Les scénaristes et les acteurs d’Hollywood sont en grève pour la première fois depuis plus de 60 ans, et ils pourraient bientôt être rejoints par une grève de l’UAW [L’Union des Travailleurs de l’Automobile] chez l’un des « trois grands » de l’automobile. C’est le moment de se rappeler que la grève est l’une des meilleures armes des travailleurs.
Source : Jacobin, Caitlyn Clark
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
C’est l’été de la grève : les acteurs et les scénaristes d’Hollywood organisent un vaste débrayage commun, les routiers d’UPS ont obtenu un accord de principe historique en réponse à une menace de grève, et un arrêt de travail majeur est probable dans les mois à venir chez l’un des trois grands constructeurs automobiles américains. Qu’est-ce que cette récente vague d’activité dans le mouvement syndical nous apprend sur le pouvoir de la grève ?
Nous considérons souvent que le pouvoir est concentré au sommet. La classe des capitalistes milliardaires possède tout et dicte les conditions dans lesquelles tous les autres, contraints de vendre leur force de travail pour survivre, doivent vivre.
C’est une évidence, le pouvoir des ultrariches provient de la richesse qu’ils extraient des travailleurs. Les travailleurs qu’ils emploient produisent les profits qui soutiennent l’énorme force des capitalistes. C’est précisément ce fait qui fait de la grève le moyen d’action le plus puissant dont dispose la classe ouvrière : en retenant leur travail, les grévistes grignotent les profits des entreprises et obligent les employeurs à faire des concessions. C’est un outil que les travailleurs de tout le pays, dans diverses industries, utilisent aujourd’hui pour exiger une plus grande part de la richesse qu’ils créent.
La Screen Actors Guild – American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA) [L’union des acteurs – La fédération américaine des artistes de la radio et de la télévision] a lancé sa grève le 14 juillet 2023, après avoir échoué à conclure un accord de principe avec l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP) [L’alliance des producteurs de films et de télévision], qui représente plus de 350 sociétés de production hollywoodiennes participant aux négociations collectives avec le syndicat. C’est la première fois que la SAG-AFTRA se met en grève depuis quarante-trois ans.
Les travailleurs en grève avec SAG-AFTRA ont rejoint la Writers Guild of America (WGA) [L’union des écrivains d’Amérique], qui est en grève depuis le 2 mai 2023. C’est la première fois que les scénaristes et les acteurs sont en grève simultanément depuis 1960. Les deux grèves portent principalement sur l’utilisation par les producteurs hollywoodiens de la technologie, en particulier de l’intelligence artificielle (IA), dans le but de réduire les coûts en remplaçant le travail des scénaristes et des acteurs.
Les scénaristes de la WGA luttent contre l’utilisation de l’IA pour produire des scénarios à bas prix. De leur côté, les acteurs se battent contre l’utilisation de leur image dans des contenus générés par l’IA sans consentement éclairé et sans compensation équitable. Bien que cela puisse sembler un cauchemar dystopique réservé à un avenir lointain, il s’agit en réalité d’une menace réelle, à court terme, vers lequel les sociétés de production hollywoodiennes s’efforcent de tendre.
Les acteurs se battent également pour obtenir une part équitable des revenus provenant des plateformes de diffusion en continu, car les studios refusent de divulguer le chiffre des contenus diffusés sur des plateformes comme Netflix, Hulu et Amazon. Entre-temps, les rémunérations perçues par les acteurs au titre de revenus résiduels ont diminué, passant de ce qui, pour la plupart était une part importante de leur salaire à quelques centimes seulement par cachet.
Les acteurs et les scénaristes en grève attirent l’attention sur le fait qu’Hollywood fonctionne grâce à leur travail. Lorsqu’ils cessent de travailler, Hollywood cesse de fonctionner. Ces travailleurs du spectacle font grève pour défendre leurs interêts. Mais des travailleurs de toutes sortes se font avoir autant, voire d’une manière pire, que les scénaristes et les acteurs – et ils peuvent faire jouer leurs muscles contre leurs patrons de façon tout aussi puissante en cessant le travail.
Construire une menace de grève chez UPS
Les routiers et UPS sont parvenus à un accord de principe le mardi 25 juillet, près de trois semaines après l’arrêt des négociations le 5 juillet. Au cours de ces vingt jours, les routiers d’UPS de tout le pays ont intensifié leurs préparatifs de grève, souvent avec l’aide du mouvement réformateur de base Teamsters for a Democratic Union [Les routiers pour une Union démocratique]. Ils ont organisé des piquets de grève et des actions contractuelles et ont rassemblé des milliers de membres et de sympathisants de la communauté pour démontrer que les routiers étaient prêts à faire grève.
Les membres commenceront à voter pour ratifier l’accord de principe le 3 août, et le vote se terminera le 22 août. La menace de grève crédible brandie par les travailleurs leur a permis d’obtenir des gains significatifs sur leurs revendications prioritaires.
L’accord de principe comprend l’élimination du système à deux niveaux 22.4 qui payait moins certains chauffeurs pour le même travail. La rémunération des travailleurs à temps partiel d’UPS, qui représentent plus de la moitié de la main-d’œuvre de l’entreprise, commencerait à 21 dollars de l’heure au minimum – une augmentation immédiate allant jusqu’à 5,50 dollars pour certains travailleurs à temps partiel, qui ne gagnaient auparavant que 15,50 dollars.
Pour certains routiers d’UPS, la campagne contractuelle de cette année a été ressentie comme un changement majeur dans la manière dont les grèves sont menées. « Avant, l’entreprise utilisait la grève contre nous, pour nous effrayer », a déclaré Carlos Silva, chauffeur UPS à temps plein en Californie du Sud, à Alexandra Bradbury et Luis Feliz Leon pour le Labor Notes. Par exemple : « Si vous ne voulez pas de ce contrat, mettez-vous en grève. Maintenant, c’est l’inverse : nous l’utilisons contre eux. C’est un outil formidable. »
Pour la première fois de la vie de nombreux travailleurs, la grève est redevenue une arme de la classe ouvrière. Dans des entreprises comme UPS, qui transporte chaque jour environ 6 % du PIB total des États-Unis, le recours à cette arme entraînerait des perturbations économiques majeures.
Les réformateurs de l’UAW se préparent à frapper les trois grands
Le président de l’United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, a commencé à brandir la menace d’une grève contre les trois grands constructeurs automobiles de Detroit, où l’UAW représente plus de 150 000 travailleurs chez Ford, General Motors et Stellantis. Lors d’un discours prononcé le 11 juillet devant les membres de l’UAW via Facebook Live, Shawn Fain a déclaré haut et fort : « Les trois grands sont notre cible pour la grève. »
« Il s’agit d’un moment décisif pour notre génération. Nous avons l’obligation, non seulement envers nous-mêmes et la classe ouvrière, mais aussi envers les générations futures, de lutter pour la justice économique et de gagner ce combat », a poursuivi Fain lors de la retransmission en direct.
Au début de l’année, Fain a battu le député sortant Ray Curry sur une liste réformiste, avec le slogan de campagne : « Pas de corruption, pas de concessions, pas d’échelons. » C’était la première fois dans l’histoire du syndicat que la direction internationale était directement élue par les membres. La candidature de Fain a été soutenue par Unite All Workers for Democracy (UAWD), un groupe réformiste de travailleurs de bas-niveau de l’UAW fondé en 2019. UAWD s’est battu en 2019 pour l’élection directe des dirigeants par le biais de la campagne « Un membre, un vote », à la suite d’un important scandale de corruption qui a ébranlé les travailleurs et a conduit une poignée d’anciens responsables syndicaux en prison fédérale.
Les négociations pour les contrats de cette année avec les Trois grands pourraient être un nouveau jour pour l’UAW, dont les dirigeants promettent maintenant de mettre fin aux échelles de salaires différenciées et aux années de concessions en menaçant de faire grève. Le contrat de l’UAW avec les trois grands est entré en négociation le jeudi 27 juillet et doit expirer le 14 septembre 2023.
Pourquoi les grèves fonctionnent-elles ?
En refusant de travailler, les travailleurs mettent en évidence le fait que ce sont eux qui font fonctionner la société – que « sans notre cerveau et nos muscles, rien ne peut fonctionner ». Si les travailleurs peuvent organiser des manifestations ou signer des pétitions dénonçant l’exploitation – deux outils d’organisation efficaces dans le cadre d’une stratégie plus large – ces tactiques sont souvent insuffisantes en soi. Après tout, un capitaliste peut ignorer une pétition, et il peut étouffer le son des manifestations jusqu’à ce que la foule s’amenuise et que les militants s’épuisent.
Mais un capitaliste ne peut pas ignorer une grève, parce qu’une grève perturbe fondamentalement la capacité du capitaliste à poursuivre son activité. Elle démontre par ailleurs leur dépendance à l’égard du travail des ouvriers. Comme l’a déclaré Vivek Chibber, sociologue à l’université de New York : « Cette capacité à faire échouer l’ensemble du système, simplement en refusant de travailler, donne aux travailleurs une sorte d’influence qu’aucun autre groupe de la société ne possède, à l’exception des capitalistes eux-mêmes. »
Des grèves plus nombreuses et plus fréquentes pourraient signifier un nouveau départ pour le mouvement syndical américain. Des décennies de déclin du taux de syndicalisation et de l’activité gréviste ont entraîné une stagnation des salaires et une augmentation de l’inégalité des richesses, et ont laissé de nombreux travailleurs, syndiqués ou pas complètement démoralisés. Aujourd’hui, de nombreux travailleurs syndiqués reprennent le pouvoir face à des dirigeants corrompus et inertes, et ils en ont assez des contrats remplis de concessions. En faisant grève et en exigeant davantage pour eux-mêmes, les travailleurs des plateaux de cinéma d’Hollywood et des usines automobiles de Détroit peuvent également susciter des attentes chez les travailleurs non syndiqués de sociétés géantes telles qu’Amazon.
La grève effectue un retour en force, et ce n’est pas trop tôt.
CONTRIBUTEUR
Caitlyn Clark est membre des Socialistes démocrates d’Amérique. Son travail a été présenté dans Labor Notes, More Perfect Union, etc.
Source : Jacobin, Caitlyn Clark, 27-07-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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3 réactions et commentaires
Il n’y a pas si longtemps , quand Chrisler était encore le troisième des big three, écrire un tel article aux USA vous aurait valu de passer devant un tribunal féderal de Maccartystes en goguette, mais depuis la priorité de la « red scare » est passé du PCUS au GOP…
Quel domage que les scénaristes de l’état fédéral n’aient pas encore rejoint la grève. Ca aurait évité à pas mal de gens de se prendre un « blockbuster » (au sens premier du terme) sur leur fêtes de mariages.
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AlerterLa grève n’est plus un moyen de pression efficace pour faire céder les capitalistes, ni les gouvernements. Elle a fait ses preuves au début du XXè siècle (1936, 1968) et a perdu de son efficacité comme arme sociale pour devenir un rituel festif et sacrificiel inoffensif. Plusieurs jours de grève contre la réforme des retraites n’ont pas fait plié le gouvernement français. Au contraire, après épuisement des grèves la réforme est passée sans résistance car la stratégie de la grève n’est plus opératoire.
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AlerterLes grèves de 36 et 68 se sont accompagnées de blocages d’usines , entreprises… Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui . Et c’est bien regrettable
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