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22.décembre.202422.12.2024 // Les Crises

Le Royaume-Uni suit docilement Biden dans la spirale infernale de l’Ukraine

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Kiev utilise désormais des missiles britanniques Storm Shadow pour attaquer la Russie. Cette « stratégie anti-Trump » manque cruellement de perspicacité.

Source : Responsible Statecraft, Anatol Lieven
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le Royaume-Uni a apparemment donné son feu vert à Kiev pour utiliser ses missiles Storm Shadow afin d’attaquer la Russie. Bien que le gouvernement britannique n’ait pas fait de commentaires publics, l’armée ukrainienne a utilisé les missiles pour frapper la Russie pour la première fois mercredi.

Conformément à la plupart des « décisions » militaires britanniques, ses actions de mercredi ont suivi l’approbation par l’administration Biden de permettre à l’Ukraine d’utiliser ses propres missiles ATACMS à longue portée de la même manière.

Le gouvernement britannique semble avoir oublié que dans deux mois, l’administration Biden ne sera plus en fonction et que la Maison Blanche de Trump pourrait ne pas voir d’un bon œil ce que certains de ses futurs membres considèrent comme un soutien britannique à une tentative préemptive de Biden de faire échouer l’agenda de paix de Trump en Ukraine.

Du point de vue des intérêts sécuritaires de la Grande-Bretagne (qui ne semblent pas jouer un rôle dans la réflexion de l’establishment britannique sur l’Ukraine), les citoyens britanniques n’ont plus qu’à espérer qu’après janvier, le gouvernement russe n’exerce pas de représailles contre le Royaume-Uni – car s’il le fait, ils risquent de ne pas recevoir beaucoup de sympathie de la part de Washington.

L’argument officiel de la décision concernant les ATACMS et les Storm Shadow est de placer l’Ukraine dans une position plus forte avant que Trump n’entame des pourparlers de paix. La Russie semble certainement d’essayer de gagner le plus de territoire possible avant le début de ces pourparlers, et les forces armées ukrainiennes risquent fort de s’effondrer.

Il s’agit d’un pari dangereux, car les missiles (qui sont guidés vers leurs cibles par du personnel américain) risquent d’exaspérer la Russie sans apporter d’aide réellement cruciale à l’Ukraine. C’est particulièrement dangereux pour le Royaume-Uni, car si Poutine se sent obligé de tenir ses promesses de riposter sans attaquer les intérêts américains et sans s’aliéner Trump, il pourrait bien estimer que le Royaume-Uni constitue une cible sûre – c’est au moins un pari basé sur des calculs rationnels.

Ce n’est pas exactement ce que disent le gouvernement et l’establishment de la sécurité britannique. À l’instar de certains gouvernements d’Europe de l’Est et de voix politiques influentes en Europe occidentale, le gouvernement britannique parle encore d’aider l’Ukraine à « gagner » – et non à parvenir à un meilleur compromis.

À l’instar de l’administration Biden, le langage britannique et de l’OTAN sur « l’irréversibilité » de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et la nécessité pour la Russie de quitter le territoire ukrainien qu’elle a occupé suggèrent une opposition à tout règlement de paix concevable que Trump pourrait chercher à atteindre. Si le Royaume-Uni est perçu par Trump comme sabotant délibérément son programme de paix, cela nuira considérablement aux relations américano-britanniques et placera la Grande-Bretagne dans une position extrêmement exposée.

Une telle interprétation par Trump est susceptible d’être encouragée par les discussions à Washington, Londres et dans les capitales européennes sur l’aide à l’Ukraine « à la sauce Trump », et par les suggestions des analystes européens selon lesquelles l’Europe doit et peut soutenir l’Ukraine dans la poursuite de la lutte même si l’administration Trump retire le soutien des États-Unis.

Lors d’une réunion à Varsovie cette semaine, les ministres européens des Affaires étrangères se sont engagés (sans donner de détails) à augmenter l’aide à l’Ukraine. En outre – dans des termes qui, s’ils étaient pris au sérieux, rendraient la paix impossible – ils ont déclaré :

« (que) nous restons résolument en faveur d’une paix juste et durable pour l’Ukraine, fondée sur la Charte des Nations unies, en réaffirmant que la paix ne peut être négociée qu’avec l’Ukraine, avec ses partenaires européens, américains et du G7 à ses côtés, et en veillant à ce que l’agresseur supporte les conséquences, y compris financières, de ses actes illégaux qui violent les règles énoncées dans la Charte des Nations unies. »

C’est de la folie. Il est même peu probable que l’Europe soit en mesure de maintenir longtemps les niveaux actuels d’aide économique à l’Ukraine. Partout en Europe, les budgets sont soumis à de fortes pressions, ce qui donne lieu à d’âpres luttes politiques. Le gouvernement de coalition allemand vient de s’effondrer en raison d’une lutte entre ses partis constitutifs sur la manière de payer simultanément l’aide à l’Ukraine, le réarmement allemand, la régénération industrielle allemande et la protection sociale.

Berlin avait déjà annoncé des réductions radicales de son aide bilatérale à l’Ukraine. Pour que l’Union européenne prenne en charge la totalité du fardeau de l’aide européenne existante – sans parler de remplacer celle des États-Unis – il faudrait presque certainement que l’UE accepte de contrôler la dette collective européenne, par le biais d’une vaste émission « d’euro-obligations de défense. »

Toutefois, les éléments dominants de l’Union chrétienne-démocrate allemande (CDU), qui semble certaine d’être le partenaire dominant d’une nouvelle coalition après les élections prévues en février, s’y opposeraient probablement. Leur opposition ne tient pas seulement à leurs propres convictions, mais aussi à la crainte qu’un tel abandon de la souveraineté économique de l’Allemagne ne suscite la colère de nombreux Allemands et ne renforce fortement le soutien aux partis d’opposition populistes de droite et de gauche.

Quant à l’idée que l’Europe remplace les États-Unis en termes de soutien militaire à l’Ukraine, elle semble absurde. Dans des domaines critiques tels que les systèmes de défense aérienne, les industries militaires européennes sont loin d’être capables d’assurer la défense de leur propre pays, et encore moins de fournir ce dont l’Ukraine a besoin.

Au début de l’année, les gouvernements européens ont rejeté l’appel lancé par l’Ukraine pour obtenir davantage d’armes de défense aérienne. Ces pénuries s’étendent à tous les domaines. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la décision du gouvernement britannique concernant les Storm Shadows est intervenue en même temps que l’annonce de nouvelles coupes sombres dans les forces armées britanniques, y compris dans ses derniers navires d’assaut amphibies et dans une grande partie de ses hélicoptères de transport.

L’Europe peut bien sûr acheter aux États-Unis, mais seulement si Washington est capable de fournir des systèmes à l’Ukraine et à Israël, et d’approvisionner correctement ses propres forces en vue d’une éventuelle guerre avec la Chine. Est-il probable qu’une administration Trump, irritée par le rejet ukrainien et européen d’un accord de paix, donne la priorité aux armes pour l’Ukraine, même si ce sont les Européens qui les paient ?

L’état totalement confus de la pensée britannique et européenne concernant les réalités militaires du conflit ukrainien, et le rôle de l’Europe est en grande partie dû à la pitoyable ignorance des questions militaires de la part des politiciens – et donc des gouvernements – qui, à de rares exceptions près, n’ont jamais servi dans l’armée eux-mêmes, ni pris la peine d’étudier les questions militaires, ni consacré d’études sérieuses à un pays étranger.

Cela les rend complètement dépendants des conseils de leurs institutions étrangères et de sécurité. Et depuis des décennies maintenant, ces institutions ont externalisé à Washington non seulement la responsabilité de leur sécurité nationale, mais aussi la réflexion à ce sujet.

Si vous demandez à la plupart des membres des groupes de réflexion européens de définir les intérêts spécifiquement britanniques, français ou danois dans la guerre d’Ukraine, ils ne sont pas seulement incapables de répondre, ils considèrent clairement que la question même est en quelque sorte illégitime et déloyale vis-à-vis de « l’ordre fondé sur des règles » imposé par les États-Unis.

Mais l’Amérique à laquelle ces Européens sont loyaux est l’ancien establishment des affaires étrangères et de la sécurité des États-Unis – pas l’Amérique de Trump, qu’ils ne comprennent pas et qu’ils détestent et craignent profondément (tout comme ils le font pour leurs propres oppositions populistes). En effet, il y a encore quelques mois, la grande majorité des politiciens et des experts européens refusaient tout simplement de croire que Trump puisse remporter les élections.

Aujourd’hui, nombre d’entre eux ont perdu la tête et tournent en rond. D’autres, comme les Polonais et les Baltes, ont la tête bien vissée, mais à l’envers.

Quant au gouvernement britannique et aux services de sécurité, ils ressemblent, depuis les élections américaines, à leur prédécesseur, le roi Charles Ier, qui, selon la légende, a continué à parler pendant une demi-heure après qu’on lui eut coupé la tête. Peut-être qu’avec le temps, ils pourront se faire pousser une nouvelle tête. Mais en attendant, pour les personnes qui se trouvent dans cette situation embarrassante, une période d’inaction silencieuse semblerait être la voie la plus sage à adopter.

*

Anatol Lieven est directeur du programme Eurasie au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il était auparavant professeur à l’université de Georgetown au Qatar et au département des études sur la guerre du King’s College de Londres.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source : Responsible Statecraft, Anatol Lieven, 21-11-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Fritz // 22.12.2024 à 09h09

Sur le suivisme enragé des Anglais envers leurs anciennes colonies d’Amérique, Stanko Cerovic avait écrit quelques paragraphes brillants juste après la guerre du Kosovo (« Dans les griffes des humanistes »).

Et si notre monde survit à la guerre des ultras en Ukraine, il faudra décerner à Vladimir Poutine le Prix Nobel de la Patience.

1 réactions et commentaires

  • Fritz // 22.12.2024 à 09h09

    Sur le suivisme enragé des Anglais envers leurs anciennes colonies d’Amérique, Stanko Cerovic avait écrit quelques paragraphes brillants juste après la guerre du Kosovo (« Dans les griffes des humanistes »).

    Et si notre monde survit à la guerre des ultras en Ukraine, il faudra décerner à Vladimir Poutine le Prix Nobel de la Patience.

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