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2.février.20242.2.2024 // Les Crises

La dissidence juive sur la déclaration Balfour

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Lors de la funeste année 1917, le cabinet britannique était composé d’un membre juif : Edwin Montagy. Il était également le seul membre du cabinet à s’opposer à la déclaration de Balfour de cette année-là, qui traçait la voie vers la création auto-proclamée trente et une tumultueuses années plus tard de l’État d’Israël, le dit État juif. La déclaration était une courte lettre du Secrétaire des Affaires étrangères britannique Arthur Balfour adressée à Lionel Walter Rotschild, un leader en Grande-Bretagne du projet sioniste, projet lancé à la fin du XIXe siècle par Theodor Herzl qui a pour but l’instauration d’un État juif en Palestine.

Source : Jewish Virtual Library
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La lettre disait :

Le gouvernement de Sa Majesté est favorable à l’établissement en Palestine d’une patrie pour le peuple juif, et s’efforcera au mieux d’en faciliter sa réalisation, il est clairement entendu que rien ne saurait être fait qui pourrait porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives existantes en Palestine, ou aux droits et statuts politiques dont jouissent les Juifs dans n’importe quel autre pays.

Montagu répondit au Cabinet au travers d’un mémoire intitulé L’anti-sémitisme du gouvernement en place. Voici ce qu’il écrivit :

« J’ai choisi ce titre pour ce mémoire, non pas dans un sens hostile, non pas pour trouver n’importe quel moyen de me disputer avec un point de vue antisémite que pourraient avoir mes collègues, non pas par le désir de nier que l’antisémitisme peut concerner des hommes rationnels, même pas avec un point de vue suggérant que le gouvernement est délibérément antisémite ; mais je souhaite consigner par écrit mon point de vue, à savoir que la politique du gouvernement de Sa Majesté est antisémite, et provoquera en déinitive un terrain de ralliement pour les antisémites, de tous les pays du monde.

Une correspondance entre Lord Rotschild et Mr Balfour, reçue hier, vient étayer ce point de vue.

La lettre de Lord Rotschild date du 18 Juillet, et la réponse de Balfour date d’août 1917. Je crains que ma protestation vienne trop tardivement, et il se pourrait bien que le gouvernement se soit pratiquement engagé lorsque Lord Rotschild a écrit et bien avant que je devienne membre du gouvernement, car il y a eu manifestement des correspondances ou des conversations avant cette lettre. Mais je sens bien qu’en tant que seul ministre juif du gouvernement, mes collègues me permettront peut-être d’exprimer des opinions qui me sont propres, mais qui sont très fortes, et pour lesquelles je dois demander la permission de les exprimer lorsque l’opportunité se présentera.

Je crois fermement que cette guerre a porté un coup fatal à l’internationalisme et qu’elle a été l’occasion d’un renouveau du sens de la nationalité, qui se relâchait, car non seulement la plupart des hommes d’État de la plupart des pays ont tacitement convenu que la redistribution des territoires résultant de la guerre devait se faire plus ou moins sur des bases nationales, mais nous avons appris à nous rendre compte que notre pays défend des principes, des objectifs, une civilisation qu’aucun autre pays ne défend au même degré, mais nous avons appris à nous rendre compte que notre pays défend des principes, des objectifs, une civilisation qu’aucun autre pays ne défend au même degré, et qu’à l’avenir, quel qu’ait pu être le cas dans le passé, nous devrons vivre et nous battre en paix et en guerre pour ces objectifs et ces aspirations, et équiper et réglementer nos vies et nos industries de manière à être prêts à tout moment et si jamais nous sommes mis au défi. Pour prendre un exemple, la science de l’économie politique, qui dans sa pureté ne connaît pas le nationalisme, sera dorénavant tempérée et considérée à la lumière de ce besoin national de défense et de sécurité. La guerre a en effet justifié le patriotisme en tant que motif principal de la pensée politique.

C’est dans cette atmosphère que le gouvernement propose d’approuver la formation d’une nouvelle nation avec un nouveau foyer en Palestine. Cette nation sera vraisemblablement formée de Russes juifs, d’Anglais juifs, de Roumains juifs, de Bulgares juifs et de citoyens juifs de toutes les nations – survivants ou parents de ceux qui ont combattu ou donné leur vie pour les différents pays que j’ai mentionnés, à un moment où les trois années qu’ils ont vécues ont uni plus étroitement que jamais leur vision et leur pensée à celles des pays dont ils sont citoyens.

Le sionisme m’a toujours semblé être un credo politique malicieux, insoutenable pour tout citoyen patriote du Royaume-Uni. Si un Anglais juif pose ses yeux sur le Mont des Oliviers et aspire au jour où il secouera la terre britannique de ses chaussures et retournera à ses activités agricoles en Palestine, il m’a toujours semblé reconnaître des objectifs incompatibles avec la citoyenneté britannique et admettre qu’il n’est pas apte à participer à la vie publique en Grande-Bretagne, ni à être traité comme un Anglais. J’ai toujours compris que ceux qui se sont laissés aller à ce credo étaient en grande partie animés par les restrictions et le refus de liberté imposés aux Juifs en Russie. Mais au moment même où ces Juifs ont été reconnus comme des Russes juifs et ont bénéficié de toutes les libertés, il semble inconcevable que le sionisme soit officiellement reconnu par le gouvernement britannique et que Balfour soit autorisé à dire que la Palestine doit être reconstituée comme le « foyer national du peuple juif ». Je ne sais pas ce que cela implique, mais je suppose que cela signifie que les musulmans et les chrétiens doivent laisser la place aux Juifs, que les Juifs doivent être placés dans toutes les positions de préférence et doivent être particulièrement associés à la Palestine, de la même manière que l’Angleterre l’est avec les Anglais ou la France avec les Français, que les Turcs et autres Musulmans en Palestine seront considérés comme des étrangers, de la même manière que les Juifs seront dorénavant traités comme des étrangers dans tous les pays sauf la Palestine. Il se peut également que la citoyenneté ne soit accordée qu’à l’issue d’un test religieux.

J’inscris et je souligne quatre principes :

  • J’affirme qu’il n’existe pas de nation juive. Les membres de ma famille, par exemple, qui vivent dans ce pays depuis des générations, n’ont aucune sorte de communauté de vue ou de désir avec une famille juive d’un autre pays, si ce n’est qu’ils pratiquent plus ou moins la même religion. Il n’est pas plus vrai de dire qu’un Anglais juif et un Maure juif sont de la même nation que de dire qu’un Anglais chrétien et un Français chrétien sont de la même nation : de la même race, peut-être, à travers les siècles – à travers les siècles de l’histoire d’une race particulièrement adaptable. Le Premier ministre et Briand sont, je suppose, apparentés à travers les âges, l’un en tant que Gallois et l’autre en tant que Breton, mais ils n’appartiennent certainement pas à la même nation.
  • Lorsqu’on dira aux Juifs que la Palestine est leur territoire national, chaque pays voudra immédiatement se débarrasser de ses citoyens juifs, et vous trouverez en Palestine une population qui chassera ses habitants actuels, qui prendra tout ce qu’il y a de mieux dans le pays, qui viendra de tous les coins du globe, qui parlera toutes les langues de la terre et qui sera incapable de communiquer entre elle autrement que par l’intermédiaire d’un interprète. J’ai toujours compris que c’était la conséquence de la construction de la tour de Babel, si tant est qu’elle ait jamais été construite, et je ne suis certainement pas en désaccord avec l’opinion communément admise, comme je l’ai toujours compris, par les Juifs avant que le sionisme ne soit inventé, selon laquelle le retour des Juifs pour former une nation dans le pays d’où ils ont été dispersés nécessiterait une direction divine. Je n’ai jamais entendu dire, même par leurs plus fervents admirateurs, que Balfour ou Lord Rothschild s’avéreraient être le Messie.

  • Je prétends que la vie que les Juifs britanniques ont menée, les objectifs qu’ils se sont fixés, le rôle qu’ils ont joué dans notre vie publique et nos institutions publiques, leur donnent le droit d’être considérés, non pas comme des Juifs britanniques, mais comme des Britanniques juifs. Je serais prêt à priver tous les sionistes de leur droit de vote. Je serais presque tenté de proscrire l’organisation sioniste comme étant illégale et contraire à l’intérêt national. Mais je demanderais à un gouvernement britannique suffisamment de tolérance pour refuser une conclusion qui fait de tous leurs concitoyens juifs des étrangers par implication, si ce n’est automatiquement par la loi.

  • Je nie que la Palestine soit aujourd’hui associée aux Juifs ou qu’elle puisse être considérée comme un endroit où ils pourraient vivre. Les dix commandements ont été remis aux Juifs sur le Sinaï. Il est tout à fait vrai que la Palestine joue un rôle important dans l’histoire juive, mais il en va de même dans l’histoire musulmane moderne et, après l’époque des Juifs, elle joue certainement un rôle plus important que n’importe quel autre pays dans l’histoire chrétienne. Le temple se trouvait peut-être en Palestine, mais le sermon sur la montagne et la crucifixion s’y sont également déroulés. Je ne refuserais pas aux Juifs de Palestine l’égalité des droits à la colonisation avec ceux qui pratiquent d’autres religions, mais un test religieux de citoyenneté me semble être le seul admis par ceux qui adoptent une vision bigote et étroite d’une époque particulière de l’histoire de la Palestine et revendiquent pour les Juifs une position à laquelle ils n’ont pas droit.

  • Si ma mémoire est bonne, il y a trois fois plus de Juifs dans le monde qu’il ne serait possible d’en faire entrer en Palestine si l’on en chassait toute la population qui s’y trouve actuellement. Par conséquent, seul un tiers d’entre eux reviendra au maximum, et qu’adviendra-t-il du reste ?

  • Je comprends aisément que les rédacteurs du Morning Post et du New Witness soient des sionistes, et je ne suis pas du tout surpris que les non-Juifs d’Angleterre accueillent favorablement cette politique. J’ai toujours reconnu l’impopularité, bien plus grande que certains ne le pensent, de ma communauté. Nous avons obtenu une part bien plus importante des biens et des opportunités de ce pays que ce à quoi nous avions droit numériquement. Dans l’ensemble, nous atteignons la maturité plus tôt et, par conséquent, nous sommes en concurrence déloyale avec les personnes de notre âge. Beaucoup d’entre nous ont été exclusifs dans leurs amitiés et intolérants dans leur attitude, et je peux facilement comprendre que beaucoup de non-Juifs en Angleterre veuillent se débarrasser de nous. Mais de même qu’il n’y a pas de communauté de pensée et de mode de vie parmi les Anglais chrétiens, il n’y en a pas non plus parmi les Anglais juifs. De plus en plus, nous sommes éduqués dans les écoles publiques et les universités, et nous prenons part à la politique, à l’armée, à la fonction publique de notre pays. Et je suis heureux de penser que les préjugés contre les mariages mixtes sont en train de disparaître. Mais lorsque le Juif a un foyer national, il s’ensuit que l’élan visant à nous priver des droits de la citoyenneté britannique doit être considérablement accru. La Palestine deviendra le ghetto du monde. Pourquoi le Russe devrait-il accorder au Juif des droits égaux ? Son foyer national est la Palestine. Pourquoi Lord Rothschild attache-t-il tant d’importance à la différence entre les Juifs britanniques et les Juifs étrangers ? Tous les Juifs seront des Juifs étrangers, habitants du grand pays de Palestine.

  • Je ne sais pas comment sera choisi l’heureux tiers, mais le Juif aura le choix, quel que soit le pays auquel il appartient, quel que soit le pays qu’il aime, quel que soit le pays dont il se considère comme partie intégrante, entre aller vivre avec des gens qui lui sont étrangers, mais auxquels ses compatriotes chrétiens lui ont dit qu’il devait appartenir, et rester comme un invité indésirable dans le pays auquel il pensait appartenir.

Je ne suis pas surpris que le gouvernement prenne cette mesure après la formation d’un régiment juif, et j’attends de savoir si mon frère, qui a été blessé dans la division navale, ou mon neveu, qui fait partie des Grenadier Guards, sera contraint par l’opinion publique ou par les règlements de l’armée de devenir officier dans un régiment qui sera principalement composé de personnes qui ne comprendront pas la seule langue qu’il parle : l’anglais. Je comprends très bien que lorsqu’il a été décidé, à juste titre, d’obliger les Juifs étrangers de ce pays à servir dans l’armée, il a été difficile de les placer dans des régiments britanniques en raison des difficultés linguistiques, mais c’était parce qu’ils étaient étrangers, et non parce qu’ils étaient juifs, et une légion étrangère me semblerait avoir été la bonne chose à faire. Une légion juive rend plus difficile la position des Juifs dans les autres régiments et impose une nationalité à des gens qui n’ont rien en commun.

J’ai le sentiment que l’on demande au gouvernement d’être l’instrument de la réalisation des souhaits d’une organisation sioniste largement dirigée, d’après mes informations, en tout cas dans le passé, par des hommes d’origine ou de naissance ennemie, et qui, par ce moyen, ont porté un coup sévère aux libertés, à la position et aux possibilités de travailler de leurs compatriotes juifs.

Je dirais à Lord Rothschild que le gouvernement est prêt à faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir pour les Juifs de Palestine une liberté totale d’installation et de vie sur un pied d’égalité avec les habitants de ce pays qui confessent d’autres croyances religieuses. Je demande au gouvernement de ne pas aller plus loin. »

23 août 1917

Source : Jewish Virtual Library

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Morne Butor // 02.02.2024 à 10h47

Un cas particulier, un point de vue très intéressant, une compréhension de la réalité très vraie et très fine, mais qui lui est propre. Rien qui ne peut être utilisé pour faire la moindre généralisation. Il n’y a là pas la moindre clef qui puisse aider à résoudre le conflit actuel. Malheureusement…

6 réactions et commentaires

  • Morne Butor // 02.02.2024 à 10h47

    Un cas particulier, un point de vue très intéressant, une compréhension de la réalité très vraie et très fine, mais qui lui est propre. Rien qui ne peut être utilisé pour faire la moindre généralisation. Il n’y a là pas la moindre clef qui puisse aider à résoudre le conflit actuel. Malheureusement…

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  • Bouddha Vert // 03.02.2024 à 00h29

    Merci de nous rappeler ces historiques interrogations.
    Les craintes de Montagy n’étaient pas sans fondements, le gouvernement britannique aurait pu se trouver inspiré d’écouter les conseils d’une personne extrêmement soucieuse à trouver une voie respectueuse pour les communautés à vivre sur les terres de Palestine.
    L’époque voulait certainement que les populations « indigènes » ne comptassent pour rien!
    Avec les néo-libéraux, on parle aujourd’hui de « gens de rien » en évoquant les citoyens de la nation!
    Alors, on avance ou on recule?

      +7

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  • Vercoquin // 04.02.2024 à 01h05

    Ceci est en trop:
     » mais nous avons appris à nous rendre compte que notre pays défend des principes, des objectifs, une civilisation qu’aucun autre pays ne défend au même degré, »

      +4

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    • Pierre // 04.02.2024 à 15h24

      En trop ? ou plutôt qui manque cruellement aujourd’hui dans notre politique.

        +1

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      • egdltp // 05.02.2024 à 10h16

        @Pierre, Vercoquin signale une répétition peut être due à la traduction, il ne dénigre pas les propos.

          +1

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    • Moussars // 05.02.2024 à 12h29

      Tout à fait ! Depuis des décennies, la majorité des conflits, litiges ou situations impossibles sur notre planète sont des conséquences directes ou indirectes du comportement de l’empire britannique durant 3 siècles.
      Les faits historiques sont têtus.
      On ne peut se vanter d’avoir régner sur la grande majorité des terres connues pour aujourd’hui ne pas assumer ses responsabilités…

        +4

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