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28.octobre.202428.10.2024 // Les Crises

La Kamala Harris de 2024 est-elle la Hillary Clinton de 2016 ?

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Des soutiens Républicains, un virage à droite en matière de politique étrangère, un programme peu ambitieux de changements marginaux, tout cela moins important que la nullité de l’autre candidat. Où avons-nous déjà vu cela ?

Source : Jacobin, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La vice-présidente américaine Kamala Harris (G), la gouverneure de New York Kathy Hochul (C) et l’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton (D) sur scène lors d’un rassemblement à New York, le 3 novembre 2022. (Timothy A. Clary / AFP via Getty Images)

On garde cette impression que le Parti démocrate n’a jamais eu envie de tirer les leçons de sa défaite de 2016.

Il ne fait aucun doute que toutes leurs excuses – accuser la Russie, James Comey, les médias, n’importe qui excepté Hillary Clinton et sa campagne – ont été la tentative désespérée du parti pour ne pas avoir à assumer la responsabilité du fait qu’il a laissé Donald Trump gagner et pour apaiser la colère de sa base, de peur qu’elle ne réclame des comptes à la direction du parti.

Mais à force de répéter un mensonge, on finit par y croire. Et on ne peut s’empêcher de penser que les Démocrates croient réellement qu’ils ont mené une excellente campagne qui aurait pu et aurait dû conduire à la victoire, si seulement il n’y avait pas eu ces ignobles scélérats qui leur ont coupé l’herbe sous le pied. Cette année, ils semblent bien décidés à confirmer cette thèse.

Au début, on a espéré que le lancement de la candidature Démocrate de Kamala Harris allait donner une forme de vision nouvelle et passionnante dans la bataille électorale, associant éventuellement la vision populaire économique initiale mais hésitante de Joe Biden au charisme personnel, à l’optimisme et aux aspects qui ont fait l’histoire de la campagne de Barack Obama en 2008. La « stratégie du sous-sol », qui consistait à soustraire la candidate aux médias non programmés, n’est plus d’actualité. Les mises en garde désormais éculées concernant la menaces que constituent les Républicains pour la démocratie ont été remplacées par la nouvelle étiquette dégradante de « bizarroïde ». Le slogan de Harris, « nous ne reviendrons pas en arrière », laissait entendre qu’elle mènerait le pays non seulement hors du marasme du trumpisme, mais aussi dans une direction différente des deux dernières années désastreuses de Biden.

Voilà qui est bien loin de la réalité. Depuis des semaines, il semble clair que la campagne Harris a décidé de reproduire la stratégie de Clinton de 2016, dans l’éventualité où cette année-là n’aurait été qu’un coup du sort mais qu’aujourd’hui, Trump soit tellement détesté que les Américains n’auraient d’autre choix que de voter pour son opposante. Cela n’a pas fonctionné en 2016, mais cette fois-ci…

Concrètement, par quoi cela pourrait-il se traduire ? Cela consiste à abandonner l’étiquette « péjorative » de bizarroïde et à privilégier les désaccords constructifs à la place. Cela consiste à renoncer à enthousiasmer le flanc progressiste du parti – à lui faire un pied de nez, en fait – et à s’orienter très ouvertement vers la conquête des Républicains. Cela consiste à publier des livres blancs et des positions politiques que peu de gens liront, tout en ne parlant que rarement lors de réunions publiques de ce que vous feriez réellement si vous en aviez l’occasion. Cela consiste à se positionner à la droite de Trump quand il s’agit d’immigration et de politique étrangère, allant jusqu’à qualifier l’Iran, de manière absurde, d’adversaire le plus dangereux pour le pays et à laisser entendre que vous pourriez lancer une attaque préventive contre ce pays.

D’accord, diront les Démocrates, mais qu’en est-il de certaines des annonces faites par Harris ? Prenons son programme en matière de logement, par exemple, avec sa promesse de construire trois millions de logements et d’accorder aux primo-accédants une subvention pouvant aller jusqu’à 25 000 dollars ? Ou encore son intention récemment annoncée d’étendre l’assurance maladie aux soins à domicile, aux problème de vision et d’audition ? N’a-t-on pas là le signe d’une orientation politique différente et plus progressiste que celle de Clinton en 2016, même si elle n’en parle guère ?

La réponse à cette question n’est pas si affirmative, parce que ce programme est en fait un grand pas en arrière par rapport aux années Biden. Il est vrai que le président en exercice a souvent semblé réticent à défendre avec force le programme social qu’il avait adopté pour faire plaisir aux électeurs de Bernie Sanders, mais ce programme était assez ambitieux : il prévoyait, entre autres, un accueil en classe de maternelle pour tous, des universités publiques gratuites (pendant deux ans), des subventions pour les gardes d’enfants, des congés payés, l’extension de l’assurance-maladie et un crédit d’impôt plus généreux au titre de l’aide à l’enfance. À l’exception des deux derniers points, tous ces éléments figurent désormais dans le programme du jour un du mandat de Harris (partie prioritaire du programme).

Même l’extension de l’assurance-maladie qu’elle propose constitue un recul par rapport aux ambitions des précédents candidats Démocrates : Biden avait promis de couvrir également les soins dentaires et d’abaisser l’âge d’éligibilité à 60 ans, tandis que Clinton avait proposé de permettre aux personnes de plus de 50 ans de souscrire au programme (ce que son mari avait proposé près de 20 ans plus tôt).

En outre, Harris n’a pas de véritable politique de santé pour les personnes qui n’ont pas 65 ans, ce qui donne lieu à des scènes comme celles observées lors de la réunion publique organisée par Univision la semaine dernière [ Univision est le plus grand réseau de chaînes de télévision d’expression espagnole aux États-Unis avec près de 80 % de taux d’audience dans les foyers hispanophones et le cinquième réseau américain tout type confondu, NdT], au cours de laquelle des gens désespérément pauvres et éprouvés lui ont demandé comment elle comptait résoudre le dysfonctionnement du système de santé fondé sur la rentabilité ou les aider à trouver une assurance. Ce à quoi Harris a répondu par d’interminables non-réponses ou en proposant de ne pas laisser leur dette médicale être prise en compte dans le calcul de leur solvabilité.

Harris se dit favorable à une augmentation du salaire minimum, mais refuse obstinément de dire de combien elle l’augmenterait. Ni elle ni son colistier n’en ont parlé lors de leurs débats respectifs, contrairement à Biden. Sans parler de sa campagne pour courtiser l’industrie de la cryptographie et les entreprises américaines, de son renoncement à l’augmentation de l’impôt sur les plus-values proposée par Biden et de son flirt manifeste avec la présidente de la Commission fédérale du commerce, Lina Khan, tout en se liant d’amitié avec les entreprises que Khan poursuit en justice..

Le résultat de tout cela était prévisible : plusieurs sondages de grande qualité montrent qu’aujourd’hui la course s’est resserrée dans les États-clés, Harris menant de justesse ou même perdant face à Trump dans des États comme le Michigan, la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Nevada, tout en obtenant des résultats nettement inférieurs dans des circonscriptions électorales Démocrates clés.

Il est certes tout à fait possible que Harris puisse remporter une victoire grâce à cette stratégie laxiste et complaisante, Trump étant extrêmement impopulaire et instable, tandis que son programme politique est extrême et inquiétant. Mais il s’agit d’un pari majeur qui a déjà échoué une fois dans un passé récent, et dans le cadre duquel les Démocrates se servent, comme à leur habitude, du sort des travailleurs et des Américains les plus vulnérables comme d’une garantie.

*

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Source : Jacobin, Branko Marcetic, 12-10-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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3 réactions et commentaires

  • Hiro Masamune // 28.10.2024 à 08h49

    On pourrait avoir l’impression que les démocrates s’attendent à prendre une grosse baffe, ça va sans doute atténuer la surprise , pour la douleur par contre …

  • DVA // 28.10.2024 à 09h54

    La Kamala Harris de 2024 est-elle la Hillary Clinton de 2016 ? Bof…les deux sont au service des milliardaires us ! Point !

  • Calvez // 28.10.2024 à 10h29

    Personnellement, j’aimerais, si c’est possible, avoir un peu plus d’articles sur le reste du monde (BRICS notamment mais aussi les pays africains, asiatiques, moyen-orientaux) et (beaucoup) moins sur les USA. Ce n’est pas le seul pays au monde et il faudra nous habituer rapidement à ne plus les considérer comme l’alpha et l’omega de la géopolitique. Ouvrons les yeux – et aider nous à les ouvrir – sur la diversité des pays.
    D’avance merci.

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