Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 15-04-2019
Quantité n’est pas nécessairement synonyme de qualité. Nous en avons la preuve en découvrant l’abondante offre de littérature que nous proposent nos libraires préférés (voir quelques sites internet spécialisés). Les sommes ne sont pas automatiquement signe d’additions de bonnes idées. La longueur du propos est parfois le masque d’une confusion de la pensée. La notoriété n’est pas toujours gage de qualité surtout pour ceux (celles) qui produisent de la pseudo-analyse à jet continu à tel point que l’on peut se demander quand ils (elles) trouvent le temps de réfléchir. Sans tomber pour autant dans la caricature, il arrive, pour notre plus grand bonheur, de découvrir quelques petites perles qui dépassent en qualité nombre d’opus magnum.
Tel est le cas d’un petit opuscule par la taille (format Que sais-je ? et 129 pages) mais par grand par la valeur pédagogique et intellectuelle. Nous voulons parler de celui de Raoul Delcorde intitulé : « Le métier de diplomate »1. [Notons au passage qu’il est presqu’impossible de se procurer cet ouvrage dans l’Hexagone. Ce qui est bien dommage pour sa diffusion. Mais, par le truchement d’une bonne âme belge, nous avons pu l’obtenir]. Le terme de qualité nous paraît être le plus grand dénominateur commun à cet ouvrage atypique.
UN HOMME DE QUALITÉ
L’homme est diplomate (ambassadeur de Belgique à Ottawa après l’avoir été à Stockholm et à Varsovie) et enseignant (docteur en science politique et professeur invité à l’UCL au sein de laquelle il y enseigne les questions européennes). Il a le profil requis pour savoir ce dont il parle contrairement à d’autres bons esprits qui ont l’immense mérite de parler de ce dont ils n’ont pas la moindre connaissance. Les publications les plus récentes en fournissent une excellente illustration qu’il s’agisse de mémoires de diplomates (pur et vain exercice de narcissisme, de tout à l’ego) ou d’ouvrages d’universitaires, de chercheurs (inutiles et pompeux exercice de théorie abstraite sans rapport avec la réalité). Avec Raoul Delcorde, nous entrons dans le vif du sujet même si l’auteur apporte aux lecteurs quelques références utiles pour éclairer son propos La préface de Michel Dumoulin, membre de l’Académie belge) est tout à fait pertinente. Nous en retiendrons l’ultime phrase :
« S’appuyant sur une bonne connaissance de la littérature consacrée aux différentes facettes de la question, il constitue un bel outil de sensibilisation, d’information et de réflexion à propos d’un métier encore trop souvent marqué par des stéréotypes d’un autre âge, quand ce n’est pas par cette forme de mépris dont témoigne trop souvent notre temps pour ce qui est complexe et donc non réductible à l’immédiateté et au simplisme ».
UNE PRÉSENTATION DE QUALITÉ
On ne saurait mieux dire ! Comment Raoul Delcorde organise-t-il sa présentation ? Autour d’une présentation sur l’évolution du métier de diplomate suivie des développements sur le ministère des Affaires étrangères, l’ambassade, le consulat, la diplomatie économique, la diplomatie publique, le diplomate multilatéral, la diplomatie des sommets, la médiation, Peut-on enseigner la diplomatie ?, la diplomatie d’hier à demain. De manière habile, Raoul Delcorde conclut son propos par trois portraits de diplomates (Richard Holbrooke, Alva Myrdal et Robert Sylvercuys). La lecture de l’ouvrage est facilitée par une impression en gros caractères, des chapitres bien ordonnés, un style concis et précis.
La démonstration, le plaidoyer coulent de source. Nos amis belges nous donnent des leçons de logique, de cartésianisme, de clarté, de persuasion pragmatique dont devraient s’inspirer nos bonnes plumes gauloises. En un minimum de pages, nous disposons d’un maximum d’informations indispensables pour mieux appréhender le métier de diplomate dans toute sa variété et dans toute sa complexité. Ainsi, le défi est relevé.
UNE ANALYSE DE QUALITÉ
L’ambassadeur de Belgique nous entraîne dans un très intéressant voyage au cœur et au bout de la diplomatie alternant considérations conceptuelles, historiques mais aussi et surtout, ce qui fait l’intérêt de sa démarche, considérations concrètes tirées de sa propre pratique et de celles de bonnes plumes. À la manière d’un peintre impressionniste, Raoul Delcorde nous apporte, par touches successives, les fondamentaux du métier de diplomate à travers le temps tout en se projetant utilement dans le futur. Tout est bien analysé, senti et présenté. L’auteur est toujours au plus près d’une réalité qui lui est familière. Le propos est clair. Il ne tombe jamais dans le travers de la pédanterie à la Norpois. Tout est pesé, calibré pour permettre au lecteur averti et non averti de disposer d’une idée très précise des grandeurs et des servitudes de ce métier à propos duquel on raconte, trop souvent, tout et n’importe quoi par méconnaissance du sujet ou par mépris (Cf. la préface de Michel Dumoulin).
Le tout est équilibré. À l’issue de notre lecture, le tableau, la fresque est d’excellente facture tant il ne manque rien à la présentation du métier de diplomate à travers les âges et au défi de la e-diplomatie et de la crise du multilatéralisme. Nous laissons le soin à ceux qui auraient le désir d’acquérir l’ouvrage de Raoul Delcorde d’en découvrir toute sa richesse, concept pris dans son acception la plus large.
Le mieux n’est-il pas de reprendre quatre citations pour donner un avant-goût de ce mets succulent même si bien d’autres auraient mérité d’être retenues !
« Apprendre à négocier est donc essentiel pour exercer le métier de diplomate ».
« La diplomatie est un ensemble de connaissances combinée avec un savoir-faire spécifique ».
« Inculquer les règles de diplomatie, c’est aussi apprendre à gérer le temps ».
« Au fond, l’essence de la diplomatie, c’est la compréhension de l’autre ».
En un mot, nous avons été tout à fait conquis par la lecture agréable de ce petit ouvrage qui en dit plus que quelques gros livres prétendument savants. Il va sans dire, mais cela va mieux en le disant, que nous n’avons trouvé aucune présentation de cet ouvrage dans les revues bienpensantes à l’exception d’un entretien de l’auteur avec le site réservé à quelques initiés qui a pour nom Acteurs publics2.
Ces dernières préfèrent réserver leurs colonnes aux institutionnels, aux valets de la Doxa, servitude oblige surtout en un temps où la parole n’est plus libre (Cf. les affaires Legrier et Afrique contemporaine), y compris au sein de l’université française3. Nos fidèles lecteurs l’auront compris, nous conseillons à tous ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur la pratique diplomatique de savourer, de déguster « Le métier de diplomate » comme une authentique pépite, un portrait vérité !
Guillaume Berlat
15 avril 2019
1 Raoul Delcorde, Le métier de diplomate, Académie Royale de Belgique, Collection l’Académie de Belgique, 2018.
2 Raoul Delcorde, « Tintin a fait voler en éclats la figure du diplomate à l’ancienne », www.acteurspublics.com , 27 mars 2019.
3 Olivier Beaud, « La liberté académique est de plus en plus menacée en France », Le Monde, 12 avril 2019, p. 29.
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Source : Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 15-04-2019
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Commentaire recommandé
Un nom m’est venu à la lecture de ce billet ; Segueï Lavrov, dont je ne connais aucun équivalent (et c’est bien dommage) sous mes latitudes occidentales.
9 réactions et commentaires
Merci pour cet article.
Ce genre d’information est extrémement précieux.
Le sujet m’intéresse, je vais essayer de me procurer le livre.
+1
AlerterOn peut trouver le livre à la FNAC, sous forme numérique epub ou en Kindle chez Amazon au même prix 3.99€.
+2
AlerterArticle qui donne vraiment envie de lire ce livre de Raoul Delcorde…
Je note pourtant ce que j’espère être une « maladresse » de la part de Guillaume Berlat quand il fait référence à une leçon de « cartésianisme » de la part de nos amis belge, et cela, après avoir souligné la pertinence de la préface de Michel Dumoulin. La phrase qu’il en cite se termine par: « quand ce n’est pas par cette forme de mépris dont témoigne trop souvent notre temps pour ce qui est complexe et donc non réductible à l’immédiateté et au simplisme ».
Or cette dénonciation du réductionnisme est justement une des principales critiques adressée au cartésianisme.
C’est d’autant plus regrettable qu’Édgar Morin a très largement répandu cette idée dans la partie de ses œuvres dédiée à la pensée complexe (en particulier dans le troisième volume de « La Méthode » intitulé « La connaissance de la connaissance ») À ce sujet on pourra lire l’article:
http://www.revolutionducomplexe.fr/ideologique/individualisme/94-pensee-cartesienne
Cette idée avait déjà été développé par Giambattista Vico dès le tout début du XVIIIème siècle (1709) en forme de réponse au « Discours de la Méthode » (1637) de Descartes.
http://sos.philosophie.free.fr/vico.php#section5.
dans « La méthode des études de notre temps » (on en trouve une excellente traduction d’Alain Pons en pdf sur le web)
…
+2
Alerter…
Pour autant, en particulier pour ne pas tomber dans le même travers, il ne s’agit pas de confondre le « cartésianisme » voire la « Logique de Port-Royal » et la pensée de Descartes qui s’ils en sont issus ne s’y identifient pas. Cette même sorte de confusion peut, par exemple, conduire à un « démenti » de la forme : « Si c’est cela le marxisme, il est certain que moi, Karl Marx, je ne suis pas marxiste. ».
C’est bien là le défi de la pensée complexe qui tente d’échapper à la « tentation » simplificatrice en particulier quand elle ne saurait s’appliquer.
C’est bien là, il me semble, un des défis que propose de relever Olivier Berruyer aux lecteurs du présent blog… ainsi qu’à lui-même (si je ne m’abuse).
Ma conclusion personnelle et possiblement encore trop simpliste sur les « méthodes » évoquées plus haut est actuellement la suivante.
Il convient d’appliquer le cartésianisme (si l’efficience est un objectif) aux problèmes non triviaux c’est à dire compliqués mais non complexes.
Il convient de ne surtout pas le faire pour des problèmes complexes dont la « nature » serait détruite par la réduction ainsi opérée.
Et surtout, apprendre à faire la différence entre la complication et la complexité (ce qui est facilement accessible à une « pensée complexe »).
Un petit exercice de conclusion humoristique
Compléter la phrase suivante: la plupart des éditorialistes français actuels (2019) sont des spécialistes de la pensée … [réductionniste, complexe, ou autre suivant convenance]
Jacques
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AlerterJe suis d’accord mais votre conclusion ressemble un peu à une lapalissade.
Je me méfie de la pensée de Descartes (le réductionnisme, c’est un autre problème) dont on pourrait résumer le projet par la formule : « Je pense, donc je suis … Je suis, donc dieu est ».
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AlerterUn nom m’est venu à la lecture de ce billet ; Segueï Lavrov, dont je ne connais aucun équivalent (et c’est bien dommage) sous mes latitudes occidentales.
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AlerterLa notoriété n’est pas toujours gage de qualité surtout pour ceux (celles) qui produisent de la pseudo-analyse à jet continu à tel point que l’on peut se demander quand ils (elles) trouvent le temps de réfléchir….Diantre de qui parle donc Monsieur Berlat ?
Comme le disait ou l’écrivait, je ne sais plus, le psychanalyste Jacques Lacan – Quand on parle des autres on parle surtout de soi-même. Il me suffit de lire des termes passe-partout comme doxa ou bien revues bienpensantes ou pire mainstream pour disons…me décourager, une pénible récitation…
Et bien non je ne consulterais ni n’achèterais le livre du Raoul…après tout il existe dans ce domaine un maître qui les a tous dépassés, nul autre que Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.
Je veux que pendant des siècles, on continue à discuter sur ce que j’ai été, ce que j’ai pensé, ce que j’ai voulu…
On peut lire au choix le livre de Emmanuel de Waresquiel – Le Prince Immobile – ou bien Talleyrand by Georges Bordonove.
On pourra découvrir derrière les aspects sulfureux du personnage, la vie d’un très grand serviteur de la France, avant tout, peu importe le régime..un maître de la diplomatie.
Quelques citations du personnage et citation pour citation celui-la était un maître.
Noir comme le diable, chaud comme l’enfer, pur comme un ange, doux comme l’amour.
Agiter le peuple avant de s’en servir, sage maxime.
En politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances
Organisons-nous pour surtout ne pas être pauvre.
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AlerterUn article de Raoul Delcorde sur le métier de diplmate
http://www.afri-ct.org/wp-content/uploads/2010/07/Article_Delcorde.pdf
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Alerter« Au fond, l’essence de la diplomatie, c’est la compréhension de l’autre ». je suis d’accord, mais j’irais plus loin c’est aussi savoir prendre acte de ne pas comprendre l’autre et de trouver malgré tout un moyen de cohabiter. C’est en fait tout l’inverse d’une démarche messianique. Suivez mon regard
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AlerterLes commentaires sont fermés.