du coût des denrées alimentaires. L’impact des phénomènes météorologiques extrêmes cause également des dommages de plus en plus importants aux infrastructures, ce qui entraîne des coûts plus élevés. À mesure que ces coûts se répercutent sur le système, l’offre de biens et de services devient plus onéreuse.

Moins difficile à quantifier, l’inflation est historiquement liée aux hausses des prix de l’énergie. Il est de plus en plus évident que le monde est en train de vivre un changement majeur dans le système mondial des combustibles fossiles qui entraîne une augmentation des coûts et une diminution des rendements, ce qui finira par avoir un effet inflationniste majeur pendant beaucoup plus longtemps et plus profondément que ce que l’on pense habituellement.

La fin du boom du pétrole de schiste

Depuis la fin de l’année dernière, un nombre croissant de rapports soulignent que la révolution du schiste aux États-Unis touche à sa fin. Pourtant, les conséquences mondiales considérables de ce phénomène ne sont pas débattues.

Le Wall Street Journal titrait : « Le boom du schiste américain montre des signes de plafonnement alors que les grands puits de pétrole disparaissent. L’ère de la croissance agressive du schiste américain est révolue », a déclaré au Financial Times Scott Sheffield, PDG de Pioneer, l’une des principales entreprises indépendantes du secteur du schiste. « La filière du schiste n’est définitivement plus un producteur d’appoint. » Et selon Bloomberg : « Le spectre du pic pétrolier, qui a hanté les marchés mondiaux de l’énergie au cours de la première décennie du XXIe siècle, refait surface. »

Les dirigeants de l’industrie américaine reconnaissent désormais ouvertement que la production pétrolière des États-Unis devrait atteindre son maximum dans les cinq ou six prochaines années, voire en 2030. Mais il est de plus en plus évident que ce pic interviendra bien plus tôt, certains observateurs de l’industrie estimant qu’il se produira d’ici un ou deux ans.

Ce qui est extraordinaire à propos de ces aveux, c’est le peu d’impact qu’ils ont sur le débat public. Les implications sont systémiques. En 2005, par exemple, le groupe de réflexion RAND Corp de Washington prévoyait que les États-Unis disposaient de suffisamment de pétrole de schiste pour durer 400 ans ; et en 2012, un cadre supérieur d’ExxonMobil affirmait que les États-Unis avaient « environ 100 ans d’approvisionnement en gaz naturel. »

Ces affirmations grandiloquentes ont souvent été présentées comme des faits irréfutables par certains des médias les plus respectés au monde.

Les détracteurs (comme moi) qui avertissaient que le pétrole et le gaz de schiste n’offriraient au mieux qu’un coup de pouce temporaire qui ne manquerait pas de culminer et de décliner à court terme, avec des conséquences économiques mondiales majeures, ont été traités de « pessimistes ».

Aujourd’hui, il s’avère que nous avions raison depuis le début.

Les erreurs de prévision

Cela ne veut pas dire que les tenants du pic pétrolier avaient vu juste à l’époque. Ils pensaient à tort qu’après le plafonnement du pétrole conventionnel vers 2005, les prix du pétrole grimperaient de façon permanente à trois chiffres, alors que la production mondiale de pétrole entrerait en phase terminale de déclin. Cela ne s’est pas produit. Au contraire, la demande mondiale s’est déplacée vers les formes plus coûteuses de pétrole et de gaz non conventionnels – en particulier le schiste américain – qui ont comblé une grande partie du manque, à mesure que la production de pétrole conventionnel ralentissait.

Mais comme il s’agissait d’un contexte de récession, la demande mondiale a été beaucoup plus faible que prévu. Les hausses massives des prix du pétrole entre 2005 et 2008 ont contribué à l’effondrement du système bancaire. Mais comme les projets de production pétrolière sont planifiés des années à l’avance en fonction des attentes de la demande, le pétrole a continué à être pompé malgré la baisse de la demande due à la récession économique.

Il en est résulté une surabondance de pétrole et de gaz de schiste sur les marchés mondiaux, ce qui a permis aux prix du pétrole de baisser et a alimenté la croyance généralisée en une nouvelle ère de pétrole bon marché made in America.

Il ne fait aucun doute que le boom du schiste aux États-Unis a connu une période faste, mais sa durée de vie « productive » semble être d’environ deux décennies. Si le pétrole et le gaz de schiste américains sont sur le point d’atteindre leur apogée et de décliner dans les prochaines années, qu’est-ce que cela signifie pour l’économie américaine et mondiale ?

La prochaine récession économique

Étant donné que la révolution du schiste aux États-Unis a joué un rôle clé dans le maintien des prix mondiaux du pétrole à un niveau bas et dans la satisfaction des besoins énergétiques d’une activité économique continue, son déclin aura des répercussions économiques massives.

La production américaine a représenté environ 70 % de l’augmentation totale de la capacité pétrolière mondiale depuis 2019, et 75 % de la croissance des approvisionnements en gaz liquéfié. Ainsi, lorsque le pétrole et le gaz de schiste américains atteindront des sommets, des plateaux et déclineront, la production mondiale de pétrole et de gaz feront de même très peu de temps après.

Les producteurs de pétrole et de gaz du Golfe ne seront toutefois pas en mesure de combler le déficit. La production pétrolière des États-Unis s’élève actuellement en moyenne à 11 millions de barils par jour (mbj).

Une analyse de 2022 des données de production de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui comprend les plus grandes producteurs tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, suggère que le maximum que l’OPEP pourrait collectivement augmenter est d’environ 4,5 millions de barils par jour, c’est-à-dire moins de la moitié de la production actuelle de schiste aux États-Unis.

On ne sait pas non plus combien de temps l’OPEP peut mobiliser ses capacités de réserve pour maintenir des niveaux de production maximaux. Cela suggère que l’OPEP ne sera pas en mesure de combler de manière significative le déficit d’approvisionnement à mesure que le schiste américain décline, ce qui est un indicateur clair que la production mondiale totale de pétrole finira par commencer à atteindre un pic et à décliner.

En 2017, j’ai évalué ces tendances dans Failing States, Collapsing Systems [États défaillants, systèmes en déliquescence, ouvrage non traduit, NdT]. J’ai prédit que la production américaine de pétrole et de gaz atteindrait probablement un pic et un plateau vers 2025, et que les principaux producteurs du Moyen-Orient atteindraient un pic et un plateau vers les années 2030. Ce scénario semble maintenant se dérouler sous nos yeux. Pourtant, personne n’en parle.

Les conséquences économiques et financières à court terme seront dévastatrices et pourraient entraîner des dommages définitifs à long terme en l’absence d’une action transformatrice significative. L’impact sur l’économie américaine sera profond.

La production de schiste a représenté 10 % de la croissance du PIB aux États-Unis entre 2010 et 2015, ce qui signifie que la prochaine décennie de plafonnement et de déclin du schiste effacera progressivement cette croissance. Cela se traduira par une crise économique inflationniste prolongée qui, à son tour, contribuera à la volatilité des marchés financiers mondiaux. Les experts ne comprendront probablement pas ces liens systémiques, se concentrant plutôt sur les banques en faillite, les institutions financières et la dette, sans en comprendre les déclencheurs énergétiques.

Tout ceci implique que nous entrons en somnambule dans une crise énergétique mondiale qui, sans accélérer la transformation propre du système énergétique, aura de graves conséquences économiques et financières en sapant la base énergétique fondamentale des flux économiques mondiaux. Cela aggravera les vulnérabilités accumulées dans le système bancaire, liées à des formes d’endettement insoutenables.

Les répercussions et les sauvetages observés dans les cas de la Silicon Valley Bank, du Crédit suisse et d’autres ne sont que les premières fissures qui s’élargiront en l’absence d’une restructuration économique radicale liée au développement rapide d’un nouveau système énergétique.

Alors que ce nouveau système est encore en train d’émerger, il est peut-être inévitable que nous rencontrions un certain nombre de goulets d’étranglement. Le danger est qu’au lieu de les utiliser pour se restructurer et s’adapter efficacement, nous finissions par régresser, avec une perte de capital et d’énergie qui empêche le plein essor de la transformation.

La fenêtre d’action est extrêmement courte : nous devons agir au cours de cette décennie. En cours de route, nous devons être conscients des grandes tendances qui sont susceptibles d’émerger à la suite de la fin du boom du schiste aux États-Unis :

1. L’illusion d’un pétrole bon marché disparaît

Bien que les prix puissent encore fluctuer, il devient plus clair que la surabondance de pétrole bon marché de cette dernière décennie n’était pas une constante du système énergétique, mais un symptôme temporaire de circonstances très spécifiques, alors que le système énergétique s’enfonce dans un état d’intrants croissants et de rendements déclinants. L’impact immédiat du pic et du plateau de l’exploitation du schiste américain sera le maintien des prix du pétrole à un niveau élevé.

2. Les bénéficiaires à court terme de cette situation seront les producteurs de pétrole et de gaz du Golfe

Ils semblent actuellement être les seuls fournisseurs d’énergie fossile disposant d’une capacité suffisante pour maintenir leur production. Ils commenceront donc non seulement à dominer les parts de marché, mais ils continueront aussi, bien sûr, à tirer des bénéfices plus importants de cette position plus avantageuse sur le marché dans un contexte de prix du pétrole élevé.

3. Certains capitaux se déplaceront vers l’OPEP par sécurité, mais il s’agit d’un mirage

Tout comme la dernière décennie a créé l’illusion d’une abondance de combustibles fossiles grâce au boom du schiste aux États-Unis, nous pourrions constater que la capacité à court terme de l’OPEP à augmenter la capacité de secours au fur et à mesure que la production de schiste diminue perpétue cette illusion. Nous pouvons nous attendre à de nombreuses déclarations optimistes de la part des producteurs de pétrole du Golfe, qui justifieront leurs grands projets d’expansion de leur production de pétrole et de gaz. Les capitaux se déplaceront rapidement vers les pays de l’OPEP, considérés comme le dernier espace sûr pour les investisseurs en quête de stabilité et de croissance. Toutefois, les producteurs de l’OPEP commenceront également à vivre leur crépuscule très peu de temps après le déclin du schiste américain, ce qui signifie que les investisseurs enregistreront des pertes importantes bien plus tôt qu’ils ne l’imaginent.

4. Les prix du pétrole fluctueront dans une fourchette plus large lorsque le schiste américain atteindra son apogée

Alors que l’on peut s’attendre à une volatilité importante des prix du pétrole, en raison de l’impact récessif des prix élevés du pétrole qui réduirait la demande et conduirait donc à une baisse des prix, à mesure que nous approchons du plateau et du déclin de la production des États-Unis et de l’OPEP, la baisse globale de l’offre devrait aggraver les fluctuations des prix du pétrole dans une fourchette beaucoup plus large, qui deviendra la nouvelle norme aussi longtemps que la demande de pétrole restera élevée. Cela pourrait également inciter à croire à court terme que les nouveaux investissements dans le pétrole et le gaz sont rentables. Ce serait pourtant une erreur colossale, comme nous le verrons plus loin, en raison des réductions à venir de la demande de pétrole dans la seconde moitié de cette décennie, qui atténueront les prix élevés et rendront les entreprises de combustibles fossiles de moins en moins rentables.

5. Nous pouvons nous attendre à une polarisation politique accrue

L’idéologie de l’industrie existante empêchera probablement de nombreux acteurs du secteur de l’énergie de reconnaître l’évidence des problèmes à venir ; ce qui explique les actions régressives et autodestructrices de l’administration Biden, qui s’est engagée à forer dans l’Arctique. C’est comme parier sur un cheval perdant après avoir appris qu’il était sur le point d’être dépassé par des voitures. Cela illustre le pouvoir des lobbies pétroliers américains dans leur dernière tentative désespérée de rester en vie grâce aux subventions des contribuables, au mépris des dures réalités économiques. (il y a quelques années, j’ai révélé l’histoire de l’étude militaire britannique qui concluait que le forage dans l’Arctique était inutile pour des raisons économiques parce que les coûts étaient si élevés et les bénéfices si faibles qu’ils rendaient le projet commercialement infaisable) Cela laisse présager que le champ de bataille politique entre les lobbies des combustibles fossiles et les défenseurs des énergies propres va s’envenimer, le pouvoir en place redoublant d’efforts pour réclamer davantage de subventions publiques. Des millions d’emplois seront menacés par le déclin de l’industrie américaine du schiste, ce qui pourrait avoir d’autres conséquences économiques et culturelles négatives à mesure que les États-Unis reviendront à un statut d’importateur net.

6. La transition vers l’énergie propre sera essentielle pour stabiliser l’économie mondiale et rétablir la prospérité

La seule issue viable à cette crise consistera à accélérer la transition vers l’énergie propre en se concentrant sur le déploiement de technologies qui s’améliorent de manière accélérée et qui sont déjà en train de se développer parce que leur coût est compétitif par rapport à celui des combustibles fossiles, à savoir l’énergie solaire, l’énergie éolienne et les batteries. Cela permettra de jeter les bases d’autres applications potentielles telles que les biocarburants ou l’ammoniac vert issu de l’hydrogène vert. Cette transformation est déjà en cours et offre aux États-Unis et à d’autres pays la possibilité de produire de plus grandes quantités d’énergie à une fraction du coût des combustibles fossiles. Dans Rethinking Climate Change, un rapport de RethinkX pour lequel j’ai contribué à la rédaction, nous avons constaté que même en l’absence de décisions politiques pertinentes et d’obstacles institutionnels majeurs, les facteurs économiques conduiront inévitablement les industries en place à s’effondrer d’ici 2040, à mesure qu’elles seront remplacées par de nouveaux systèmes solaires, éoliens et de batteries. Malheureusement, bien que cette évolution soit beaucoup plus rapide que ne le reconnaissent les analystes conventionnels, elle n’est pas assez rapide pour éviter un changement climatique dangereux.

7. La demande de pétrole va connaître une hémorragie, car la transition vers l’énergie propre est désormais inéluctable

Les données examinées par RethinkX indiquent que la demande de pétrole devrait atteindre son maximum bien plus tôt que ne le prévoient les agences de l’énergie en place, et décliner bien plus rapidement après le pic. Le rapport de RethinkX suggère que la demande de pétrole atteindra probablement un pic entre 2025 et 2030, suivi d’une baisse progressive jusqu’en 2040. Il est essentiel de reconnaître que les moteurs économiques de cette baisse prochaine de la demande de pétrole ne se limitent pas aux technologies énergétiques de rupture, mais incluent la perturbation des systèmes de transport et d’alimentation par les véhicules électriques, les véhicules électriques autonomes, la fertilisation de précision et l’agriculture biologique. Cela met également en lumière la situation délicate dans laquelle se trouve la civilisation au cours de cette décennie : à mesure que l’industrie énergétique historique décline, entraînant avec elle l’économie, il y a un risque que cela fasse dérailler les facteurs économiques qui stimulent actuellement l’adoption rapide des technologies d’énergie propre. Cela signifie que nous devons accélérer l’adoption de ces technologies au cours de cette décennie.

8. La volatilité élevée des prix du pétrole sera suivie d’un effondrement des prix du pétrole lorsque la demande atteindra son maximum et diminuera

À la fin des années 2020, nous verrons probablement la demande de pétrole commencer à atteindre son maximum. Ce phénomène sera exacerbé par le fait que l’industrie pétrolière mondiale deviendra économiquement insoutenable vers 2030, lorsqu’elle se mettra à consommer un quart de sa propre énergie juste pour continuer à pomper plus de pétrole. Même le Journal of Petroleum Technology, publié par la Society of Petroleum Engineers, prend cette perspective au sérieux. La baisse de la demande de pétrole s’accompagnera d’une baisse des prix du pétrole. À ce stade, en supposant que les dernières études EROI soient exactes, [EROI : Energy Returned On Energy Invested, taux de retour énergétique, CAD l’énergie produite par rapport à l’énergie dépensée pour l’extraire, NdT] l’effondrement de l’industrie mondiale commencera à s’accélérer, car une fois que les prix passeront en dessous d’un certain seuil et que les indices EROI seront déjà insoutenables, l’industrie deviendra tout simplement impossible à maintenir sur le plan économique.

Que faire ?

La question majeure qui se pose ici est bien sûr de savoir comment accélérer la transformation.

La tâche principale est simple : nous devons faire prendre conscience au public que la fin de l’ère du pétrole approche à grands pas et qu’elle arrivera dans les deux prochaines décennies. Cette arrivée inévitable ne signifiera pas en soi que nous éviterons un changement climatique dangereux. Mais elle signifiera que les actifs pétroliers et gaziers sont obsolètes ; ils ont été largement surévalués et, par conséquent, les investissements dans ces actifs ne produiront jamais les rendements escomptés, ce qui se traduira par des pertes se chiffrant en milliers de milliards de dollars. Cela n’est pas simplement dû à la perspective d’une action politique en matière de climat, mais à la réalité des bouleversements technologiques en cours dans les domaines de l’énergie, des transports et de l’alimentation, ainsi qu’à la dynamique interne de l’EROI au sein de l’industrie elle-même.

Si les conséquences immédiates de cette évolution pour les investissements conventionnels dans les industries en place sont désastreuses, les implications plus larges sont stupéfiantes. Cela signifie que les domaines les plus lucratifs des nouveaux investissements, où l’on peut trouver le potentiel de rendement le plus élevé, ne seront pas, en fin de compte, les industries des combustibles fossiles en voie d’extinction, mais les technologies qui s’améliorent de manière exponentielle et qui sont sur le point de transformer nos sociétés pour le mieux.

Ces technologies pourraient contribuer à débloquer la prospérité future pour tous, à condition qu’elles soient déployées dans le contexte d’un nouveau paradigme social, organisationnel et culturel optimisé pour la décentralisation.

L’un des principaux obstacles à la transformation réside dans le peu de compréhension qu’ont encore les institutions financières et les décideurs politiques de ces processus, qui sont des dynamiques de changement de phase. Cela signifie que la question de l’inflation n’est pas une crise au sein d’un système économique statique et en place ; c’est un symptôme de la disparition du système de l’âge du pétrole alors qu’un nouveau système potentiel émerge, ce qui signifie qu’essayer de la résoudre en utilisant les mêmes vieux outils macroéconomiques (par exemple, l’augmentation des taux d’intérêt, l’austérité, etc) de l’ancien système ne fonctionnera pas. Nous devons plutôt accélérer l’émergence du nouveau système, ce qui nécessite de maximiser les flux de capitaux vers les principaux moteurs, technologies et structures organisationnelles de ce nouveau système. À son niveau le plus fondamental, cela exige des incitations macroéconomiques pour ces flux de capitaux.

Il est donc impératif de sensibiliser les principales parties prenantes à la fin de l’ère pétrolière, afin d’améliorer la prise de décision. Cela implique des formes d’organisation beaucoup plus robustes pour diffuser ces approches systémiques plus précises de la compréhension du monde dans les espaces les plus stratégiques afin d’exploiter au maximum le potentiel d’impact.

Nous devons également nous préparer, ainsi que nos organisations, à ce qui nous attend. Il ne s’agit pas seulement d’examiner les processus matériels, les chaînes d’approvisionnement et d’autres éléments de ce type, mais aussi de réfléchir aux valeurs, aux structures sociétales et aux modèles économiques qui conviendront le mieux au système émergent. En fin de compte, nous devons développer et incarner de nouvelles façons globales de voir et d’être dans le monde qui nous permettent de reconnaître et de naviguer dans la complexité, en particulier pour cette période de bouleversements qui s’annonce.

Dans les prochains articles, nous explorerons d’autres implications de cette analyse. Nous examinerons ce que tout cela signifie pour notre réflexion critique sur les systèmes et les concepts de plus en plus courants tels que la multicrise ; sur la base des principales tendances identifiées ici, nous explorerons divers scénarios émergents qui pourraient vraisemblablement se dérouler au cours de la prochaine décennie ; et sur cette base, nous serons en mesure de développer une idée plus précise de ce qu’il convient de faire.

Source : Age of Transformation, Nafeez Ahmed, 24-03-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

RV // 29.04.2023 à 08h52

Penser qu’il suffit de remplacer à marche forcée les énergies carbonées par des énergies non carbonées fait complètement l’impasse sur la raréfaction des ressources minières et l’impact de l’extractivisme sur notre écosystème.
La transition énergétique que nous appelons de nos vœux pieux n’est qu’une partie de la solution, il nous faut un changement de paradigme systémique.

16 réactions et commentaires

  • florian lebaroudeur // 29.04.2023 à 08h33

    C’est pour cette raison qu’il faut accélérer la cadence vers la monnaie numérique pour tenter d’amortir les problèmes économiques, vers l’intelligence articifielle pour tenter d’amortir la réflexion critique, vers le pass carbone pour tenter d’amortir les problèmes énergétiques, vers la surveillance généralisé pour tenter d’amortir les problèmes sociaux.
    Si ça passe tant mieux, si ça casse il faudra se planquer dans les bunkers de luxe construits à la hâte dans la décennie précédente et espérer une prouesse technologique spatial d’Elon Musk pour tenter de s’évader de cette décharge infestée de gueux hostile.

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    • RIVIÈRE // 29.04.2023 à 10h07

      Éloquent…. Et tellement lucide… tout est dit dans votre post…le test grandeur nature a d’ailleurs été mis en place en 2020, période où en moins d’un trimestre, 80% de la population occidentale a été mise à la laisse….ça à très très bien fonctionné et ça fonctionnera à nouveau dans un avenir proche ….

        +23

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  • RV // 29.04.2023 à 08h52

    Penser qu’il suffit de remplacer à marche forcée les énergies carbonées par des énergies non carbonées fait complètement l’impasse sur la raréfaction des ressources minières et l’impact de l’extractivisme sur notre écosystème.
    La transition énergétique que nous appelons de nos vœux pieux n’est qu’une partie de la solution, il nous faut un changement de paradigme systémique.

      +50

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  • Kaki // 29.04.2023 à 09h27

    Depuis quand ça a posé un problème aux américains de ne plus avoir de pétrole, le monde est vaste et il faut bien amortir le soft power et le cas échéant, la force de projection. Irak, Syrie, qui sait, demain ça serait peut être l’Iran, la Russie ou le venezuela

      +12

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  • RIVIÈRE // 29.04.2023 à 09h36

    Et malgré toutes les solutions précaires envisagées ou envisageables, il y a un aspect pourtant très concret du problème global auquel l’humanité est dors et déjà confrontée, rien n’arrêtera le réchauffement climatique en cours…. Rien et malheureusement rien ne peut inverser ce cycle amorcé qui dépasse inexorablement la dimension humaine et ses petits moyens…. Heureusement, peu de citoyens en font le constat, peut-être par peur de la réalité ou pour beaucoup par inconscience, sinon qu’elles en seraient les conséquences comportementales immédiates…???

      +10

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  • cardom325 // 29.04.2023 à 12h46

    Il devient urgent de reformuler l’équation du vivant. Comment satisfaire dignement les besoins essentiels des humains dans leur ensemble tout en évitant de saccager la boule qui nous héberge en assurant une durabilité aux espèces, faune et flore, encore vivantes? Il ne s’agit même plus de développement durable, mais bien d’une stabilisation durable. Tout ce qui se consomme doit pouvoir se renouveler à l’identique. Le processus ne doit pas être perçu comme un retour en arrière, bien au contraire puisqu’il nécessitera beaucoup d’intelligence mise en réseau, de technicité affûtée. Faire presque autant avec beaucoup moins en innovant sans gadgétiser est un défi colossal, une gageure qui ne peut s’accomplir qu’en s’exonérant de la notion de profit et de l’économie financiarisée presque en faillite. Stabiliser au mieux le climat, réduire les inégalités et utiliser au mieux les ressources restantes est au menu du jour.

      +9

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    • Grd-mère Michelle // 29.04.2023 à 14h33

      « Faire presqu’autant avec beaucoup moins en innovant sans gadgétiser… »
      Tout comme l’auteur de l’article, vous n’envisagez pas de « faire beaucoup moins »…
      Or, il est évident, pour les observateurs/trices un tant soit peu curieux-ses, que l’origine du grave déséquilibre actuel se situe dans les excès de production de millions de milliards de « gadgets » inutiles/superflus(et leur import/export/transport incessant), excès pratiqués par certains(pays/entreprises/individus), caractérisés par un gaspillage hyper-polluant destructeur des plus essentielles ressources, dans le seul but de dominer/exploiter/opprimer ses voisin-e-s, proches ou lointain-e-s.
      Cet hyper-productivisme, pratiqué(à l’aide des machines) dès les débuts de la « révolution industrielle », poursuivi de manière « optimisée » grâce à la « révolution numérique », est le cancer qui est en train d’envahir/de détruire toutes les formes (interdépendantes) de vie saine.
      Sans oublier qu’il prive les êtres humains de leur principal « moteur » d’évolution et de satisfaction: pouvoir se servir, chacun-e, de leurs mains et de leur jugeote pour subsister dignement, raisonnablement, en choisissant des activités relatives à leurs capacités.

        +16

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      • Olivier // 30.04.2023 à 00h21

        « Or, il est évident, pour les observateurs/trices un tant soit peu curieux-ses, que l’origine du grave déséquilibre actuel se situe dans les excès de production de millions de milliards de « gadgets » inutiles/superflus(et leur import/export/transport incessant), excès pratiqués par certains(pays/entreprises/individus), caractérisés par un gaspillage hyper-polluant destructeur des plus essentielles ressources, dans le seul but de dominer/exploiter/opprimer ses voisin-e-s, proches ou lointain-e-s. »

        Exactement la définition que je donnerais de cette monstruosité qu’est l’ecriture dite « inclusive » : un gadget inutile et superflus, un gaspillage destructeur et polluant pour la langue et la compréhension, et qui n’a qu’un horizon : dominer, envahir et détruire toutes les formes de vie intellectuellement saine.

        On va me rapprocher de faire le troll, et pourtant, cette course a l’innovation perpétuelle, cette frénésie du progres, ce diktat produktivist se retrouve bel et bien dans le langage. Comme l’a si bien dit le président à propos de l’hôpital : on réinvente, et c’est beaucoup plus difficile quand on n’a pas préalablement détruit. Le résultat est partout le même : la destruction : de la nature, de nos institutions, du langage, et in fine du bon sens pour rendre impossible l’usage de la raison. C’est qu’il faut reinventer voyez-vous…

          +21

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        • Grd-mère Michelle // 30.04.2023 à 15h40

          @Olivier
          Pardonnez-moi, s’il vous plaît, de tenter d’exister (et de faire exister toutes mes soeurs humaines, y compris celles qui, après moi, vivront) dans ma langue maternelle, codifiée depuis son origine par des hommes culturellement dominants et discriminants.
          Cette innovation/adaptation de la langue française, que j’aime et que je respecte(plus que vous qui faites des fautes d’orthographe!), me semble, à moi, femme, une démarche mentalement saine et socialement nécessaire… surtout dans un contexte « d’auto-défense intellectuelle ».
          Pour comprendre ce que veulent dire les autres, il faut, d’abord et avant tout, pouvoir, un minimum, se mettre à leur place…

            +2

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          • Dominique65 // 30.04.2023 à 18h28

            Sauf que le français est déjà inclusif sans ces très vilains artifices. Nous avons deux « genres » en français, un féminin et un masculin-neutre. C’est ce deuxième genre qui est naturel lement inclusif. Je sais, ils sont très nombreux à prétendre des aberrations du type « le masulin l’emporte sur le féminin » lorsqu’on utilise en réalité le neutre. On remarquera que les femmes, selon l’élégance de cette langue, sont mieux mises en valeur que les hommes. En tant qu’homme, je trouve cela très bien, Qu’on continue ! Et je trouve sidérant que les femmes veuillent, dans une éruption de wokisme rageur, démolir cet édifice.

              +15

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      • RIVIÈRE // 30.04.2023 à 12h09

        Très bon résumé de nos problématiques… et il me semble qu’à ce jour il n’existe aucun protocole sérieux de traitement de ce «véritable cancer qui ronge la planète »…. Pire, la maladie gagne du terrain vitesse grand V, ce qui est visible sur le terrain, pour qui veut bien regarder sérieusement et ce malgré les emplâtres sur des jambes de bois, certainement destinés à rassurer les moins aguerris….nos dirigeants sont pour la plupart complètement ignorants et inactifs pour ceux qui ouvrent un peu les yeux….

          +1

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        • Grd-mère Michelle // 30.04.2023 à 16h39

          Si nos dirigeant-e-s sont pour la plupart ignorant-e-s et inactifs-ives, c’est parce que nous leur permettons (par paresse? par habitude?) de nous diriger, alors que nous les élisons pour nous représenter(temporairement).
          Cela leur donne un sentiment de supériorité et de toute-puissance qui leur fait penser qu’ils/elles savent mieux que nous ce qui nous conviendra…
          Cependant, en douce et sans faire grand-bruit, de plus en plus de consommateurs-trices insatisfait-e-s de leurs propositions et diktats changent radicalement leurs comportements et prennent leurs dispositions afin d’échapper à toutes ces souffrances inutiles causées par des « puissances » (politiques, militaires, économiques, religieuses-locales, régionales, nationales, mondiales) qui outrepassent grossièrement leurs droits et écrasent « leurs » peuples.
          UN exemple: que deviendront les avions « low cost » quand sera reconnu le bonheur de découvrir toutes les beautés nichées dans nos régions proches?

          Et si le bruit réprobatif des casseroles(et la multiplication des protestations en tout genre, partout) pouvait changer le cours des choses (contrairement à ce que pense E.Macron)?

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  • Olivier // 30.04.2023 à 00h30

    Pas d’eau, pas de petrole, pas de gaz, pas d’ours polaire, pas d’electricité, pas de corail, pas de neige, pas d’hiver, pas de doliprane, pas de masque, pas de viande, pas de moutarde, pas d’enfants, pas d’espoir…

    Les prédictions apocalyptiques sont les seules choses dont on ne manque pas. Un peu de pénurie de ce côté nous ferait le plus grand bien. Si la décroissance pouvait commencer par là…

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  • Havoc // 30.04.2023 à 08h13

    Cet article ne fait pas mention de l’inconnue de l’hydrogène « blanc » (hydrogène contenu dans des poches souterraines et dont les gisements sont mal connus et font l’objet de découvertes répétées).

    S’il était disponible en plus grandes quantités qu’on l’imaginait jusqu’à présent, il pourrait, utilisé dans des piles à combustible, produire de grandes quantités d’énergie vecteur électrique sans pour autant menacer le climat global.

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    • Dominique65 // 30.04.2023 à 18h40

      Oui cet article ne tient pas compte de beaucoup de choses. Comme par exemple que le fait qu’il n’y ait que les USA qui pompent leur gaz et huile de schiste ne signifie pas qu’il n’y en ait pas ailleurs, que l’Europe teste en ce moment la fin de l’énergie bon marché, que la fusion nucléaire nous est de plus en plus promise, qu’à part en Afrique, on ne fait plus d’enfants, etc.

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