Aujourd’hui, suite du démontage d’une énorme Fake News de BHL, visant à manipuler l’opinion publique et à attiser les tensions contre l’Iran. (1er billet ici)
Le billet est un peu long, mais nous vous en recommandons la lecture, afin que vous jugiez en détail des méthodes de BHL.
- 07/04/18 : BHL chez Ruquier
- Extrait du livre de BHL Les cinq rois
- Un premier Factchecking par CheckNews de Libération
- Éléments d’explication
Partie II.
V. La Réponse de BHL à CheckNews
Le service CheckNews a en effet précisé peu de temps après la publication de son article :
« Après publication de cet article, Bernard-Henri Lévy nous a contactés pour défendre les propos qu’il a tenus sur France 2. Il nous a envoyé un droit de réponse, citant un certain nombre d’auteurs qui lui donneraient raison. Aucune de ces citations ne dit pourtant clairement que l’Iran a changé de nom «sur ordre de l’Allemagne nazie». CheckNews mettra à jour cette réponse si les auteurs cités donnent raison au philosophe. En attendant, le voici :
«Ainsi donc vos « chercheurs » consultés vous ont « fait part de leur surprise, voire de leurs ricanements, en découvrant l’histoire » que j’ai racontée chez Laurent Ruquier et qui reprenait celle, citée dans L’Empire et les cinq Rois, du changement de nom, en mars 1935, de la Perse en Iran ?
Je ne veux pas, ici, polémiquer.
Mais à vos lecteurs qu’aurait [sic.] ébranlés ces « ricanements » je recommanderai, entre beaucoup d’autres, les historiens suivants.
[1] Charles Bloch qui, dans Le Troisième Reich et le monde, Imprimerie nationale, 1986, pp 255 et 256, écrit : « Le shah Riza Khan et ses collaborateurs se souvinrent que les Persans étaient des Aryens et par conséquent changèrent la dénomination officielle de leur pays en Iran sur proposition de la légation à Berlin ».
[2] Frédéric Sallée qui, dans Sur les Chemins de terre brune, Fayard, 2017, p. 389, écrit aussi : « Suite à ses visites en Turquie et en Allemagne, le 21 mars 1935, le Shah Reza Pahlavi décréta la transformation sémantique de la nation. La Perse devint l’Iran. »
[3] Antoine Fleury qui, dans La Pénétration allemande au Moyen-Orient, 1919-1939, Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, 1977, p 267, parle de la « volonté d’appartenance » du Shah à « un groupe de nations considérées comme supérieures » et évoque cette question, qui obsède les Iraniens de l’époque : « leurs titres de naissance ne placent-ils pas les Persans sur un pied, sinon d’égalité, du moins de fraternité aux côtés des Germains ? »
[4] Barry Rubin et Wolfgang G. Schwanitz, Nazis, Islamists and the making of the modern Middle East, Yale University Press, 2014, Page 114 : « the German-Persian relations were so successful that the shah’s decision, in 1935, to change the country’s name from Persia to Iran (derived from the word Aryan) is often attributed to a suggestion from Iran’s ambassador to Berlin”.
[5] Kenneth M. Pollack, « The Persian Puzzle, Random House, 2004: quand le Shah prend sa décision et signe le décret royal qui va lancer son coup d’état sémantique, “he clearly was affected by Hitler’s methods ».
[6] Ou encore le témoignage de EhshanYarshater Kevorkian, professeur d’études iraniennes à Columbia University et, surtout, concepteur et directeur de la monumentale Encyclopedia Iranica qui consacre un article entier à cette histoire de renomination..
[7] Ou celui de Wipert von Blucher, représentant de l’Allemagne à Téhéran dans ces années qui, à la page 324 de son livre, Zeitenwende in Iran. Erlebnisseund Beobachtungen (en français, quelque chose comme « Changement d’époque, Expériences et observations »), dit la même chose.
[8] Ou, enfin, les Mémoires du dernier Shah, propre fils de celui qui signa le décret. Que dit-il, en 1979, au soir de sa vie, des motivations de son regretté papa ? Il dit (c’est aux pages 61 et 62 de l’édition française du livre) que son Shah de père a « délibérément encouragé les relations entre la Perse et l’Allemagne ». Et il ajoute (je cite toujours) que les nationaux socialistes poussèrent à la roue en mettant lourdement l’accent sur « les origines communes de nos deux peuples ».
[9] La presse de l’époque, d’ailleurs, ne s’y trompe pas.
[10] C’est l’article de « Je suis Partout » que je cite dans mon livre et dont je tiens le fac-simile à votre disposition.
[11] Ou c’est le New York Times qui, dès le 1er janvier 1935, soit trois mois avant le décret, annonce ce pacte des Aryens ;
[12] ou qui, le 26 juin 1935, dans un nouvel article intitulé « New Names of places : change of Santo Domingo to Trujillo recalls others », écrit, une fois de plus, que c’est bien :« sur la suggestion de la légation perse à Berlin » que « le gouvernement de Téhéran, lors du Nouvel An perse, substitua le nom d’Iran à Perse en tant que nom officiel du pays » et ajoute : « dans cette décision, l’influence du regain d’intérêt nazi pour les races appelées aryennes, ancrées dans l’ancienne Perse, est visible. »
Merci de porter ces précisions à l’attention de vos lecteurs.
Car il n’y a, au fond, pas tellement de quoi ricaner.»
Cordialement. BHL
VI. Factchecking de la réponse de BHL par O. Berruyer
Comme il s’agit de BHL, on ne peut évidemment avoir aucune confiance dans ses propos, étant donné le nombre d’erreurs qu’il a déjà commises et qui ont été dénoncées par les plus grands (nous y reviendrons).
Nous avons ici la chance, pour une fois, de disposer de nombreuses explications de sa part, qui vont nous permettre d’étudier plus en détail sa façon de travailler. Contrôlons donc ses affirmations et sources :
[1] Charles Bloch qui, dans Le Troisième Reich et le monde, Imprimerie nationale, 1986, pp 255 et 256, écrit : « Le shah Riza Khan et ses collaborateurs se souvinrent que les Persans étaient des Aryens et par conséquent changèrent la dénomination officielle de leur pays en Iran sur proposition de la légation à Berlin ».
Peut-être bien, comme on l’a vu, mais ceci ne corrobore en rien les affirmations principales de BHL « nom nazi » ou « sur ordre de l’Allemagne » ou « l’Allemagne nazie propose aux Persans « le deal du siècle », on va faire une chouette aventure commune, on va dominer le monde !« . Nous reviendrons ci-après sur le fond de cette histoire d’ambassade iranienne en Allemagne.
Après, il est toujours important de vérifier ce que dit BHL. Nous avons donc récupéré le livre. La citation est bien juste, mais elle figure entièrement page 255, la page 256 ne parle pas de ceci :
La référence étant fausse, il semble que BHL n’ait pas acheté le livre et se soit contenté de le citer à partir d’une autre source. C’est dommage, car s’il avait lu la page 256, il y aurait vu ceci, qui contredisait son propos général :
[2] Frédéric Sallée qui, dans Sur les Chemins de terre brune, Fayard, 2017, p. 389, écrit aussi : « Suite à ses visites en Turquie et en Allemagne, le 21 mars 1935, le Shah Reza Pahlavi décréta la transformation sémantique de la nation. La Perse devint l’Iran. »
Là encore, on voit mal le lien avec les affirmations de BHL. Ici on apprend simplement que le Shah aurait, peut-être été influencé, lors de sa visite en Allemagne. (notez bien le « ses visites » dans la citation de BHL) L’image est forte, on imagine forcément mentalement le Shah avec Hitler.
Seul petit problème : Reza Pahlavi n’a fait qu’une visite hors de son pays, en Turquie, et n’a jamais mis les pieds en Allemagne…
(sources diverses, citées à gauche)
En fait, c’est la femme du Shah qui s’est rendue à Berlin – comme cela figure clairement dans le livre de Frédéric Sallée que cite BHL :
Sauf que BHL a transformé « ces visites » en « ses visites »… Reconnaissons qu’on a affaire à du TRÈS GRAND ART !
Il est très difficile de ne pas voir dans l’attitude de BHL une sorte de manipulation qui semble incompatible avec la qualification d’intellectuel qu’il se donne volontiers.
Frédéric Sallée a d’ailleurs réagi pour Checknews de Libération, et il taille un beau costard à l’homme en chemise blanche :
Bernard-Henri Lévy «fait une grosse erreur, car il n’y a pas de rapprochement idéologique. La femme du Shah s’est rendue en Allemagne, mais de la même manière qu’elle se rend dans la Turquie kémaliste. Il s’agit d’une recherche de contact avec des pays modernes qui se relèvent. Il n’y a aucun pacte, ni deal. Pour l’Iran, l’Allemagne incarne un pays qui se relève. Comme elle, la Perse veut se relever et se détacher des puissances britanniques ou russes. Ce relèvement est celui de la modernité. Il n’y a aucun lien entre l’aryanité des Nazis et celle des Iraniens. Si les Iraniens se rapprochent des nazis, c’est par pur opportunisme réformateur et non pas par idéologie». Il estime donc qu’il est faux d’associer le changement de nom de l’Iran à un pacte, un ordre ou une alliance idéologique avec l’Allemagne nazie.
[3] Antoine Fleury qui, dans La Pénétration allemande au Moyen-Orient, 1919-1939, Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, 1977, p 267, parle de la « volonté d’appartenance » du Shah à « un groupe de nations considérées comme supérieures » et évoque cette question, qui obsède les Iraniens de l’époque : « leurs titres de naissance ne placent-ils pas les Persans sur un pied, sinon d’égalité, du moins de fraternité aux côtés des Germains ? »
Voici ce que dit Fleury dans son livre – et on voit comme BHL déforme les choses (comme la soi-disant « obsession des Iraniens ») :
On voit aussi que la source de Fleury pour l’origine de l’ambassade d’Iran en Allemagne est Blucher – dont nous allons parler juste après, puisque BHL le cite aussi comme source (pratique cette multiplication de la même source…)
Cela n’a d’ailleurs pas plu à Antoine Fleury, qui a réagi à la réponse de BHL, toujours sur Libération :
« Le commentaire de BHL traduit une ignorance aussi bien du contexte géopolitique et idéologique de l’époque, sans parler de la situation politique de l’Iran et de l’attitude notamment de l’élite iranienne par rapport aux puissances étrangères.
Il est faux de dire que c’est sur ordre de l’Allemagne que la Perse décide de changer de nom. Il ne faut pas oublier que les Iraniens rejettent profondément la mainmise étrangère sur leur pays, notamment suite au partage anglo-russe de 1907. Reza Chah qui gouverne la Perse depuis 1921 ( rejet de la dynastie Kadjar, compromise avec les Puissances étrangères), cherche à engager la Perse dans une voie propre, le plus libre possible des Puissances étrangères, la Perse est le seul membre de la région à être membre de la SdN, dès 1920. Le Général Reza Khan s’inspire de l’exemple d’Atatürk: il pense instaurer d’abord une République avant de se décider pour la restauration de l’Empire, créant la nouvelle dynastie des Pahlevis. Il veut moderniser la Perse et la rendre moins tributaire de l’Angleterre qui s’est affirmée encore plus avec l’effondrement de l’Empire russe.
Sa diplomatie consiste à se trouver des appuis et des moyens parmi toutes les puissances de façon à échapper à la mainmise d’une seule. C’est là où l’Allemagne nouvelle des années 20 pourra reprendre un rôle, surtout dans le domaine économique et industriel, qui va considérablement se renforcer dans le contexte de la crise des années 30. […]
Enfin la citation de quelques extraits de mon ouvrage par BHL ne rend pas compte des perspectives de l’époque. Il n’a jamais été question chez les Iraniens, y compris chez ceux qui ont été fascinés par les succès de l’Allemagne de Hitler, de se soumettre à un quelconque diktat allemand!
Si la politique de l’Iran recherchait à établir des liens économiques et techniques avec l’Allemagne, c’est justement pour échapper à la mainmise hégémonique de l’Angleterre et de l’Union soviétique qui tenta de reprendre sa position dominante de l’ancien Empire tsariste dans le Nord de l’Iran! »
[4] Barry Rubin et Wolfgang G. Schwanitz, Nazis, Islamists and the making of the modern Middle East, Yale University Press, 2014, Page 114 : « the German-Persian relations were so successful that the shah’s decision, in 1935, to change the country’s name from Persia to Iran (derived from the word Aryan) is often attributed to a suggestion from Iran’s ambassador to Berlin”.
Là encore, on revient sur un détail qui n’appuie en rien les affirmations de BHL… On note en plus ici que le « often attributed to a suggestion » montre bien qu’il n’y a apparemment aucune preuve solide de ce qui a réellement décidé le Shah à l’époque…
[5] Kenneth M. Pollack, « The Persian Puzzle, Random House, 2004: quand le Shah prend sa décision et signe le décret royal qui va lancer son coup d’état sémantique, “he clearly was affected by Hitler’s methods« .
Le Shah a « clairement été affecté par les méthodes d’Hitler » : cette phrase ne veut pas dire grand-chose… Voilà l’extrait du livre :
Aucune note, aucune source, cela semble être une simple opinion de l’auteur ou un ouï-dire.
On note en revanche qu’il indique bien que, pour l’ambassade iranienne en Allemagne, c’est une rumeur non sourcée (« stories told »…) Et il insiste sur le fait que l’Allemagne était pour l’Iran ce qu’avaient été les États-Unis, un pays puissant pour contrebalancer l’influence anglo-russe sur l’Iran. Deux éléments importants occultés par BHL…
Ceci étant, le grand journaliste Amir Taheri dénonce ici, les nombreuses « erreurs factuelles » de cette source de BHL, Kenneth Pollack, son hypothèse insensée de l’influence allemande sur le changement de nom du pays – et déplore le fait que Kenneth Pollack ne soit « jamais allé en Iran, et ne parle pas persan« , ce qui ne doit en effet pas aider l’auteur à réaliser des découvertes historiques majeures sur ce pays…
[6] Ou encore le témoignage de EhshanYarshater Kevorkian, professeur d’études iraniennes à Columbia University et, surtout, concepteur et directeur de la monumentale Encyclopedia Iranica qui consacre un article entier à cette histoire de renomination…
Ehshan Yarshater est en effet un immense spécialiste de l’Iran – il a été nommé en 1961 pour enseigner les études iraniennes à l’Université de Columbia, premier professeur à temps plein de persan dans une université américaine depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne pouvons étudier en détail son article – BHL ne donnant aucune référence…
Mais le plus simple a été de lui demander directement ce qu’il pensait de l’analyse de BHL.
Malgré ses 98 ans, il a accepté de nous répondre :
« M. Bernard Henri-Levy donne une image complètement erronée des changements sémantiques du pays. Il soutient que l’ancien nom du pays a toujours été « la Perse » non seulement en Occident, mais aussi en Iran, et que les Allemands ont provoqué ce coup d’État sémantique à cause de leurs propres croyances fascistes, mais plus important encore, il omet de dire – ou il ne sait pas – que le nom pérenne du pays a toujours été l’Iran, et le seul changement que les Iraniens ont entrepris au milieu des années 1930 a été de changer le nom de leur pays utilisé en Occident, à savoir Perse, par le nom de leur pays qui a toujours été appelé par les autochtones Iran.
Ainsi, les deux phrases suivantes :
« la Perse décide de changer de nom et de s’appeler l’Iran sur ordre de l’Allemagne »
et
« l’Allemagne nazie propose aux Persans « le deal du siècle ». L’Allemagne nazie dit aux Persans : « On va faire, vous les Aryens de l’Est, nous on fera les Aryens de l’Ouest, on va faire une chouette aventure commune, on va dominer le monde ! » Et les Iraniens acceptent le deal, et on a cette espèce de « coup d‘État sémantique » incroyable ! »sont totalement fausses. » [Ehshan Yarshater, 10/05/2018]
Il aurait toutefois suffi à BHL de lire ladite Encyclopaedia Iranica pour y voir plus clair :
Mais plutôt que de s’intéresser à un changement de nom, BHL aurait pu s’intéresser directement à l’article sur les relations germano-iraniennes, il est très clair :
S’il y a eu un développement de quelques relations économiques, Hitler n’avait pas de plan particulier pour l’Iran, car il s’intéressait peu au Moyen-Orient. De plus :
« Reza Shah a néanmoins essayé de démontrer expressément sa position « équidistante » de toutes les puissances étrangères et a donc ostensiblement persécuté les cercles prétendument Nationaux-socialistes à Téhéran. En outre, un certain nombre d’intellectuels persécutés qui avaient fui l’Allemagne ont trouvé refuge (temporairement) en Perse.«
Bref, le meilleur allié des nazis, pour BHL…
Ah, dernier point à propos de BHL ; quand il nomme sa source « EhshanYarshater Kevorkian » :
il ne semble pas connaitre cette immense sommité qu’est Ehshan Yarshater, et qui TRAVAILLE à l’université de Columbia de New York où il est titulaire depuis 1961 de la chaire Hagop Kevorkian d’Iranian Studies (du nom d’un archéologue américain dont la fondation l’a financée, mort en 1962) :
Sacré BHL – c’est un peu comme s’il appelait Jacques Rancière « Jacquerancière Sorbonne »…
[7] Ou celui de Wipert von Blucher, représentant de l’Allemagne à Téhéran dans ces années qui, à la page 324 de son livre, Zeitenwende in Iran. Erlebnisseund Beobachtungen (en français, quelque chose comme « Changement d’époque, Expériences et observations »), dit la même chose.
Aucune citation – pourquoi se donner du mal… Toutefois, si ça dit « la même chose », ça ne dit probablement pas grand-chose comme on l’a vu…
Mais ne reculant devant aucun sacrifice, nous avons acheté le livre, et traduit le passage :
« Quelque temps après le Congrès, le gouvernement persan a informé les légations étrangères résidant à Téhéran qu’il souhaitait qu’à l’avenir le nom « Perse », dans les langues étrangères, soit remplacé par « Iran » et qu’on s’y réfère de manière générale sur des bases historiques, ethnographiques et géographiques.
Après interrogation sur la raison de ce changement, on m’a répondu que le nom « Perse » était dérivé de Fars, le nom de la province du sud et ne se réfère donc qu’à une partie du pays. Le pays entier se nommerait l’Iran. Je n’ai pas manqué de répondre que les Français appelaient les Allemands « allemands » et que cela signifiait des Alamans, qui n’étaient eux aussi qu’une tribu allemande parmi tant d’autres.
Plus tard j’ai appris que la suggestion était venue de la légation persane à Berlin, et que la considération avait été décisive au sein du gouvernement persan qu’à une époque, où les nations étrangères se vantaient de leur descendance aryenne, la Perse ferait bien d’exprimer également en son nom que c’est la patrie de la race aryenne.
Le gouvernement persan a, avec cette conception, passé sous silence les dernières recherches scientifiques. Celles-ci considéraient les Aryens non comme la population indigène de Perse mais comme une race ayant immigré du nord.
La conception historique du gouvernement persan était d’autant plus flagrante que les excavations des dernières années en Perse par des savants comme Herzfeld, Schmidt, Arne et Hirschmann avaient livré d’importantes contributions à la culture de l’époque pré-aryenne.
Jusqu’à présent, c’était la petite ville Kerman, en Perse orientale, célèbre pour ses tapis, qui revendiquait fièrement que les Germains étaient ses descendants, parce que selon la tradition locale Kerman et Germain seraient le même mot. Fallait-il s’attendre désormais à ce que Kerman perde ce privilège et que la population de tout le pays regarde les Allemands de haut, avec des sentiments paternels ?
On voit bien que Wipert von Blucher indique que ses interlocuteurs lui ont bien signifié que le changement visait à corriger une erreur, et qu’il y avait des motifs « historiques, ethnographiques et géographiques ».
C’est lui qui indique, sans la moindre source que la décision aurait été suggérée par la légation persane à Berlin, et que la considération aurait été décisive. On voit d’ailleurs une pointe d’inquiétude à la fin du passage.
Ainsi, sérieusement, une des sources de BHL est donc l’ambassadeur d’Hitler à Téhéran dont il faudrait accepter, sans la moindre preuve, les affirmations sur des sujets en lien avec les races aryennes ?
Le site spécialisé iranian.com dénonce d’ailleurs cette théorie fumeuse (en 2008, propagée outre-Atlantique par un clone de BHL), ouï-dire non appuyé par des sources solides, et rappelle que Blücher était un ennemi personnel de Reza Shah et le calomniait souvent :
Cependant, il est toutefois fort probable que l’ambassade iranienne à Berlin ait émis un avis positif à l’idée de changement de nom… En est-elle à l’origine, son avis a-t-il réellement eu une influence sur le Shah ? – nous n’avons à ce jour pas trouvé de source fiable pour corroborer cette rumeur.
[8] Ou, enfin, les Mémoires du dernier Shah, propre fils de celui qui signa le décret. Que dit-il, en 1979, au soir de sa vie, des motivations de son regretté papa ? Il dit (c’est aux pages 61 et 62 de l’édition française du livre) que son Shah de père a « délibérément encouragé les relations entre la Perse et l’Allemagne ». Et il ajoute (je cite toujours) que les nationaux socialistes poussèrent à la roue en mettant lourdement l’accent sur « les origines communes de nos deux peuples ». »
BHL ne prend pas la peine de citer le titre du livre. Le catalogue de la BNF nous l’indique bien :
Réponse à l’histoire, en 1979 (au soir de sa vie, en effet, il meurt l’année suivante) livre que nous avons également acheté. Et bien voilà les pages 61 et 62 :
Et on ne trouve pas la citation… Peut-être BHL parle-t-il de la version de poche de 1981 ? Non plus :
Après lecture entière du livre, le passage cité par BHL n’y figure pas !
Mais en revanche, on tombe sur cette note de bas de page, page 268 du livre d’Antoine Fleury, La Pénétration allemande au Moyen-Orient, 1919-1939, cité précédemment par BHL dans le point n°3 :
Et là, on se met à comprendre qu’il semble bien que BHL n’ait pas lu les fameuses mémoires du Shah, mais qu’il se soit contenté de la note de bas de page d’Antoine Fleury ! D’où la mention des pages 61-62 ; mais comme Fleury n’a pas indiqué le titre – vu qu’il n’y avait qu’un livre de Mémoires du Shah à son époque, celles de 1961 :
BHL a donc probablement réalisé une rapide recherche sur Google, qui a ressorti la référence des Mémoires les plus connues du Shah, celles de 1979… Et rajouté le « au soir de sa vie » pour faire larmoyer. C’est la multiplication des sources par BHL : d’un seul livre, il crée 2 sources pour appuyer ses propos.
Et voilà comment il a cité une année fausse, 1979, à partir d’une note d’un livre écrit en… 1977 ! Sacré Bernard-Henri, va.
Ceci étant, on notera à quel point BHL a déformé la note, cachant les informations importantes données par Antoine Fleury : relations avec l’Allemagne en raison des qualités de produits, absence d’impérialisme, mauvaise appréciation de la réalité du régime dans les années 1930…
Ceci étant, il est dommage que BHL n’ait pas lu les Mémoires de 1979, on apprend des choses intéressantes sur « les motivations de son regretté papa » :
[9] La presse de l’époque, d’ailleurs, ne s’y trompe pas.
Ah ?
Eh bien, regardons la presse d’époque alors…
Bref, on sent à quel point la presse est scandalisée, et que le mot « aryen » apparaît toutes les 3 lignes… « Elle ne s’y est pas trompée. »
On voit aussi que, déjà, la presse aimait recopier les dépêches d’Havas (devenue ensuite l’AFP).
[10] C’est l’article de « Je suis Partout » que je cite dans mon livre et dont je tiens le fac-similé à votre disposition.
BHL tient donc beaucoup à son Je Suis partout. Dont il a dit, rappelons-le : « Il faut lire, en France, la presse d’extrême droite de l’époque et, par exemple, dans l’édition de Je suis partout du 6 juillet, le reportage enthousiaste, tonitruant, triomphant, signé du fasciste belge Pierre Daye, intitulé « La Perse qui devient l’Iran » et consacré, pour une grande part, à ce changement de nom. »
Il l’a même tweeté l’article :
Mais c’est hélas en format très peu lisible. Il tient donc le fac-similé « à notre disposition », mais nous l’avons récupéré par nous-mêmes. Le voici en grand format lisible :
On peut le lire agrandi ici en pdf.
On note qu’il s’agit d’un article relatant un voyage touristique de l’auteur en Iran, et qu’il n’a qu’une phrase factuelle traitant du changement de nom. Et rien qui va dans le sens des affirmations de BHL – il est clair que cet auteur (futur sinistre collabo) ignore totalement tout éventuel lien avec les Aryens de ce changement de nom.
Mais peut-être que BHL ne lit-il que le titre des articles ?
[11] Ou c’est le New York Times qui, dès le 1er janvier 1935, soit trois mois avant le décret, annonce ce pacte des Aryens ;
Voyons ceci :
« [… Les gouvernements étrangers] ont été informés que le nom Iran décrit plus convenablement le royaume actuel que le mot Perse, qui était dérivé de l’ancienne province de Pers, à partir de laquelle le pays s’est développé. Le 22 mars sera le jour de l’an parce qu’il a toujours été sous la coutume persane. L’Iran est l’ancien nom autochtone de toute la région que la Perse occupe maintenant, et dont Pers n’est qu’une partie. C’est aussi l’origine du terme aryen. »
Donc BHL a vu dans ceci un « pacte des Aryens » avec l’Allemagne nazie…
[12] ou qui, le 26 juin 1935, dans un nouvel article intitulé « New Names of places : change of Santo Domingo to Trujillo recalls others », écrit, une fois de plus, que c’est bien :« sur la suggestion de la légation perse à Berlin » que « le gouvernement de Téhéran, lors du Nouvel An perse, substitua le nom d’Iran à Perse en tant que nom officiel du pays » et ajoute : « dans cette décision, l’influence du regain d’intérêt nazi pour les races appelées aryennes, ancrées dans l’ancienne Perse, est visible. »
Dans cet article, le journaliste Oliver McKee Jr. écrit que « sur la suggestion de la légation perse à Berlin […] le gouvernement de Téhéran, lors du Nouvel An perse, substitua le nom d’Iran à Perse en tant que nom officiel du pays » et ajoute : « Dans cette décision, il [le gouvernement Persan] fut influencé par l’intérêt des Nazis pour la résurgence des soi-disant races Aryennes, puisé au berceau de la Perse antique»
Mais, d’une part, on est très loin des affirmations principales de BHL (« nom nazi », etc). Le journaliste ajoute d’ailleurs que le changement du nom du pays en Occident s’accompagne du changement du nom de nombreuses villes, pour leur redonner leurs appellations pré-islamiques, comme Rezaiyeh, Babol et Zabol – dont on voit mal le lien avec les nazis. Cela montre de nouveau simplement la volonté de modernisation du Shah.
Et, d’autre part, ceci n’est qu’un avis non sourcé d’un journaliste du New York Times, non-spécialiste vu qu’il est en fait simplement… son envoyé spécial à Washington !
Quitte à citer le New York Times, BHL aurait pu citer l’analyse du 13 octobre 1935, qui rappelle que « Les Perses dans leur propre langue ont toujours utilisé le mot Iran pour désigner leur pays » :
On constate qu’un lien n’a été fait avec les élucubrations de BHL sur les nazis…
Voici d’ailleurs l’article publié en 1944 lors de la mort en exil de l’ancien Shah :
Aucune mention des hypothèses de BHL, mais une mention du fait que « le principal but de la politique du Shah était l’indépendance de l’Iran ».
En 1979, le New York Times, toujours, rappelait encore ce fait : « Nous avons toujours appelé notre pays Iran. Perse n’est pas le terme correct, c’est plus un fantasme du monde occidental »
On notera cependant en guise de conclusion que, si l’Iran avait décidé de s’allier avec l’Allemagne nazie (ce qu’il n’a jamais fait), et de changer son nom en Occident pour glorifier la grandeur d’on ne sait quelle race aryenne supérieure, il aurait été bien plus logique pour lui de prendre le nom d’Arianie plutôt que celui d’Iran, auquel aucun occidental n’associe les Aryens…
(source)
Finalement, BHL avait raison : « il n’y a, au fond, pas tellement de quoi ricaner. »
Il faut en effet d’abord rire franchement, puis ensuite s’indigner que de telles personnes aient table ouverte dans les médias depuis 40 ans, et y diffusent erreurs, manipulations, mensonges, propagande – et voire même incitation à la guerre…
Pour conclure, vous lirez demain dans ce dernier billet l’avis des plus grands iranologues mondiaux sur les déclarations de BHL – et pourrez agir !
Commentaire recommandé
« Faire du bruit, occuper l’espace, placer son nombril au centre du monde »
Si seulement il ne s’agissait que de bruit, que des rodomontades d’un bellâtre qui tente de faire l’intellectuel !
Mais je crains que ce soit plus que cela : cette tentative de diabolisation grossière de l’Iran par un porte-flingue de l’Empire pourrait annoncer un passage à une attitude plus belliqueuse des États-Unis et de leurs caniches. Les guerres d’agression contre l’Irak, la Libye puis la Syrie ont commencé elles aussi par la préparation psychologique de la population des pays agresseurs.
Après tout, la plupart des Français n’ont aucune raison d’être hostiles et agressifs envers l’Iran. Au contraire, beaucoup éprouvent probablement du respect pour ce pays à l’histoire millénaire, relativement paisible (à la différence de certains de ses voisins) et victime d’agressions répétées (coup d’État de 1953, attaque par l’Irak, embargo occidental, assassinats de ses scientifiques, etc). Il faut donc inculquer au bon peuple méfiance et haine envers l’Iran afin qu’il ne proteste pas trop lorsque nous lancerons l’assaut.
91 réactions et commentaires - Page 2
Honnêtement , BHL est BHL et si son parcours est connu par ses écrits , ses combats idéologiques sont également prévisibles. Le vrai scandale dans cette affaire vient de M Ruquier qui l’invite en pleines grandes manœuvres diplomatiques israéliennes sachant parfaitement la capacité de BHL à développer des théories bellicistes et en général peu étayées par des preuves et que ce donneur de leçons se présente devant le public comme un monsieur Loyal neutre alors qu’il oriente son émission en émission politique de propagande organisée mais évidement mal ficelée. Mais cette fois-ci la greffe n’a pas pris : la preuve est que le Figaro qui en général reprend les buzz provocateurs d’ONPC ne semble pas avoir donné crédit à cette affaire . On imagine que des journalistes comme Malbrunot ou Girard démonteraient rapidement cette mascarade .
+3
AlerterJe me demande quoi penser ? Rendre passionnant l’indigent BHL, est-ce de salubrité publique ? Rédiger une enquête passionnante sur un milliardaire infatué de lui-même qui démontre la puissance des réseaux citoyens bénévoles et désintéressés, appuyés sur un usage raisonné de la puissance du net, est-ce de nature à ébranler les certitudes bornées des Decodexeurs ?
+1
AlerterJe vous conseille l’analyse de l’historien Frédéric Sallée dans Libération.
C’est très solide et il démonte avec autorité les propos de BHL.
Je vous mets le lien :
http://www.liberation.fr/debats/2018/05/15/le-nazisme-l-iran-et-le-philosophe_1649965
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AlerterConcernant la suggestion de la Légation « Perse » à Berlin rapportée par Blücher, j’ai plutôt l’impression d’un truc du genre : « Ces crétins d’Allemands prétendent être les « bons aryens » peut être faudrait il leur rappeler que les Aryens, c’est nous! »
Je dis ça…
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AlerterBHL est un type dangereux. C’est incroyable qu’il puisse avoir une telle tribune et une telle influence. On devrait le poursuivre pour ses mensonges.
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AlerterQuel travail ! Quelle patience face à l’approximation qui mène à une thèse fantaisiste présentée comme sérieuse sur un TV publique.
Bref, toutes ses citations sérieuses sont erronées et ce qu’il reste c’est que BHL reprend des thèses complotistes nazies et d’extrême droite pour étayer son propos.
Depuis qu’il a fréquenté les néo-nazis ukrainiens en disant « il ne faut pas faire la fine bouche » ?
BHL ne sait plus où il habite. Il est en confusion mentale et vieillit bien mal.
j’ose une conjecture : « L’armoire à pharmacie (est) passée par là » (dixit son épouse lors d’un docu sur BHL), son cerveau serait-il irrémédiablement atteint ?
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