Les employés américains se sentent largement lésés par la mondialisation néolibérale du dernier demi-siècle. Les vagues successives de délocalisation de l’industrie manufacturière, couplées à des vagues d’automatisation, ont surtout entraîné de mauvaises nouvelles pour cette catégorie de salariés.
Source : LA Progressive, Richard Wolff
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Par « système de classes », nous entendons les structures professionnelles élémentaires : les relations humaines ou « relations sociales », qui assurent la production et la distribution des biens et des services. Parmi les exemples, on peut citer les organisations maître-esclave, village communal et seigneur-serf. Autre exemple, le système de classe capitaliste particulier, qui implique l’organisation employeur-employé. Les employeurs : une infime minorité de la population, dirigent et contrôlent les entreprises et les employés qui produisent et distribuent les biens et les services. Les employeurs achètent la force de travail des employés – la grande majorité de la population – et la mettent au service de leurs entreprises. La production de chaque entreprise appartient à son employeur, qui décide de la vendre, en fixe le prix, perçoit et distribue les revenus qui en résultent.
Aux États-Unis, la classe des employés est fortement divisée sur le plan idéologique et politique. La plupart des employés sont probablement restés liés – avec un enthousiasme ou un engagement en baisse – au Parti démocrate. Une minorité importante et croissante au sein de cette classe a placé quelques espoirs en Trump. Beaucoup se sont désintéressés de la politique électorale et y ont moins participé. Les employés progressistes ou de gauche sont probablement les plus divisés : certains appartiennent à l’aile progressiste du Parti démocrate, d’autres à divers partis socialistes, Verts, indépendants et autres petits partis apparentés, et d’autres encore sont attirés par Trump mais restent très hésitants. Les salariés de tendance gauche sont peut-être plus enclins à rejoindre et militer au sein des mouvements sociaux (écologiques, antiracistes, antisexistes et antiguerre) plutôt que de le faire via des campagnes électorales.
La classe des employés américains se sent très largement victime de la mondialisation néolibérale du dernier demi-siècle. Les déferlements de délocalisations d’emplois dans l’industrie manufacturière (et aussi dans les services), associés aux vagues d’automatisation (ordinateurs, robots, et maintenant intelligence artificielle), ont surtout été synonymes de mauvaises nouvelles pour cette classe. Perte d’emplois, de revenus et de sécurité de l’emploi, diminution des perspectives d’avenir et de la position sociale en sont les principales. En revanche, les profits extraordinaires qui ont motivé les décisions des employeurs en matière de délocalisation et de technologie ont profité à ces derniers. La redistribution des richesses et des revenus qui en ont résulté ont également favorisé les employeurs. Les salariés ont de plus en plus observé et constaté en parallèle une redistribution sociale du pouvoir politique et des richesses culturelles qui leur échappaient.
Le développement du capitalisme américain après 1945 a brisé l’extraordinaire unité de la classe des employés qui était née pendant la Grande Dépression des années 1930.
Les sentiments de classe des salariés étaient bien ancrés dans l’histoire des États-Unis. Le développement du capitalisme américain après 1945 a brisé l’extraordinaire unité de la classe ouvrière qui était née pendant la Grande Dépression des années 1930. Après le krach économique de 1929 et les élections de 1932, une coalition New Deal réformatrice, composée de dirigeants syndicaux et de partis socialistes et communistes puissants, s’est rassemblée pour soutenir l’administration de Franklin D. Roosevelt, qui a gouverné jusqu’en 1945. Cette coalition a obtenu, pour la classe salariée, des avancées considérables, sans précédent dans l’histoire, notamment la sécurité sociale, l’indemnisation du chômage, le premier salaire minimum fédéral et un vaste programme d’emplois publics. Elle a permis au Parti démocrate de se construire une immense popularité au sein de la classe ouvrière.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, toutes les autres grandes économies capitalistes (Royaume-Uni, Allemagne, Japon, France et Russie) étaient fortement ébranlées. En revanche, la guerre avait renforcé le capitalisme américain. Elle a permis de recomposer le capitalisme mondial en le centrant sur les exportations américaines, les investissements de capitaux et le dollar en tant que monnaie mondiale. Un nouvel empire américain a vu le jour, mettant l’accent sur l’impérialisme informel, ou « néocolonialisme », par opposition aux impérialismes formels et plus anciens de l’Europe et du Japon. Les États-Unis ont assuré la sécurité de leur nouvel empire grâce à leur présence et leur programme militaires sans précédent à l’échelle mondiale. Les investissements privés augmentés des dépenses publiques consacrées à l’armée et aux services publics de base ont marqué la transition entre la dépression puis la guerre (avec ses rationnements de biens de consommation) et une prospérité relative radicalement différente entre la fin des années 1940 et les années 1970.
L’idéologie de la guerre froide a imprégné les politiques de l’après-1945 tant nationalement qu’à l’extérieur du pays. La mission du gouvernement était donc de propager la démocratie et de vaincre le socialisme impie. Cette mission justifiait à la fois des dépenses militaires toujours croissantes et une destruction en règle des organisations socialistes, communistes et syndicales menée par le maccarthysme. Le climat de la guerre froide a favorisé la disparition, puis l’inversion de la poussée vers la gauche de la politique américaine après la Grande Dépression. Cette purge de la gauche au sein des syndicats et la diabolisation implacable des partis de gauche et des mouvements sociaux, considérés comme des projets communistes venus de l’étranger, ont divisé la coalition du New Deal. Elle a séparé les organisations de gauche des mouvements sociaux ainsi que la classe salariée dans son ensemble.
Bien que de nombreux salariés soient restés fidèles au Parti démocrate (même s’ils se sont désolidarisés des composantes de gauche persécutées du New Deal), la guerre froide a précipité toute la politique américaine vers la droite. Le Parti républicain en a profité en se montrant résolument favorable à la guerre froide et en collectant des fonds auprès d’employeurs déterminés à démanteler le New Deal. Les dirigeants du Parti démocrate ont eux cessé de s’appuyer sur des syndicats affaiblis et sur ce qui restait de la coalition du New Deal, démoralisée et neutralisée. Ils ont préféré chercher des fonds auprès de ces mêmes grandes entreprises que les Républicains avaient exploitées. Parmi les résultats prévisibles, citons l’incapacité du Parti démocrate à infléchir le virage à droite de la politique américaine. De même, les Démocrates ont pratiquement renoncé à toute tentative de consolider les acquis du New Deal ou de s’orienter vers la social-démocratie. Et même, ils ont de moins en moins réussi à protéger les acquis du New Deal. Ces évolutions ont renforcé la désaffection de nombreux travailleurs à l’égard du Parti démocrate ou de l’engagement politique en général. La politique « progressiste » s’est enfermée dans un cercle vicieux de déclin, avec parfois des poussées temporaires.
Ce cercle vicieux a surtout piégé les hommes blancs les plus âgés. Parmi les salariés, ils étaient ceux qui avaient le plus profité de la prospérité des années 1945-1975. Toutefois, après les années 1970, la politique patronale d’automatisation axée sur le profit, et la décision de délocaliser la production à l’étranger ont sérieusement compromis la situation des emplois et les revenus de leurs salariés, en particulier dans l’industrie manufacturière. Cette frange de la classe salariée a fini par se retourner contre « le système », contre la tendance économique dominante. Elle a déploré la disparition de la prospérité. Dans un premier temps, ils ont opéré un virage vers la droite sur le plan politique. La Guerre froide avait isolé et sapé les institutions et la culture de gauche qui auraient pourtant pu attirer les salariés anti-système. Les mobilisations de gauche contre le système dans son ensemble ont été rares. (contrairement aux mobilisations plus ponctuelles sur des questions telles que le genre, la race et l’écologie) Ni les syndicats ni les autres organisations ne disposaient du soutien social nécessaire pour les organiser. Ou alors, ils craignaient tout simplement d’essayer. Même plus récemment, la montée du militantisme ouvrier et syndical n’a jusqu’à présent soulevé que de manière secondaire et marginale des thèmes d’anticapitalisme systématique.
Les politiciens et les personnalités des médias républicains ont saisi l’occasion de transformer la disparition de la prospérité d’après 1970 en un passé américain idéalisé. Ils ont soigneusement évité d’imputer cette disparition au capitalisme axé sur le profit. Ils ont blâmé les Démocrates et les « libéraux » dont les programmes de protection sociale coûtaient trop cher. Selon eux, la fiscalité excessive était gaspillée dans des programmes sociaux inefficaces destinés aux « autres » (les non-Blancs et les non-masculins. Si seulement ces autres avaient travaillé aussi dur et de manière aussi productive que les hommes blancs, répétaient les Républicains, ils auraient bénéficié de la même prospérité au lieu de chercher à « se faire offrir des cadeaux par le gouvernement ». Une partie de la classe salariée convaincue par ce raisonnement est passée des Démocrates aux Républicains, puis a souvent répondu favorablement au mantra trumpiste « Make America Great Again » (MAGA). Ce basculement a incité les responsables politiques républicains à imaginer une nouvelle base électorale populaire bien plus large que leur actuelle mosaïque composée de fondamentalistes religieux, d’amateurs d’armes à feu et de suprémacistes blancs. Les leaders républicains ont alors entrevu des perspectives politiques inédites depuis que la Grande Dépression des années 1930 avait fait basculer la politique américaine vers la gauche et la social-démocratie.
Issue du Parti républicain ou de son entourage, la nouvelle extrême droite du XXIe siècle a ravivé le patriotisme isolationniste traditionnel des États-Unis en s’appuyant sur le slogan « America First » (l’Amérique d’abord). Ils ont conjugué ce patriotisme à une attitude vaguement libertaire consistant à imputer tous les maux de la société à la nature intrinsèquement funeste de l’État. En se gardant bien de critiquer ou de blâmer le système économique capitaliste, les Républicains se sont assurés le soutien habituel (financier, politique, médiatique) de la classe patronale. On y trouve des employeurs qui n’ont jamais vraiment profité du tournant néolibéral de la mondialisation, de ceux qui ont vu là de plus belles et de plus importantes perspectives d’avenir grâce au tournant nationaliste-protectionniste de l’économie, et de tous ceux qui se consacrent depuis longtemps au projet patronal visant à démanteler le New Deal politiquement, culturellement et économiquement. Tous ces acteurs sont de plus en plus nombreux à se rassembler autour de Trump.
Ils s’opposent à l’immigration, souvent par le biais de déclarations et de mobilisations hystériques contre des « invasions » considérées comme une menace pour l’Amérique. Ils considèrent que les dépenses publiques consacrées aux immigrants (en utilisant les impôts des Américains de souche qui « travaillent dur ») sont gaspillées au profit d’« autres » sans mérite. Trump s’est fait le champion de leurs convictions et les a confortés dans la désignation de boucs émissaires, les Noirs, les citoyens basanés et les femmes, étant les bénéficiaires non méritants d’aides gouvernementales accordées en échange d’un vote démocrate. Certains Républicains ont progressivement adhéré aux théories du complot (QAnon et autres) pour expliquer les divers conspirations visant à détrôner le christianisme blanc et à lui faire perdre sa situation dominante dans la société américaine. MAGA et America First sont des slogans qui expriment le ressentiment, l’amertume et la colère face à un sentiment de frustration. Reprenant l’imagerie de la Guerre froide, les trumpistes ciblent de manière similaire les libéraux, les démocrates, les marxistes, les socialistes, les syndicats et toutes les personnes considérées comme les alliés proches de ceux-ci, qui complotent pour « prendre la place » des chrétiens blancs. Trump les a qualifiés publiquement de « vermine » qu’il vaincrait et détruirait une fois redevenu président.
La majeure partie de la classe salariée américaine n’a pas (encore) été séduite par les Républicains. Elle est restée, jusqu’à présent, du côté des Démocrates. Pourtant, l’aggravation de la fracture sociale a désormais envahi l’ensemble de la culture et de la politique américaines. Elle fait peur à beaucoup de ceux qui restent au sein du parti démocrate, le considérant comme un moindre mal en dépit de ses dirigeants « centristes » et des entreprises qui les financent. Parmi ces dernières on compte en particulier les mégacorporations de la finance et de la haute technologie qui ont profité de la période de mondialisation néolibérale d’après 1975. Les dirigeants centristes ont prudemment évité de froisser leurs entreprises mécènes tout en appliquant une politique fiscale keynésienne remaniée pour atteindre deux objectifs. Le premier consistait à soutenir les programmes gouvernementaux permettant de consolider une base électorale composée de plus en plus de femmes et de citoyens noirs et basanés. Le second consistait à promouvoir le déploiement agressif de la puissance militaire et politique des États-Unis dans le monde entier.
L’empire américain protégé par cette politique s’est avéré particulièrement bénéfique pour les milieux financiers et hi-tech des plus grandes entreprises américaines. Dans le même temps, une autre partie de la classe salariée américaine a également commencé à se retourner contre le système, mais elle a trouvé la nouvelle droite inacceptable et le « centrisme » à peine moins. Le Parti démocrate a jusqu’à présent réussi à retenir la majorité de ces gens, même si beaucoup se rapprochent de plus en plus de champions « progressistes » tels Bernie Sanders, Alexandra Ocasio-Cortez et Cori Bush. Cornel West et Jill Stein arborent des bannières similaires en vue de l’élection de cette année, mais ils insistent pour le faire depuis l’extérieur du Parti démocrate.
L’hostilité entre les deux grands partis s’est intensifiée à mesure que leur opposition devenait plus extrême. Cette situation perdure parce que ni l’un ni l’autre n’a trouvé ou mis en œuvre de solutions aux problèmes de plus en plus graves qui assaillent les États-Unis. Les inégalités de richesse et de revenu de plus en plus marquées sapent ce qui subsiste du sentiment d’appartenance à une communauté qui lie les Américains. La politique, de plus en plus contrôlée par la classe patronale et surtout par les super-riches, engendre une colère, une résignation et une rage dévastatrices et généralisées. Le recul relatif de la puissance des États-Unis à l’étranger renforce le sentiment d’une catastrophe imminente. La montée en puissance de la première véritable superpuissance économique concurrente (la Chine) fait planer le spectre d’un remplacement prochain de la position monopolistique des États-Unis dans le monde.
Chacun des deux grands partis accuse l’autre de tous les maux. Tous deux réagissent également au déclin de l’empire en glissant plus encore vers la droite, vers des versions alternatives d’un nationalisme économique – « L’Amérique d’abord » – qui se substituent à l’apologie de la mondialisation néolibérale à laquelle les deux partis se livraient auparavant. Les Républicains refusent fermement de rendre le capitalisme ou les capitalistes responsables de quoi que ce soit. Ils rejettent la faute sur un gouvernement déficient, les Démocrates, les libéraux et la Chine. De leur côté, les Démocrates refusent prudemment de rendre le capitalisme ou les capitalistes responsables de quoi que ce soit (excepté les « progressistes », et ceux-ci restent très modérés). Les Démocrates accusent surtout les Républicains d’être « devenus cinglés » et de « menacer la démocratie ». Ils érigent de nouvelles versions de leurs vieux démons. La Russie et Poutine remplacent l’URSS et Staline en tant qu’horribles étrangers, suivis de près par les « communistes » chinois. Cherchant à se maintenir au centre de l’échiquier politique, les Démocrates fustigent les Républicains et surtout les partisans de Trump-MAGA pour avoir remis en cause les 70 dernières années de consensus politique. Dans cette version du Parti démocrate de ce qu’était le « bon vieux temps », les Républicains et les Démocrates, de façon responsable se succédaient alors consciencieusement au pouvoir. Le résultat en a été que l’empire des États Unis et le capitalisme américains ont prospéré d’abord en aidant à mettre fin aux empires européens épuisés, puis en profitant de l’hégémonie planétaire et unipolaire des États-Unis.
Les projets de Joe Biden font comme si l’empire américain n’était pas en déclin. Pour 2024, il propose davantage de politiques relevant de l’ancien establishment. Trump en fait tout autant à propos de l’empire américain, mais il choisit soigneusement les secteurs problématiques (par exemple, l’immigration, la concurrence chinoise et l’Ukraine) qu’il peut présenter comme des échecs de la gouvernance démocrate. À ses yeux, rien de fondamental ne cloche concernant l’empire américain et ses perspectives d’avenir. Il suffit de rejeter Biden et sa politique qui sont incapables de lui redonner sa vitalité. Le programme de Trump appelle donc à un nationalisme économique beaucoup plus extrême dirigé par un gouvernement qui devra faire plus avec moins.
Chaque camp accentue le clivage entre les Républicains et les Démocrates. Ni les uns ni les autres n’osent admettre le déclin fondamental et à long terme de l’empire et les problèmes clés (inégalité des revenus et des richesses, politique corrompue par cette inégalité, aggravation des cycles économiques et dettes colossales) engendrés par son assise capitaliste. La joute entre les deux partis repose sur des questions secondaires qui offrent des avantages électoraux temporaires. Cela renforce également l’incapacité des citoyens à faire preuve de sens critique et de volonté de changement systémique. Les deux partis ne cessent de faire appel à une population dont l’aliénation s’aggrave à mesure que le déclin systémique implacable s’infiltre dans la vie quotidienne et les problèmes de chacun. Les deux partis révèlent de plus en plus leur manque de pertinence.
Au cours de la campagne actuelle, aucun des deux partis ne propose de solution au déclin systémique. Les grossières erreurs d’appréciation de l’évolution de l’économie mondiale et de la diminution du pouvoir politique des États-Unis à l’étranger sont à l’origine de l’échec des politiques des deux partis en Afghanistan, en Irak, en Ukraine et dans la bande de Gaza. Le virage vers le nationalisme économique et le protectionnisme n’arrêtera pas le déclin. Quelque chose de plus grand et de plus profond que les deux partis n’osent envisager est en cours. Au cours de la dernière génération, le capitalisme a une nouvelle fois déplacé ses centres dynamiques. Cette fois-ci, on est passé des économies de l’Europe occidentale, de l’Amérique du Nord et du Japon, à celles de la Chine, l’Inde et au-delà, ou encore du G7 aux BRICS. La richesse et le pouvoir se déplacent en conséquence.
Les régions que le capitalisme laisse derrière lui sombrent dans un marasme de masse, des décès par overdose et des divisions sociales de plus en plus marquées. Ces crises sociales ne cessent de s’aggraver en même temps que les inégalités de richesse, de revenu et d’éducation. Le glissement à droite de la politique américaine après 1945 a finalement abouti à l’épuisement social et à l’inefficacité, avec une lenteur déconcertante mais de façon régulière. Peut-être les États-Unis se préparent-ils ainsi à un nouveau New Deal éventuel, avec ou sans nouveau krach de type 1929.
Il est à espérer qu’une des leçons cruciales du New Deal aura été apprise et mise en pratique. Le fait de ne pas modifier la structure de production de la classe capitaliste – une minorité d’employeurs dominant une majorité d’employés – permet à cette minorité de réduire à néant toutes les réformes que le New Deal pourrait réaliser. C’est ce que la classe patronale américaine a fait après 1945. La solution doit maintenant consister à aller au-delà de l’organisation employeur-employé sur les lieux de travail. Il faut la remplacer par une organisation communautaire démocratique – ce que nous appelons ailleurs les coopératives de travailleurs – voilà quel est l’élément manquant qui peut faire en sorte que les réformes progressistes tiennent la route. Quand les salariés et les employeurs constitueront une seule et même personne, une classe d’employeurs distincte n’aura plus ni la motivation ni les ressources nécessaires pour défaire ce que veut la majorité des salariés.
Remplacer les lieux de travail organisés selon le schéma employeurs-employés par des coopératives de travailleurs, tel est le « grand remplacement » dont nous avons besoin, et il est de nature bien différente. Sur la base de ces réformes, nous pouvons construire l’avenir. Nous pouvons éviter de répéter l’échec du dernier demi-siècle, ne serait-ce que pour préserver les réformes imposées à un capitalisme qui s’est effondré et a sombré dans les années 1930.
Cet article a été produit par Economy for All, un projet de l’Independent Media Institute. Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l’auteur et ne reflètent pas les opinions ou les croyances du LA Progressive.
Richard D. Wolff est professeur émérite d’économie à l’université du Massachusetts, à Amherst, où il a enseigné l’économie de 1973 à 2008. Il est actuellement professeur invité au Graduate Program in International Affairs de la New School University, à New York. Il donne également régulièrement des cours au Brecht Forum à Manhattan. Auparavant, il a enseigné l’économie à l’université de Yale (1967-1969) et au City College de la City University of New York (1969-1973). En 1994, il a été professeur invité d’économie à l’université de Paris (France), I (Sorbonne). Ses travaux sont disponibles sur rdwolff.com et sur democracyatwork.info.
Source : LA Progressive, Richard Wolff, 15-04-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Le match retour Biden-Trump? Un match de catch alors ! Les deux pratiquent le même sport, je veux dire qu’ils restent aux ordres du complexe militaro industriel international, leur principal mentor et gardent donc la même ligne vis à vis des russes, des chinois et des israéliens !
7 réactions et commentaires
Les progressistes voulaient « libérer l’homme du travail », les capitalistes ont dit ok et ils ont libéré l’homme du salaire aussi .
Bon, socialement ; ça a merdé … qui l’eut cru ?
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AlerterComment expliquer l’actuel sans faire référence à ce qu’on dénomme l’état profond.
Ce mécanisme où des hommes s’emparent d’institutions, d’états pour leurs projets propres.
Ce corporatisme d’élites qui dégénère en ne gardant d’élites que le pouvoir consanguin.
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Alerter« Les employeurs : une infime minorité de la population, dirigent et contrôlent les entreprises et les employés qui produisent et distribuent les biens et les services. »
Il manque un pan à cette définition : il y a des employeuros (employeurs/employeuses) qui travaillent donc « produisent et distribuent « tout en employant des salariéos c’est-à-dire les « petitos » patronnos (patronnes/patrons). Ces employeuros, qui pour une grande partie, existaient bien avant le capitaliste : les commerçantos et les artisannos. Puis, les patronnos de petites entreprises ne font pas que diriger et produisent aussi.
La définition donnée seraient plutôt pour les (moyennes ?) très grandes entreprises.
Cette séparation de définition entre employeuro et employéo n’est pas tout à fait réelle. Ainsi, le terme « classe patronale » (je ne fais pas référence au mot traduit mais à notre utilisation de ce mot) renvoyant à toustes les patronnos. Pourtant il ne qualifie que le groupe de « grandos » (moyennos ?) patronnos dans cette lecture et la plupart du temps dans les médias. Ne serait-il pas plus judicieux d’utiliser un qualicatif plus précis comme « classe de grand patronale », « classe patronale de centaines d’employeuros ». Ensuite, dans certaines entreprises (surtout les grandes), la personne qui dirige et emploie n’est qu’une employée (qualificatif d’emploie : président/présidente de l’entreprise) aussi et n’est donc pas toujours à la fois la propriétaire et la dirigeante. En conséquence, la qualifier toujours de patronne n’est pas le réel terme.
« Quand les salariés et les employeurs constitueront une seule et même personne, une classe d’employeurs distincte n’aura plus ni la motivation ni les ressources nécessaires pour défaire ce que veut la majorité des salariés. »
C’est déjà le cas pourtant comme j’ai écrit ci-dessus pour les grandes enreprises.
En ce qui concerne des délocalisations d’entreprises, peut-être, pour certainos employeuros n’ont pu faire que suivre le mouvement, l’ont choisi par compétitivité pour la pérennité de l’entreprise, car une partie de ses clientos ne cherchaient que le prix du moins chers. Ne sachant pas la provenance de la production ou n’étaient pas intéresséos, seulement par le prix (et qualité) ?
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AlerterLes américains ont le choix entre louis XV et louis XVI , et ils appellent ça une democratie .La seule démocratie possible ,conventions citoyennes , avec des juristes pour mettre en forme les lois , et les sénateurs et députés dans les champs a ramasser les fraises .Les économie que l’on va faire , c’est monstrueux .La transition ecolo fingers in the nose , le financement de l’ecole , des hopitaux , la retraite a 50 ans etc etc Monstrueux je vous dis . https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/
On s’occupera enfin du bien commun et plus de l’augmentation des revenus des milliardaires en vu d’un pays a l’américaine inégalitaire comme l’a fait macron l’aveugle .
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AlerterLe match retour Biden-Trump? Un match de catch alors ! Les deux pratiquent le même sport, je veux dire qu’ils restent aux ordres du complexe militaro industriel international, leur principal mentor et gardent donc la même ligne vis à vis des russes, des chinois et des israéliens !
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Alerteron parle bien des Etats-Unis ? j’ai comme une impression de déjà vu ailleurs c’est étrange….
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AlerterBof. Pour résumer, le capitalisme est la cause de tous les malheurs des USA. Faut-il pour autant laisser entendre que le socialisme et le communisme sont la réponse ? Cette vision très marxiste est terriblement datée et reste dans le bon vieux schéma manichéen de la lutte des classes finalement. Rien de nouveau ni de pertinent….
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AlerterLes commentaires sont fermés.