Le rapport de l’inspecteur général sur l’espionnage du FBI en 2016 révèle un scandale d’une ampleur historique : Non seulement pour le FBI mais aussi pour les médias américains – Par Glenn Greewald
Source : The Intercept, Glenn Greenwald, 12-12-2019
TOUT COMME II S’EST AVÉRÉ que l’enquête Mueller s’est terminée sans qu’un seul Américain soit accusé de conspiration criminelle avec la Russie au sujet des élections de 2016, la publication mercredi du rapport tant attendu de l’inspecteur général du ministère de la Justice révèle que des années d’affirmations et de récits majeurs de la part des médias américains étaient de véritables impostures.
Avant d’évaluer la composante médiatique de ce scandale, l’abus de pouvoir flagrant du FBI – sa tromperie en série – est si grave et manifeste qu’il ne demande que peu d’efforts pour le démontrer. En résumé, le rapport de l’IG documente de multiples cas dans lesquels le FBI – afin de convaincre un tribunal de la FISA [United States Foreign Intelligence Surveillance Court, NdT] de l’autoriser à espionner l’ancien agent de campagne de Trump, Carter Page, pendant les élections de 2016 – a manipulé des documents, dissimulé des preuves cruciales pour établir l’innocence et a fait valoir ce qu’il savait être des affirmations peu fiables, voire carrément fausses.
Si vous ne considérez pas comme un scandale majeur le mensonge, la dissimulation de preuves et la manipulation de documents par le FBI dans le but d’espionner un citoyen américain en pleine campagne présidentielle, qu’est-ce qui l’est ? Mais rien de tout cela n’est aberrant : le FBI a toujours son siège dans un bâtiment portant le nom de J. Edgar Hoover – qui a constamment fait chanter des élus avec des dossiers et a essayé de faire chanter Martin Luther King pour qu’il se tue – parce que c’est ce que sont ces agences d’État à la sécurité. Ce sont des factions policières d’État hors de contrôle, pratiquement sans limites, qui mentent, abusent de leurs pouvoirs d’espionnage et de répression, et subvertissent la démocratie et les libertés civiques et politiques de façon systématique.
Dans cette affaire, aucune personne rationnelle ne devrait permettre aux querelles partisanes habituelles de déformer ou de cacher cette grave corruption du FBI. Le rapport de l’IG ne laisse aucun doute à ce sujet. Il regorge de preuves de subterfuges et de tromperies du FBI, tout cela pour persuader un tribunal de la FISA de quelque chose qui n’était pas vrai : ce citoyen américain et ancien responsable de la campagne de Trump, Carter Page, était un agent du gouvernement russe et il fallait donc surveiller ses communications.
Quelques extraits du rapport devraient suffire à mettre fin à tout débat sur son caractère accablant pour les personnes rationnelles. La première partie du rapport de l’IG se concentre sur les mandats obtenus par le DOJ, à la demande du FBI, pour espionner Carter Page au motif qu’il y avait des raisons probables de croire qu’il était un agent du gouvernement russe. L’idée que Page était un agent du Kremlin était une affirmation largement diffusée dans les médias – généralement présentée comme un fait, même si elle n’était pas étayée par des preuves. À la suite de ce récit médiatique, l’enquête Mueller a examiné ces accusations largement répandues, mais a conclu que « l’enquête n’a pas établi que Page avait coordonné ses efforts avec le gouvernement russe pour interférer avec l’élection présidentielle de 2016 ».
Le rapport de l’IG est allé beaucoup plus loin en énumérant une multitude de mensonges et de fausses déclarations du FBI pour tromper le tribunal de la FISA en lui faisant croire qu’il existait des raisons probables de croire que Page était un agent du Kremlin. Le premier mandat de la FISA pour espionner Page a été obtenu lors de l’élection de 2016, après que Page eut quitté la campagne de Trump mais quelques semaines avant la tenue de l’élection.
À propos de la demande de mandat présentée concernant Page, le rapport du GI, selon ses propres termes, « a constaté que le personnel du FBI était loin de respecter l’exigence de la politique du FBI selon laquelle il doit s’assurer que toutes les déclarations factuelles dans une demande de la FISA sont « scrupuleusement exactes » ». Plus précisément, « nous avons identifié de multiples cas dans lesquels les affirmations factuelles invoquées dans la première demande de la FISA étaient inexactes, incomplètes ou non étayées par des documents appropriés, sur la base des informations que le FBI avait en sa possession au moment du dépôt de la demande ».
Il est essentiel de le répéter en raison de sa gravité : nous avons identifié de multiples cas dans lesquels les affirmations factuelles invoquées dans la première demande de FISA étaient inexactes, incomplètes ou non étayées par des documents appropriés, sur la base des informations que le FBI avait en sa possession au moment du dépôt de la demande.
Les détails cités par le rapport du GI sont encore plus accablants. Plus précisément, « sur la base des informations connues du FBI en octobre 2016, la première demande contenait [] sept inexactitudes et omissions importantes ». Parmi ces « inexactitudes et omissions importantes » : le FBI a dissimulé que Page avait travaillé avec la CIA dans le cadre de ses relations avec la Russie et avait informé les responsables de la CIA d’au moins certains de ces contacts après qu’il eut été « approuvé comme « contact opérationnel » » avec la Russie ; le FBI a menti sur le moment et la nature des relations de Page avec la CIA ; il a largement surestimé la valeur et la pertinence des travaux antérieurs de Steele pour le gouvernement américain afin de le rendre plus crédible qu’il ne l’était et a caché au tribunal des raisons sérieuses de douter de la fiabilité de la source principale de Steele.
En outre, la forte dépendance du FBI à l’égard du dossier Steele pour obtenir le mandat de la FISA – un fait que de nombreux journalistes de premier plan en matière de sécurité nationale ont passé deux ans à nier – était particulièrement inquiétante car, comme le dit le rapport de l’IG, « nous avons constaté que le FBI ne disposait pas d’informations corroborant les allégations spécifiques contre Carter Page dans le rapport de Steele lorsqu’il s’est appuyé sur ses rapports dans la première demande de la FISA ou les demandes de renouvellement ultérieures ».
Pour espionner un citoyen américain en pleine campagne électorale, qui venait de travailler sur l’une des deux grandes campagnes présidentielles, le FBI a présenté un torchon non authentifié et peu fiable qu’il n’avait aucune raison de croire et dont il avait toutes les raisons de se méfier, mais il a caché tout cela au tribunal de la FISA, en sachant qu’il devait croire que le dossier Steele était solide avant de donner au FBI l’autorisation d’espionnage qu’il souhaitait.
En 2017, le FBI a décidé de demander la reconduction du mandat de la FISA pour continuer à espionner Page, et l’a demandé et obtenu à trois reprises : en janvier, avril et juin 2017. Non seulement, selon le rapport de l’IG, le FBI a réitéré la totalité de ces « sept inexactitudes et omissions importantes », mais il a ajouté dix autres inexactitudes majeures. Comme le rapport le dit : « En plus de répéter les sept erreurs significatives contenues dans la première demande de la FISA et décrites ci-dessus, nous avons identifié dix autres erreurs significatives dans les trois demandes de renouvellement, sur la base des informations connues du FBI après la première demande et avant un ou plusieurs des renouvellements ».
Parmi les nouvelles tromperies les plus significatives, le FBI a « omis le fait que la principale source de Steele, qu’il a jugée crédible, avait fait des déclarations en janvier 2017 soulevant des questions importantes sur la fiabilité des allégations incluses dans les demandes de la FISA. Par exemple il ou elle ne se souvenait d’aucune conversation avec la personne n°1 au sujet de Wikileaks, et il n’y avait « rien de répréhensible » dans les échanges entre le Kremlin et l’équipe de Trump. Et enfin il ou elle n’avait pas informé Steele en juillet 2016 que Page avait rencontré Sechin. »
En d’autres termes, la propre source clé de Steele a dit au FBI que celui-ci mentait sur ce qu’elle avait dit : un fait évidemment crucial que le FBI a simplement caché à la cour de la FISA parce qu’il savait combien cela serait catastrophique s’il voulait pouvoir continuer à espionner Page. Comme l’indique le rapport, « parmi les dix erreurs supplémentaires les plus graves que nous avons trouvées dans les demandes de renouvellement, le FBI n’a pas informé le DOJ ou le tribunal des incohérences, décrites en détail au chapitre six, entre Steele et sa principale sous-source concernant les rapports utilisés dans les demandes à la FISA ».
Le rapport de l’IG a également révélé que le FBI a caché des informations clés à la cour sur les motivations de Steele : par exemple, il « a omis des informations obtenues de [Bruce] Ohr sur Steele et ses reportages sur les élections, notamment que (1) les rapports de Steele allaient à la campagne présidentielle de Clinton et à d’autres, (2) [Glenn] Simpson de Fusion GPS payait Steele pour discuter de ses rapports avec les médias, et (3) Steele était « souhaitait ardemment que Donald Trump ne soit pas élu et se passionnait pour l’idée qu’il ne soit pas président des États-Unis ».
Si cela ne vous dérange pas d’apprendre que le FBI a trompé à plusieurs reprises et délibérément la cour de la FISA en lui accordant la permission d’espionner un citoyen américain en pleine campagne présidentielle, alors il est pratiquement certain que vous êtes soit une personne sans principes, soit une personne qui ne se soucie que des avantages partisans et non des libertés civiles fondamentales et de l’État de droit, soit les deux. Il est tout simplement impossible pour toute personne de bonne foi de lire ce rapport de l’IG et d’arriver à une conclusion autre que celle selon laquelle il s’agit d’un autre cas où le FBI abuse de son pouvoir de manière grave pour subvertir et miner la démocratie américaine. Si cela ne vous intéresse pas, qu’est-ce qui vous intéresse ?
* * * * *
Mais les révélations du rapport de l’IG ne sont pas simplement un scandale massif du FBI. Elles sont aussi un scandale médiatique massif, car elles révèlent qu’une grande partie de ce que les médias américains ont prétendu avec autorité sur toutes ces questions pendant plus de deux ans est complètement faux.
Depuis l’investiture de Trump, une poignée de commentateurs et de journalistes – dont je fais partie – ont tiré la sonnette d’alarme sur la tendance très dangereuse des organes d’information à ne pas se contenter de répéter l’erreur de la guerre en Irak en s’appuyant aveuglément sur les affirmations des agents de sécurité de l’État mais, bien pire, à les employer maintenant dans leurs salles de rédaction pour façonner l’actualité. Comme l’écrivait Jack Shafer, spécialiste des médias de Politico, en 2018, dans un article intitulé « Les espions qui sont entrés dans le studio de télévision » :
Autrefois, les meilleurs espions américains terminaient leurs missions à la CIA ou dans l’une des autres agences de Washington et passaient à des activités plus ordinaires. Certains ont écrit leurs mémoires. L’un d’entre eux s’est présenté aux élections présidentielles. Un autre est mort quelques mois après avoir abandonné son poste. Mais le retraité de l’establishment de sécurité nationale d’aujourd’hui a une toute autre stratégie. Après tant d’années de bagarres dans l’ombre, il aspire à une seconde carrière lucrative aux yeux du public. Il suit un cours accéléré sur la prise de parole dans des clips sonores, rafraîchit sa garde-robe et signe un contrat pour un journal télévisé. Puis, plusieurs fois par semaine, il attend qu’une limousine de la chaîne le conduise aux studios d’information où, après un léger saupoudrage de fond de teint et un peu de laque, il joue le second rôle dans les émissions du soir des présentateurs…
L’inconvénient de l’externalisation de la couverture de la sécurité nationale aux espions de la télévision est évident. Ils ne sont pas là pour faire de l’information ou révéler des secrets. Leur première loyauté – et ce n’est pas un reproche – est envers l’agence dont ils sont issus. Imaginez une chaîne de télévision couvrant l’industrie automobile à travers les yeux de dizaines d’anciens cadres salariés de l’industrie automobile et vous commencerez à comprendre les particularités de notre temps.
Dans un monde télévisuel parfait, les chaînes retireraient les espions à la retraite de leur liste de personnels et réaffecteraient ces sommes à l’embauche de reporters indépendants pour couvrir le terrain de la sécurité nationale. Que les espions de la télévision deviennent des sources anonymes non rémunérées, car au fond, les espions de la télévision ne veulent pas donner des informations, ils veulent juste en parler.
Il y a longtemps que les agents de la CIA, du FBI et de la NSA essaient d’infiltrer et de façonner l’actualité nationale, mais ils ont toujours eu la décence de le faire clandestinement. En 2008, David Barstow, du New York Times, a remporté le prix Pulitzer pour avoir dévoilé un programme secret du Pentagone dans lequel des généraux à la retraite et d’autres agents de sécurité de l’État étaient engagés comme commentateurs et analystes, puis – à l’insu de leurs chaînes – coordonnaient leurs messages pour s’assurer que les informations nationales étaient façonnées par la propagande des militaires et des services de renseignement.
Mais aujourd’hui, tout cela se fait au grand jour. Il est pratiquement impossible de regarder MSNBC ou CNN sans être bombardé d’anciens généraux, d’agents de la CIA, du FBI et de la NSA qui travaillent aujourd’hui pour ces réseaux en tant que commentateurs et, de plus en plus, en tant que reporters.
[Félicitations à mon ami @joshscampbell, le tout nouveau correspondant national de CNN. Sa motivation à aller là où se trouve l’information et à couvrir les sujets importants continuera de profiter aux téléspectateurs.]
Les trois dernières années de reportages sur le « Russiagate » – pour lesquels les journalistes américains se sont vus couverts de prix Pulitzer et autres malgré une multitude d’erreurs embarrassantes et dangereuses sur la grave menace russe – ont reposé presque exclusivement sur des affirmations anonymes et non corroborées d’agents de l’État profond (et oui, c’est un terme qui s’applique pleinement aux États-Unis). Les quelques exceptions sont lorsque ces chaînes mettent en scène d’anciens agents de haut niveau de la sécurité de l’État devant les caméras pour diffuser leur fausse propagande, comme dans ce cas particulièrement humiliant :
[John Brennan a beaucoup à se reprocher pour s’être présenté devant le public américain pendant des mois, revêtu de l’autorité de la CIA en laissant ouvertement entendre qu’il avait des informations secrètes, et pour avoir donné à plusieurs reprises des représentations de ce genre.]
Tout cela a fait que le discours américain sur ces questions de sécurité nationale est presque entièrement façonné par les agences mêmes qui sont formées pour mentir : la CIA, la NSA, le Pentagone, le FBI. Et leurs mensonges ont eu une très grande incidence.
Pendant des années, les principaux reporters de la sécurité nationale nous ont dit quelque chose qui était manifestement faux : que les mandats d’espionnage du FBI pour Carter Page n’étaient pas basés sur le dossier Steele. Le membre du Congrès du GOP Devin Nunes a été largement vilipendé et raillé par les journalistes super-intelligents de la sécurité nationale de Washington pour avoir publié un rapport affirmant que c’était bien le cas. Le mémo Nunes a affirmé en substance ce que le rapport de l’IG a corroboré : que dans les efforts du FBI pour obtenir l’autorisation de la FISA d’espionner Carter Page se trouvait une série de fausses déclarations, de mensonges et de dissimulation de preuves clés :
Comme le dit Matt Taibbi de Rolling Stone – l’un des rares journalistes de gauche/libéral ayant le courage et l’intégrité de s’opposer au discours du DNC et de la MSNBC sur ces questions – dans un article détaillé : « Les démocrates ne voudront pas entendre cela, car il est généralement admis que l’ancien chef des services de renseignements de la Chambre des représentants, Devin Nunes, est un conspirateur malfaisant, mais le rapport Horowitz ratifie les principales affirmations du tristement célèbre « mémo Nunes » ».
Les agents médiatiques du FBI et de la CIA se sont empressés de nier que le mandat contre Page était basé sur le dossier Steele. Avaient-ils des preuves pour appuyer ces dénégations ? Ce serait difficile à croire, étant donné que les demandes de mandat de la FISA sont hautement classifiées. Il semble beaucoup plus probable que – comme d’habitude – ils ne faisaient que répéter ce que le FBI et la CIA (et le député pathologiquement malhonnête Adam Schiff) leur ont dit de dire, comme les bonnes et loyales marionnettes qu’ils sont. Mais de toute façon, ce qu’ils ont continué à dire au public – sur un ton très catégorique – était complètement faux, comme nous le savons maintenant grâce au rapport de l’IG :
[Shane, qu’est-ce qui a été utilisé pour les mandats de la FISA pour espionner Carter Page ? Êtes-vous en train de nous dire que le dossier n’a pas été utilisé ? Sinon, ce que vous tweetez est un numéro hors sujet. @KimStrassel Oui, je vous dis que le dossier n’a pas été utilisé comme base pour un mandat de la FISA sur Carter Page.]
Le rapport de l’IG indique clairement que, contrairement à ces dénégations, le dossier Steele était effectivement crucial pour le mandat d’écoute de Page. « Nous avons établi que la réception par l’équipe Crossfire Hurricane du dossier Steele sur les élections du 19 septembre 2016 a joué un rôle central et essentiel dans la décision du FBI et du Département de demander l’ordonnance de la FISA », explique le rapport de l’IG. Un rôle central et essentiel.
Il précise : « à l’appui du quatrième élément de la requête auprès de la FISA – la prétendue collaboration de Carter Page avec le gouvernement russe sur les activités liées aux élections présidentielles américaines de 2016 – cette requête s’appuie entièrement sur les informations suivantes tirées des rapports 80, 94, 95 et 102 de Steele ».
Il suffit de comparer les démentis pompeux de tant de journalistes américains spécialisés dans la sécurité nationale dans les principaux médias du pays – selon lesquels le mandat contre Page n’était pas basé sur le dossier Steele – à la vérité réelle que nous connaissons maintenant : « à l’appui du quatrième élément de la requête auprès de la FISA – la prétendue collaboration de Carter Page avec le gouvernement russe sur les activités liées aux élections présidentielles américaines de 2016, la demande s’appuyait entièrement sur les informations suivantes tirées des dossiers Steele 80, 94, 95 et 102 » (c’est nous qui soulignons).
En vérité, c’est le dossier Steele qui a conduit la direction du FBI, notamment le directeur James Comey et le directeur adjoint Andrew McCabe, à approuver la demande de mandat en premier lieu, malgré les inquiétudes soulevées par d’autres agents qui craignaient que les informations ne soient pas fiables. C’est ce qu’explique le rapport de l’IG :
La direction du FBI a soutenu l’idée de s’appuyer sur le rapport de Steele pour demander une ordonnance de la FISA sur Page après avoir été informée et avoir tenu compte des préoccupations exprimées par Stuart Evans, alors procureur général adjoint de la NSD [Division de la sécurité nationale du Département de la justice des États-Unis, NdT] chargé de la supervision du QI. Selon celui-ci, Steele aurait pu être engagé par une personne associée à la candidate aux élections présidentielles Clinton ou au DNC, et les renseignements extérieurs qui seraient recueillis par le biais de l’ordonnance de la FISA ne vaudraient probablement pas le « risque » d’encourir des critiques utltérieures pour avoir recueilli des communications d’une personne (Carter Page) « politiquement sensible ».
Le récit fabriqué par les agences de sécurité de l’État et blanchi par leurs fidèles serviteurs des médias sur ces questions cruciales était une imposture, une fraude, un mensonge. Une fois de plus, le discours américain a été imprégné de propagande parce que les médias américains et des parties clés de l’État de sécurité ont décidé que le renversement de la présidence de Trump est une priorité si importante (le fait que leur opinion politique l’emporte sur les résultats de l’élection) que tout, y compris le mensonge pur et simple même aux tribunaux, sans parler du public, est justifié parce que les fins sont si nobles.
Comme l’a dit Taibbi : « Peu importe ce que les gens pensent de la pertinence politique du rapport Horowitz, les journalistes qui le liront le sauront : Quiconque a contribué à ces absurdités dans les journaux devrait être embarrassé ». Quel que soit le danger que la présidence Trump représente selon vous, il s’agit d’une grave menace pour les piliers de la démocratie américaine, une presse libre, des citoyens informés et l’État de droit.
* * * * *
Il y a derrière tout cela un autre mensonge majeur raconté au cours des trois dernières années par les nouvelles stars des médias et les icônes libérales des agences de sécurité de l’État. Depuis le rapport Snowden – en fait, avant cela, lorsque Eric Lichtblau et Jim Risen du New York Times (maintenant chez the Intercept) ont révélé en 2005 que la NSA de l’ère Bush espionnait illégalement les citoyens américains sans les mandats requis par la loi – il était largement admis que le processus de la FISA était une farce, une garantie illusoire qui, en réalité, n’offrait aucune limite réelle à la capacité du gouvernement américain à espionner ses propres citoyens. En 2013, au Guardian, j’ai écrit un long article, basé sur des documents de Snowden, révélant à quel point ce processus était une imposture vide de sens.
Mais au cours des trois dernières années, la stratégie des démocrates et des libéraux – en particulier leurs chaînes câblées et leurs sites d’information – a consisté à vénérer et à élever les agents de sécurité de l’État au rang de nobles diseurs de vérité de la démocratie américaine. Des sites autrefois honnis par les libéraux comme Lawfare – composé d’apparatchiks à peine plus que pro-NSA et pro-FBI – ont acquis pour la première fois une visibilité grand public grâce à un tout nouveau groupe de libéraux qui ont décidé que le salut de la démocratie américaine ne réside pas dans le processus politique mais dans les arts obscurs de la NSA, du FBI et de la CIA.
Des sites comme Lawfare – dirigé par Benjamin Wittes, ami de Comey, et Susan Hennessey, ancienne avocate de la NSA – sont devenus des stars de l’actualité sur Twitter et le câble et ont utilisé leur plateforme pour ressusciter ce qui était un mensonge longtemps discrédité : à savoir que le processus de la FISA est très rigoureux et que le risque d’abus est très faible. Les libéraux, désireux de croire qu’il fallait faire confiance aux agences de sécurité de l’État opposées à Trump malgré leurs décennies d’effrayant non-respect du droit et de mensonges systémiques, en sont venus à croire au caractère sacré de la NSA et du processus de la FISA.
Le rapport de l’IG efface cette illusion soigneusement cultivée. Il met à nu l’imposture que constitue l’ensemble du processus de la FISA, la facilité avec laquelle la NSA et le FBI peuvent obtenir de la cour de la FISA l’autorisation qu’ils souhaitent pour espionner tous les Américains qu’ils veulent, même si la justification est mince. L’ACLU [Union américaine pour les libertés civiles, NdT] et d’autres défenseurs des libertés civiles avaient passé des années à faire enfin comprendre cette vérité, mais elle a été anéantie par la vénération de ces agences de sécurité de l’État à l’époque de Trump.
Dans un excellent article sur les retombées du rapport de l’IG, Charlie Savage du New York Times, longtemps l’un des plus grands experts journalistiques sur ces débats, montre clairement à quel point ces révélations sont dévastatrices pour ce discours concocté pour amener les Américains à faire confiance aux autorités d’écoute du FBI et de la NSA :
Avec plus de 400 pages, l’étude constitue l’étude la plus fouillée jamais réalisée sur le système secret du gouvernement pour la surveillance de la sécurité nationale sur le sol américain. Et ce que le rapport a révélé n’est pas joli.
L’inspecteur général indépendant du ministère de la Justice, Michael E. Horowitz, et son équipe ont découvert un processus incroyablement dysfonctionnel et truffé d’erreurs dans la façon dont le FBI s’y est pris pour obtenir et renouveler l’autorisation du tribunal d’écouter Carter Page, un ancien conseiller de campagne de Trump, en vertu de la loi sur la surveillance des services de renseignement étrangers (Foreign Intelligence Surveillance Act, ou FISA).
« La kyrielle de problèmes liés aux demandes de surveillance de Carter Page montre comment le secret qui entoure le processus d’approbation unilatéral de la FISA par le gouvernement engendre des abus », a déclaré Hina Shamsi, directrice du projet de sécurité nationale de l’Union américaine des libertés civiles. « Les préoccupations identifiées par l’inspecteur général s’appliquent aux enquêtes intrusives sur d’autres personnes, notamment les musulmans, et de bien meilleures garanties contre les abus sont nécessaires »…
Ses révélations ont consterné certains anciens fonctionnaires qui défendent habituellement les pratiques de surveillance du gouvernement.
« Ces erreurs sont graves », a déclaré David Kris, un expert de la FISA qui a supervisé la division de la sécurité nationale du ministère de la Justice au sein de l’administration Obama. « Si l’audit plus large des demandes de la FISA révèle un schéma systématique d’erreurs de ce type qui a affligé celle-ci, alors j’attendrais des conséquences et des réformes très sérieuses »…
Depuis des années, les défenseurs des libertés civiles qualifient le tribunal de surveillance de simple guichet d’approbation, car il ne rejette que rarement les demandes d’écoute électronique. Sur les 1 080 demandes présentées par le gouvernement en 2018, par exemple, les dossiers du gouvernement montrent que le tribunal n’en a rejeté qu’une seule.
Les défenseurs du système ont fait valoir que le faible taux de rejet s’explique en partie par le fait que le département de la Justice s’auto-régule et évite de présenter au tribunal des demandes qui ne répondent pas aux normes légales. Ils ont également souligné que les fonctionnaires obéissent à un devoir accru d’être honnêtes et de fournir toute preuve atténuante susceptible de faire échec à leur demande….
Mais l’inspecteur général a trouvé des erreurs grossières, des omissions matérielles et des déclarations non étayées concernant Page dans les documents qui ont été présentés au tribunal. Les agents du FBI ont sélectionné les preuves, en donnant au ministère de la Justice des informations qui rendaient Page suspect et en omettant des éléments qui allaient dans l’autre sens, et le service a transmis ce portrait trompeur au tribunal.
Ce système d’espionnage intérieur illimité a été mis en place par les deux partis, qui ne s’y opposent que lorsque le pouvoir est entre les mains de l’autre parti. L’année dernière encore, la grande majorité du caucus du GOP s’est jointe à une minorité de démocrates dirigée par Nancy Pelosi et Adam Schiff pour donner au président le pouvoir de déjouer les nouveaux pouvoirs d’espionnage domestique tout en bloquant des réformes et des garanties essentielles pour empêcher les abus. La machinerie d’espionnage qu’Edward Snowden a dénoncé en risquant sa vie et sa liberté a toujours été, et est toujours, une création bipartite.
Peut-être ces révélations vont-elles enfin permettre de réaliser à quel point ces agences d’État policières sont devenues dévoyées et dangereuses, et à quel point une réforme sérieuse est nécessaire et urgente. Mais à tout le moins, cela doit servir de remède aux trois années de propagande médiatique incessante qui ont trompé et induit en erreur des millions d’Américains en leur faisant croire des choses qui sont tout simplement fausses.
Aucun de ces journalistes n’a reconnu un iota d’erreur à la suite de ce rapport, car ils savent que le mensonge n’est pas seulement permis, mais encouragé tant qu’il plaît et qu’il confirme les convictions politiques de leur public. Tant que cela ne cessera pas, la crédibilité et la foi dans le journalisme ne seront jamais restaurées et – malgré la toxicité d’un média qui n’a aucune prétention à la crédibilité – ce statut méprisé sera pleinement mérité.
Source : The Intercept, Glenn Greenwald, 12-12-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Commentaire recommandé
Le FISA ? Qu’est-ce donc ? Selon le Wikipédia anglais, « The Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978 is a United States federal law that establishes procedures for the physical and electronic surveillance and collection of « foreign intelligence information » between « foreign powers » and « agents of foreign powers » suspected of espionage or terrorism ».
Donc, c’est une loi fédérale étatsunienne votée en 1978, instituant des procédures pour la surveillance physique et électronique, et le recueil de renseignements à l’étranger, entre des « pouvoirs étrangers » et des « agents de pouvoirs étrangers » suspectés d’espionnage et de terrorisme.
Autrement dit, les States se donnent le droit d’espionner et de terroriser le reste de la planète (peuplé par des sous-hommes) mais refusent la réciprocité, et ils instituent à cet effet des tribunaux d’exception.
Comme le rappelait Manuel Valls en juillet 2013, pour refuser à Edward Snowden l’asile en France : les États-Unis sont une grande démocratie, et ils ont une Justice in-dé-pen-dante.
7 réactions et commentaires
Le FISA ? Qu’est-ce donc ? Selon le Wikipédia anglais, « The Foreign Intelligence Surveillance Act of 1978 is a United States federal law that establishes procedures for the physical and electronic surveillance and collection of « foreign intelligence information » between « foreign powers » and « agents of foreign powers » suspected of espionage or terrorism ».
Donc, c’est une loi fédérale étatsunienne votée en 1978, instituant des procédures pour la surveillance physique et électronique, et le recueil de renseignements à l’étranger, entre des « pouvoirs étrangers » et des « agents de pouvoirs étrangers » suspectés d’espionnage et de terrorisme.
Autrement dit, les States se donnent le droit d’espionner et de terroriser le reste de la planète (peuplé par des sous-hommes) mais refusent la réciprocité, et ils instituent à cet effet des tribunaux d’exception.
Comme le rappelait Manuel Valls en juillet 2013, pour refuser à Edward Snowden l’asile en France : les États-Unis sont une grande démocratie, et ils ont une Justice in-dé-pen-dante.
+44
AlerterOn comprend mieux les couacs du caucus de l’Iowa maintenant, et c’est vraiment pas de chance, Buttiegeg devance d’un pourcent Sanders mais pas en nombre de voix.
Quel retournement de situation après la déclaration de « victoire » de Sanders après le décompte de 40% des voix.
+4
AlerterGenre le DNC avait besoin de ça pour passer pour des branquignols …
Ils ont pas réussi à faire virer Trump. C’est pas les motifs qui manquent mais comme ils se bornent à inventer des trucs sur du vent et à faire diligenter des enquêtes à charges par Clouzo …. forcément ; ça foire à tout les coup (Russia Gate , Stormy , Impeachment …)
Pour le caucus , si le DNC refait une 2016 ; ça va se voir. Mon petit doigt a été traîner sur les forums US et on y voit des trucs assez croquignolesques : par exemple les Karens qui apprennent après le Caucus que Major Pete a un boyfriend et qui veulent revoter « I don’t wana someone like this in the white house » c’est de l’or en barre. Ha les ricains … ils nous font autant marrer qu’ils nous emmerdent.
+5
Alerter« Si de telles manigances aussi évidemment sordides avaient eu lieu en Russie ou au Venezuela, dans les minutes qui suivent Mike Pompeo aurait tenu une conférence de presse exigeant une nouvelle élection sous la supervision de l’ONU et la formation d’une coalition internationale de sanctions. Il est hilarant de voir comment les États-Unis organisent constamment des coups d’État, appliquent des sanctions et arment des milices violentes en se basant sur la référence que leur gouvernement est la parfaite illustration d’un processus démocratique illégitime, alors que ses propres procédures électorales les plus importantes feraient rougir de honte pour son incompétence dans la tromperie n’importe quel dictateur du tiers monde. » Caitlin Johnstone. Au final Sanders termine devant.
+2
AlerterDu réchauffé.Personne de raisonnable ne croit à une manipulation « russe » de l’élection de Trump, qui n’ apas manqué(et à juste titre) de se payer la tête des « démocrates » à l’issue du caucus de l’Iowa,une pantalonnade. Buttigieg,donc,un Obama bis blanc,mais qui béneficiera des votes communautaires des grandes villes de l’Est et de l’Ouest sans aucun doute. je pense qu’on va bien rigoler en observant le petit monde politique us dans les prochains mois. Nous ne nous sentirons plus ridicules tous seuls.
+9
AlerterN’en déplaise aux élites soi-disant bien-pensantes, la farce du russia-gate est une aussi gigantesque que sidérante conspiration politique tant les moyens employés sont tentaculaires.
GG stigmatise à très juste titre les agences de renseignements mais il ne faut pas oublier que c’est le DNC, le parti « démocrate » qui est à l’origine de l’affaire Fusion GPS/Steele.
GG stigmatise également à très juste titre que les médias MSM US – quasi totalement pro-DNC hormis Fox News -emploient des « anciens » des agences de renseignements pour distiller la propagande de l’Etat profond.
Il aurait aussi pu rappeler que l’entrisme de l’Etat profond via le DNC ne s’arrête pas là. En effet, si ma mémoire est bonne, plus d’une trentaine « d’anciens » des services de renseignements ont obtenu l’investiture du DNC aux dernières élections de mi- mandat Sénat/Congrès !?
Par ailleurs, le rapport Horowitz n’est que la partie émergée de l’iceberg des révélations du russia-gate. Le rapport de l’enquête, en cours, menée par le procureur Durham sous la direction du procureur général Barr devrait apporter nombre de nouvelles révélations car le champ d’investigation et les prérogatives du procureur Durham sont beaucoup plus larges que ceux d’Horowitz.
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AlerterEt tout ce que les médias Mainstream US et leurs succursales françaises ont trouvé à titrer à l’occasion c’est « l’inspecteur Général exonère le FBI de toute manipulation ». Je me rappelle même d’un Comey triomphant.
On a pu lire ça dans Le Monde, le Midi Libre, 20 minutes, le Figaro, et ce sont les seuls que je survolé ayant déjà lu l’original quelques heures avant dans le NYT et le Wapo que je m’oblige à lire mais c’est vraiment un exercice répugnant.
Je recommande d’ailleurs à chacun de s’astreindre à l’exercice. Vous serez sidérer de constater que quelques heures après la parution US, les médias Français reprennent quasi texto les propos publiés. Jusqu’aux éléments de langage même.
Quant aux radios et aux téléspectateurs, je ne sais pas, je ne les écoute plus depuis qqs années déjà.
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