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21.avril.202521.4.2025 // Les Crises

La guerre commerciale de Trump est un stratagème désespéré alors que l’empire américain décline, selon l’économiste Richard Wolff

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Le plan des tarifs douaniers mondiaux de Trump aura de graves effets économiques sur les consommateurs américains et conduira à une récession, selon l’économiste.

Source : Truthout, Amy Goodman, DemocracyNow !
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Alors que le président Trump dévoile enfin son plan de tarifs douaniers mondiaux – fixant un tarif de base de 10 % sur tous les produits importés, avec des hausses supplémentaires apparemment basées sur les balances commerciales des différents pays avec les États-Unis – des économistes comme notre invité Richard Wolff avertissent qu’il aura de graves effets économiques sur les consommateurs américains et conduira à une récession. Selon Wolff, la stratégie tarifaire de l’administration Trump repose sur une « notion anhistorique des États-Unis comme victime » alors que « nous avons été l’un des plus grands bénéficiaires de la richesse économique au cours des 50 dernières années, en particulier pour les personnes au sommet de la pyramide. » En réponse à la richesse économique croissante du reste du monde et au déclin associé de l’hégémonie américaine, Trump et ses alliés « s’en prennent aux autres » en désespoir de cause et en refusant de mettre fin à la domination impériale des États-Unis. « Cela ne marchera pas » déclare Wolff.

Amy Goodman : Ici Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report. Je suis Amy Goodman. Les marchés boursiers mondiaux s’effondrent après que le président Trump a dévoilé la plus grande augmentation des tarifs douaniers mondiaux de l’histoire moderne des États-Unis, y compris un tarif douanier général de 10 % sur tous les produits importés en provenance d’environ 185 pays. En outre, de nombreux partenaires commerciaux des États-Unis, dont l’Union européenne, la Chine et le Japon, se verront imposer des droits de douane encore plus élevés. La Chine est désormais frappée d’un droit de douane total de 54 %. Trump a annoncé ce plan lors d’un discours prononcé dans la roseraie de la Maison Blanche.

Président Donald Trump : Mes chers compatriotes américains, c’est le jour de la Libération, attendu depuis longtemps. Ce 2 avril 2025 restera à jamais dans les mémoires comme le jour de la renaissance de l’industrie américaine, le jour où le destin de l’Amérique a été récupéré et le jour où nous avons commencé à rendre l’Amérique à nouveau riche. Nous allons la rendre riche, bonne et riche. Pendant des décennies, notre pays a été pillé, saccagé, violé et spolié par des nations proches ou lointaines, amies ou ennemies. Les métallurgistes, les ouvriers de l’automobile, les agriculteurs et les artisans qualifiés américains – nous en avons beaucoup ici avec nous aujourd’hui – ont vraiment souffert. Ils ont assisté avec angoisse au vol de nos emplois par des dirigeants étrangers, au saccage de nos usines par des tricheurs étrangers et à la destruction par des charognards étrangers de notre rêve américain autrefois si beau.

Amy Goodman : L’impact des tarifs douaniers de Trump devrait se faire sentir dans le monde entier. Alors que Trump prétend que ces tarifs stimuleront l’économie américaine, de nombreux économistes craignent qu’ils n’entraînent une récession, voire pire. La guerre commerciale de Trump pourrait également modifier les alliances mondiales, les pays cherchant de nouveaux partenaires commerciaux. La Chine, le Japon et la Corée du Sud ont déjà annoncé leur intention de renforcer leurs liens commerciaux et de coordonner leur réponse aux tarifs douaniers de Trump.

Nous commençons l’émission d’aujourd’hui avec Richard Wolff, professeur émérite d’économie à l’université du Massachusetts Amherst, professeur invité au programme d’études supérieures en affaires internationales de la New School. Fondateur de Democracy at Work et animateur d’une émission hebdomadaire de radio et de télévision nationale intitulée Economic Update, il est l’auteur d’un certain nombre de livres, dont les plus récents sont Understanding Capitalism (Comprendre le capitalisme) et The Sickness Is the System : When Capitalism Fails to Save Us from Pandemics or Itself (La maladie est le système : quand le capitalisme ne parvient pas à nous sauver des pandémies ou de lui-même).

Professeur Wolff, c’est un plaisir de vous retrouver parmi nous. Commencez par répondre à la question suivante : avez-vous été surpris, choqué ou avez-vous deviné qu’environ 185 pays allaient voir leurs droits de douane augmenter ?

Richard Wolff : D’une part, nous savions que quelque chose comme ça allait arriver. D’un autre côté, l’ampleur et la portée de ce phénomène nous poussent à nous arrêter. Trump a raison : il s’agit d’un moment de changement dans l’histoire américaine et dans l’histoire mondiale. Mais je pense que sa représentation de ce qui se passe est complètement fantaisiste et n’a à voir qu’avec l’autopromotion à laquelle il s’est livré la plupart du temps. Ce ne sont jamais des étrangers qui nous ont fait ça, cette notion des États-Unis comme victime. Au cours des 50 dernières années, nous avons été l’un des plus grands bénéficiaires de la richesse économique, en particulier pour les personnes les plus haut placées, comme lui. Cela n’a rien à voir avec le fait que des étrangers profitent de nous. Cette tentative de se rendre fort et puissant par rapport aux autres, de rejeter la faute sur l’étranger, ce sont des coups bas qu’un vrai président ne devrait pas faire.

Et c’est là le point le plus important. L’économie américaine est en difficulté. L’empire américain est en déclin. Nous ne voulons pas en parler dans ce pays. Nous sommes dans le déni. Et au lieu de cela, nous nous en prenons aux autres peuples – triste façon de gérer un déclin. L’empire britannique a déjà décliné auparavant. Il en a été de même pour tous les autres. Nous en sommes maintenant à ce stade. Nous avons connu un excellent XXe siècle. Le XXIe siècle est différent. Il faut faire face à ces problèmes. Ce n’est pas ce que nous faisons. Ce que l’on fait, c’est dire que nous avons des difficultés, mais que c’est la faute de quelqu’un d’autre, et que nous allons résoudre le problème en le punissant.

Je voudrais souligner, comme vous le suggérez, à juste titre, Amy, que le reste du monde ne va pas rester les bras croisés. Les États-Unis n’ont pas la puissance qu’ils avaient au XXe siècle. Ils ne sont pas dans la position qu’ils semblent s’imaginer. Lorsque le secrétaire au Trésor a ajouté aux commentaires de Trump qu’il avait averti le reste du monde de ne pas prendre de mesures de rétorsion, cela impliquait que s’ils le faisaient, il y aurait une escalade. Oui, a-t-il dit, il y aura une escalade. Eh bien, rien ne garantira plus d’escalade s’ils ne font rien, parce que c’est alors une invitation pour Trump à continuer, puisque chacun de ces efforts ne fonctionne pas.

Amy Goodman : Compte tenu du caractère dramatique de la journée d’hier, est-il possible qu’il ait décidé cela à la toute dernière seconde, alors qu’ils remettaient cela à plus tard ? Et expliquez-moi exactement : vous êtes professeur. Vous êtes un enseignant. La plupart des gens ne savent même pas comment fonctionnent ces tarifs.

Richard Wolff : D’accord, un tarif est une taxe. C’est juste une taxe particulière qui a reçu ce nom. Auparavant, on l’appelait droit d’importation. Tout ce que cela signifie, c’est que lorsqu’un produit fabriqué à l’étranger est importé aux États-Unis pour y être vendu, il doit payer une taxe, littéralement, lorsqu’il traverse notre frontière pour entrer dans notre pays. Cette taxe est payée par l’entreprise américaine qui l’importe, qui peut la répercuter sur le consommateur – c’est généralement ce qui se passe – et la taxe va à l’Oncle Sam. Elle finit à Washington. Trump aimait suggérer que les droits de douane étaient payés par les autres – un peu comme le Mexique paierait pour le mur. Cela ne s’est jamais produit. Ce n’est pas près d’arriver ici non plus. C’est une taxe américaine.

Et il y a quelque chose de remarquable qui vous donne une idée de l’ampleur du changement : le Parti républicain, qui s’est présenté comme le parti anti-fiscal pendant un siècle, impose maintenant la taxe la plus massive que l’on puisse imaginer. Pourquoi ce grand changement ? Parce que nous avons de très gros problèmes, et que ce genre de gifle au reste du monde est une tentative pour en résoudre une petite partie. Mais cela ne marchera pas, parce que nous n’avons plus le pouvoir de le faire.

Amy Goodman : Je voudrais m’adresser au président de l’UAW [United Automobile, Aerospace & Agricultural Implement Workers of America International Union, NdT], Shawn Fain, qui soutient les nouveaux tarifs douaniers de Trump et qui a déclaré la semaine dernière : « Nous applaudissons l’administration Trump pour avoir pris des mesures visant à mettre fin au désastre du libre-échange qui a dévasté les communautés de la classe ouvrière pendant des décennies. » Fain s’est exprimé dimanche dans l’émission Face the Nation de la chaîne CBS.

Shawn Fain : Plus de 90 000 usines ont quitté les États-Unis. Rien que pour les Big Three [General Motors, Ford et Chrysler, NdT], 65 usines ont fermé au cours des 20 dernières années. Vous savez, les droits de douane ne sont pas la solution totale. Les droits de douane sont un moyen dans la boîte à outils pour amener ces entreprises à faire ce qu’il faut. L’objectif est de ramener des emplois ici et d’investir dans les travailleurs américains… Si l’on veut ramener des emplois ici, il faut qu’il s’agisse d’emplois durables, où les gens peuvent gagner un bon salaire, un salaire décent, bénéficier de soins de santé adéquats et de la sécurité de la retraite, et ne pas avoir à travailler sept jours sur sept ou à cumuler plusieurs emplois juste pour survivre d’un chèque à l’autre.

Amy Goodman : Bien que le président de l’UAW, Shawn Fain, ait fait l’éloge des tarifs douaniers de Trump, il a également déclaré qu’il était très préoccupé par la décision du président Trump de supprimer les contrats de 700 000 travailleurs fédéraux, de licencier des travailleurs de l’Institut national de la santé et d’autres agences.

Richard Wolff : J’ai été un peu déçu. J’aime bien Shawn Fain, comme beaucoup d’entre nous, mais j’ai été déçu qu’il dise, en gros : « Je soutiendrai le président parce qu’il fait quelque chose qui pourrait aider mon syndicat », même si Shawn Fain sait, comme la plupart des économistes, que si l’on impose une taxe sur les marchandises qui arrivent, leur prix augmentera, parce que nous devons payer cette taxe maintenant, et que les producteurs nationaux pourront augmenter leurs prix parce que leurs concurrents de l’étranger sont bloqués par cette taxe. Nous nous attendons donc à ce que l’inflation augmente, ce qui nuira gravement à la classe ouvrière de ce pays, surtout si cela s’amplifie, ce qui se produit souvent lorsque l’on applique des droits de douane de ce type.

Je tiens à rappeler à tout le monde, y compris à Shawn Fain, que les travailleurs de l’automobile représentent également des travailleurs qui ont besoin de marchés d’exportation, qui produisent en Amérique et vendent à l’étranger. Lorsque ces pays prendront des mesures de rétorsion, comme ils le feront probablement, nous perdrons des marchés d’exportation, ce qui se traduira par une diminution du nombre d’emplois. Et personne – permettez-moi d’insister – personne ne sait aujourd’hui si les emplois perdus à la suite de cette guerre commerciale seront plus ou moins nombreux que les emplois gagnés. C’est un gros risque que prend Trump. Et si cela ne se passe pas bien, ce sera très mauvais pour l’économie américaine. Cela entraînera la récession que les gens redoutent, car si les prix augmentent, les gens achètent moins, ce qui entraîne des pertes d’emplois.

Si l’on considère tout cela, il s’agit d’une tentative incroyablement risquée de blâmer le monde entier, de le punir, puis de croiser les doigts – ce qu’il fait – en espérant que tout se passera bien. Cela me rappelle la métaphore du football : il s’agit d’une passe désespérée. Vous la faites sur le terrain. Vous espérez qu’elle va rebondir vers votre équipe. Mais tout ce que c’est : un coup de chance. Et c’est un signe qui montre à quel point l’économie américaine est perturbée.

Amy Goodman : Si vous pouviez replacer cela dans un contexte plus large ? Parlez-nous des réductions d’impôts et de la manière dont elles s’intègrent dans les tarifs, les – qu’est-ce en réalité ? – quelque chose comme 4 000 milliards de dollars de réductions d’impôts, et qui en bénéficie ? Et puis parlons des autres questions que le président Trump ne cesse de dire qu’ils ne vont pas toucher, même si ce que beaucoup appellent son coprésident, Elon Musk – qu’il revienne dessus ou non – fait des discours, s’en prend à la sécurité sociale, à des sujets comme Medicaid.

Richard Wolff : Commençons par la question des impôts. La plus grande chose que Trump ait faite au cours de sa première présidence a été la réduction d’impôts en décembre 2017. Et lorsque cette réduction d’impôts a été inscrite dans la loi, elle était assortie d’une clause de caducité. Elle expire cette année, en 2025. Si cette suppression est autorisée, les entreprises et les riches, qui étaient les principaux bénéficiaires à l’époque, devront faire face à une forte augmentation. Il ne veut pas faire cela, parce que c’est sa base, c’est le soutien de ses donateurs. Il ne veut pas que ces impôts augmentent à nouveau.

Dans ce cas, que va-t-il devoir faire ? S’il continue à dépenser et qu’il ne laisse pas les impôts augmenter, il devra emprunter des milliers de milliards, comme nous l’avons fait. Il ne veut pas être le président qui continue à emprunter des milliards, en partie parce que le reste du monde est un créancier important des États-Unis et qu’il ne va pas continuer à le faire comme il l’a fait. Il est donc dans l’impasse. Il doit faire quelque chose.

Son espoir est donc de réduire les dépenses dans ce pays. Regardez ce qu’il fait. Musk se tient là, avec une tronçonneuse, pour nous dire clairement : « Je vais résoudre le problème sur le dos de la classe ouvrière. Je les vire tous. Je me fiche de ce que subit le reste de la classe ouvrière. Je vais licencier tous ces gens, sans préavis, sans plan. » Qualifier ce processus d’efficace est une plaisanterie stupide. Un processus efficace prend du temps, nécessite des experts. Ce n’est pas ce que vous faites. Il s’agit simplement de licencier à tour de bras. Appeler cela de l’efficacité est une tentative de tromper les gens, cela ne devrait pas faire de différence.

Trump est maintenant dans le pétrin. Il ne peut pas s’en sortir sans résoudre d’une manière ou d’une autre le problème qui a été créé. Et il n’y a pas d’autre moyen que celui qu’il est en train de mettre en œuvre, parce que c’est la dernière façon de retirer à la masse des gens la possibilité d’emprunter. Je veux dire, soyons honnêtes. Si vous imposez des droits de douane, vous rendez tout ce qui vient de l’étranger plus cher. Cela signifie que les gens en achèteront moins. Ils réduiront leur niveau de vie. Si les entreprises américaines profitent des droits de douane, ce qu’elles font toujours, en augmentant leurs prix, la classe ouvrière en pâtira également. Vous humiliez vos travailleurs pour tenter de résoudre un problème que vous n’avez pas résolu auparavant.

Mais voici l’ironie qui pourrait bien finir par nous hanter. L’Europe a été incapable de s’unifier sous le parapluie des alliances américaines. L’hostilité des États-Unis rassemble l’Europe mieux que l’alliance n’a pu le faire. Et comme vous l’avez souligné, il est très important que la Chine, le Japon et la Corée du Sud, qui ont une longue histoire d’animosité et de tension, s’unissent pour faire face à cette situation. Ouah ! Nous sommes en train d’unifier le monde entier.

Si vous voulez avoir une vue d’ensemble, après la Seconde Guerre mondiale, George Kennan nous a enseigné l’endiguement : « Nous allons contenir l’Union soviétique ». L’ironie, qui plairait au philosophe Hegel, c’est que nous sommes en train d’être endigués. Nous nous isolons – les votes à l’ONU des États-Unis seuls ou des États-Unis, d’Israël et de deux ou trois autres pays, l’isolement politique, l’isolement économique actuel. Nous sommes la nation voyou pour le reste du monde. Nous ne le voulons peut-être pas. Nous ne sommes peut-être pas d’accord. Mais cela n’a pas vraiment d’importance si c’est ainsi qu’ils nous perçoivent. Et c’est ce qui se passe.

Amy Goodman : Vous avez parlé de la Corée du Sud, du Japon et de la Chine qui s’unissent. L’une des plus grandes annonces de [droits de douane] a été faite contre Taïwan. C’est un peu plus compliqué pour Taïwan de rejoindre ce groupe.

Richard Wolff : Il y a aussi le Vietnam, qui a été frappé de plein fouet. Ne reconnaît-on pas ce que les États-Unis ont déjà fait subir à ce pays ? Peut-être que vous ne voudriez pas les écraser avec ce genre de choses ensuite. Comme je le disais, il s’agit d’un changement. C’est un signe au monde entier qu’au fur et à mesure que l’empire des États-Unis décline, c’est un pays méchant qui va, vous savez, faire des gestes et se débattre, causant des dégâts partout, alors qu’il fait face à son propre déclin.

Amy Goodman : L’ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a récemment écrit un article intitulé « Le plan directeur économique de Donald Trump. » Il a écrit, je cite : « C’est ce que ses détracteurs ne comprennent pas. Ils pensent à tort qu’il pense que ses tarifs douaniers réduiront d’eux-mêmes le déficit commercial de l’Amérique. Il sait que ce n’est pas le cas. Leur utilité vient de leur capacité à choquer les banquiers centraux étrangers pour qu’ils réduisent les taux d’intérêt nationaux. Par conséquent, l’euro, le yen et le renminbi s’affaibliront par rapport au dollar. Cela annulera les hausses de prix des biens importés aux États-Unis et n’affectera pas les prix payés par les consommateurs américains. Les pays soumis à des droits de douane paieront en fait pour les droits de douane de Trump. » Êtes-vous d’accord avec cela, Professeur Wolff ?

Richard Wolff : Non, même si Yanis et moi travaillons beaucoup ensemble et que je m’en remets normalement à lui. Il est merveilleux dans son analyse. Je ne pense pas que ce soit correct. Est-ce un résultat possible ? Oui.

Vous savez, nous sommes dans une situation – permettez-moi de l’exprimer ainsi. Les tarifs douaniers ne sont pas nouveaux. Ils existent depuis des centaines d’années. Si vous donnez un cours d’économie internationale, ce que j’ai fait, vous dites aux étudiants : « Voici un millier de livres. Voici 5 000 articles sur le sujet. Nous savons donc. » Et la vraie réponse est la suivante : lorsque vous imposez des droits de douane, vous ne savez pas quel sera le résultat, car cela dépend de tout ce qui se passe ailleurs : les taux d’intérêt, les taux de change des monnaies, les économies en hausse ou en baisse dans le monde entier. Il est impossible de le savoir à l’avance. C’est une chose très risquée, et c’est pourquoi, au cours des 50 dernières années, nous avons eu, sous l’égide des États-Unis, ce que l’on appelle le libre-échange, le néolibéralisme ou la mondialisation.

Tout cela est désormais révolu. Les États-Unis ne peuvent plus gagner dans ce système et reviennent donc au nationalisme économique. C’est un changement fondamental qui bouleverse le monde entier. Pendant 50 ans – les 50 dernières années – la sagesse admise par tous est qu’il ne fallait pas faire ce que Trump est en train de faire. Si vous voulez, vous pouvez penser que tous ceux qui ont pensé ainsi pendant 50 ans avaient tort, et que Trump, le génie, a raison, mais ce serait un pari risqué. Mieux vaut miser sur le fait qu’il essaie de sauver sa propre vie politique et qu’il tente de faire face, ce qui est tout à son honneur, à une économie en déclin sans avoir à l’admettre.

Cela ne se terminera pas bien. Normalement, c’est le cas. Et ce que nous allons voir, c’est la lutte entre le bloc européen, le bloc asiatique et le bloc américain, à un moment où les États-Unis sont plus faibles qu’ils ne l’ont jamais été sur le plan économique et politique. Regardez la débâcle en Ukraine, le malentendu selon lequel les Russes pourraient se tourner vers les Chinois et les Indiens pour faire face aux coûts de cette guerre d’une manière qui n’avait pas été calculée et qui est en train de façonner le résultat. La question n’est pas de savoir de quel côté on se trouve, mais de voir comment les choses s’alignent, c’est ça le problème.

Amy Goodman : Plus que trente secondes, comme vous le dites souvent, voyez-vous là le début de la fin de l’empire américain ?

Richard Wolff : Oui, je pense que ce déclin dure déjà depuis 10 ou 12 ans. C’est indéniable, voici la meilleure statistique. Si l’on additionne le PIB, c’est-à-dire la production totale de biens et de services d’un pays au cours d’une année, les États-Unis et leurs principaux alliés, le G7, représentent environ 28 % de la production mondiale. Si vous faites la même chose pour la Chine et les BRICS, c’est environ 35 %. Ils constituent déjà un bloc de puissance économique plus important que le nôtre. Tous les pays dans le monde qui envisagent de construire une ligne de chemin de fer ou d’étendre leur programme de santé envoyaient leurs représentants à Washington ou à Londres pour obtenir de l’aide. Ils le font encore aujourd’hui. Mais lorsqu’ils ont terminé, ils envoient la même équipe à Pékin, New Delhi ou São Paulo, et ils obtiennent souvent un meilleur accord. Le monde change. Et les États-Unis peuvent y faire face. Mais comme pour l’alcoolisme, il faut admettre que l’on a un problème avant d’être en mesure de le résoudre. Nous avons une nation qui ne veut pas encore faire face à ce que tout cela implique.

Amy Goodman : Richard Wolff, professeur émérite d’économie à l’université du Massachusetts Amherst, professeur invité au Graduate Program in International Affairs à la New School ici à New York, fondateur de Democracy at Work, anime une émission nationale hebdomadaire de télévision et de radio intitulée Economic Update. Parmi ses livres, Understanding Capitalism. Merci beaucoup d’être avec nous.

Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now !, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now ! son « Pick of the Podcasts », au même titre que « Meet the Press » de NBC.

Source : Truthout, Amy Goodman, DemocracyNow !, 03-04-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Nadji Khaoua // 21.04.2025 à 09h26

Une analyse prospective des décisions économiques inattendues des USA, aboutit à un d’autres conclusions liées à l’avenir politique et personnelle du Président lui-même.
Cet homme d’affaires a bâtie sa fortune sur deux piliers :
– son héritage de l’ activité de son père.
– l’utilisation des failles du crédit à destination des firmes. Sa démarche insensée actuelle se clarifie mieux si on considère les deux éléments ci-dessus liées à son parcours personnel en tant qu’ homme d’affaires d’abord ayant bâti sa fortune sur les failles du système bancaire.
Depuis des années , l’actuel Président est en conflit avec ses banques pour les crédits faramineux qu’il leur doit.
La politique qu’il mène semblant absurde, ne l’est pas de point de vue.
Elle vise à réorienter les investissements de ses amis hommes d’affaires US de son rang, en vue de rediriger leurs investissements vers l’ économie US en déclin soutenu, particulièrement du point de vue social. Ainsi, son calcul serait que cette action de réorientation économique entraînera l’amelioration des investissements dans les secteurs auparavant délaissés comme les infrastructures routières, le logement, l’industrie de distribution, etc. L’ objectif serait de stimuler la création d’opportunités économiques et sociales pour les nombreuses couches sociales marginalisees. Leurs apports électoraux dans les élections à mi-mandat (2027) lui permettront de se relancer politiquement et d’introduire la possibilité de se faire réélire pour enterrer ces rapports conflictuels avec ses banques.

4 réactions et commentaires

  • Nadji Khaoua // 21.04.2025 à 09h26

    Une analyse prospective des décisions économiques inattendues des USA, aboutit à un d’autres conclusions liées à l’avenir politique et personnelle du Président lui-même.
    Cet homme d’affaires a bâtie sa fortune sur deux piliers :
    – son héritage de l’ activité de son père.
    – l’utilisation des failles du crédit à destination des firmes. Sa démarche insensée actuelle se clarifie mieux si on considère les deux éléments ci-dessus liées à son parcours personnel en tant qu’ homme d’affaires d’abord ayant bâti sa fortune sur les failles du système bancaire.
    Depuis des années , l’actuel Président est en conflit avec ses banques pour les crédits faramineux qu’il leur doit.
    La politique qu’il mène semblant absurde, ne l’est pas de point de vue.
    Elle vise à réorienter les investissements de ses amis hommes d’affaires US de son rang, en vue de rediriger leurs investissements vers l’ économie US en déclin soutenu, particulièrement du point de vue social. Ainsi, son calcul serait que cette action de réorientation économique entraînera l’amelioration des investissements dans les secteurs auparavant délaissés comme les infrastructures routières, le logement, l’industrie de distribution, etc. L’ objectif serait de stimuler la création d’opportunités économiques et sociales pour les nombreuses couches sociales marginalisees. Leurs apports électoraux dans les élections à mi-mandat (2027) lui permettront de se relancer politiquement et d’introduire la possibilité de se faire réélire pour enterrer ces rapports conflictuels avec ses banques.

  • Jean // 21.04.2025 à 11h35

    @Nadji Khaoua,

    Réduire Trump à ses magouilles c’est passer à coté du personnage et de ce qui le différencie de ses prédécesseurs. Nous en avons perdu l’habitude ici mais Trump fait une chose extraordinaire : Il tient les promesses qu’il a faites à ceux qui ont voté pour lui. Il fait revenir les emplois même si pour cela, comme il le dit lui-même, il doit les voler à d’autres pays. Or il n’y a pas de meilleur moyen d’atteindre cet objectif, lorsqu’on est encore le plus grand marché du Monde dans un système économique mondialisé qui récompense le dumping social, fiscal et environnemental que le protectionnisme. Cela déplait aux actionnaires et à tous les profiteurs de l’économie financiarisée mais c’est une opportunité pour tous les acteurs de l’économie réelle, ceux que Tatiana Ventose appelle les producteurs.
    Cette politique se heurte actuellement à deux écueils :
    – Le bluff de Trump ne fonctionne pas avec la Chine qui profite de cette opportunité pour se recentrer sur son marché intérieur en accélérant le déplacement du pôle d’activité économique de l’Occident vers l’Asie.
    – Il reste neuf milles milliards de dette US à refinancer pour 2025 et il va falloir composer avec les marchés financiers, ainsi qu’avec tous les pays qui détiennent une part importante de la dette américaine.

    • Antonio // 21.04.2025 à 16h20

      >Trump fait une chose extraordinaire : Il tient les promesses qu’il a faites à ceux qui ont voté pour lui. Il fait revenir les emplois même si pour cela, comme il le dit lui-même, il doit les voler à d’autres pays. Or il n’y a pas de meilleur moyen d’atteindre cet objectif, lorsqu’on est encore le plus grand marché du Monde dans un système économique mondialisé qui récompense le dumping social, fiscal et environnemental que le protectionnisme.
      —-

      il n’y a pas de système mondialisé, ce terme est la désignation pieuse de la volonté d’un règne total du dollar. Ce qui n’est pas le cas en raison de l’utilisation de ce dollar comme outil de pression et de racket via la finance et les banques. Cf. les attaques au fil des ans contre les noyaux de l´UE, Allemagne avec Siemens et VW, France avec Alstom.

      Il y a une volonté protectionniste bien sûr , mais il s’agit aussi de sauver le dollar..
      Le fait central clef et tabou (il ne faut pas le mentionner) est l’échec de l’attaque contre la Russie. Celà a causé une faille tectonique systémique. Le vol de la réserve en dollars (et donc euros) de la banque centrale d’un pays tel que la Russie, et la tentative de mise en embargo, montre à tous les émergeants qui sont obligés d’utiliser le dollar mais par ailleurs ont la capacité de mettre du large progressivement, que les Etats-Unis se tamponnent du principe de souveraineté. En gros tout le monde sait qu’Oncle Sam n’aura aucun scrupule à opérer un racket violent sur n’importe qui.
      Cette volée de taxe est une course de vitesse autour du statut du dollar comme arme.

  • Jean // 21.04.2025 à 12h44

    => « Si les entreprises américaines profitent des droits de douane, ce qu’elles font toujours, en augmentant leurs prix, la classe ouvrière en pâtira également. »

    Les droits de douane ne pénalisent pas les entreprises en fonction de leur nationalité mais leur production selon sa localisation. Les entreprises qui produisent sur le territoire américain pourront éventuellement s’entendre pour augmenter les prix, ce qui dopera la création d’entreprise et l’emploi sur le marché intérieur.
    C’est cependant un bluff car les USA ne peuvent produire à eux seuls ce qu’ils consomment et des taxes à l’importation différenciées selon les produits semblent plus réalistes. Cette adaptation s’est d’ailleurs réalisée en partie vis à vis de la Chine dont les exportations d’ordinateurs et de téléphones sont dors et déjà exonérées de toutes nouvelles taxes.
    La réalité à laquelle les américains devront s’adapter c’est qu’aujourd’hui la Chine peut se passer des Etats-Unis alors que l’inverse n’est pas encore vrai. Trump à mon avis le savait mais il a tenté un bluff de joueur de Poker alors que les chinois, en joueurs de Go, ont anticipé cette réaction en réduisant les options stratégiques de l’adversaire.

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