Dans leur nouveau livre, Jackson et Brenes affirment que Washington doit abandonner l’état d’esprit primaciste.
Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Il existe à Washington un consensus bipartisan sur la Chine qui s’est formé au cours des quinze dernières années. Les membres des deux partis n’hésitent pas à lier leurs politiques préférées à la cause de la « compétition » avec le gouvernement chinois, et nos dirigeants politiques sont très enclins à exagérer les ambitions et les capacités chinoises.
La rivalité avec la Chine est devenue une nouvelle justification fourre-tout pour l’augmentation des dépenses militaires, la modernisation nucléaire, le renforcement de la présence militaire américaine dans le Pacifique et l’établissement de liens plus étroits avec les voisins de la Chine.
Pour promouvoir la rivalité avec la Chine, les analystes faucons ont répandu un mythe commode sur la Guerre froide qui ignore les coûts importants pour la société américaine et pour les nombreux pays qui ont été dévastés par les interventions directes et les guerres par procuration. Selon ce mythe triomphaliste, les États-Unis ont « gagné » la Guerre froide contre les Soviétiques et, ce faisant, sont devenus plus forts et plus unis en tant que nation, et ils peuvent maintenant faire la même chose en poursuivant leur rivalité avec la Chine.
Dans leur nouveau livre, « The Rivalry Peril : How Great-Power Competition Threatens Peace and Weakens Democracy » [Le péril de la rivalité : comment la compétition entre grandes puissances menace la paix et affaiblit la démocratie, NdT], Van Jackson et Michael Brenes démystifient les mythes triomphalistes de la Guerre froide et nous rappellent à quel point la dernière expérience américaine en matière de rivalité entre grandes puissances a été destructrice et mortelle. Comme ils le disent, « les rivalités entre grandes puissances au cours de l’histoire, et en particulier pendant la Guerre froide, ont entraîné des brutalités massives, des sacrifices et des dangers supportés de manière disproportionnée par les citoyens ordinaires plutôt que par les élites. »
Jackson et Brenes remettent directement en question le consensus « faucon » émergeant sur la Chine et exposent les coûts élevés et les dangers de la poursuite de la rivalité avec la Chine. Ils s’opposent également à l’inflation irresponsable des menaces et aux discours alarmistes sur les intentions de la Chine. Il s’agit d’une intervention cruciale et précieuse dans le débat sur la politique chinoise et, plus généralement, sur l’orientation de la politique étrangère des États-Unis, que les Américains de toutes tendances politiques gagneraient à lire.
Les anti-Pékin voudraient nous faire croire que les États-Unis devraient s’engager dans une lutte mondiale coûteuse contre un adversaire majeur et que cela permettrait de faire ressortir le meilleur de notre pays et d’apaiser les divisions politiques existantes. Comme le disent les auteurs, « l’idée que la compétition fait ressortir le meilleur d’une nation est romantique, mais erronée. La politique américaine est devenue encore plus conflictuelle et caustique à l’ère de la rivalité avec la Chine. La Chine apparaît comme un objet qui alimente cette polarisation, au lieu de l’améliorer. »
Le mythe des faucons minimise ou efface également les abus et les destructions causés par les politiques de la Guerre froide, et il présente une compétition militarisée qui a failli détruire le monde comme quelque chose à imiter et à répéter.
Or, comme le montre le bilan complet de l’histoire de la Guerre froide, une rivalité intense et prolongée avec une autre grande puissance exacerbe les divisions politiques internes, alimente les préjugés toxiques et conduit à bafouer les droits des minorités et des dissidents. La rivalité n’apporte pas les biens politiques promis par ses partisans et menace de détruire ce qui reste de notre système démocratique. En outre, elle rend beaucoup plus probable une guerre catastrophique entre les États-Unis et la Chine.
Les auteurs expliquent également comment la rivalité entre les États-Unis et la Chine contribue à la concentration des richesses et à l’aggravation des inégalités économiques dans les deux pays. La rivalité alimente la consolidation de l’oligarchie des deux côtés du Pacifique, et l’augmentation des dépenses militaires détourne et gaspille des ressources qui pourraient être utilisées à des fins plus productives et pacifiques. Une minorité relative au sommet de la hiérarchie bénéficie d’une rivalité militarisée entre nos deux pays, tandis que la plupart des habitants des États-Unis et de la Chine sont constamment lésés. Comme le soulignent Jackson et Brenes, « la rivalité ne donne pas seulement du pouvoir à ceux qui en ont déjà, elle marginalise encore plus ceux qui n’en ont pas. »
La rivalité entre grandes puissances attise inévitablement le nationalisme, tant en Chine qu’aux États-Unis. Les nationalistes des deux camps utilisent la peur de l’adversaire pour soutenir une politique étrangère de confrontation et pour étouffer les dissidents. La rivalité encourage également les deux gouvernements à présumer le pire quant aux intentions de l’autre et à se montrer réticents à s’engager dans quoi que ce soit d’autre que les échanges diplomatiques les plus élémentaires.
Si l’un des principaux fondements de la paix en Asie au cours des quatre dernières décennies a été la détente sino-américaine, comme Jackson l’a fait valoir à juste titre dans son précédent ouvrage intitulé « Pacific Power Paradox » [Le paradoxe de la puissance pacifique, NdT], la rupture de cette détente et la profonde méfiance qui s’en est suivie entre nos gouvernements ont rapproché nos pays et l’ensemble de la région d’un conflit désastreux comme ils ne l’ont jamais été depuis des générations.
C’est exactement le moment où nous avons besoin que les deux gouvernements répudient la rivalité comme cadre de leurs politiques plutôt que de l’adopter.
Jackson et Brenes font un excellent travail en démontant les arguments en faveur de la rivalité, mais ils proposent également une alternative convaincante que les partisans de la retenue devraient trouver attrayante. Une partie de la solution consiste à abandonner la recherche de la primauté. Comme Jackson et Brenes l’expliquent clairement, c’est la quête de primauté de Washington qui est en contradiction flagrante avec les réalités politiques et économiques de l’Asie et du Pacifique, et c’est cette quête de primauté qui est déstabilisante.
Pour rectifier le tir, « les États-Unis doivent renoncer à leurs ambitions de primauté et œuvrer à un équilibre stable avec la Chine et d’autres acteurs régionaux. » Ils recommandent que les États-Unis adoptent la retenue militaire associée à ce qu’ils appellent une sensibilité au dilemme de sécurité. Cette sensibilité est « la capacité de comprendre le rôle que la peur peut jouer dans leurs attitudes et leur comportement, y compris, de manière cruciale, le rôle que ses propres actions peuvent jouer en provoquant cette peur. »
En bref, les décideurs politiques américains doivent tenir compte de la manière dont les dirigeants chinois perçoivent les actions des États-Unis et essayer de comprendre comment les politiques américaines conduisent les Chinois à réagir à ces actions.
La rivalité entre les États-Unis et la Chine a été largement acceptée à Washington comme le cadre approprié pour les politiques américaines en Asie et au-delà. Cela a mis la politique étrangère américaine sur la voie périlleuse d’une nouvelle Guerre froide. Les États-Unis ne sont pas condamnés à suivre cette voie. Il est encore temps pour les États-Unis de prendre une meilleure direction, plus pacifique, mais cela nécessite de reconnaître à quel point la rivalité entre grandes puissances est vraiment ruineuse et de réaliser que les États-Unis ont besoin d’une stratégie différente.
Le livre « The Rivalry Peril » est une contribution importante pour imaginer à quoi pourrait ressembler cette stratégie.
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Daniel Larison est chroniqueur régulier à Responsible Statecraft, rédacteur en chef adjoint à Antiwar.com et ancien rédacteur en chef du magazine The American Conservative. Il est titulaire d’un doctorat en histoire de l’université de Chicago. Il écrit régulièrement pour sa lettre d’information, Eunomia, sur Substack.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 03-02-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Menaces chinoises , iraniennes ou russes hypothétiques, ou menaces des hommes mis en place en Occident, bien plus réelles de détruire ce qui reste de notre système démocratique tout en exploitant les dernières richesses des ‘ressources internes’ comme l’épargne, les patrimoines nationaux et individuels… la privatisation de tous les services publics et de la sécurité sociale ??! …Je l’ignore mais je pense bien que des BlackRock, Vanguard et State Street ou autres Capital Research and Management Company investissent déjà dans ces perspectives…
3 réactions et commentaires
Menaces chinoises , iraniennes ou russes hypothétiques, ou menaces des hommes mis en place en Occident, bien plus réelles de détruire ce qui reste de notre système démocratique tout en exploitant les dernières richesses des ‘ressources internes’ comme l’épargne, les patrimoines nationaux et individuels… la privatisation de tous les services publics et de la sécurité sociale ??! …Je l’ignore mais je pense bien que des BlackRock, Vanguard et State Street ou autres Capital Research and Management Company investissent déjà dans ces perspectives…
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AlerterPartout, depuis toujours, les menaces extérieures ont servi de prétexte au maintient au pouvoir d’autorités à la légitimité douteuse.
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AlerterOui, cela dit, les États-Unis sont une menace extérieure bien réelle pour la grande partie, voire l’intégralité des autres pays.
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