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29.août.202429.8.2024 // Les Crises

Le Parlement européen durcit les lignes vis à vis de l’Iran

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Bien que le nouveau président du pays ait exprimé sa volonté de renouer avec l’Occident, la délégation du Parlement européen pour les relations avec l’Iran ne semble pas intéressée.

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Alors que le président de l’Iran, Massoud Pezeshkian, fait savoir qu’il est prêt à renouer avec l’Occident, le Parlement européen nouvellement élu semble s’orienter de plus en plus vers une politique belliciste de la corde raide. [La politique de la corde raide (ou stratégie du bord de l’abîme, en anglais brinkmanship) est l’approche diplomatique qui consiste à maintenir un équilibre précaire et fragile entre les parties en conflit, sans jamais abandonner ni céder sur les principaux points de tensions, NdT] C’est ce que l’on peut conclure de la nomination de Hannah Neumann, législatrice allemande appartenant au groupe des Verts, à la présidence de la délégation du Parlement européen pour les relations avec l’Iran au sein de l’assemblée. À moins d’un improbable coup de théâtre majeur, elle sera officiellement confirmée à ce poste lorsque l’assemblée se réunira après la pause estivale.

Selon les règles du Parlement européen, les délégations parlementaires ont pour mission d’entretenir et d’approfondir les relations avec les parlements des pays non membres de l’UE. Elles ne sont pas les organes les plus influents de l’UE. Néanmoins, elles peuvent constituer un canal de communication précieux avec les pays tiers, en particulier lorsque les relations officielles sont tendues, comme c’est le cas avec l’Iran. Mais elles peuvent aussi devenir un espace de revendications à l’encontre de ces pays, contribuant ainsi à façonner des narratifs défavorables et à forger un contexte politique préjudiciable à une diplomatie fructueuse.

Neumann n’est pas une nouvelle venue en ce qui concerne le dossier iranien. Il reste à voir comment elle appréhendera son nouveau poste, mais si l’on se fie à ses activités passées, il faut s’attendre à une attitude plutôt hostile.

Membre des Verts allemands, qui est aussi le parti auquel appartient la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, Neumann n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du gouvernement iranien. Elle a systématiquement milité pour que le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) [organisation paramilitaire iranienne créée en 1979 qui a pour mission de défendre le système de la République islamique, NdT] soit inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’UE – une mesure à laquelle s’est opposé l’ancien haut représentant de l’UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, pour des raisons juridiques. Sur le plan politique, l’inscription sur la liste noire d’une force de sécurité officielle de l’Iran risque de provoquer davantage de tensions dans les relations de l’UE avec Téhéran. Lorsque Kaja Kallas, ancienne première ministre estonienne, a succédé à Borrell, Neumann l’a vivement encouragée à prendre cette mesure, même si celle-ci devra être approuvée à l’unanimité de tous les États membres pour être effective.

Lors d’une intervention particulièrement virulente, dans la foulée de la campagne du mouvement « Femme. Vie. Liberté » en Iran [mouvement de protestation qui a émergé en Iran après la mort de Mahsa Amini en 2022. Ce slogan a été repris par les manifestants iraniens pour dénoncer la répression et les discriminations subies par les femmes sous le régime iranien, NdT], Neumann a dénoncé l’an dernier l’engagement diplomatique de Borrell auprès de Téhéran en l’appelant à « cesser de soutenir un régime politique brutal alors même que le peuple iranien est prêt à mourir pour le faire tomber ». Lors d’un débat en avril, à la suite d’échanges de frappes entre Israël et l’Iran, elle a évoqué la nécessité de construire une architecture de sécurité régionale pour mettre fin au cycle de l’escalade, tout en semblant blâmer principalement l’Iran et ses alliés pour celui-ci. Bien qu’elle ait condamné, à juste titre, la frappe iranienne sur Israël, elle n’a pas mentionné la frappe meurtrière israélienne sur le complexe diplomatique de Téhéran à Damas, qui avait provoqué la riposte de l’Iran en premier lieu.

Alors que Hannah Neumann a fustigé le manque de représentation démocratique de la République islamique, son zèle pro-démocratique a été nettement moins manifeste lors de son mandat à la présidence de la délégation du Parlement européen pour les relations avec la péninsule arabique (2019-2024), qui régit les liens avec tous les pays du golfe Persique. En 2021, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les violations des droits humains aux Émirats arabes unis (EAU), dont une clause invitait l’UE à boycotter l’Expo 2020 [Exposition universelle, NdT] à Dubaï pour exprimer la désapprobation à l’égard de la politique répressive d’Abou Dhabi. Néanmoins, Neumann s’est rendue à l’Expo, ce qui constituait une violation flagrante de la position du Parlement, soutenue à une écrasante majorité par son propre groupe politique.

Neumann a fait l’éloge du défunt président des EAU, Cheikh Khalifa bin Zayed al-Nahyan, pour avoir fait entrer les EAU dans « une ère de croissance et de modernisation sans précédent » sans mentionner d’aucune façon le bilan du pays en matière de droits humains, alors même qu’elle s’en prenait à Josep Borrell, au président du Conseil de l’UE Charles Michel et au commissaire à l’aide humanitaire Janez Lenarcic pour avoir respecté le protocole diplomatique habituel voulant qu’ils présentent leurs condoléances pour la mort du président iranien Ebrahim Raisi tué dans un accident d’hélicoptère, il y a deux mois.

Neumann a comparé la collaboration avec les pays arabes du Golfe à un exercice d’équilibriste diplomatique, soulignant la nécessité de trouver un équilibre entre les préoccupations relatives aux droits humains et les autres intérêts, tels que le changement climatique, les droits des femmes, la coopération économique, etc. C’est une démarche sensée. Toutefois, il ne semble pas qu’elle soit prête à adopter le même état d’esprit dans les relations avec l’Iran. De fait, elle a accueilli sa nomination en tant que présidente de la délégation pour l’Iran en mettant l’accent sur la « lutte pour un Iran démocratique et libre ».

Une telle rhétorique risque à tout le moins de transformer la délégation en une véritable caisse de résonance où l’on ressasse en permanence les même arguments sur la nocivité du régime iranien et sur la nécessité de le renverser. Cela peut fonctionner sur les médias sociaux et offrir un sentiment de satisfaction morale, mais il est peu probable que cela permette une compréhension plus nuancée des réalités iraniennes. Concrètement, la délégation ne serait probablement pas la bienvenue à Téhéran pour y rencontrer ses homologues du Majles iranien, ce qui est l’une de ses missions principales. Dans le passé, de telles visites ont eu lieu de manière assez régulière, ce qui n’a jamais empêché les eurodéputés y participants d’exprimer des opinions tranchées sur les droits humains et sur d’autres aspects de la politique iranienne. Hannah Neumann a toutefois semblé dénier toute légitimité au parlement iranien actuel, élu au printemps dernier.

En tant qu’organisateur et participant de nombreuses initiatives de ce type dans le passé, je peux affirmer sans hésiter que ces visites mutuelles contribuent à instaurer la confiance, à mieux comprendre les points de vue de l’autre partie – sans nécessairement être en accord avec ceux-ci – et, en fin de compte, à élargir l’espace diplomatique. Contrairement aux critiques de Neumann et de nombreux autres eurodéputés quant à une ouverture diplomatique vers l’Iran, la vérité est qu’au cours des 45 dernières années, il n’y a jamais eu trop de diplomatie, mais plutôt pas assez. Fermer l’un des canaux existants, à un moment où Téhéran fait preuve de plus de souplesse à l’égard de l’Occident, en particulier de l’Europe, ne serait pas judicieux et contribuerait à affaiblir le poids diplomatique de l’UE.

Eldar Mamedov, expert en politique étrangère, vit à Bruxelles.

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Savonarole // 29.08.2024 à 14h21

Vert Allemand c’est ce truc entre le kaki et le feldgrau ? J’ai bon ?
Ha les « Grünnen », parfumées à l’eau de Lignite, épilées au rasoir de Hanlon, maquillées à la peshblend , infoutues de se faire élire ailleurs que dans des scrutins de liste et systématiquement nominées en application stricte et disciplinée du principe de Peter… qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
Le profil type c’est une nana dans la trentaine qui a fait du droit publique avec une bourse Fulbright et toute sa carrière dans l’administration d’un Länder avant de se voir catapultée dans un cabinet ministériel fédéral puis vers de plus hautes fonctions encore : le résultat ferait presque passé nos Enarches « courre des comptes » pour des surdoués.
Bref , il n’y a que l’UE pour se vautrer vonlontairement dans tant de médiocrité et forcement les résultats sont à l’avenant … à se demander si c’est un but en soi : pour éviter l’aristocratie , faisons donc une idiocratie peuplée de molusques hermaphrodites (no brain , no spine , no balls.).
Ça va bien aller :).

7 réactions et commentaires

  • landstrykere // 29.08.2024 à 09h01

    Ceux qui ont la cinquainte et plus se souviendront que l’une des lignes directrices de la propagande en vue du passage de la CEE à l »UE était l’insistance sur une fonction centrale de colloboration intra-européenne et de pacifisme.
    Avant même la formalisation officielle vers 2007 de la nouvelle structure supra-nationale non démocratique (contre les référendums) l’Allemagne envoyait ballader la paix en insistant et contribuant à un démantèlement forcé par les armes de la Fédération Yougoslave. Il est ironique que le rôle de la Serbie dans cette fédération était dénoncé alors que depuis les mêmes veulent imposer le carcan fédéral UE encore plus contraigant aux Balkans. Bref la « démocratie »…

    Et sinon depuis sa formation achevée l’UE n’arrête pas de se mêler des affaires des autres en exigeant qu’ils se plient à des directives bruxelloises.
    Au passage quand un article au sujet de l’arrestation de Elon Musk? Euh, je veux dire, de Pavel Dourov…

    Les EAU sont mentionnés, mais PAS la Saoudie. Les tas de vidéos de touristea en Iran, sur Youtube, montrent les femmes ayant un degré de liberté plus grands en Iran qu’en Saoudie.

    Le nouveau président iranien plus enclin vers « l’Occident » ? En langue UE celà signife: il doit faire comme on lui dit. Ce qui ne risque pas d’arriver. Il est plutôt plus « chinois » dans son approche.
    L’Iran est dans une union commerciale et militaire avec la Russie et dans les BRICS. L’UE exige le respect de sa structure mais refuse les autres organisations et veut l’affrontement.
    Ou comment se rendre irrélévant.

  • Xettoise // 29.08.2024 à 10h58

    C’est absolument incroyable ! exactement la même histoire se reproduit comme avec la Russie depuis le mémorandum de Budapest. Poutine a proposé à plusieurs reprises d’avoir des liens avec l’Occident, au tout début, il a suggéré l’adhésion à l’OTAN et maintenant l’Ukraine que l’on connaît, et chaque fois c’est l’Occident Qui refuse. Et après, on ira pleurer que ces pays se tournent définitivement vers l’est. Cela n’est pas du complotisme tous tes documentés, il suffit de cliquer Google.

    • Fritz // 29.08.2024 à 15h25

      Ce mot de « complotiste » est ridicule. S’agit-il d’un partisan des complots, comme le robespierriste est un partisan de Robespierre, et le bonapartiste un partisan de Bonaparte ? Non : sans même prendre la peine de définir ce terme, on sous-entend : un maniaque obsédé par les complots.

      Il est piquant de constater :
      1) Que bien souvent, les dissidents traités de « complotistes » par les FPU (Flics de la Pensée Unique) n’allèguent aucun complot, réel ou imaginaire ;
      2) Inversement, ceux qui manient cette arme rhétorique (qui n’est pas un argument, mais un anathème) échafaudent à l’occasion des théories du complot invraisemblables (exemple : en 2016, la victoire de Trump sur Hillary Clinton s’explique par « l’ingérence russe »).

      Quant à Vladimir Poutine, il avait envisagé sérieusement, en 2000 et 2001, une adhésion de la Russie à l’OTAN (!), ce que lui avait justement reproché Guennadi Ziouganov, candidat du Parti communiste de Russie.

      Notre malheur, et d’abord celui de l’Ukraine, vient de la non-dissolution de l’Alliance atlantique et de l’OTAN en 1990 ou 1991. Le Pacte de Varsovie, lui, s’est dissous, et toutes les bases soviétiques dans les démocraties populaires ont été fermées.

      • Xettoise // 30.08.2024 à 10h18

        Parfaitement exact et documenté ! tout ce que vous dites juste. Par peur des responsabilités ou par lâcheté , la majorité de la population occidentale est dans le déni traumatique et plus la situation est grave plus le déni est grand . Il est tout à fait juste que Poutine avait suggéré une adhésion à l’OTAN permettant ainsi de former un bloc EurAsiatique de l’Atlantique à l’Oural permettant ainsi de faire un contrepoids économique et politique avec les deux autres blocs existants. Il était hors de question pour les US d’accepter cette situation. Plus cette population sans mémoire historique retarde l’échéance, plus La vérité sera dure à appréhender. La règle de vie intangible est qu’il faut savoir affronter les choses, honnêtement objectivement et courageusement. Pas de façon manichéenne

  • Savonarole // 29.08.2024 à 14h21

    Vert Allemand c’est ce truc entre le kaki et le feldgrau ? J’ai bon ?
    Ha les « Grünnen », parfumées à l’eau de Lignite, épilées au rasoir de Hanlon, maquillées à la peshblend , infoutues de se faire élire ailleurs que dans des scrutins de liste et systématiquement nominées en application stricte et disciplinée du principe de Peter… qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
    Le profil type c’est une nana dans la trentaine qui a fait du droit publique avec une bourse Fulbright et toute sa carrière dans l’administration d’un Länder avant de se voir catapultée dans un cabinet ministériel fédéral puis vers de plus hautes fonctions encore : le résultat ferait presque passé nos Enarches « courre des comptes » pour des surdoués.
    Bref , il n’y a que l’UE pour se vautrer vonlontairement dans tant de médiocrité et forcement les résultats sont à l’avenant … à se demander si c’est un but en soi : pour éviter l’aristocratie , faisons donc une idiocratie peuplée de molusques hermaphrodites (no brain , no spine , no balls.).
    Ça va bien aller :).

    • La Mola // 29.08.2024 à 21h04

      dommage qu’un certain nombre de vos références l’échappent ! (je suis plutôt hispano-centrée ;))
      mais je vous rejoins sur ces « grunnen » adeptes de la « concurrence mondialisée » et du complexe militaro-industriel OTANesque comme « valeurs » cardinales

      • Savonarole // 30.08.2024 à 18h44

        Voici un petit lexique.
        – Feldgrau : « vert de gris » couleur de l’uniforme de la Vermacht de 1870 à 1945
        – Die Grünnen : la version allemande de EELV
        – Lignite : charbon brun , le truc avec lequel les fritz font leur éléctricité depuis que North Stream a mystérieusement pété. Tellement poluant que normalement on le « coke » pour en extraire les poluants type métaux lourds avant de le cramer … mais les éléctriciens Allemands non. C’est trop cher !
        – Rasoir de Hanlon : « Ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer. »
        – Peshblende : « fausse poisse », Minerais découvert en Bohème : constituant principal des minerais d’uranium pour l’industrie nucléaire.
        – Principe de Peter : « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence ».
        – Bourse Fulbright : Bourse d’étude payée par le département d’état des USA sans aucune arrière pensée :).
        – Idiocratie : Gouvernement dirigé par les plus cons … très actuelle comme notion.

        En éspérant que ça aide 🙂

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