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26.avril.202526.4.2025 // Les Crises

Le mouvement sioniste chrétien prend de l’ampleur à Washington avec la confirmation de Mike Huckabee comme ambassadeur en Israël

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Confirmé par la Sénat américain au poste d’ambassadeur de Donald Trump en Israël, Mike Huckabee a une longue histoire d’association étroite avec le mouvement sioniste chrétien et sa dégradation de la vie des Palestiniens.

Source : Jacobin, Sumaya Awad
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

L’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee, candidat de Donald Trump au poste d’ambassadeur en Israël, témoigne lors de son audition devant la commission des affaires étrangères du Sénat, le 25 mars 2025, à Washington. (Kevin Dietsch / Getty Images)

Le candidat choisi par Donald Trump pour le poste d’ambassadeur en Israël, Mike Huckabee, islamophobe notoire et nationaliste chrétien, a été confirmé par le Sénat. Précédemment gouverneur de l’Arkansas, Huckabee a déclaré lors de la campagne de 2008 : « Il y a les Arabes et les Perses, et c’est vraiment complexe. Mais il n’y a rien de tel [qu’un Palestinien]. Il s’agit d’un outil politique pour tenter d’arracher des terres à Israël ».

Nous entendons constamment parler du sionisme juif, et ce pour une bonne raison : c’est la justification idéologique d’Israël durant des décennies de colonialisme de peuplement et de nettoyage ethnique en Palestine. Mais il existe une autre forme de sionisme qui règne aux États-Unis : Le sionisme chrétien, une idéologie politique à l’origine d’une grande partie de la répression actuelle que pratique l’administration Trump contre l’activisme palestinien sur les campus et de son soutien au génocide commis à Gaza par Israël.

Au fondement du sionisme chrétien on trouve la croyance qui veut qu’Israël d’aujourd’hui soit la continuation du territoire de l’Israël biblique. La Palestine sera « rendue » aux Juifs, puis le Christ reviendra en Terre sainte et déclenchera la fin des temps. Ce qui se passera ensuite fait l’objet de plusieurs interprétations différentes, mais le consensus parmi les sionistes chrétiens est que seuls les chrétiens seront sauvés de l’enfer. En d’autres termes, les sionistes chrétiens soutiennent l’État d’Israël comme un moyen de parvenir à une fin, une fin qui d’ailleurs n’est pas ce qu’on appellerait hospitalière pour le peuple juif.

Le choix de Donald Trump pour le poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, sera probablement l’ajout le plus récent à la liste qui s’allonge des de sionistes chrétiens au sein du cabinet de Trump. Lors de son audition au Sénat mardi, il a réaffirmé les racines de son lien avec Israël et le sionisme : « Nous sommes en définitive des héritiers du livre. Nous croyons en la Bible. Par conséquent, ce lien n’est pas géopolitique. Il est également spirituel. »

Dans un discours prononcé en 2017 lors de sa visite aux colonies en Cisjordanie occupée, il a déclaré :

Il y a des mots que je refuse d’utiliser. Il n’y a rien de tel que la « Cisjordanie ». C’est la Judée et la Samarie. Il n’y a rien de tel que la « colonie ». Ce sont des communautés. Des quartiers. Ce sont des villes. Il n’y a rien de tel que l’« occupation ».

Cette rhétorique trouve ses racines dans le mouvement plus large du sionisme chrétien, qui compte des organisations telles que les chrétiens unis pour Israël (en anglais CUFI), un groupe qui entretient des liens étroits avec Huckabee. Le CUFI a été fondé en 2006 par le pasteur John Hagee, l’un des télévangélistes les plus puissants d’Amérique. Aujourd’hui, le groupe compte plus de dix millions de membres et dispose d’une machine politique bien huilée qui sert à influencer la politique américaine et les politiciens concernant de nombreux sujets, mais Israël est au premier plan.

Avec Donald Trump, le CUFI a fait de grands progrès, s’attribuant le mérite de plusieurs projets bellicistes de la première administration Trump, notamment l’annexion par Israël du plateau du Golan, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la réduction de l’aide à l’UNRWA, l’organisme des Nations unies chargé d’aider les réfugiés palestiniens.

John Hagee au Capitole le 18 juillet 2007, lors de la conférence annuelle du CUFI. (Paul Wharton / CUFI via Wikimedia Commons)

Hagee a fait les gros titres en 2018 lorsqu’il a été invité par Trump à l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem. Lors de la cérémonie, Hagee a parlé de l’importance de Jérusalem pour les sionistes chrétiens, déclarant que c’était la ville « où le Messie viendra et établira un royaume qui ne finira jamais ». Il a omis de mentionner avec précision ce que la prophétie à laquelle il se réfère prévoit pour les juifs..

Le pasteur Robert Jeffress, l’une des figures les plus en vue du sionisme chrétien aux États-Unis, a prononcé la prière d’ouverture lors de l’inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem en 2018 : « Père, nous sommes […] reconnaissants quand nous pensons à [la fondation de l’État d’Israël en 1948], lorsque tu as accompli ce que nous annonçaient les prophètes depuis des milliers d’années et que tu as de nouveau rassemblé ton peuple sur cette Terre promise ».

Tout cela peut paraître idiot et fantaisiste. Mais cette idéologie est soutenue par le pouvoir et l’argent et a un impact très réel sur la vie de dizaines de millions de personnes.

Le sionisme chrétien est un groupe politique très organisé et institutionnalisé dont on trouve les origines au début du XIXe siècle, bien avant la fondation du sionisme juif. Profondément lié à l’impérialisme européen, le sionisme chrétien est monté en puissance. Des personnalités comme Lord Arthur Balfour, par exemple, qui a publié en 1917 la déclaration Balfour promettant la Palestine aux colons sionistes, ont été fortement influencées par le sionisme chrétien.

À plusieurs reprises, Jeffress a exprimé ouvertement des opinions islamophobes et antisémites. Il a qualifié l’islam de « fausse religion ». Dans un sermon prononcé en 1990, Hagee a fait allusion à l’Holocauste comme faisant partie du projet de Dieu pour ramener le peuple juif « sur la terre d’Israël ».

Et on ne parle pas ici de seulement un petit groupe d’individus racistes avec des télévangélistes célèbres à leur tête. Les sionistes chrétiens auto-identifiés représentent environ 30 millions de personnes selon une estimation universitaire, soit une part importante du bloc de vote plus important et influent des chrétiens évangéliques. Nombreux sont ceux qui ont attribué la décision de Trump de déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem en 2017 à son énorme base électorale chrétienne sioniste.

À certains égards, il n’est pas surprenant qu’Israël et ses partisans ne parlent pas davantage du sionisme chrétien. Comment parler d’un mouvement fanatique qui veut le succès d’Israël dans le but d’accomplir une prophétie chrétienne qui prévoit l’anéantissement des non-chrétiens tels que les Juifs ? Cela ne va guère dans le sens de l’un des principaux arguments de propagande d’Israël : Israël est le seul havre de paix pour le peuple juif.

« Dans la plupart des cas, le sionisme chrétien est présenté de manière caricaturale et ses croyances théologiques sont considérées comme farfelues et fantasques, ce qui permet à certains de considérer le mouvement comme marginal et ne méritant pas d’être pris au sérieux », déclare Ben Lorber, analyste politique majeur chez Political Research Associates. « Plus fondamentalement, les mouvements de gauche cherchent encore à comprendre et à s’opposer au nationalisme chrétien, dont le sionisme chrétien est l’expression en matière de politique étrangère. »

Au sein du gouvernement israélien, des hommes politiques de premier plan ont reconnu l’importance du mouvement évangélique grandissant aux États-Unis, lequel constitue une cible privilégiée pour renforcer le soutien à l’occupation israélienne.

L’ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis et actuel ministre israélien des affaires stratégiques, Ron Dermer, a déclaré lors d’une interview en 2021 : « Environ 25 % [des Américains] – certains pensent davantage – sont des chrétiens évangéliques. Moins de deux pour cent des Américains sont juifs. […] Si l’on s’en tient aux chiffres, on devrait donc consacrer beaucoup plus de temps à la sensibilisation des chrétiens évangéliques qu’à celle des juifs. »

Il a poursuivi en expliquant pourquoi les évangéliques constituaient un public important : « [Il est] très rare d’entendre les évangéliques critiquer Israël, [contrairement aux juifs américains qui sont] de manière disproportionnée parmi nos détracteurs. » Le 20 février dernier, Dermer s’est envolé pour Washington afin de rencontrer Trump concernant les plans de celui-ci pour Gaza.

Jonathan Brenneman, un des responsables nationaux de Christians for Palestine, une organisation qui s’efforce de sensibiliser et de mobiliser les églises partout aux États-Unis concernant la question de la Palestine et les dangers du sionisme, décrit le sionisme chrétien comme « l’influence la plus sous-estimée de la politique américaine au Moyen-Orient. C’est tout à la fois un pilier du programme nationaliste chrétien blanc d’extrême droite mais aussi mais aussi un groupe d’adeptes que l’on trouve dans presque toutes les congrégations américaines, même lorsqu’il s’agit de confessions progressistes ».

Alors que les bombes pleuvent sur les médecins et les journalistes de Gaza, un autre objecteur du droit à l’existence des Palestiniens aurait dû être nommé au sein du gouvernement américain.

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Sumaya Awad est directrice de la stratégie et de la communication d’Adalah Justice Project et coéditrice de Palestine : A Socialist Introduction (Haymarket Books).

Source : Jacobin, Sumaya Awad, 27-03-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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