J’avais publié, fin décembre 2022, une note sur la restructuration de l’industrie automobile russe face aux sanctions et au retrait (volontaire ou contraint) des grands constructeurs européens et américains[1]. Huit mois après la publication de cette note, l’industrie automobile russe semble en pleine expansion, et en particulier le secteur des véhicules utilitaires et des camions lourds, qui avait néanmoins été moins touché par les sanctions. Cependant, des problèmes subsistent, et en particulier la montée d’une concurrence chinoise importante. L’arrivée massive sur le marché russe des constructeurs chinois était inévitable. Elle a été bénéfique à court terme, permettant au marché automobile et à celui des véhicules utilitaires de ne pas être trop déséquilibré. Mais, alors que l’industrie russe repart, cette présence des constructeurs chinois pourrait, à terme, être un facteur de limitation de la production, sauf si des mesures adéquates sont prises dans les années qui viennent.
Un marché en pleine expansion
Du fait de la forte croissance que connait l’économie russe, mais aussi des besoins logistiques des forces armées qui, visiblement, ne souhaitent pas rester trop dépendantes du transport ferroviaire, la construction de camion explose depuis le début de l’année. Les ventes de camions, mais aussi des autres véhicules utilitaires, connaissent une forte croissance en Russie. Cependant, le développement de la production de ces machines reste freiné par des manques de compétences des producteurs russes dans la création de ces produits techniquement complexes. Une autre raison de la limite à l’expansion de la production est constituée par la pression croissante des concurrents chinois qui s’avèrent redoutablement compétitifs[2].
Selon Alexeï Grammatchikov, les fabricants russes ont cependant tenté de dominer le salon COMTRANS-2023 qui s’est tenu des 5 au 8 septembre à Moscou[3]. Ce salon a été marqué par 141 exposants et un nombre important de visiteurs professionnels.
« Dans toute l’histoire post-soviétique, il n’y a jamais eu une telle augmentation de la demande de camions moyens et lourds en Russie ! Ainsi parle Pavel Yakovlev, directeur général de l’AZ URAL[4], qui peut à peine contenir ses émotions. Lors d’une conférence de presse officielle sur son stand au salon Comtrans-2023, il donne des chiffres : l’année dernière, les ventes de l’usine automobile de l’Oural se sont élevées à 9900 camions avec une augmentation de 14 %. Mais en 2023, elles connaîtront une croissance sans précédent de 60 %, pour atteindre 15 900 véhicules, et en 2024, selon les prévisions de Yakovlev, de 22 % supplémentaires, pour atteindre 19 400 véhicules »[5].
Ce résultat est à l’image de ce que l’on peut voir sur les voitures pour les particuliers. Au mois d’août 2023, le marché automobile de la Russie, avec plus de 100 000 ventes dans le mois, chiffre excédant celui de 2021, est devenu le 3ème marché européen, se situant juste derrière les marchés allemands et français, mais devant les marchés britanniques et italiens[6]. Pour les huit premiers mois de l’année, les ventes ont atteint 763 000 véhicules, un chiffre supérieur de 61% à celui des huit premiers mois de l’année 2022[7].
Graphique 1
Évolution des ventes de camions et utilitaires de 2011 à 2023
Source : EKSPERT n°37, 11 septembre 2023
De même, rien qu’au mois d’août 2023, les ventes de camions neufs moyens et lourds ont bondi de 2,3 fois par rapport au mois d’août de 2022, pour atteindre 16 200 camions[8] (soit environ 7500 véhicule lourds et moyens et 8700 utilitaires légers) contre une production de 12 100 en juillet 2023[9]. Cela signifie que la production nationale est capable de satisfaire à peu près 75% de la demande, ce qui est un bon résultat.
Le redémarrage de la production de camions et véhicules industriels est spectaculaire. Quand on regarde sur la base des résultats de huit premiers mois de cette année, l’augmentation est en effet impressionnante avec plus de 79 % (jusqu’à 92 100 camions). Cette augmentation survient après dix ans de baisse, il convient de le rappeler. Contrairement à la production des voitures pour particuliers, la production des véhicules utilitaires déclinait en effet depuis 2014. Les ventes établiront très probablement cette année un record pour les véhicules utilitaires. En effet, selon les prévisions, 140 000 camions seront vendus en 2023 contre 128 000 en 2011, ce qui représente un accroissement de 70 % de plus que l’année dernière (voir graphique 1).
Les facteurs du réveil de la construction des camions et utilitaires
Ces chiffres impressionnants s’expliquent par plusieurs facteurs. Il y a tout d’abord ce que l’on appelle un « effet de base » lié à la baisse de la production et des ventes en 2022. En effet, les ventes de camions en Russie avaient diminué depuis les années 2018 et 2019, où elles se situaient autour de 80 000 unités. Cette diminution résultait d’abord de la pandémie de la COVID-19, qui avait provoqué une contraction de l’économie, puis à cause du début des opérations militaires en Ukraine[10]. On constate aujourd’hui, une forme de rattrapage de la demande qui avait été contrainte en 2022.
La composante militaire influence également sur la demande : les camions Ural sont désormais particulièrement demandés par les forces de l’ordre que ce soit dans des fonctions logistiques ou dans des fonctions directement militaires[11]. Cependant, lors du salon COMTRANS-2023, les acteurs du marché ont aussi déclaré ressentir une forte augmentation de la demande de la part des entreprises de l’économie réelle. On la constate, la construction reprend et avec elle le besoin en équipements de chantier, l’agriculture continue quant à elle de prendre de l’ampleur, la logistique et d’autres industries ont besoin de plus en plus de véhicules en raison de la restructuration des itinéraires nécessaires au contournement des sanctions. La très forte croissance des véhicules utilitaires légers, avec 8 737 ventes pour le mois d’août 2023 soit 73% de plus qu’en août 2022, témoigne bien de cette importante demande « civile », liée au développement de l’économie[12].
Andrey Grammatchikov le dit clairement dans son article, où il cite une déclaration de Sergei Kogogin, le directeur de KamAZ, un autre producteur de véhicules utilitaires[13] : « Pour les poids lourds, il existe désormais une taille de marché anormale. Je travaille chez KamAZ depuis plus de vingt ans et rien de tel ne s’est jamais produit auparavant », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse durant le salon. «En même temps, je souligne que nous parlons de la taille du marché civil, sans commandes gouvernementales. Des routes, des logements, de nombreux projets d’infrastructures sont en cours de construction. Cela a conduit à une augmentation spectaculaire du besoin en véhicules utilitaires. Lorsque nous produisions des camions-bennes et que notre capacité nous permettait de produire un peu plus de mille camions-bennes par mois, nous n’allions pas augmenter la production, car le marché fluctuait toujours autour de 15 à 16 mille camions-bennes par an. Aujourd’hui, il dépasse les 30 000 ».
Crise de croissance et concurrence chinoise
Cependant, cette demande urgente constitue toujours un défi pour tout fabricant, qui doit fournir au client un produit de haute qualité et technologiquement avancé et lui fournir un service après-vente en temps opportun. Dans le même temps, il est important de ne pas laisser percer les concurrents étrangers, qui sont naturellement particulièrement attirés par un marché en forte croissance. Tout cela fut évoqué à plusieurs reprises lors du salon COMTRANS-2023[14]. Les constructeurs russes de camions et autres véhicules utilitaires ont donc tenté de donner le ton à Comtrans-2023 : les marques nationales occupaient les principaux pavillons de l’exposition, où il y avait beaucoup de visiteurs désireux de regarder et de ressentir les nouveaux produits. Mais, la concurrence des producteurs chinois de camions et véhicules utilitaires s’annonce rude.
Jusqu’au printemps de l’année dernière, la concurrence sur le marché des camions moyens et lourds, pour les entreprises russes, était composée des « sept grands » constructeurs européens (Volvo, MAN, Scania, Mercedes, DAF, Iveco, Renault). Or, ces constructeurs ont quitté du jour au lendemain le marché russe, et la nature a horreur du vide. Les marques chinoises sont donc venues, et non sans succès : selon le site Autostat, les ventes de camions chinois ont dépassé cet été la barre psychologique de 50 % des ventes totales. Plus précisément, fin juillet, quatre grandes marques chinoises – Sitrac, Shacman, FAW et Howo – occupaient ensemble 51,7 % du marché de tous les camions moyens et lourds en Russie. Les producteurs russes ne tirent réellement leur épingle du jeu que pour les utilitaires légers ce qui explique pourquoi la part générale des producteurs étrangers sur le marché russe, toutes catégories confondues, est de l’ordre de 25%.
Alors que le leader national traditionnel KamAZ ne détient désormais qu’un cinquième des parts de marché (19,9 %), la firme chinoise Sitrac l’a presque rattrapé (19,4 %, voir graphique 2).
Graphique 2
Place des constructeurs Chinois sur le marché des camions lourds et moyens en Russie
Source : EXPERT, n°37
Les constructeurs chinois s’installent donc sur le marché des camions lourds et moyens. La présence des constructeurs chinois sur le marché des équipements spéciaux est encore plus significative. Selon la société Gazprombank Leasing[15], 70 % du marché des équipements de construction routière (DST) est désormais détenu par des marques chinoises. Dans le même temps, le marché du DST en Russie, comme celui des camions, connaîtra une croissance très significative cette année, sans doute de l’ordre de 75 %, pour atteindre 87 000 unités (l’année dernière, le chiffre était de 49 600 unités). Sur les 34 900 véhicules vendus au premier semestre, 70 % provenaient de marques chinoises telles que XCMG, Sany, LGCE, LiuGong, Zoomlion, Lonking, Shantui. Les usines nationales ont vendu 2600 unités (contre 2500 un an plus tôt)[16].
La substitution aux importations
La réaction des constructeurs russes ne s’est pas faite attendre. Elle porte essentiellement sur un élargissement de la gamme des véhicules offerts et sur le développement de technologies nouvelles, ainsi qu’il fut démontré lors du salon COMTRANS-2023.
Le principal constructeur russe de camions KamAZ a en effet présenté sur son stand plus de 30 véhicules[17], démontrant les ambitions de développement de l’entreprise dans différents segments de marché et sa volonté d’élargir sa gamme tout en consolidant ses acquis[18]. Pour commencer, l’entreprise de Naberezhnye Chelny entend renforcer sa position dans un segment relativement nouveau pour elle : les camions semi-remorques destinés au transport longue distance. En 2017, lors du même salon COMTRANS, la firme KamAZ avait présenté pour la première fois son tracteur longue distance 54901, qui avait été bien accueilli par le marché et qui a été mis en production en 2019[19]. Ce produit a ensuite été développé en étroite coopération avec des sociétés étrangères, principalement avec l’ancien actionnaire de la société, l’allemand Daimler. Après le départ du partenaire allemand, la question du remplacement des importations de composants pour ce modèle est devenue aiguë et, lors du salon, COMTRANS-2023, KamAZ a annoncé qu’elle s’était confrontée à ce problème et avait trouvé des solutions de remplacement.
Selon le communiqué officiel, la conception du modèle 54901 «…ne dépend plus de l’approvisionnement en composants en provenance de pays hostiles; de plus, ses caractéristiques de consommation ont été améliorées ; Les ingénieurs de l’entreprise ont dû réapprendre plus de deux mille postes. En particulier, les fournisseurs et fabricants de transmission automatique, d’essieu moteur, de système de carburant et d’autres composants du modèle ont été remplacés. La douceur de roulement a été améliorée, la consommation de carburant a été réduite et le niveau d’isolation phonique de l’habitacle a été augmenté »[20].
Outre le tracteur longue distance, la dernière génération de camions-bennes, destinés aux chantiers et aux travaux publics, a également été présentée avec en particulier le KamAZ-6595 (6×4) et le KamAZ-65951 (8×4). Ce sont des camions avec des volumes de 20 et 25 mètres cubes). Ils ont reçu un châssis et des essieux moteurs renforcés et sont désormais conçus pour une charge par essieu de 16 tonnes. Ces machines étaient moins dépendantes des composants étrangers et l’usine continue de les améliorer elle-même.
La volonté de KamAZ d’être un acteur important non seulement dans le segment des poids lourds, mais également dans les modèles plus légers, se manifeste particulièrement clairement dans l’élargissement de la gamme de véhicules utilitaires Compass[21]. L’entreprise a commencé à produire ces voitures l’année dernière et aujourd’hui elle multiplie les efforts pour les promouvoir et renforcer la gamme. Les véhicules Compass ont adopté le châssis, la cabine, le moteur et d’autres composants clés de véhicules déjà produits par KamAz. Cette dernière renationalise progressivement la conception de ces machines, mais, selon les observateurs, ce processus pourrait être plus actif. Enfin, KamAZ a déployé sur son stand un bus urbain Vega, un bus électrique avec recharge de nuit, le KamAZ-6282 ONC, de nouveaux camions céréaliers, des bétonnières, des équipements de balayage (produits conjointement avec des partenaires). Et c’est la version sans pilote du tracteur de semi-remorques Mayak, dont les essais battent leur plein sur l’autoroute M-11 Neva, qui a naturellement le plus attiré l’attention sur le stand.
AZ-Ural a également tenté de souligner lors de l’exposition qu’elle ne dépend plus de composants importés. Sur son stand, il a notamment présenté des essieux pour poids lourds de sa propre production, conçus pour être utilisés sur des véhicules d’un poids brut allant jusqu’à 35 tonnes. Parmi les nouveaux modèles Ural, ont également été présentés des camions pour chantiers et travaux publics comme le camion-benne Ural S34520, le camion plateau Ural-80, le camion-benne Ural S3555V0 avec un nouveau moteur à gaz russe[22].
Un point important du salon COMTRANS-2023 a été de souligner que l’industrie biélorusse des camions entend bien profiter de l’expansion du marché russe des utilitaires. Ainsi, la société biélorusse MAZ a également présenté ses nouveautés comme le nouveau camion-benne MAZ-65262L, un bus touristique MAZ-350, ainsi qu’un camion tracteur MAZ-541SA5 avec une nouvelle cabine, une boîte de vitesses robotisée à 12 vitesses, capable de transporter un train routier pesant 44 tonnes. MAZ produit également toutes ces nouveautés avec une utilisation minimale de composants étrangers et s’orient aussi vers une substitution aux importations. Globalement, ce que l’on a pu constater lors de COMTRANS-2023 est un effort soutenu des constructeurs russes et biélorusses pour réduire à la part la plus faible possible, les composants importés de « pays inamicaux ». Cela se traduit par un renouveau de la production russe et biélorusse de composants, un renouveau qui est spectaculaire et qui montre que les capacités industrielles existaient en Russie et en Biélorussie, mais aussi – et les constructeurs sont ici plus discrets – par le remplacement de composants allemands ou américains par des composants chinois.
L’expansion de GAZ
L’usine automobile de Gorki, ou GAZ, continue de jouer le premier rôle sur le marché russe des véhicules utilitaires légers (VUL). Mais la firme cherche aussi à se développer vers les camions de tonnage moyen[23]. Selon les estimations d’Autostat, au cours des six premiers mois de cette année, GAZ occupe une part – impressionnante – de 61 % du marché des véhicules utilitaires légers (dont 17 % appartiennent à une autre entreprise russe, UAZ). Avec Lada (4 %), les acteurs russes détiennent donc 82 % de ce marché. Les experts estiment que cela est dû en grande partie au fait que jusqu’à présent, les constructeurs chinois n’ont pas accordé l’attention voulue au segment des véhicules utilitaires légers en Russie et n’y mènent pas d’attaques marketing actives[24].
Avec le temps, cette situation devrait changer, mais pour l’instant, profitant du répit, les entreprises russes renforcent les défenses du marché. GAZ a démontré qu’elle était prête à répondre aux demandes des consommateurs en élargissant la famille de véhicules Sobol NN de nouvelle génération, dont la production a commencé à l’automne dernier. Pour les conditions routières difficiles, la version à traction intégrale du Sobol NN 4×4 a été présentée au salon COMTRANS-2023.
Dans le même temps, GAZ n’entend pas se contenter de dominer seul le segment des véhicules utilitaires légers et a déjà commencé à se développer activement vers la production de camions moyens voire lourds sous la marque Valdai. La gamme de modèles présentée au salon se compose de quatre machines d’une capacité de charge de 7,5 à 33 tonnes. Et une véritable sensation a été créée par le nouveau camion tracteur « Valdai 45 », destiné au transport longue distance, capable de tirer une charge pesant jusqu’à 45 tonnes dans le cadre d’un train routier.
Les camions de la marque Valdai seront produits à Nijni Novgorod ; les solutions et composants de la société chinoise Foton sont largement utilisés dans leur conception. Mais parallèlement, les spécialistes de Nijni Novgorod ont déjà réalisé de nombreux travaux d’ingénierie pour affiner et adapter les pièces du partenaire chinois aux conditions russes. La conception des véhicules de type Valdai utilise déjà largement des cadres, des éléments de moteur et d’autres solutions technologiques russes. GAZ a l’intention d’investir 2,3 milliards de roubles uniquement dans la production de véhicules Valdai de grande capacité, le volume de production prévu est de 10 000 véhicules par an.
L’exemple de la firme GAZ est ici intéressant car cette entreprise a toujours tenté de se situer entre le segment des véhicules pour particuliers et celui des utilitaires légers. Elle avait basculé vers le segment des utilitaires après son agglomération en 2005 avec d’autres entreprises dans le « GAZ-Group » et la holding OAO-GAZ, telles que les bus PAZ (Usine automobile de Pavlovo), les bus KAvZ (Usine automobile de Kourgan), mais aussi YaMZ ou Usine de moteurs de Yaroslav qui se spécialise non seulement dans les moteurs diésels mais aussi dans les autres équipements comme les transmissions. Le succès actuel de GAZ pourrait bien donner des idées à d’autres constructeurs dans le cadre d’une possible consolidation d’une industrie en pleine renaissance.
La question de la consolidation d’une industrie en pleine renaissance
L’industrie automobile et des véhicules utilitaires russe est en pleine renaissance, comme le montrent les récentes données de ROSSTAT (graphique 3). Mais, cette renaissance n’est pas exempte de problèmes. La pression concurrentielle exercée sur les industriels russes par les industriels chinois, si elle a pu être initialement bénéfique, devra aussi appeler rapidement des réponses importantes, si le Russie entend conserver une industrie à part entière.
Pour les entreprises chinoises, le départ du marché russe des constructeurs occidentaux a constitué une formidable opportunité historique, opportunité qu’elles ne comptent pas laisser passer. Ce marché était important ; il était solvable, que ce soit en ce qui concerne les voitures pour particuliers ou les véhicules utilitaires. Il était, globalement, un marché en expansion. C’est ce qu’avaient compris des entreprises comme Renault ou VW-Audi ou BMW, et- dans le domaine des utilitaires – Volvo, MAN, IVECO et autres, du moins jusqu’en février 2022.
Graphique 3
La renaissance de l’industrie automobile russe
Source : FSGS (ROSSTAT), Sotsial’no-Yekonomitcheskoe Polozhenie Rossii, Janvar’-Ijul’ 2023-Goda, Moscou, 31 août 2023, p. 54.
Lors du salon COMTRANS-2023, les firmes chinoises Sitrak, Foton, Dayun et d’autres ont présenté des stands très riches en équipements et en véhicules. Aujourd’hui, les constructeurs de camions chinois préfèrent exporter leurs produits vers la Fédération de Russie sans y ouvrir d’installations de production. Les Chinois tentent de prouver qu’en termes de rapport qualité-prix, de fiabilité, de performances et d’autres caractéristiques clés, de nombreux modèles d’équipements chinois sont supérieurs aux modèles russes. Mais le maillon faible des fabricants chinois est et reste sans aucun doute le service après-vente, la maintenance et la fourniture de pièces de rechange. En dépit du fait que les réseaux de concessionnaires de camions chinois se développent rapidement dans toute la Russie, les constructeurs automobiles chinois n’ont pas eu le temps de fournir à leurs clients un service après-vente en temps opportun, ont admis les participants au salon[25]. C’est ce qu’a reconnu M. Maxim Spitsin, directeur exécutif du bureau de représentation en Russie du constructeur chinois de camions Sinoway Group, lors d’une table ronde au salon. Selon lui, l’attente pour les livraisons de certaines pièces de rechange pour camions de Chine (par exemple, pare-brise) vers la Russie peut désormais atteindre deux mois, ce qui entraîne de lourdes pertes pour les propriétaires de véhicules chinois[26]. De ce point de vue, les constructeurs russes ont un avantage évident.
Les fabricants russes présents à l’exposition ont appelé à un rassemblement pour rivaliser avec les constructions chinoises, ainsi que pour résoudre les problèmes de substitution des importations et de localisation face aux sanctions. Dans l’idéal, il faudrait que se développe autour des grandes entreprises (KamAz, AZ-URAL, GAZ), un essaim de sous-traitants nationaux dans l’équivalent de véritables districts industriels assurant ainsi un développement stable aux industriels russes.
Outre les appels traditionnels au gouvernement en faveur de mesures protectionnistes tel le programme préférentiel de leasing mis en place par le Ministère de l’Industrie et du Commerce[27], les idées d’alliances industriels et de développement de mesures de consolidation des producteurs ont été beaucoup discutées lors de l’exposition. « La domination continue des Chinois sur le marché russe est dangereuse pour notre industrie automobile« , a déclaré lors de la table ronde Dmitri Chakhovsky, directeur adjoint du marketing de l’usine automobile MAZ[28]. « Nous devons de toute urgence développer nos compétences et consolider nos efforts, par exemple dans la production de composants automobiles technologiquement complexes. Par exemple, la possibilité de développer conjointement une transmission automatique pour camions est actuellement discutée avec la participation d’associations de constructeurs automobiles russes ».
De l’ensemble des documents et des informations issues du salon COMTRANS-2023, on découvre une industrie en pleine renaissance, mais qui est confrontée, aussi, aux problèmes issus de cette renaissance. La très forte demande pour des véhicules utilitaires, la demande soutenue pour les véhicules pour particuliers, qui a hissé la Russie au rang de 3ème marché européen, font que pour l’instant l’euphorie domine au sein de l’industrie. Mais, la question de l’organisation industrielle se pose belle et bien. Elle ne pourra être résolue que par une combinaison d’initiatives des entreprises et de la puissance publique. Les approches fondées sur les incitations (primes, programme préférentiel de leasing, aides à l’investissement) ne suffiront pas. Une véritable politique industrielle sectorielle s’imposera si l’on veut que cette question de l’organisation industrielle soit résolue.
Notes
[1] Voir, Sapir J., « La restructuration de l’industrie automobile russe » in Les Crises, 29 décembre 2022, https://www.les-crises.fr/russeurope-en-exil-la-restructuration-de-l-industrie-automobile-russe-analyse-d-un-article-publie-dans-l-hebdomadaire-ekspert-par-jacques-sapir/
[2] Voir l’article d’Alexeï Grammatchikov, «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, 11 septembre 2023, https://expert.ru/expert/2023/37/gruzoviki-vytyagivayut-avtorynok/
[3] https://www.comtransexpo.ru/en/
[4] L’AZ-URAL ou « Usine d’Automobile de l’Oural » est une entreprise de construction de camions lourds (tracteurs de semi-remorques, camions de chantier, camions -benne). https://uralaz.ru/fr/
[5] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, 11 septembre 2023, https://expert.ru/expert/2023/37/gruzoviki-vytyagivayut-avtorynok/
[6] https://eng.autostat.ru/news/23630/
[7] https://eng.autostat.ru/news/23628/
[8] https://eng.autostat.ru/news/23620/
[9] FSGS (ROSSTAT), Sotsial’no-Yekonomitcheskoe Polozhenie Rossii, Janvar’-Ijul’ 2023-Goda, Moscou, 31 août 2023, p. 55.
[10] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, op. cit..
[11] Idem ;
[12] https://eng.autostat.ru/news/23622/
[13] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, op. cit..
[14] Idem.
[15] https://autogpbl.ru/catalog/kitajskij-speczsezon/
[16] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, op. cit..
[17] “Kamaz presented about 30 cars at the COMTRANS exhibition”, https://vpk.name/en/769230_kamaz-presented-about-30-cars-at-the-comtrans-exhibition.html
[18] https://eng.autostat.ru/news/23515/
[19] Voir Lysionok A., « Kamaz 54901 on sale by the end of the year”, 17/10/2018, https://trans.info/kamaz-54901-on-sale-by-the-end-of-this-year-112576
[20] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, op. cit..
[21] Idem
[22] Idem
[23] Voir https://eng.autostat.ru/news/23626/
[24] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, op. cit.
[25] Idem
[26] Idem
[27] https://eng.autostat.ru/news/23638/
[28] Grammatchikov A., «Les camions tirent le marché automobile » dans EXPERT, n°37/2023, op. cit.
Commentaire recommandé
Article très intéressant et assez complet. Mais pour rappel Volvo est aujourd’hui une marque chinoise (production véhicules automobiles) qui, sauf erreur, appartient au groupe Gelly. Ne serait-ce pas le cas des camions? Et si la production de camion appartient au groupe Gelly, alors pour quelle raison la firme chinoise aurait-elle déserté la Russie?
Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de constater lors de reportages réalisés en 1990 à l’Institut NAMI (Moscou) puis à l’usine Togliatti que côté production automobile les ingénieurs et techniciens soviétiques de l’époque ne manquaient pas de projets dont plusieurs d’entre eux n’avaient rien à envier à la production de firmes d’Europe de l’Ouest, de Corée ou du Japon. C’était notamment le cas d’un monospace et d’un prototype d’une nouvelle Niva au nom de code de « Big foot ». Sans doute faut-il rappeler qu’alors qu’il était Premier ministre, Medvedev a fait privatiser l’usine Togliatti, abandonnant ce fleuron de l’industrie automobile soviétique à Renault et à Nissan. Résultat: des milliers de licenciements, des projets abandonnés et deux groupes qui se sont contentés de produire leurs modèles dépassés dans cette usine ultramoderne. Pour ce qui est des firmes chinoises, elle ne font qu’occuper le vide créé par des années d’une politique industrielle désastreuse (privatisations au profit de groupes occidentaux, peu de soutien à la recherche, coupure entre invention et production, etc.) dans ce secteur de production.
9 réactions et commentaires
Article très intéressant et assez complet. Mais pour rappel Volvo est aujourd’hui une marque chinoise (production véhicules automobiles) qui, sauf erreur, appartient au groupe Gelly. Ne serait-ce pas le cas des camions? Et si la production de camion appartient au groupe Gelly, alors pour quelle raison la firme chinoise aurait-elle déserté la Russie?
Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de constater lors de reportages réalisés en 1990 à l’Institut NAMI (Moscou) puis à l’usine Togliatti que côté production automobile les ingénieurs et techniciens soviétiques de l’époque ne manquaient pas de projets dont plusieurs d’entre eux n’avaient rien à envier à la production de firmes d’Europe de l’Ouest, de Corée ou du Japon. C’était notamment le cas d’un monospace et d’un prototype d’une nouvelle Niva au nom de code de « Big foot ». Sans doute faut-il rappeler qu’alors qu’il était Premier ministre, Medvedev a fait privatiser l’usine Togliatti, abandonnant ce fleuron de l’industrie automobile soviétique à Renault et à Nissan. Résultat: des milliers de licenciements, des projets abandonnés et deux groupes qui se sont contentés de produire leurs modèles dépassés dans cette usine ultramoderne. Pour ce qui est des firmes chinoises, elle ne font qu’occuper le vide créé par des années d’une politique industrielle désastreuse (privatisations au profit de groupes occidentaux, peu de soutien à la recherche, coupure entre invention et production, etc.) dans ce secteur de production.
+10
AlerterL’article ne contient pas d’informations sur le marché des roulements à billes.
Comment les constructeurs ont-ils reconstitué des filières d’approvisionnement ?
+2
AlerterLes camions Volvo sont séparés des voitures de même marque depuis fort longtemps. Ils restent suédois.
+1
AlerterJe plussoie.
https://www.volvotrucks.fr/fr-fr/about-us/volvo-group.html
Volvo Trucks fait partie du groupe Volvo, l’un des principaux fabricants mondiaux de camions, bus, matériel de construction et marin, ainsi que des moteurs industriels. Le groupe fournit également des solutions complètes de service et de financement.
Avec son siège social basé à Göteborg en Suède, le groupe Volvo emploie près de 100 000 personnes au niveau mondial, possède des usines de production dans 19 pays et vend ses produits dans plus de 190 marchés.
________________________________________
Dates clés 2010 : Geely rachète la branche automobile de Volvo à Ford.
Geely ou plus exactement Zhejiang Geely Holding Group est un groupe automobile mondial dont le siège est à Hangzhou, dans la province du Zhejiang, dans le sud-est de la Chine
+2
AlerterArticle très intéressant. Pour les prochains articles, on aimerait que l’auteur se penche sur la question des technologies, notamment de la prise en compte de la transition énergétique
et de l’empreinte carbone de cette production, les russes, du fait de l’abondance des énergies fossiles y sont probablement moins contraints que les chinois, cela se traduit-il par des différences dans leur production automobile?
+1
AlerterD’après ce que me disent mes correspondants, pour le transport urbain et péri-urbain, oui les constructeurs russes sont en train de mettre en production des véhicules électriques (sous licence chinoise), notamment Moskvitch.
Pour les camions, il y a déjà certains modèles qui utilisent le GPL et non le carburant diésel.
+1
AlerterCe n’est pas le sujet de l’article, mais j’ai eu la même réaction à sa lecture, quid des préoccupations environnementales de l’État russe ?
D’après wikipédia, L’énergie primaire consommée en Russie se répartissait en 2019 en 89,6 % d’énergies fossiles (gaz naturel 54,1 %, pétrole 19,3 %, charbon 16,1 %), 7,1 % d’énergie nucléaire et 3,5 % d’énergies renouvelables (hydraulique 2,2 %, biomasse 1,3 %).
+1
AlerterN’oublions pas que la Russie est en guerre, donc son économie aussi. A moyen long-terme, les choix industriels faits aujourd’hui ne seront plus valables à moins de vivre en autarcie.
Si la Russie veut compter sur la scène internationale, en Europe et en Afrique, elle doit s’adapter à la transition énergétique, à sa manière, sans s’aliéner aux dictats de l’UE-US. Elle doit montrer sa voie. Il est probable que l’empreinte carbone devienne l’arbitre du commerce international, au profit des pays qui érigent les règles du jeu….
La mobilité électrique est à sa portée, avec des partenariats chinois sur les batteries mais elle peut avoir une longueur d’avance sur les biocarburants et l’hydrogène.
Le fret ferroviaire moyenne et longue distance reste quand même le plus interessant, surtout en Russie. Les utilitaires semi-lourds et légers qui prennent le relais du rail localement doivent s’adapter à la transition énergétique. Il ne faut pas que la Russie prenne du retard…dans cette autre guerre du futur….
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AlerterEn tout, le Programme 7 a réalisé 115 explosions nucléaires. Parmi elles :
39 explosions visant à l’exploration géologique (trouver de nouveaux gisements de gaz naturel par l’étude des ondes sismiques produites par de petites explosions nucléaires) ;
25 explosions pour intensifier le débit de pétrole et de gaz ;
22 explosions pour créer des cavités souterraines pour le stockage du gaz naturel ;
5 explosions pour éteindre des foyers de gaz naturel ;
4 explosions destinées à créer des canaux et des barrages ;
2 explosions pour creuser le minerai dans les mines à ciel ouvert ;
2 explosions pour créer un stockage souterrain pour les déchets toxiques ;
1 explosion pour faciliter l’exploitation du charbon dans une mine souterraine ;
19 explosions ont été réalisées pour la recherche
Tout s’est arrêté en 1988.
La Russie est donc sur la bonne voie.
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