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3.février.20253.2.2025 // Les Crises

La Constitution américaine devait protéger le « droit » des riches à exploiter les pauvres. La Déclaration des droits fut une concession accordée aux mouvements populaires

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Les élites américaines de la première heure ont rédigé la Constitution pour mettre un frein aux soulèvements démocratiques qui menaçaient le pouvoir de la classe dirigeante. La Déclaration des droits, ajoutée tardivement à la Constitution pour protéger des libertés majeures, était une concession à ces luttes populaires.

Source : Jacobin, Taylor Clark
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La signature de la Constitution américaine en 1787. (MPI / Getty Images)

Lorsque les Américains évoquent aujourd’hui la Constitution, beaucoup pensent à certaines libertés qui leur sont chères : liberté d’expression, de religion et de la presse. La protection contre les perquisitions et les saisies abusives, ainsi que contre les châtiments cruels et inhabituels. Le droit à un procès devant un jury composé de pairs.

Tous ces droits ont deux choses en commun. Il s’agit des droits politiques fondamentaux d’un peuple libre, et aucun d’entre eux ne figurait dans la Constitution rédigée par les « Pères fondateurs » au cours de l’été 1787 – ils ont été ajoutés par la Déclaration des droits, ratifiée en 1791.

L’un des nombreux mythes inculqués aux Américains dès leur plus jeune âge est celui des idéaux nobles et éclairés des Pères fondateurs. Demandez à n’importe quel écolier pourquoi la Constitution des États-Unis a été rédigée, et il est probable qu’il vous débitera un certain nombre de platitudes et de clichés. Il dira peut-être « pour défendre nos libertés » ou « pour protéger la démocratie ». Quelqu’un d’un peu plus âgé, qui a suivi un cours d’histoire de niveau universitaire, pourrait mentionner la nécessité de remplacer les articles de la Confédération – première constitution américaine généralement tombée dans l’oubli – dont on nous dit qu’elle était une forme de gouvernement « trop fragile » pour diriger le pays. Mais cette explication soulève une question : quelles étaient exactement les articles de la Confédération qui étaient « trop faibles » ?

En réalité, la Constitution américaine n’a pas été rédigée pour protéger les droits et les libertés du « peuple ». Elle a été créée pour protéger le « droit » des riches à exploiter les pauvres – un « droit » qui, de plus en plus, est apparu aux Américains riches comme ne pouvant être défendu par les articles trop démocratiques de la Condédération.

Selon l’historien Woody Holton, le document que de nombreux Américains révèrent aujourd’hui a été rédigé par des hommes qui pensaient que la « révolution américaine était allée trop loin ». Pour le « père de la Constitution », James Madison, l’objectif du document était de « protéger la minorité des opulents contre la majorité ». Comme d’autres aristocrates, propriétaires d’esclaves et riches investisseurs qui ont participé à la Convention constitutionnelle, Madison a très clairement fait savoir qu’il n’appréciait pas du tout « l’excès de démocratie » libéré par la Révolution américaine.

Si nous bénéficions des protections inscrites dans la Déclaration des droits, c’est parce que les élites ont dû affronter d’autres forces. La principale d’entre elles était ce que les élites fondatrices de tous bords et de toutes tendances partisanes appelaient « la Démocratie », nom sous lequel ils englobaient les foules obstinées de gens ordinaires déterminés à voter, à s’organiser et à se battre pour leurs propres intérêts. C’est à ce mécontentement populaire que nous devons la Déclaration des droits.

Le spectre de « la Démocratie »

Alexander Hamilton et Elbridge Gerry représentaient les deux pôles opposés de l’élite politique des débuts des États-Unis. Hamilton a écrit plus de cinquante essais largement diffusés pour défendre la Constitution, tandis que Gerry a été l’un des trois seuls délégués participant à la convention refusant de la signer. Pourtant, sur la question fondamentale de la pensée politique américaine, ils étaient parfaitement en accord : La « Démocratie » devait être détruite.

Les deux hommes étaient d’accord pour dire que les « maux » auxquels le pays était confronté provenaient d’un « excès de démocratie » de la part des gouvernements des États, alors que la souveraineté nationale reposait sur les articles de la Confédération. De nombreux comptes rendus conventionnels du débat constitutionnel entre fédéralistes et anti-fédéralistes décrivent la lutte comme un affrontement entre aristocrates bienveillants ayant des points de vue différents sur la meilleure façon de défendre les libertés durement acquises par les Américains. En réalité, il s’agissait d’un débat acharné entre des élites soucieuses de leur propre intérêt, qui cherchaient à empêcher les Américains ordinaires de pénétrer dans les sphères du pouvoir.

La démocratie avait commencé à se mettre en travers des intérêts économiques des auteurs de la Constitution. Les exemples abondent : George Washington n’arrivait pas à expulser les squatters des terres de l’Ouest sur lesquelles il spéculait parce qu’il n’y avait pas de force de police fédérale pour les déloger. John et Abigail Adams avaient investi massivement dans des obligations d’État et des obligations fédérales à bon marché pendant la vertigineuse dépression économique des années 1780, mais sans une politique fiscale fédérale agressive, ils ne toucheraient jamais l’intégralité de leurs gains. Madison et Thomas Jefferson, tout comme Washington, voulaient prendre part à la spéculation sur les terres indigènes de l’Ouest, mais ils ne pouvaient pas obtenir de prêts auprès d’investisseurs nationaux ou français en raison de la mauvaise réputation des Américains et de la résistance des Amérindiens à l’expansion coloniale.

Comme d’autres aristocrates, propriétaires d’esclaves et riches investisseurs qui ont participé à la Convention constitutionnelle, Madison a très clairement fait savoir qu’il n’appréciait pas du tout « l’excès de démocratie » libéré par la Révolution américaine.

Les hommes (et les femmes) les plus riches d’Amérique imputaient la responsabilité de ces problèmes à la « corruption et à la versatilité » des gouvernements des États et au spectre qui les hantait : « la Démocratie ». Edmund Randolph était l’un des trois délégués qui ont finalement refusé de signer la Constitution, ce qui ne l’a pas empêché de poser le problème sans détour dans le discours d’ouverture de la Convention constitutionnelle. Il a déclaré qu’en ce qui concernait les fondateurs « le principal danger réside dans les parties démocratiques de nos constitutions [des États fédérés] », qui n’avaient pas réussi à établir « des contrepoids suffisants pour contrôler la démocratie ».

Avant, pendant et après la révolution américaine, les gens du peuple, qualifiés par dérision de « Démocratie » et de « populace », avaient commencé à revendiquer avec force leur droit à se gouverner eux-mêmes et, sur cette base, à s’organiser pour défendre leurs propres intérêts. Dès 1776, par exemple, une révolte populaire inspirée par le Common Sense de Thomas Paine a renversé le gouvernement colonial de Pennsylvanie. James Cannon et Thomas Young ont rassemblé les soldats de la milice de l’État, privés de leurs droits, pour lutter contre le gouvernement colonial, qui voulait alors faire la paix avec le roi d’Angleterre. Bien que la grande majorité des soldats de la milice de l’État soit favorable à l’indépendance, les conditions de propriété faisaient que peu d’entre eux avaient un droit de vote au sein du gouvernement pour lequel ils se battaient.

Tout cela a changé le 10 juin 1776, lorsque la milice de Philadelphie a déclaré la fin de l’assemblée coloniale, mettant ainsi un terme à toute opposition organisée à l’indépendance au sein du Congrès continental [Le Congrès continental est le nom donné à l’assemblée législative commune aux treize colonies britanniques en Amérique du Nord qui sont à l’origine des États-Unis, NdT]. Cannon et Young ont joué un rôle clé dans la rédaction de la nouvelle constitution de l’État, laquelle abolissait les conditions de propriété pour pouvoir voter et établissait une assemblée d’État hyper-représentative, non contrôlée par une chambre haute et ayant le pouvoir de nommer les branches exécutive et judiciaire. En 1780, il est devenu le premier gouvernement d’Europe ou de ses colonies à abolir l’esclavage (bien que progressivement).

Les soulèvements populaires ne se sont pas arrêtés là. En 1783, le Country Party, parti populiste dirigé par les fermiers, a remporté les élections à Rhode Island, a commencé à imprimer de la monnaie et à accorder des allégements fiscaux aux agriculteurs pauvres, au détriment des riches investisseurs ; « Rogue Island » [ jeu de consonnance entre Rhode island et Rogue island, l’île des voyous, NdT] sera finalement le dernier État à ratifier la Constitution après une résistance populaire acharnée.

Dans les États où les fermiers n’ont pas réussi à prendre le pouvoir au sein du corps législatif, ils ont pris les armes. Les rébellions menées par « Black Matthews » et Daniel Shays, respectivement en Virginie et dans le Massachusetts, ont réussi à forcer leurs États à adopter des mesures d’allègement des impôts et de la dette, puis à gracier les insurgés. Dans le New Hampshire, des centaines de fermiers sans le sou et en colère ont assiégé la capitale de l’État. La même chose s’est produite au niveau du gouvernement fédéral en 1783, lorsqu’une mutinerie a contraint le Congrès à abandonner Philadelphie. Washington a dû intervenir avec 1 500 soldats pour écraser une révolte de vétérans de sa propre armée qui n’avaient pas été payés.

Tout cela était profondément déstabilisant pour les élites américaines. C’est la rébellion de Shays qui a convaincu Washington de la nécessité de la Constitution. L’observation qu’il avait déjà faite à propos des révoltes d’esclaves s’appliquait également à ce type de révolte : « les mouvements de ce genre, comme les boules de neige, prennent de la force en roulant, s’il n’y a pas d’opposition sur le chemin pour les diviser et les réduire en miettes ».

Divide et Impera

Madison a donné son accord. À l’automne 1787, Madison a écrit à Jefferson que « divide et impera [c’est-à-dire diviser pour régner], axiome réprouvé de la tyrannie, est, sous certaines conditions, la seule politique qui permette d’administrer une république sur la base de principes justes ». Même s’ils n’étaient pas d’accord sur les détails, les hommes qui ont rédigé la Constitution américaine voyaient globalement la nécessité de diviser la population afin de monter les gens les uns contre les autres.

Certains voulaient aller plus loin que d’autres, et les fédéralistes étaient généralement les plus intransigeants. Madison voulait donner au Sénat un droit de veto sur toute législation au niveau des États. Le gouverneur Morris, auteur du préambule de la Constitution, pensait à titre personnel qu’il n’y avait « aucun espoir de voir notre union perdurer autrement que sous la forme d’une monarchie absolue ». Hamilton voulait abolir complètement les gouvernements des États et faire en sorte que le président et les sénateurs américains soient nommés à vie. Morris et Hamilton ont même envisagé de renverser le Congrès continental et d’instaurer une dictature militaire sous la direction de Washington, mais ce dernier a lui-même mis fin à cette idée.

Les anti-fédéralistes étaient favorables à une approche plus modérée. Même si la proposition de veto fédéral de Madison plaisait à George Mason, éminent anti fédéraliste, il craignait que « les citoyens ne puissent en accepter l’idée ». Lorsqu’un délégué a émis l’idée de faire en sorte qu’il soit impossible au Congrès de passer outre le veto présidentiel, Mason a une nouvelle fois mis en garde contre de telles extrémités autoritaires qui pourraient mettre en péril la ratification de la Constitution. C’est dans des termes similaires que Randolph et Gerry ont formulé des objections à l’encontre de la Constitution. Lorsque Madison a proposé que les membres de la Chambre des représentants aient un mandat de trois ans, Gerry a répliqué que « les habitants de la Nouvelle-Angleterre n’abandonneront jamais » le principe d’élections annuelles et que « Il était nécessaire de réfléchir à ce que le peuple pourrait approuver. »

La bataille pour une Déclaration des droits

Madison a rédigé la Déclaration des droits, mais elle ne lui plaisait pas particulièrement. Il ne pensait pas que de telles « barrières de parchemin » constitueraient des freins suffisants contre ce qu’il considérait comme le véritable problème politique de son époque, à savoir la menace de majorités populaires s’attaquant au pouvoir des élites. Mais les réalités politiques l’ont obligé à reconsidérer son opposition.

La principale d’entre elle était que la Constitution n’était pas très populaire. Bien qu’elle promette une aide significative aux fermiers pauvres – en transférant la charge fiscale vers les colons de l’Ouest par le biais de taxes d’accise sur le whisky et en utilisant la nouvelle armée fédérale pour conquérir des terres amérindiennes au profit de spéculateurs fonciers comme Washington – Holton estime que près de la moitié de l’électorat s’est opposée à la ratification. Dans son livre Unruly Americans, Holton raconte comment, à force de complots, de tromperies, de manœuvres délicates et de propagande flagrante, la Constitution a de justesse pu être ratifiée dans les neuf États requis

Prenons quelques exemples : Alors qu’il semblait bien que la convention du New Hampshire était sur le point de rejeter la Constitution, les délégués fédéralistes ont fait obstruction au vote pendant cinq mois, jusqu’à ce que les conditions leurs paraissent plus favorables. Lors de la convention du Massachusetts, les fédéralistes ont lancé une rumeur affirmant que les délégués ne seraient pas payés s’ils rejetaient la Constitution. Les deux tiers des délégués à la convention de New York étaient ouvertement anti-fédéralistes, jusqu’à ce que la ville de New York menace de faire sécession et de ratifier la Constitution de son propre chef.

Toutefois, en dépit de tout cela, sept des conventions de ratification des États ont exigé des amendements majeurs. En Virginie, dans l’État de New York et dans le Massachusetts, la ratification n’a pu aboutir que lorsque les fédéralistes se sont engagés, au moment de la ratification, à soutenir la rédaction de la Déclaration des droits. La Caroline du Nord a refusé ne serait-ce que d’envisager la ratification tant que des amendements n’auraient pas été apportés. À Rhode Island, le seul État où la ratification a été soumise directement à la volonté du peuple et non à une convention de ratification, la Constitution a été purement et simplement rejetée par référendum.

Le propre soutien de Madison à la Constitution lui avait coûté sa candidature au Sénat américain, et il avait été élu à la Chambre des représentants en promettant de défendre une Déclaration des droits lorsqu’il y serait élu. Mais ce qui terrorisait réellement Madison et ses acolytes, c’était la perspective d’une deuxième convention constitutionnelle, dont Madison craignait qu’elle « n’agite davantage la population ».

Tant la convention de ratification de New York que celle de Virginie avaient appelé à une refonte, et les anti-fédéralistes de New York avaient envoyé une lettre circulaire appelant d’autres personnes à s’y joindre. Une telle convention aurait été bien mieux habilitée à réécrire la Constitution que la convention initiale, qui s’était déroulée en secret, derrière des portes fermées à clé. Madison craignait que cela ne donne à des « individus aux vues insidieuses » une « dangereuse occasion de saper les fondements mêmes » de la nation aristocratique qu’il cherchait à construire.

L’un de ces « individus insidieux » était un certain Herman Husband. Peut-être le personnage le plus important de la « Démocratie » dont vous n’avez jamais entendu parler, Husband avait été l’un des principaux leaders de la rébellion des Régulateurs en Caroline du Nord à la fin des années 1760. Les Régulateurs étaient une première expression du mouvement agraire qui a plus tard explosé dans les années 1780, et qui cherchait à « réguler » le gouvernement colonial corrompu par des actions directes, allant de manifestatiions et émeutes jusqu’à la révolte armée. (Les insurgés impliqués dans la rébellion de Shays se considéraient comme s’inscrivant dans la tradition de la « régulation » et se désignaient eux-mêmes comme des « régulateurs »). Husband a passé une grande partie des années 1770 à se cacher des autorités coloniales, mais en 1777, il a refait surface et a été élu à la législature radicalement démocratique de l’État de Pennsylvanie. Peu après, il a commencé à prêcher sa vision de la « nouvelle Jérusalem ».

La conception égalitaire de Husband a choqué ses contemporains. Son idéal se rapprochait plutôt de celui d’une commune agraire à l’échelle du pays. Il voulait abolir l’esclavage, négocier une paix juste avec les Amérindiens, octroyer des terres à tout le monde (y compris aux femmes), instituer la propriété ouvrière des entreprises industrielles et l’impôt progressif, et établir un gouvernement extrêmement décentralisé issu des cantons locaux, sans critère de propriété ou de religion pour avoir le droit de vote. Bien que ses opinions fassent de lui un cas isolé, même au sein de la « Démocratie », des idées moins radicales de souveraineté populaire circulaient largement et étaient considérées comme une menace sérieuse par des élites telles que Madison.

La Déclaration des droits, qui est la partie de la Constitution à laquelle les Américains d’aujourd’hui sont le plus susceptibles de s’intéresser (avec les amendements constitutionnels ultérieurs), a été rédigée, selon les termes de Madison, « pour concilier les esprits des citoyens ». Il s’agissait d’un ensemble minimaliste de concessions destinées à empêcher un remaniement en profondeur de l’ordre constitutionnel – que ce soit par les élites sudistes obsédées par les « droits des États », ou, ce qui était plus inquiétant pour les auteurs de la Constitution, par « la Démocratie ».

La « barrière de parchemin »

Madison avait raison de dire que la Déclaration des droits n’était guère plus qu’une « barrière de parchemin ». Toutefois, la menace pour les libertés individuelles n’était pas « la Démocratie » qu’il essayait de détruire, mais les élites dont il voulait asseoir le pouvoir. Moins de dix ans après la ratification de la Délaration des droits, le président John Adams, un fédéraliste, a signé en 1798 les lois sur les étrangers et la sédition, qui visaient à déporter ou à emprisonner toute personne critiquant le gouvernement fédéral, déclenchant ainsi l’une des premières crises constitutionnelles des États-Unis. Aujourd’hui, le président élu Donald Trump veut ressusciter cette loi vieille de 226 ans et la mettre au service de déportations en masse de personnes innocentes.

Cette loi constitue une atteinte évidente et éhontée à la liberté d’expression, même s’il est peu probable qu’on entende les chantres de droite de la liberté d’expression s’en plaindre. Tout comme au XVIIIe siècle, notre capacité à défendre ces libertés dépendra de la résistance populaire.

Cependant, protéger ces droits ne représente qu’à peine la moitié de la bataille. La leçon la plus importante à tirer des origines de la Constitution est l’ampleur de la transformation nécessaire pour que le gouvernement américain représente réellement la population. Heureusement, les pères fondateurs nous ont indiqué très précisément les mécanismes qu’ils ont mis en place pour « contrôler » la démocratie américaine. Parmi ceux-ci, le collège électoral est une évidence, et c’est la raison pour laquelle cinq élections présidentielles ont été remportées par le candidat ayant obtenu moins de voix que son adversaire. Randolph a décrit l’objectif du Sénat antimajoritaire comme étant de « contenir, si possible, la fureur de la démocratie ». Nous pourrions continuer à documenter les caractéristiques antidémocratiques de la Constitution, comme l’ont fait récemment de plus en plus d’auteurs.

Nous ne devrions pas considérer les libertés inscrites dans la Déclaration des droits comme acquises. Mais pour instaurer une démocratie vraiment digne de ce nom, il nous faut des réformes constitutionnelles majeures et, pour commencer, une déclaration des droits économiques novatrice du type de celle défendue par Franklin D. Roosevelt et Martin Luther King Jr afin de s’attaquer aux inégalités économiques flagrantes et garantir aux travailleurs une certaine sécurité matérielle. Depuis les débuts des États-Unis, le degré de liberté individuelle et de démocratie dont nous disposons a été largement gagné par la mobilisation populaire et la résistance aux élites économiques. Nos chances de gagner une plus grande liberté aujourd’hui dépendent de la renaissance de ce même esprit de résistance, sous la forme d’un conflit organisé entre la classe ouvrière, les entreprises et les ultrariches.

*

Taylor Clark est enseignant, organisateur, écrivain et membre des Socialistes démocrates d’Amérique, il vit à Santa Barbara, en Californie.

Source : Jacobin, Taylor Clark, 06-01-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

nulnestpropheteensonpays // 03.02.2025 à 09h13

Excusez moi de vous demandez pardon , mais vous parlez de ce qu’il se passe en europe ? Et en france avec la france insoumise ? On sent tous instinctivement le danger de l’europe qui vise a pérenniser le pouvoir des zélites . Et on a vu en france le pouvoir de la proagande anti LFI . Je ne suis pas sur d’etre content d’avoir lu cet article .

11 réactions et commentaires

  • nulnestpropheteensonpays // 03.02.2025 à 09h13

    Excusez moi de vous demandez pardon , mais vous parlez de ce qu’il se passe en europe ? Et en france avec la france insoumise ? On sent tous instinctivement le danger de l’europe qui vise a pérenniser le pouvoir des zélites . Et on a vu en france le pouvoir de la proagande anti LFI . Je ne suis pas sur d’etre content d’avoir lu cet article .

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  • Urko // 03.02.2025 à 09h27

    Bravo pour cet article. Il ne s’agit toutefois pas d’une histoire tout à fait inconnue : j’ai appris lors de mes études, pas très poussées pourtant, que les « pères » de la nation américaine avaient fait en sorte que leur constitution assure que le pouvoir resterait entre les mains d’une forme d’aristocratie, que c’était voulu et quasi assumé. Cet objectif se combinait à celui d’empêcher les citoyens, de toute classe, de subir une puissance publique trop intrusive. Ce double objectif, cohérent pour une société pétrie de protestantisme, portait en germe une contradiction à terme : si l’aristocratie foncière, puis industrielle, de la côte est entendait pouvoir dominer sans qu’un état vienne interférer dans ses affaires, sinon pour les encourager, il paraît évident pour la population que la soumission à une oligarchie économique toute puissante et sans entraves ou à un état reviendrait peu ou prou au même, et que celle-ci aurait tout intérêt à compter sur l’État quand l’oligarchie abuserait, ou sur l’oligarchie quand l’État exagererait ses prérogatives. Du reste, en un sens, cela correspond à peu près à ce que nous voyons depuis des décennies aux États-Unis, où le protestantisme a perdu son rôle de socle social : quand les pouvoirs publics s’immiscent trop dans la société, les électeurs s’en protègent en portant des Reagan et des Trump au pouvoir ; quand l’oligarchie écrase la population, cette dernière se tourne vers l’état. Cette dynamique ne semble pas s’interrompre.

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    • Lt Briggs // 03.02.2025 à 13h30

      « quand les pouvoirs publics s’immiscent trop dans la société, les électeurs s’en protègent en portant des Reagan et des Trump au pouvoir ; quand l’oligarchie écrase la population, cette dernière se tourne vers l’état. Cette dynamique ne semble pas s’interrompre »

      Il faut rentrer dans les détails. Certains des électeurs qui ont porté Reagan au pouvoir trouvaient effectivement que les pouvoirs publics s’immisçaient trop dans le quotidien des gens (lois dites de discrimination positive, etc.). Mais dans le même temps, Reagan a lancé le néolibéralisme, permettant à l’oligarchie d’écraser la population. Aucun président n’a inversé ce basculement depuis.
      On pourrait dire que du new deal de Roosevelt jusqu’à Carter, un Etat social freinait – un peu – les excès du capitalisme. Depuis Reagan, la financiarisation et la dérèglementation sont à l’ordre du jour, chez les présidents démocrates comme républicains. Il n’y a plus personne pour s’opposer à l’oligarchie. La distinction se fait essentiellement sur les questions sociétales.

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      • Urko // 04.02.2025 à 07h15

        Oui, je crois que c’est à peu près ce que j’écrivais : à la domination par des pouvoirs publics dont les dirigeants ont du mal à s’empêcher de s’accaparer toujours plus de pouvoirs et de se mêler de la vie des gens succède la domination par une oligarchie dont les membres ont du mal à s’empêcher de s’accaparer toujours plus de richesses et de se ficher d’en priver autrui. Certes, les pouvoirs ne s’exercent plus forcément à travers l’aspect social, auquel les progressistes semblent avoir renoncé pour favoriser la mondialisation – en clair, la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle mondiale sous couvert d’ouverture et d’antiracisme – en essayant de compenser par le sociétal (IVG, LGBTqia+, discrimination positive… ) qui n’offre guère de complexité à mettre en œuvre pour des politiciens – il suffit de quelques traits de plumes pour étendre la durée légale de l’IVG, alors que favoriser une croissance équitable et la défense de ses intérêts réclame des vraies compétences. Quant au fait que l’oligarchie essaie de contrôler l’état et inversement, cela ne consiste qu’une modalité, mezzo voce, de ce balancier.

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  • RV // 03.02.2025 à 11h24

    Nous avions les mêmes en France en 1789.
    source : Archives parlementaires de 1787 à 1860 ; 8-17, 19, 21-33. Assemblée nationale constituante. 8. Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789 / impr. par ordre du Sénat et de la Chambre des députés ; sous la dir. de M. J. Mavidal,… et de M. E. Laurent,…, 1875-1889 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495230

    Quelques extraits du discours du 7 septembre 1789 de l’Abbé Sieyes :
    …/… Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants …/…
    …/… L’autre manière d’exercer son droit à la formation de la loi est de concourir soi-même immédiatement à le faire. Ce concours immédiat est ce qui caractérise la véritable démocratie. Le concours médiat désigne le gouvernement représentatif. La différence entre ces deux systèmes politiques est énorme. …/…
    …/… donc les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes immédiatement la loi : donc ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. Toute influence, tout pouvoir leur appartiennent sur la personne de leur mandataires ; mais c’est tout. …/…

    Pendant plus de 2000 ans il était admis qu’en démocratie les citoyens « votaient ».
    Depuis les révolutions tant nord américaines que françaises les citoyens en sont réduit à « élire ».
    La novlangue est l’art de changer le sens des mots, elle est à la base de la guerre idéologique.

      +11

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    • La Mola // 03.02.2025 à 16h43

      bien vu !

      d’ailleurs, Madison et ses « barrières de parchemin » ont une solide postérité actuelle, dans la remise en cause du droit international (à propos d’Israël mais pas que) voire du droit tout court par notre re-taïaut à nous !

        +4

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  • Savonarole // 03.02.2025 à 12h48

    Je sais plus qui disait que les USA sont « trois entreprises dans un imperméable qui essayent de se déguiser en un pays ». Perso je dirais « trois entreprises mafieuses » … mais je suis taquin :).

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  • p-r-v // 03.02.2025 à 14h33

    Bonjour,
    Article intéressant sur les pères fondateurs des usa. Il permet de positionner quelques pièces du puzzle de la désinformation. En France aussi, Adolphe Thiers affirmait aux nobles qui ne voulaient pas de démocratie :  » Il n’y a rien à craindre de la démocratie, Il voterons comme on leur dira et pour qui on leur dira ».
    Quand à l’union Européenne, pensée par les pères fondateurs… , est-il nécessaire de présenter les similitudes qui démontrent que l’UE aussi a comme dessin de « protéger le « droit » des riches à exploiter les pauvres ».
    Au point que en changeant quelques dates et noms, cet article décrirait parfaitement notre UE.

      +18

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    • RV // 04.02.2025 à 12h31

      « Il n’y a rien à craindre de la démocratie, Il voterons comme on leur dira et pour qui on leur dira ».

      Sauf que la démocratie ne relève pas de l’élection mais du vote.
      L’élection est le fondement des gouvernements représentatifs, les citoyens élisent des représentants qui n’ont aucune obligation envers leurs électeurs.

      Un exemple récent de démocratie en France a été l’organisation de la Convention citoyenne sur le climat.
      Un panel représentatif de 150 citoyens tirés au sort ont écrit et voté des articles de lois.
      Que le président « élu » ait eu le pouvoir de ne pas en tenir compte confirme que les gouvernements représentatifs ne sont pas des démocraties.

        +10

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  • Clio? // 03.02.2025 à 22h03

    Personnellement c’est au lycée dans les années 80 que les profs d’histoire nous résumaient:
    – les Etats-Unis sont une république patricienne de type romain, pas une démocratie
    – la Révolution Française était une révolution bourgeoise pour déboulonner les prérogatives de la noblesse et du clergé. Paysannerie et prolétariat urbain étant manipulés.

    Là-dessus le discours « démocratique » possède une fonction bêtement religieuse, c’est une forme d’opium du peuple.

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  • Bouddha Vert // 06.02.2025 à 12h00

    Comment acquérir le pouvoir?
    Il faut assurément défendre les appuis qui permettent d’y accéder.
    Ces appuis, pour qu’ils soient solides, doivent partager une connivence d’intérêts.
    Les intérêts que l’on défend, en dehors de sa vie, sont ceux qui assurent le maintien de son petit pouvoir, pas plus.
    Les candidats au pouvoir qui gagnent sont, dans l’immense majorité des cas, issu du Pouvoir (statutaire, foncier, économique, financier, industriel, technique…) ou les défendent absolument.
    Il y a bien eu Athènes qui choyait ces citoyens, le plus généralement à la tête d’une petite armée respective d’esclaves… les définitions changent…
    Et, il y a eu les démocraties européennes qui fortes de la révolution industrielle ont permis aux bourgeois de prendre le pouvoir en contre-partie d’une offre matérielle apaisante pour le plus grand nombre.
    Le droit ne sert qu’à une seule chose, assurer le partage des possibles du monde.
    Le droit, parce que les possibles changent, va comme d’habitude l’accompagner.
    Dans un monde en déplétion matérielle que reste t il de nos anciens (?) droits, que choisir de conserver et qui définira ce qui est souhaitable?
    Si on y réfléchi pas, les désillusions risquent de submerger nos esprits, nos systèmes.

      +1

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