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22.mars.202522.3.2025 // Les Crises

Le cessez-le-feu à Gaza se heurte au mur de l’agenda de Netanyahou

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Comme prévu, le Premier ministre israélien a beaucoup à gagner à poursuivre la guerre.

Source : Responsible Statecraft, Paul R. Pillar
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

L’accord de cessez-le-feu sur la bande de Gaza est désormais rompu, pour des raisons qui étaient prévisibles lorsque l’accord a été conclu en janvier.

Après une première phase de six semaines, l’accord prévoyait une deuxième et une troisième phase qui verraient la libération d’otages par les deux parties, le retrait de l’armée israélienne de la bande de Gaza et un plan de reconstruction. Mais ces parties de l’accord n’étaient que des ébauches ou des déclarations d’objectifs, des négociations supplémentaires étant nécessaires pour régler tous les détails.

Comme l’a souligné Responsible Statecraft lors de l’annonce de l’accord, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a de solides raisons personnelles et politiques de maintenir Israël en guerre, notamment la nécessité de maintenir une coalition avec les membres d’extrême droite de son gouvernement dont la politique à l’égard de Gaza consiste à éliminer tous les Palestiniens de la bande de Gaza.

Netanyahou a donc été incité à saboter l’accord de cessez-le-feu avant que sa mise en œuvre ne débouche sur une cessation permanente des hostilités.

Israël a fréquemment violé le cessez-le-feu tout au long de la première phase en menant des attaques aériennes et terrestres qui ont fait des victimes. Le Hamas n’ayant pas mordu à l’hameçon en répondant par des hostilités à grande échelle, Netanyahou avait tenté de mettre au rebut l’ensemble des deuxième et troisième phases de l’accord et de les remplacer par quelque chose convenant mieux à Israël. Au lieu de négocier les détails de la deuxième phase, comme l’exige l’accord, Netanyahou avait proposé une formule qui incluait un cessez-le-feu de 50 jours, à l’issue duquel tous les otages israéliens devaient être libérés.

La proposition de Netanyahou ne prévoyant ni un retrait militaire israélien de Gaza ni une cessation permanente des hostilités, cette formule était manifestement vouée à l’échec pour le Hamas. Il devait renoncer à ses derniers atouts de négociation sans rien obtenir en retour. Le Hamas a qualifié la proposition de Netanyahou de « tentative flagrante de renier l’accord et d’éluder les négociations pour sa deuxième phase. »

Entre temps, d’autres violations israéliennes de l’accord de janvier se sont poursuivies. Israël a indiqué qu’il ne retirerait pas ses forces, comme le stipule l’accord, du corridor de Philadelphie, une zone située le long de la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte. Israël a ensuite commencé à bloquer l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.

Les incitations pour Netanyahou à reprendre l’assaut d’Israël sur Gaza plutôt que de voir un accord aboutir à une paix durable étaient au moins aussi fortes ces dernières semaines qu’elles l’étaient à la mi-janvier. Le facteur le plus important dans cette équation est la déférence de l’administration Trump à l’égard des préférences israéliennes, comme en témoigne le sourire de Netanyahou après avoir appris que le président Trump était tout aussi favorable à un nettoyage ethnique complet de la bande de Gaza que les extrémistes du gouvernement de Netanyahou.

Et ces extrémistes étaient plus enthousiastes que jamais à l’idée de reprendre l’assaut dévastateur contre les habitants de la bande de Gaza, après les avoir affamés et leur avoir coupé l’eau et l’électricité.

Le scénario le plus probable à court terme pour la bande de Gaza s’est donc confirmé avec une reprise de l’assaut militaire israélien (avec des bombardements ayant fait plus de 400 victimes civiles). Une telle reprise n’aura pas plus de chance d’atteindre l’objectif israélien déclaré de « détruire le Hamas » que les quinze mois de dévastation précédents n’en ont eu.

Quant à la population civile de Gaza, qui souffre, elle n’a reçu aucune alternative attrayante à la poursuite de la résistance, même si elle éprouve du ressentiment à l’égard du Hamas pour sa décision de lancer l’attaque d’octobre 2023 contre Israël. Quiconque pourrait un jour profiter de la vision de Trump d’une « Riviera du Moyen-Orient » à Gaza, ce ne seront pas les Palestiniens qui y vivent actuellement. Ils seraient plutôt confrontés à la misère en exil, et même dans ce cas, ils ne seraient pas à l’abri de nouvelles attaques israéliennes.

L’accord initial de janvier, malgré toutes ses faiblesses, représentait ce que la diplomatie internationale pouvait produire de mieux à l’époque pour une gestion immédiate de la tragédie de Gaza. Le fait que l’accord n’ait été conclu qu’après de nombreuses semaines de médiation et de négociation montre que c’était le maximum que l’on pouvait obtenir des parties, y compris du Hamas, malgré les coups qu’il avait reçus pendant plus d’un an de guerre.

Les États-Unis ont le pouvoir, notamment en raison de l’aide militaire considérable qu’ils apportent à Israël, de créer des incitations pour que l’accord reste en vigueur et que des négociations sérieuses sur les phases deux et trois aient lieu. Il est clair que l’administration Trump n’utilise pas ce levier. En fait, Netanyahou affirmait que sa formule alternative pour un cessez-le-feu temporaire sans fin permanente des hostilités et sans retrait israélien était un cadre proposé par l’envoyé de Trump au Moyen-Orient, Steve Witcoff – le même Steve Witcoff qui avait été crédité d’avoir négocié l’accord original de janvier.

Outre les conséquences pour la population de Gaza qui souffre, ce revirement de l’administration a des répercussions sur la crédibilité des États-Unis. Le fait que les États-Unis aient contribué à détruire un accord que la même administration américaine – et de plus, le même envoyé américain – avait aidé à négocier ne fera qu’amplifier les doutes étrangers, déjà présents en raison des revirements similaires de l’administration en matière de commerce international, quant à la capacité et à la volonté des États-Unis de respecter leurs engagements.

Si des alternatives à l’accord de janvier sur Gaza doivent être envisagées, il faut certainement se pencher sur ce que font les États arabes. Les Arabes ont eu quelques difficultés à s’entendre collectivement, principalement en raison des différences d’attitude à l’égard du Hamas et de l’islamisme politique en général, mais lors d’un sommet qui vient de s’achever au Caire, ils ont approuvé un plan égyptien portant sur la reconstruction et l’administration temporaire de la bande de Gaza.

La proposition égyptienne prévoit la création d’un comité palestinien technocratique et non partisan chargé d’administrer la bande de Gaza pendant une période de transition de six mois. Le Hamas a accueilli favorablement la proposition, une attitude cohérente avec les indications précédentes selon lesquelles le groupe n’est pas impatient de continuer à administrer lui-même la bande de Gaza, même s’il continuera à résister au désarmement unilatéral de sa capacité militaire. Israël a rejeté la proposition, conformément à son opposition à tout ce qui laisse entrevoir une voie vers l’autonomie palestinienne.

L’administration Trump a balayé la proposition égyptienne et a réitéré son soutien à l’idée de la Riviera à Gaza de Trump. Le porte-parole de la Maison Blanche a également répété l’étrange argument de l’administration selon lequel le fait que « Gaza soit actuellement inhabitable » constitue une raison de soutenir les politiques de l’État qui a rendu Gaza inhabitable.

La Maison Blanche a confirmé que l’administration avait tenu des discussions secrètes avec le Hamas, dans le cadre d’un contact qui s’est manifestement concentré sur la libération des otages, et en particulier des otages américains. Le fait que le fonctionnaire américain impliqué était le représentant spécial pour les affaires d’otages plutôt que Witcoff implique un tel agenda. Rien n’indique que la position générale de l’administration ait changé, le président Trump ayant publié une déclaration belliqueuse menaçant le Hamas et affirmant qu’il « envoie à Israël tout ce dont il a besoin pour finir le travail » à Gaza.

Bien que la proposition égyptienne mérite l’attention pour son traitement de la situation immédiate, les appels aux Arabes pour qu’ils proposent leurs propres idées sont quelque peu étranges étant donné que la Ligue arabe a produit, il y a plus de vingt ans, une proposition de paix qui offre la paix et la pleine reconnaissance d’Israël par tous les États arabes si Israël met fin à son occupation des territoires palestiniens et accepte un État palestinien.

*

Paul R. Pillar est chercheur principal non résident au Centre d’études de sécurité de l’université de Georgetown et chercheur non résident au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également membre associé du Geneva Center for Security Policy.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Paul R. Pillar, 07-03-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Antoine Block // 22.03.2025 à 12h43

D’autant plus que depuis 75 ans, quelles que soient leurs exactions (violation systématique du droit international, détention illégale de l’arme atomique, colonialisme, épuration ethnique, massacre de populations civiles, agressions de pays souverains, assassinats et barbouzeries en tout genre, y compris contre leurs plus fidèles soutiens…), ils reçoivent le soutien (moral, politique, militaire, financier) « inconditionnel » de toutes les chancelleries occidentales. Donc, en effet, où est le problème ?

4 réactions et commentaires

  • utopiste rationnel // 22.03.2025 à 09h49

    « Le cessez-le-feu à Gaza se heurte au mur de l’agenda de » X ou Y ou autres. Ça fait quelques décennies que ça dure. Sans parler des autres, Netanyahou et les gouvernants israéliens avaient bien une idée en tête en aidant au financement du Hamas. Pourquoi changeraient-ils leurs projets?

    • Antoine Block // 22.03.2025 à 12h43

      D’autant plus que depuis 75 ans, quelles que soient leurs exactions (violation systématique du droit international, détention illégale de l’arme atomique, colonialisme, épuration ethnique, massacre de populations civiles, agressions de pays souverains, assassinats et barbouzeries en tout genre, y compris contre leurs plus fidèles soutiens…), ils reçoivent le soutien (moral, politique, militaire, financier) « inconditionnel » de toutes les chancelleries occidentales. Donc, en effet, où est le problème ?

  • Arcousan09 // 22.03.2025 à 11h37

    De toute façon il y aura toujours un excellent motif pour continuer le génocide
    1/ Le démocrate pacifiste israëlien a rompu la trêve pour demander la libération des otages
    2/ Si les otages sont libérés, en punition il continuera le génocide
    3/ Si les otages ne sont pas libérés ce sera un prétexte cousu main pour continuer le génocide
    Dans un silence assourdissant de tous ces régimes politiques occidentaux en fait complices pour ne pas dire acteurs de ce génocide

  • La Mola // 22.03.2025 à 20h20

    du danger aussi de « personnaliser » les responsabilités des états : Trump, Netaniahu….

    pour autant qu’on puisse le savoir, ce ne sont pas les ministres qui pilotent les avions bombardeurs, les drones assassins, les tanks écrabouilleurs de corps morts ou vifs ! la population est majoritairement en faveur des menées génocidaires, quand elle ne les soutient pas bruyamment. Recevant régulièrement des infos du mouvement des refuzniks depuis des années, j’ai constaté qu’ils ne se préoccupaient que depuis peu des atrocités commises.

    c’est une donnée bien connue qu’une société coloniale pourrit de l’intérieur.

    même si des discordances commencent à apparaître ces derniers jours ! avec une prise de distance du Président israelien sur la rupture de la trêve, le renvoi du chef du Shin Bet qui passe très mal, et un communiqué du « forum des entreprises » (env. 200 dirigeants) qui menacent de « stopper l’économie » en cas de crise constitutionnelle…

    même avec des appuis puissants, certaines réalités vont finir par s’imposer, dont l’alliance Chine/Russie/Iran, ou le fait que l’état de Pälestine est reconnu par 140 pays

    l »abomination en cours est une horreur sans nom pour ses victimes – certes, mais elle va aussi laisser des traces durables sur ses auteurs et leurs descendants

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