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9.octobre.20249.10.2024 // Les Crises

Le plan de liquidation du nord de la bande de Gaza gagne du terrain

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Alors que les ministres, les généraux et les universitaires israéliens sont prêts pour une nouvelle phase décisive de la guerre, voici à quoi ressemblerait l’opération « Famine et extermination ».

Source : 972 Magazine, Meron Rapoport
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Soldats israéliens en opération dans la ville de Gaza, le 28 juillet 2024. (Erik Marmor/Flash90)

On parle d’octobre, novembre ou décembre 2024, ou peut-être tout début 2025. L’armée israélienne vient de lancer une nouvelle opération dans tout le nord de la bande de Gaza, nous l’appellerons « Opération Ordre et Nettoyage ». L’armée exige l’évacuation temporaire de tous les résidents palestiniens au nord du corridor de Netzarim « pour leur sécurité personnelle », expliquant que « Tsahal devrait prendre des mesures importantes dans la ville de Gaza dans les prochains jours, et veut donc éviter de nuire aux civils. »

Cet ordre est similaire à celui que l’armée a adressé le 13 octobre 2023 à plus d’un million de Palestiniens vivant dans la ville de Gaza et ses environs à l’époque. Mais il est clair pour tout le monde que cette fois-ci, Israël prépare quelque chose de tout à fait différent.

Si le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant restent très discrets sur les objectifs réels de l’opération, le ministre des Finances Bezalel Smotrich et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, ainsi que d’autres ministres d’extrême droite, les affichent ouvertement. Ils parlent ici d’un scénario que le « Forum des commandants et combattants de réserve », dirigé par le général de division (réserviste) Giora Eiland, a proposé il y a quelques semaines à peine : imposer à tous les habitants du nord de Gaza de partir dans un délai d’une semaine, avant de mettre en place un siège total de la zone, incluant la coupure de toutes les sources d’approvisionnement en eau, en nourriture et en carburant, jusqu’à ce que ceux qui restent se rendent ou meurent d’inanition.

Ces derniers mois, d’autres Israéliens éminents ont également appelé l’armée à procéder à une extermination massive dans le nord de la bande de Gaza. Uzi Rabi, chercheur à l’université de Tel-Aviv, a déclaré lors d’une interview à la radio le 15 septembre : « Délogez toute la population civile du nord, et quiconque y demeurera sera légalement condamné comme terroriste et soumis à un processus de famine ou d’extermination. » En août, selon un rapport de Ynet, des ministres du gouvernement avaient déjà commencé à faire pression sur Netanyahou pour qu’il « nettoie » le nord de la bande de Gaza de ses habitants.

Le plan Rabi-Eiland rejoint par ailleurs une proposition rédigée en juillet par plusieurs universitaires israéliens, intitulée « D’un régime meurtrier à une société modérée : la transformation et la reconstruction de Gaza après le Hamas. » Selon ce plan, qui a été soumis aux décideurs israéliens, la « défaite totale » du Hamas est une condition préalable au lancement d’un processus de « déradicalisation » des Palestiniens de Gaza. « Il est important que l’opinion publique palestinienne comprenne bien la défaite du Hamas », affirment les auteurs du plan, qui ajoutent : « Les premiers secours pourront être apportés dans les zones purgées du Hamas. » L’un des auteurs de la proposition, le Dr Harel Chorev, chercheur principal au Centre Moshe Dayan, où travaille également Rabi, a exprimé son soutien total au plan de privation de nourriture d’Eiland.

Giora Eiland témoigne lors d’une audience de la commission d’enquête civile sur le massacre du 7 octobre, à Tel Aviv, le 8 août 2024. (Avshalom Sassoni/Flash90)

Mais revenons à notre scénario : l’opération « Ordre et nettoyage » démarre et, malgré les ordres d’évacuation de l’armée, quelque 300 000 Palestiniens restent dans les ruines de la ville de Gaza et de ses environs, refusant de partir. Peut-être restent-ils parce qu’ils ont vu ce qui est arrivé à leurs voisins qui sont partis au début de la guerre, croyant qu’il s’agissait d’une évacuation temporaire, et qui, aujourd’hui encore, errent dans les rues du sud de la bande de Gaza sans aucun endroit sûr où s’abriter. Peut-être restent-ils parce qu’ils craignent le Hamas, qui appelle les habitants à refuser les ordres d’évacuation d’Israël. Ou peut-être encore restent-ils parce qu’ils estiment qu’ils n’ont plus rien à perdre.

Quoi qu’il en soit, l’armée impose en une semaine un blocus complet à tous ceux qui restent dans le nord de Gaza. Les combattants du Hamas – le document Eiland estime qu’il en reste 5 000 dans le nord, mais personne n’en connaît vraiment le nombre réel – refusent de se rendre. Sur les chaînes de télévision internationales et les réseaux sociaux, les habitants du monde entier sont témoins de la famine générale qui sévit dans la ville de Gaza. « Nous préférerons mourir plutôt que de partir », disent les habitants aux journalistes.

À la télévision israélienne, les commentateurs ne sont pas convaincus qu’une telle opération sera décisive pour gagner la guerre. Mais ils s’accordent à dire qu’une « campagne de famine et d’extermination » est préférable à l’immobilisme de l’armée à Gaza. Certaines voix dans les studios mettent en garde contre les dommages potentiels pour l’image d’Israël sur le plan international, mais le projet obtient néanmoins le soutien de la majorité de l’opinion publique israélo-juive. Les citoyens palestiniens d’Israël, qui multiplient leurs manifestations contre le génocide, sont arrêtés pour avoir ne serait-ce que publié en ligne des articles sur ce sujet, et la police réprime avec violence les manifestations de la gauche radicale.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken exprime son inquiétude, affirme que Washington est attaché à l’intégrité territoriale de Gaza et à la solution des deux États, et prévient que cette dernière campagne pourrait saboter les négociations en vue d’un accord sur les otages – mais Netanyahou reste impassible. Sous la pression de la droite, qui voit dans l’expulsion des habitants de la ville de Gaza l’occasion de raser complètement la région et de construire des colonies sur les ruines, l’armée entame la phase « d’extermination » décrite par Rabi.

Depuis que l’armée affirme que les civils peuvent quitter le nord de Gaza – bien que les soldats tirent au hasard et tuent les civils palestiniens qui tentent d’évacuer – elle traite toute personne qui reste dans la ville comme un terroriste. Cette stratégie est conforme à ce que le lieutenant-colonel A, commandant de l’escadron de drones de l’armée de l’Air israélienne, a déclaré à Ynet en août dernier à propos de l’opération pour sauver les otages du camp de Nuseirat : « Quiconque ne s’est pas enfui, même s’il n’était pas armé, était, en ce qui nous concerne, un terroriste. Tous ceux que nous avons tués méritaient de l’être. »

Des Palestiniens devant les destructions causées par une opération militaire israélienne dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, le 8 juin 2024. (Khaled Ali/Flash90)

La ville de Gaza est complètement détruite, et au milieu des ruines se trouvent les corps de milliers, voire de dizaines de milliers de Palestiniens. Personne n’en connaît le nombre exact, car la région reste une « zone militaire fermée. » L’opération « Ordre et nettoyage » est couronnée de succès. L’armée, comme le propose le plan Eiland, se prépare à répliquer des opérations similaires à Khan Younis et à Deir al-Balah. En coordination avec les commandants sur le terrain, apparemment sans l’approbation de l’état-major général, la relance du mouvement pour la recolonisation de la bande de Gaza – qui attend dans les coulisses depuis des mois – commence à implanter les toutes premières nouvelles communautés dans les zones qui ont été « purgées » des Palestiniens.

Un scénario probable mais pas inéluctable

Il n’est pas certain que ce scénario se concrétise. Il peut être contrecarré à différents moments : l’armée pourrait faire savoir qu’une occupation totale de la bande de Gaza ne l’intéresse pas, pas plus que le rétablissement d’un gouvernement militaire dans cette région. L’armée est bien convaincue qu’une telle opération à grande échelle pourrait conduire à l’exécution des otages restants, comme cela s’est produit à Rafah, et elle ne veut pas être responsable de leur assassinat. Elle craint également qu’une opération de cette envergure à Gaza ne déclenche une réaction plus forte de la part du Hezbollah, et donc une guerre intense sur deux fronts, voire plus.

En dépit de toute l’indulgence dont l’administration américaine a fait preuve à l’égard des actes génocidaires d’Israël à Gaza – affamant et anéantissant des dizaines de milliers de Palestiniens – la prochaine étape pourrait s’avérer être de trop, même pour le président Joe Biden, qui se dit « sioniste », et pour la candidate à l’élection présidentielle Kamala Harris, qui parle de « souffrances palestiniennes. » Cela pourrait également être l’action qui obligera la Cour internationale de justice (CIJ) à déclarer qu’Israël commet un génocide et qui incitera la Cour pénale internationale (CPI) à délivrer des mandats d’arrêt, et pas seulement à l’encontre de Netanyahou et de Gallant.

Les pays européens, qui ont jusqu’à présent hésité à sanctionner Israël, pourraient bien s’engager à fond. Netanyahou pourrait en conclure que le prix international d’une telle opération sera trop élevé, au mépris des désirs de ses alliés de droite.

Des Israéliens manifestent pour demander la libération des otages de Gaza devant le siège du ministère de la Défense à Tel Aviv, le 14 septembre 2024. (Avshalom Sassoni/Flash90)

La société israélienne peut également constituer un obstacle à la mise en œuvre du plan. Comme l’ont montré les manifestations de masse de ces dernières semaines, une grande partie de la population juive israélienne n’a plus aucune confiance dans les promesses du gouvernement de « victoire totale » à Gaza ou dans l’idée que « seule la pression militaire permettra de libérer les otages. » Sous la pression des familles des otages – qui se sont radicalisées depuis que le Hamas a récemment exécuté six otages dans un tunnel à Rafah – il semblerait que des centaines de milliers d’Israéliens souhaitent non seulement que les otages rentrent chez eux, mais aussi que la guerre soit définitivement derrière eux. Le plan Rabi-Eiland, qui ne manquera pas de prolonger la guerre à Gaza et compromettra probablement le retour des otages restants, pourrait être rejeté par des centaines de milliers de manifestants, précisément pour ces raisons.

Mais il faut cependant admettre que le scénario que j’ai esquissé ci-dessus n’est pas farfelu. Depuis le 7 octobre, la société israélienne a connu un processus accéléré de déshumanisation à l’encontre des Palestiniens et on voit mal l’armée refuser en masse de mener une telle campagne d’extermination, surtout si elle est présentée par étapes : d’abord l’expulsion de la plupart des résidents, puis la mise en place d’un siège, et seulement ensuite l’élimination de ceux qui restent.

Il ne s’agit pas simplement de se venger des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre. Dans la logique dénaturée qui régit la politique israélienne à l’égard des Palestiniens, la seule façon de rétablir la « dissuasion » après l’humiliation militaire du 7 octobre est d’écraser complètement le collectif palestinien, y compris ses villes et ses institutions.

Pour certains, il pourrait être facile de balayer d’un revers de main les propositions israéliennes visant à « finir le travail » dans le nord de Gaza en les qualifiant de grandiloquence génocidaire, peu susceptible d’être mise en œuvre. Mais elles ont été conçues par Eiland, Rabi et d’autres personnes influentes, et pas seulement par les membres du cercle « messianique » de Ben Gvir et Smotrich. Et indépendamment de ce qui se passera dans les mois à venir, le fait même que des propositions ouvertes visant à affamer et à exterminer des centaines de milliers de personnes fassent l’objet d’un débat montre précisément où en est la société israélienne aujourd’hui.

*

Meron Rapoport est rédacteur à Local Call.

Source : 972 Magazine, Meron Rapoport, 17-09-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Sylphe // 09.10.2024 à 10h03

Il y a du pétrole au fond de la mer, en face de Gaza nord !
L’or noir, que de crimes pour ta possession !!!

4 réactions et commentaires

  • Sylphe // 09.10.2024 à 10h03

    Il y a du pétrole au fond de la mer, en face de Gaza nord !
    L’or noir, que de crimes pour ta possession !!!

  • Lt Briggs // 09.10.2024 à 10h21

    « [L’armée israélienne] craint également qu’une opération de cette envergure à Gaza ne déclenche une réaction plus forte de la part du Hezbollah, et donc une guerre intense sur deux fronts, voire plus. »

    L’article original date du 16 septembre, soit la veille des explosions de bipeurs du Hezbollah. Depuis, les données du problème ne sont plus les mêmes. Israël pilonne massivement tout le Liban et le Hezbollah est très affaibli. Ça fait donc une raison de moins de renoncer à mettre en place un plan de type « Famine et extermination ».

    « la relance du mouvement pour la recolonisation de la bande de Gaza – qui attend dans les coulisses depuis des mois – commence à implanter les toutes premières nouvelles communautés dans les zones qui ont été « purgées » des Palestiniens. »

    Ce scénario ne peut se réaliser en l’état. Tout à sa vengeance, l’armée israélienne a rendu la bande de Gaza inhabitable, à tel point qu’il faudra des années pour déblayer les gravats, sans compter les bombes qui n’ont pas explosé : https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20240430-bande-de-gaza-il-faudrait-14-ans-pour-d%C3%A9blayer-et-les-restes-explosifs-menacent-les-civils
    C’est peut-être cette raison qui fera hésiter le gouvernement à recoloniser la zone. A moins qu’une énième enveloppe américaine ne prenne en charge le nettoyage… Que ce soit Trump ou Harris qui soit élu en novembre, le prochain locataire de la Maison blanche se fera un plaisir de signer le chèque.

    La politique du pire continue.

  • DVA // 09.10.2024 à 11h35

    Oui, en effet…l’Etat d’Israël est un outil visant à contrôler l’ensemble de la région, ses ressources immenses et ses points de passage entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe…Gaza, Le Golan,la Cisjordanie, le Liban ne sont que des cibles stationnaires avec un territoire limité…un adversaire qui ne possède pas d’aviation ni de satellites…Ok…Mais les populations de tous les pays du coin sont pour la cause palestinienne…mais pas leurs autorités…Faudrait pas pousser le bouchon trop loin, je crois…

  • cedivan // 09.10.2024 à 14h01

    C’est sans fin. La seule solution, à deux Etats, semble tellement inaccessible que la sortie du tunnel n’est pas pour demain, ni même après-demain. Cette zone concentre tous les ingrédients pour la guerre sans fin. Et c’est ce qui se passe. Tant de haine, de rancoeur, de soif de vengeance, de mépris, on ne voit pas comment ça peut se terminer autrement que par l’affrontement perpétuel.

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