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20.octobre.202420.10.2024 // Les Crises

Le génocide invisible : une année d’horreur au Proche-Orient – Mona Chollet

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« Tu es restée bien silencieuse le 7 octobre ». Quelques semaines après l’attaque du Hamas contre des soldats et des civils israéliens, il y a un an, une de mes connaissances racontait sur Facebook avoir reçu ce message d’une amie. Je n’ai pas échappé non plus à ce flicage de l’expression de la sympathie pour les victimes israéliennes, la mienne ayant été jugée trop tardive. Horrifiée, je l’étais ; mais j’étais aussi tétanisée, et désespérée.

Extrait du récent billet de blog de la journaliste Mona Chollet. Pour lire l’article dans son intégralité, cliquez ICI

Source : la-meridienne.info – le blog de Mona Chollet

Tétanisée, parce que je voyais combien le choc provoqué par le massacre du Hamas était immédiatement instrumentalisé, y compris par une surenchère d’allégations mensongères – « bébés décapités », « femme enceinte éventrée », « bébé placé dans un four » –, afin de mieux exciter la soif de vengeance. Il a été utilisé pour justifier les bombardements sur Gaza, qui ont commencé dès le 7 octobre, puis ce qui n’allait pas tarder à devenir le génocide du peuple palestinien. Israël a « transformé le traumatisme en arme de guerre », comme Naomi Klein vient de le décrire dans un article époustouflant [1].

Et désespérée, parce que je comprenais brusquement une chose : la justice pour les Palestiniens, que ne cessaient d’attendre – sans doute naïvement – toutes les personnes qui, comme moi, suivent avec attention la situation en Israël-Palestine depuis trente ans ou plus, cette justice ne viendrait jamais.

Les bombardements sur Gaza et la décimation de familles entières, en particulier en 2008-2009 et en 2014 ; la répression de la Grande marche du retour, en 2018, au cours de laquelle les snipers israéliens, en plus de tuer 223 manifestants, ont pulvérisé des rotules à la chaîne ; le meurtre d’Ahmad Erekat, en 2020, et tant d’autres exécutions sommaires ; l’assassinat de la journaliste Shireen Abu-Akleh, en mai 2022, puis l’attaque de son convoi funéraire par la police israélienne, qui a presque renversé son cercueil (Abu-Akleh était chrétienne) [2] ; Nora Sub Laban expulsée de sa maison de famille à Jérusalem, en juillet 2023, après des années de bataille judiciaire, et l’emménagement immédiat de colons qui ont jeté les meubles dans la rue et accroché des drapeaux israéliens aux fenêtres : rien de tout cela – pour ne citer que quelques faits marquants – n’avait ému l’opinion ou la classe politique.

Absente au cours des années précédentes, l’émotion du grand public a déferlé comme une vague le 7 octobre, puis elle a aussitôt reflué, alors que la descente aux enfers définitive des Palestiniens commençait.

Que l’humanité et la sacralité de la vie ne soient accordées, sur un même territoire, qu’à une partie de la population est un scandale qui n’en finit plus de me bouleverser. Le découpage minutieux par lequel les médias et les dirigeants occidentaux distinguent les victimes dignes d’être pleurées de celles qui ne méritent pas une seconde d’attention me fait penser à ces vieilles photos de l’URSS sur lesquelles la censure effaçait soigneusement les contours des dignitaires tombés en disgrâce.

C’est d’autant plus révoltant que cela brouille totalement la réalité du rapport de forces. On en vient à avoir l’impression que ce ne sont pas les Palestiniens qui sont sous la botte, opprimés, dépossédés, expulsés et tués depuis des décennies, mais les Israéliens. Une amie qui a fait ses études en Allemagne me racontait qu’une autre étudiante lui avait un jour dit très sérieusement : « Tout de même, les Palestiniens ont envahi Israël. » D’où, aussi, les comparaisons aberrantes entre Israël et l’Ukraine – alors qu’Israël est dans le rôle de la Russie (à cette différence près que la Palestine, territoire occupé et morcelé, n’est pas un État souverain comme l’Ukraine).

Depuis un an, celles et ceux qui continuent de suivre la situation en Palestine, essentiellement à travers les journalistes palestiniens présents sur les réseaux sociaux, voient tous les jours des images qui leur retournent l’estomac. Tous les jours, tous les jours, tous les jours : les immeubles pulvérisés ; les enfants blessés allongés sur le sol d’un hôpital ; les corps vivants ou morts coincés sous les décombres ; les blessés dont les bras ou les jambes pendent, presque détachés du reste de leur corps ; les cadavres alignés dans des linceuls, les proches hagards de douleur ; les cohortes d’estropiés [3] ; la jubilation mauvaise des soldats israéliens pillant et saccageant les intérieurs de familles déplacées ou tuées ; les enfants agonisants, squelettiques, en raison du blocus sur la nourriture et l’eau annoncé par le ministre de la défense israélien Yoav Gallant dès le 9 octobre 2023. Je reste aussi hantée par les images, vues à deux reprises, d’enfants au visage intact, mais à la boîte crânienne explosée, béante, complètement vide. Et enfin, ce matin, les images insoutenables de Palestiniens prisonniers des flammes après le bombardement d’abris de fortune installés dans la cour de l’hôpital Al-Aqsa.

Au cours de l’année écoulée, Israël a commis à Gaza l’équivalent d’un massacre du 7 octobre chaque semaine

En octobre, le journaliste Wael Al-Dahdouh apprenait en direct, pendant qu’il travaillait, la mort de sa femme et de deux de ses enfants (en décembre, il a vu son cameraman, Samer Abu Daqqa, mourir à ses côtés, puis, en janvier, il a perdu un autre fils, Hamza Al-Dahdouh, également journaliste). En novembre, il y a eu la vieille femme tuée par un sniper alors qu’elle tenait la main de son petit-fils, le petit Taim Abd Al-Aati, qui agitait un drapeau blanc. Ce même mois, les cadavres décomposés des bébés prématurés de l’hôpital Al-Nasr, que le personnel a été forcé d’abandonner dans leurs couveuses par l’armée israélienne.

En janvier, le meurtre de Hind Rajab, six ans, qui a vu les siens mourir autour d’elle quand leur voiture a été prise pour cible par un char, et qui a supplié les secours de venir la sauver avant d’être à son tour tuée, de même que deux ambulanciers qui tentaient de l’atteindre. (En avril, les étudiants de l’université Columbia à New York, qui occupaient leur campus, ont renommé le Hamilton Hall « Hind’s Hall » en son honneur ; c’est également le titre que le rappeur américain Macklemore a donné à sa chanson en soutien au mouvement étudiant pour la Palestine.)

En février, le corps de Sidra Hassouna, petite fille de sept ans, accroché au mur sur lequel il avait été projeté par la déflagration. Le « massacre de la farine », quand l’armée israélienne a ouvert le feu sur les Palestiniens affamés par le blocus qui se pressaient autour d’un convoi d’aide alimentaire, tuant au moins 118 d’entre eux. À l’hôpital Nasser, un prisonnier, Jamal Abu Al-Ola, envoyé par les soldats, les mains liées, pour dire aux patients et au personnel d’évacuer, puis abattu sous les yeux de sa mère. En mars, Razan Muneer Arafat, onze ans, dans un fauteuil roulant, pleurant à chaudes larmes ses jambes perdues.

En mai, le cadavre sans tête d’Ahmad Al-Najar, dix-huit mois, décapité quand l’armée israélienne a bombardé des tentes de personnes déplacées à Rafah, faisant quarante-cinq victimes, la plupart brûlées vives. En juin, le massacre de Nuseirat, lorsque des soldats israéliens ont tué plus de 270 civils palestiniens pour libérer quatre otages – une opération fêtée comme un « grand succès » dans les chancelleries et les médias occidentaux.

En juillet, Muhammed Bhar, jeune homme atteint du syndrome de Down, déchiqueté par un chien de l’armée ; les soldats l’ont laissé agoniser, en empêchant ses proches de lui porter secours. En août, le journaliste Ismail Al-Ghoul, dans sa voiture visée par un tir de drone, vêtu de son gilet « presse », la tête arrachée – tué avec son cameraman Rami Al-Rifi, ce qui portait alors à 165 le nombre de journalistes tués à Gaza en moins d’un an. En septembre, un fœtus sanguinolent tiré des décombres d’un immeuble. Un père embrassant le pied arraché de sa petite fille – tout ce qu’il restait de son corps. Un soldat rigolard fumant une cigarette tandis qu’une mosquée brûle dans son dos. Une effarante accumulation de crimes de guerre, qu’Al-Jazeera a tenté de répertorier dans un documentaire récent [4].

Au cours de l’année écoulée, selon les calculs de Joseph Confavreux dans un article de Mediapart, Israël a commis à Gaza l’équivalent d’un massacre du 7 octobre chaque semaine [5]. Et pourtant… Rien de tout cela ne semble s’être imprimé dans les esprits des gens autour de nous – pas plus que tout ce qui a précédé ne s’y était imprimé. Pour tout le monde, seul existe le massacre du 7 octobre en Israël.

Cette insensibilité explique la grossièreté de ces intervieweurs occidentaux qui reçoivent des Palestiniens endeuillés, ayant perdu plusieurs membres de leur famille (parfois des dizaines), et qui leur lancent d’un seul souffle : « Toutes mes condoléances, est-ce que vous condamnez le meurtre de civils par le Hamas ? » Un sommet d’obscénité a été atteint ce 7 octobre avec l’interview sur BFMTV du journaliste Rami Abou Jamous, qui témoigne chaque semaine sur Orient XXI de l’enfer qu’est devenu Gaza. Il n’a été interrogé que sur le Hamas et le 7 octobre [6]. On parle d’un homme épuisé et traumatisé, dont – pour ne citer qu’un exemple – la belle-sœur a été grièvement blessée par un quadricoptère (un petit drone) qui l’a poursuivie jusque sous sa tente de déplacée [7].

Arwa Mahdawi : « Les mêmes personnes qui nous sommaient de désavouer la violence salivent sur notre mort et célèbrent le meurtre à une échelle inimaginable »

Au fil des mois, déjà, on avait pu mesurer l’ampleur du « deux poids, deux mesures ». Les massacres, les viols [8] : au vu de l’indignation générale soulevée, à juste titre, quand des Israélien·nes en ont été victimes, on avait pu en déduire, naïvement, que ces crimes étaient condamnables en eux-mêmes. Mais l’indifférence, voire l’approbation, rencontrées quand des Palestinien·nes en sont victimes à leur tour nous force à en déduire que ce qui est réellement terrifiant, ce n’est pas d’être violé·e, décapité·e, massacré·e : c’est de l’être par des Arabes. Les mêmes personnes qui s’étranglaient d’indignation à l’idée que le Hamas se soit attaqué à des civils reprennent sans sourciller la rhétorique raciste des « boucliers humains » ou des « victimes collatérales » concernant les morts palestiniens.

Pour lire la suite de l’article, cliquez ICI

Source : la-meridienne.info – le blog de Mona Chollet – 14-10-2024

Commentaire recommandé

petitjean // 20.10.2024 à 14h10

C’est dit
Alors, que devons nous faire pour faire cesser ces atrocités ?
Toutes les chancelleries occidentales cautionnent ces horreurs !

et pourtant, le ministre des affaires étrangères d’un grand pays vient de faire cette déclaration de rupture

« Sergueï Lavrov accuse Israël de se servir de la Shoah pour légitimer la violence contre les Palestiniens »

3 réactions et commentaires

  • DVA // 20.10.2024 à 10h13

    Comparaisons aberrantes entre Israël et l’Ukraine… Israël est soutenu comme l’Ukraine par l’Occident à des fins de s’approprier des terres et des ressources !…

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  • petitjean // 20.10.2024 à 14h10

    C’est dit
    Alors, que devons nous faire pour faire cesser ces atrocités ?
    Toutes les chancelleries occidentales cautionnent ces horreurs !

    et pourtant, le ministre des affaires étrangères d’un grand pays vient de faire cette déclaration de rupture

    « Sergueï Lavrov accuse Israël de se servir de la Shoah pour légitimer la violence contre les Palestiniens »

      +11

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  • Denis Monod-Broca // 20.10.2024 à 21h17

    Netanyahu fit récemment, à la tribune de l’Onu, un long discours justificatif. On y trouve ceci : «les véritables criminels de guerre ne se trouvent pas en Israël. Ils sont en Iran. Ils sont à Gaza, en Syrie, au Liban, au Yémen. Ceux d’entre vous qui soutiennent ces criminels de guerre, ceux qui soutiennent le mal contre le bien, la malédiction contre la bénédiction, ceux d’entre vous qui les soutiennent ainsi devraient avoir honte»

    Où est le bien, où est le mal ?

    La Passion fut la mise à mort d’un innocent par une foule convaincue, de par la culpabilité de sa victime, de défendre le bien contre le mal.
    La Shoah fut l’extermination d’un peuple innocent par une foule de pays convaincue de même de défendre le bien contre le mal.

    Après la Passion, après la Shoah, peut-on encore, sans trembler, croire que, en accusant autrui et en le tuant, on défend le bien contre le mal ?

    Caïn avait tué et pourtant « l’Eternel mit un signe sur Caïn pour qu’il se soit pas tué », c’est-à-dire pour qu’il ne soit pas tué en retour, pour que ne s’enclenche pas le cycle infernal de la violence.

    Dans sa puérile naïveté, le discours de Netanyahu exprime l’oubli qui est le nôtre d’un savoir ancestral, originaire de cette terre dite promise : le bien consiste à ne pas accuser, à ne pas tuer.

    Aucun dirigeant occidental n’a relevé les propos de Netanyahu à la tribune de l’Onu. Ils sont tous en effet, comme lui, sont convaincus de défendre le bien contre le mal.

    Quand le sens des mots s’inverse, tout devient possible.

      +5

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