Source : Lobe Log, Paul R. Pillar, 09-10-2019
La décision du président Trump de retirer les troupes américaines de la région frontalière dans le nord-est de la Syrie est suffisamment extraordinaire pour attirer le feu des républicains au moins autant que celui des démocrates qui s’opposent à Trump sur une multitude d’autres questions. En raison de ce caractère exceptionnel, les contours politiques du débat menacent d’éclipser le fond. Les démocrates, outrés par bien d’autres choses que Trump a faites pourraient être tentés de jeter cette question dans la corbeille des raisons pour lesquelles Trump doit s’en aller et hésiter à exprimer leur soutien au Président, de peur que ce soutien ne lui vienne en aide, au cours d’une enquête de destitution et en dépit de toutes ces autres raisons. Les républicains pourraient pour leur part se réjouir d’avoir l’occasion de démontrer qu’ils ne sont pas des défenseurs serviles de Trump.
La procédure par laquelle Trump a pris cette décision est difficile à défendre. Il semble qu’il s’agisse d’un acte impulsif, survenu après un appel téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui n’a pas été examiné par la bureaucratie politique compétente et qui a pris une grande partie de cette bureaucratie par surprise. Une telle méthode décousue de prise de décision présidentielle a produit une mauvaise politique dans le passé (pas seulement dans l’administration actuelle) et continuera à produire une mauvaise politique à l’avenir aussi longtemps que Trump l’utilisera. Mais il faut distinguer la procédure du fond. Même une horloge cassée donne l’heure deux fois par jour.
La vague de critiques à l’encontre de la décision du président a eu un caractère extrémiste qui a eu tendance à ignorer les réserves aux arguments contre la décision et à laisser sans réponse de nombreux arguments valables du camp opposé, même s’ils ne se manifestent pas dans les propos et tweets de Trump. Les critiques ne tiennent pas compte du fait que la guerre en Syrie a toujours été un problème politique difficile dans lequel il n’y a pas de bonnes options et où la tâche a été d’identifier l’option la moins mauvaise. Surtout, les détracteurs ne précisent pas les conséquences à long terme du maintien des troupes américaines sur place.
La critique la plus légitime de la décision de Trump est probablement centrée sur le thème de l’abandon des milices kurdes qui ont joué un rôle majeur dans la lutte pour éliminer le « califat » de l’État islamique (EI ou Daech), ce qui pourrait décourager d’autres acteurs non étatiques de coopérer avec les États-Unis dans le futur. Il faut toutefois reconnaître que les Kurdes n’ont pas fait ce qu’ils ont fait sur le champ de bataille comme acte de générosité envers les États-Unis. Trump n’a saisi qu’une partie de ce qu’il convient de noter à cet égard avec son tweet disant que les Kurdes ont été « payés des sommes massives d’argent et d’équipement » pour leur combat. Les Kurdes avaient également un intérêt direct à vaincre l’EI, et ils ont joué leur propre jeu politico-militaire concernant leurs relations avec les Arabes syriens. Oui, les Kurdes ont été historiquement floués, en tant que grande nationalité qui n’a jamais eu son propre État-nation. Mais le péché originel en ce qui concerne l’art politique occidental moderne s’est produit il y a un siècle lorsque l’Empire ottoman a été découpé. La Syrie d’aujourd’hui n’est pas un endroit où ce tort historique peut être corrigé.
L’idée d’un président américain qui passe à l’action en réponse à un appel téléphonique avec Erdogan est naturellement répugnante étant donné les tendances autoritaires répugnantes du président turc. Mais la sensibilité turque à l’égard des Kurdes syriens ne se limite en aucun cas à Erdogan. Un lien organisationnel direct relie la milice kurde de la région en question, les Unités de protection du peuple (YPG), au mouvement de résistance kurde turc, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a versé beaucoup de sang turc pendant plus de trois décennies par du terrorisme international et l’insurrection dans le sud-est de la Turquie. Les Américains qui condamnent rapidement toute personne ayant le moindre « lien » avec des groupes terroristes antiaméricains seraient tout aussi intransigeants envers les Kurdes syriens s’ils étaient placés dans la situation d’Erdogan.
L’EI n’est pas éradiqué, même s’il est éliminé, mais le califat physique étant effacé de la carte, les tâches antiterroristes restantes ne sont pas principalement celles que les troupes sur le terrain peuvent accomplir. Il s’agit plutôt de cas où une présence militaire étrangère est davantage une provocation qu’une aide. Toute résurrection éventuelle du califat serait au moins autant l’affaire du régime syrien et des autres acteurs du voisinage immédiat que celle des États-Unis.
L’argument selon lequel le retrait d’un millier de soldats américains de Syrie prive les États-Unis d’un « effet de levier » tend à entrer en conflit avec l’argument des mêmes milieux selon lequel cette présence militaire est facilement soutenable parce qu’elle est faible. Qu’est-ce que ce contingent de troupes est censé accomplir exactement en tirant parti, dans le désordre syrien, d’autres acteurs ayant des contingents militaires plus importants en place ?
Cette question est liée à l’argument supplémentaire selon lequel la Russie et l’Iran seront les « gagnants » de la décision de retrait de Trump. Si l’on laisse de côté l’hypothèse implicite selon laquelle les intérêts des États-Unis sont à somme nulle avec ceux de ces États, l’argument ne tient pas compte de la dynamique des relations de la Russie et de l’Iran avec le régime Assad à Damas. Ce régime restera plus, et non moins, dépendant de ses alliés étrangers dans la mesure où une partie du territoire syrien reste sous le contrôle des séparatistes soutenus par les États-Unis.
Les détracteurs de la décision de se retirer se posent rarement la question à long terme quant à l’issue de la ligne de conduite qu’ils préconisent. La vision semble être un protectorat permanent des États-Unis d’une partie sous contrôle kurde d’une Syrie toujours divisée, avec une présence sans fin de troupes américaines qui n’exploite pas vraiment qui que ce soit mais fonctionne plutôt comme un fil à piège qui augmente le risque de guerre avec la Russie, l’Iran ou même la Turquie, membre de l’OTAN. Un avenir sûr pour les Kurdes syriens passe par un règlement de la guerre civile syrienne soutenu par la communauté internationale. Ceux qui souhaitent critiquer Trump sur la Syrie devraient se concentrer non pas sur le retrait des troupes mais plutôt sur le fait de ne pas participer pleinement à la diplomatie multilatérale pertinente plutôt que de laisser cette fonction à l’Iran, la Russie et la Turquie.
On se demande aussi rarement dans quelle mesure les événements en Syrie sont importants pour les intérêts des États-Unis. En fait, ils sont moins importants pour les États-Unis qu’ils ne le sont, pour diverses raisons historiques et géopolitiques, pour l’Iran, la Russie, la Turquie et, bien sûr, le régime syrien. Les Kurdes post-ottomans sont sans État depuis un siècle, les Assad sont au pouvoir à Damas depuis un demi-siècle et la Russie et l’Iran sont des alliés syriens depuis des décennies. Et pourtant, les États-Unis se sont débrouillés.
Paul R. Pillar est Senior Fellow non résident au Center for Security Studies de l’Université de Georgetown et Associate Fellow du Center for Security Policy de Genève. Il a pris sa retraite en 2005 après une carrière de 28 ans dans la communauté du renseignement aux États-Unis. Il a notamment occupé les postes d’agent de renseignement national pour le Proche-Orient et l’Asie du Sud, de chef adjoint du DCI Counterterrorist Center et d’adjoint exécutif du directeur du renseignement central. Il est un ancien combattant de la guerre du Vietnam et un officier à la retraite de la Réserve de l’armée américaine. M. Pillar est diplômé du Dartmouth College, de l’Université d’Oxford et de l’Université de Princeton. Ses ouvrages comprennent Negotiating Peace (1983), Terrorism and U.S. Foreign Policy (2001), Intelligence and U.S. Foreign Policy (2011) et Why America Misunderstands the World (2016).
Source : Lobe Log, Paul R. Pillar, 09-10-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Commentaire recommandé
« La décision du président Trump de retirer les troupes américaines de la région frontalière dans le nord-est de la Syrie est suffisamment extraordinaire pour attirer le feu des républicains comme celui des démocrates »
Aïe, ma vue baisse. J’avais cru lire :
« La décision du président Obama d’introduire les troupes américaines dans la région frontalière au nord-est de la Syrie est suffisamment extraordinaire pour attirer le feu des républicains comme celui des démocrates ».
Faut que j’aille changer mes lunettes.
10 réactions et commentaires
La décision de Trump peut paraître stupide au premier plan, elle est en fait un constat froid de l’échec du rôle de « gendarme du monde » que les politiques américains ont fantasmé après 1991 et un retour à une politique plus proche de la doctrine Monroe.
L’option militaire a eut des résultats lamentables en Irak et en Afghanistan. Les révolutions télécommandées n’ont pas eut non plus de bons résultat pour les USA et même donné des velléités à d’aucuns d’en finir avec la tutelle militaire de Washington. (Mort cérébrale , affirmer puissance, je génocide les kurdes si je veux d’abord, etc …)
Face à ce constat d’échec, on assiste à un recentrage de la politique US sur ses points fort : foutre la merde dans « leur prés carré », Cubaniser tout ce qui résiste avec le dollar et les sanctions en armes absolues , diaboliser le chinois et le russe mais surtout pas y mettre les doigts , draguer l’hindou pour y délocaliser sa pollution et soutenir les Saoud et Israël jusqu’à la mort. Buisness as usual comme ils disent.
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Alerter« régime syrien », « régime Assad »… Le régime étasunien, on en parle ?
On a déjà compris que Washington n’a qu’une politique, c’est l’empire. Elle ne se cache même plus qu’elle est là bas pour aller chercher le pétrole.
On sait que le muscle étasunien a une tête, Tel Aviv, qui veut remodeler le M.O. à son aise. On se souvient, exemple parmi tant d’autres, de la déclaration stupéfaite de général Wesley Clarck.
Et il y a la tique, Riyad, qui fournit la religion aux barbares en Syrie et ailleurs pour égorger comme bon leur semble et réduire les femmes aux plaisirs sexuels et aux préparations culinaires.
Avec ça, on comprend pourquoi la révolte populaire de Deera, en mars 2011, s’est transformée en guerre de presque huit ans.
Et on apprend le clonage de Killary, un double qui veut hybrider OTAN et UE, avec un rêve les yeux ouverts du retour du IIIeme Reich.
Petit régime syrien: protège toi !
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AlerterEnfin. Un article qui dit clairement que pour les us la Syrie n’est pas une priorité et très loin de là . Ce que que j’écris depuis un bout de temps déjà. C’est le problème des russes des iraniens et des turcs.
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Alerteron se demande bien pourquoi alors les usa ont soutenu al qaida, daesh, isis ….et qu’ils restent en Syrie.
De plus, les USA ont un besoin vital du pétrole syrien le leur ne peut pas être utilisé tel quel.
+9
AlerterEn Syrie , le pétrole n’est qu’un prétexte : ce pays a passé son pic de production en 2002 , et aujourd’hui ne produit plus que quelques dizaines de milliers de barils/jour : https://jancovici.com/transition-energetique/petrole/le-pic-de-production-une-realite-deja-courante/ . Le but de tout ce cirque était de couper l’arc chiite de l’Iran à la méditerranée , de faire plaisir à Israël et aux wahhabites et si possible rendre la vie plus dure aux ennemis de l’empire . Pour le moment la manœuvre n’a pas trop bien fonctionné , malgré les ravages infligés aux populations du coin .
+9
AlerterLa Syrie a découvert en Août 2011 un vaste champ gazier à Qaraa, près du port de Tartous.
Israël a découvert fin 2010 un énorme champ gazier au large de ses côtes.
La Turquie cherche a diminuer sa dépendance au gaz Russe et au gaz Iranien.
Le Qatar partage avec l’Iran le plus grand champ gazier du monde, pour l’instant, il exporte son gaz par des méthaniers
Le Qatar, la Turquie et Israël voient d’un très mauvais œil la réalisation du gazoduc Iran-Irak-Syrie, complètement indépendant de leurs routes de transit vers l’Europe.
…/…
Au lendemain de la première guerre mondiale, le traité de Sèvres avait prévu un découpage de l’empire Ottoman comptant un état Kurde. Cependant, les Français et les Britanniques avaient en 1916 signé un accord secret (Sykes-Picot) qui procédait à un autre découpage
…/…
extraits d’un article de 2013 https://www.legrandsoir.info/la-syrie-pays-de-tous-les-enjeux.html
et dans cet article de 2015 https://www.investigaction.net/fr/Pourquoi-les-U-S-ont-ils-ignore/
…/…
Il y a presque 3 ans, la {DIA} (Defense Intelligence Agency) du département de la défense américaine a caractérisé de façon précise la nature du conflit en Syrie et a prédit l’émergence de l’Etat Islamique. Cette révélation bouleversante a été le résultat de la loi sur la liberté de l’information combinée à un effort du groupe « Judicial Watch »(1) en lien avec la commission spéciale sur Benghazi pour plus de transparence sur les agissements des services secrets américains en Syrie.
…/…
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Alerter« La décision du président Trump de retirer les troupes américaines de la région frontalière dans le nord-est de la Syrie est suffisamment extraordinaire pour attirer le feu des républicains comme celui des démocrates »
Aïe, ma vue baisse. J’avais cru lire :
« La décision du président Obama d’introduire les troupes américaines dans la région frontalière au nord-est de la Syrie est suffisamment extraordinaire pour attirer le feu des républicains comme celui des démocrates ».
Faut que j’aille changer mes lunettes.
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Alerterje tente une comparaison hasardeuse qui pourrait entraîner beaucoup de commentaire :
Dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie (ouverte à tous les pays, et dont le principe est que l’émission monétaire aillent à des projets physique avec le but de diminuer la pauvreté : c’est maintenant l’ONU qui le dit), il y a eu un changement de paradigme dans lequel Trump joue le jeu :
il y a un processus de paix en Corée, en Ethiopie / Érythrée , un rapprochement USA / Mexique dans le combat contre la drogue et même un rapprochement entre les chefs d’Etats (USA / Chine / Russie … Inde ?).
la question est « à à quand un Nouveau Bretton Woods ? »
—
Tout n’est pas rose bien sûr : les néo conservateurs sont toujours présents et amènbe a de nombreuses décisions à l’encontre de cette démarche (Bolivie, sanction économique contre de nombreux pays et soutien sans faille à Israël qui attise le feu dans l’Asie du sud ouest.)
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AlerterLes Etats Unis n’avait rien à faire en Syrie. Leur présence, en regard du droit international est illégale, alors quoi de plus normal que les troupes soient retirées.
Ce qu’il reste encore à prouver, car si certains contingents sont partis ils restent encore quelques militaires ricains dans ce pays.
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AlerterBonsoir à tous.
Puisqu’on parle de la Syrie, je me permets une petite « info » de la part d’un grand producteur de fake news selon notre grand Mamamouchi de président, sputnik, donc méfiance…au sujet du bombardement à la suite de la soit disant attaque chimique de Douma d’avril 2018. A vous de voir
https://fr.sputniknews.com/international/201911241042479040-wikileaks-revele-la-falsification-du-rapport-de-loiac-sur-lattaque-chimique-a-douma/
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