Les principaux partisans de la réforme des permis y ont soit un intérêt commercial, soit ont été soudoyés.
Source : Truthout, Basav Sen
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Cet été, un projet de loi bipartisan porté par les sénateurs Joe Manchin (Démocrate-Virginie-Occidentale) et John Barrasso (Républicain-Wyoming) et destiné à accélérer l’octroi de permis relatifs à des infrastructures énergétiques a été approuvé par la commission sénatoriale de l’énergie et des ressources naturelles. Un projet de loi similaire est en cours d’examen par la commission des ressources naturelles de la Chambre des représentants.
Il semble que le chef de la majorité sénatoriale, Chuck Schumer (Démocrate-New York), souhaite que le projet de loi Manchin-Barrasso soit soumis au vote lors de la session du « canard boiteux » [La session du canard boiteux est une séance de la Chambre des représentants ou du Sénat qui a lieu après les élections de novembre et avant que le nouveau Congrès ne commence, NdT] avant le mois de janvier. Une version de la « réforme des permis » pourrait être adoptée prochainement et devenir une loi.
Les sénateurs Manchin et Barrasso, l’American Petroleum Institute et d’autres partisans de ces projets de loi affirment que le pays traverse une crise en matière de disponibilité, d’accessibilité et de fiabilité de l’énergie. Ils imputent cette crise aux procédures restrictives d’autorisation des infrastructures énergétiques.
Mais rien de tout cela n’est vrai.
Les États-Unis sont un exportateur net de pétrole brut et de ses dérivés, ainsi que de gaz naturel. Nous produisons plus de combustibles fossiles qu’il n’en faut pour répondre à la demande intérieure. Par ailleurs, nous produisons chaque mois suffisamment d’électricité pour répondre à la demande intérieure. Notre réseau électrique est très fiable, avec des interruptions de service courtes et peu fréquentes, principalement dues à des problèmes de lignes de distribution (comme des lignes électriques tombées lors d’une tempête).
Même en cas de crise de l’approvisionnement en énergie, l’insuffisance de la capacité de production n’en est pas la cause.
Pendant l’hiver 2021, et la grande crise énergétique qui a frappé le Texas [sous l’effet de trois tempêtes de neige, une énorme coupure d’électricité a frappé le Texas, en coupant l’électricité d’environ 4,5 millions de foyers et d’entreprises, NdT], toutes les installations de production, quelles qu’elles soient, ont eu du mal à produire suffisamment d’électricité, et l’ajout de capacités supplémentaires n’aurait rien changé. La trop grande dépendance du réseau texan au gaz naturel, en particulier, l’a rendu plus vulnérable aux ruptures d’approvisionnement en gaz en raison de températures glaciales – et son isolement par rapport au reste du réseau américain a compliqué la tâche du Texas pour ce qui est d’importer de l’électricité à partir des États voisins. Pire encore, les profits réalisés par les entreprises en créant une pénurie artificielle pour faire grimper le prix du gaz naturel pourraient avoir joué un rôle.
La panne de l’été 2024 pendant l’ouragan Beryl a été causée par la chute de lignes électriques, aggravée par l’incapacité des services publics du Texas à renforcer la résilience de leurs infrastructures de distribution face au changement climatique. De nouvelles infrastructures de production ou de distribution n’auraient pas permis d’éviter cette panne.
Les États-Unis sont un exportateur net de pétrole brut et de ses dérivés, ainsi que de gaz naturel. Nous produisons plus de combustibles fossiles qu’il n’en faut pour répondre à la demande intérieure.
Les Américains sont certes confrontés à des problèmes d’accessibilité à l’énergie, mais aucun de ceux-ci n’est lié à la délivrance de permis pour des infrastructures énergétiques. Les prix du pétrole brut ont grimpé durant l’été 2022, lorsque plusieurs facteurs, notamment la collusion et les ententes sur les prix entre certains acteurs du secteur ainsi que des perturbations au niveau de l’approvisionnement causées par la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ont entraîné une flambée des prix. Le manque d’infrastructures de production et de raffinage n’était pas en cause.
Les prix du gaz naturel ont connu des tendances similaires, sous l’effet de certains des mêmes facteurs. En fait, en développant les exportations de gaz naturel liquéfié, le projet de loi du Sénat pourrait même faire augmenter les prix intérieurs du gaz naturel, ce qui alourdirait les factures des services publics.
Greenwashing et développement des combustibles fossiles
En plus de donner le feu vert à une plus grande exploitation des combustibles fossiles, certains partisans de la « réforme des permis » affirment également que l’affaiblissement des normes environnementales faciliterait la mise en place rapide d’énergies renouvelables et de lignes de transport pour ces dernières.
Plusieurs études ont identifié les principaux obstacles au développement des énergies renouvelables. L’un d’entre eux est le temps d’attente pour que les projets de production soient connectés au réseau électrique, ce que l’on appelle la file d’attente d’interconnexion. En 2022, il y avait environ 2 000 gigawatts de capacité dans la file d’attente d’interconnexion, dont 95 % provenaient de projets éoliens, solaires et de stockage.
Ce sont les retards bureaucratiques des opérateurs de réseaux et des services publics, et non la réglementation environnementale qui sont en cause. Le manque de personnel et de moyens des agences chargées de délivrer les permis constitue un autre obstacle majeur.
Pourtant, plus de 95 % des projets d’énergie renouvelable font déjà l’objet d’une procédure fédérale d’examen environnemental simplifiée, ou ne font l’objet d’aucun examen, parce qu’ils ne sont généralement ni polluants ni controversés. Il n’y a tout simplement aucune preuve crédible que les lois environnementales restrictives entraîneraient des retards dans la mise en service des énergies renouvelables.
De même, dire qu’il faut développer massivement les réseaux de distribution pour faciliter l’expansion des énergies renouvelables est exagéré. Le potentiel d’expansion des énergies renouvelables réparties dans les grands centres de demande d’électricité ou à proximité de ceux-ci est énorme.
Les partisans du projet de loi du Sénat s’appuient sur des modélisations prétendant que les bénéfices des énergies renouvelables et de l’extension des réseaux de distributions l’emporteront sur l’augmentation des émissions due à l’accélération des procédures d’autorisation pour les projets d’exploitation des combustibles fossiles et à la multiplication des concessions de combustibles fossiles sur les terrains et les eaux du domaine public.
Cependant, la modélisation est défectueuse. En s’appuyant sur les données officielles du gouvernement, elle sous-estime les émissions de méthane provenant des forages pétroliers et gaziers et des transports, comme l’ont montré de nombreuses études évaluées par des pairs. Il s’agit d’une grave lacune, dans la mesure où le méthane est un polluant climatique de courte durée mais puissant : 81 fois plus puissant que le dioxyde de carbone sur une période de 20 ans et 28 fois plus puissant sur une période de 100 ans.
En outre, la modélisation repose sur des hypothèses non fondées quant aux avantages pour le climat des exportations américaines de gaz naturel liquéfié, qui remplaceraient le charbon dans les pays importateurs. Il est prouvé que les émissions de gaz à effet de serre du gaz naturel liquéfié tout au long de son cycle de vie, y compris les fuites de méthane et les émissions provenant du processus de liquéfaction, sont en fait pires que les émissions provenant du charbon – et que les dommages climatiques causés par les exportations de gaz naturel liquéfié l’emportent sur les avantages économiques éventuels.
Le lobbying des énergies fossiles
L’incitation à construire de nouvelles infrastructures pour les combustibles fossiles va à l’encontre de la science. Tous les organismes internationaux fiables spécialisés dans ce domaine, dont le GIEC ( Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), l’Agence internationale de l’énergie et le Programme des Nations unies pour l’environnement, reconnaissent la nécessité d’arrêter de construire de nouvelles infrastructures liées aux combustibles fossiles.
Elle va également à l’encontre de la justice. Les communautés autochtones, noires, brunes et blanches pauvres supportent depuis longtemps le poids de la pollution de l’air et de l’eau causée par l’industrie des combustibles fossiles aux États-Unis et les conséquences qui en découlent pour la santé. Il serait scandaleux d’alourdir ce fardeau.
Il n’y a aucune raison de faciliter l’octroi de permis pour les combustibles fossiles en même temps que pour les énergies renouvelables.
Le concert de voix de l’establishment qui poussent à la « réforme des permis » sans prendre en compte les éléments de preuve peut être en partie attribué à un phénomène de groupe. Mais certains d’entre eux sont peut-être tout simplement de mauvaise foi.
L’American Petroleum Institute soutient le projet de loi Manchin-Barrasso, ce qui devrait vous dire tout ce que vous avez besoin de savoir sur les personnes qui sont à l’origine de cette initiative.
Le sénateur Joe Manchin a reçu plus d’argent de la part de l’industrie pétrolière et gazière que n’importe quel autre membre du Sénat ou de la Chambre des représentants pendant des années – et il est propriétaire d’une entreprise de charbon. Le sénateur John Barrasso est le troisième membre du Congrès à avoir reçu le plus d’argent de l’industrie pétrolière et gazière au cours du mandat électoral actuel. Le représentant Bruce Westerman, principal auteur du projet de loi de la Chambre des représentants, a reçu plus de 300 000 dollars de la part de l’industrie pétrolière et gazière pour sa campagne électorale, ce qui fait de celle-ci son principal contributeur.
En d’autres termes, les principaux partisans de la réforme des permis ont soit un intérêt commercial dans cette réforme, soit ont été soudoyés.
Si le Congrès veut élaborer des politiques dans l’intérêt du public, en s’appuyant sur les meilleures données disponibles, il doit faire marche arrière. Il doit adopter une législation interdisant la construction de nouvelles infrastructures pour les combustibles fossiles et demander à la Commission fédérale de régulation de l’énergie de réformer les procédures d’interconnexion afin de résorber le retard accumulé dans la connexion des énergies renouvelables au réseau.
Au lieu de vider de sa substance la loi sur la politique environnementale nationale (National Environmental Policy Act) et d’autres lois environnementales au profit de projets énergétiques polluants, ils devraient adopter une législation qui permette aux agences chargées de délivrer les permis d’embaucher davantage de personnel disposant de l’expertise nécessaire, et qui exige davantage de transparence et d’engagement de la part de la communauté. Il existe déjà un projet de loi qui va exactement dans ce sens.
La tâche de ceux qui se préoccupent du climat est d’obliger le Congrès à le faire.
*
Basav Sen dirige le projet de politique climatique à l’Institut d’études politiques.
Source : Truthout, Basav Sen, 08-12-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Le gros problème avec les ricains c’est qu’ils sont incapables de comprendre qu’ils consomment plus de deux fois plus d’énergie que les autres par tête.
Ils ont des baraques en alumettes , un des réseau férré le mois éléctrifiés du monde , 80% de ce qui passe les rocheuses le fait sur un camion, leur bagnoles bouffent 20L/100Km, ils prennent l’avion pour aller voir un match de foot ou un concert, ils foutent du pétrole même dans leur bouffe et après ça vient chialer : pourquoi on fore comme des tarés ?
Nan mais changez rien les gars , le Don va acheter le Canada et le Groenland et vous pourrez continuer à extraire comme des cons parce que « l’American Way of Life » n’est pas éléctoralement négociable …
4 réactions et commentaires
Le gros problème avec les ricains c’est qu’ils sont incapables de comprendre qu’ils consomment plus de deux fois plus d’énergie que les autres par tête.
Ils ont des baraques en alumettes , un des réseau férré le mois éléctrifiés du monde , 80% de ce qui passe les rocheuses le fait sur un camion, leur bagnoles bouffent 20L/100Km, ils prennent l’avion pour aller voir un match de foot ou un concert, ils foutent du pétrole même dans leur bouffe et après ça vient chialer : pourquoi on fore comme des tarés ?
Nan mais changez rien les gars , le Don va acheter le Canada et le Groenland et vous pourrez continuer à extraire comme des cons parce que « l’American Way of Life » n’est pas éléctoralement négociable …
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Alerterles bagnoles 20l/100…. vous êtes resté bloqué aux années 60 sur ce point. Les yankees roulent aussi en Toyota et en Hyundai par exemple, et les constructeurs US ont aussi fait des améliorations sur la conso. Petite info : un V6 diesel c’est 5l/100 par exemple. Gros moteur ne veut pas forcément dire grosse conso. Pour le reste, oui, ils consomment beaucoup trop d’énergie
+1
AlerterOui , quelle Toyota sont les plus vendues au US ? Rav4, Camry, Hilux … c’est pas des Prius ou des Aigo non plus.
Je suis d’accord, le gallon au dessus du « smic horraire » local ; ça a un poil calmé les esprits … mais les deux plus grosses ventes du marché US 2024 sont le F150 en V8 5.0L et le Silverado V8 5.3L ; faire du 25 MPG avec ça « à la pompe » je sais même pas si ma grand mère pourrait…
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AlerterLe pragmatisme américain (?) laisse entendre que la demande d’énergie fossile est réelle, les consommateurs de plus en plus nombreux, rarement rassasiés en demandent encore!
De plus, pour la première fois depuis son exploitation, les volumes extraits, en 2024 aux EU, des roches schisteuses sont en baisse par rapport à l’année précédente.
Il y a évidemment beaucoup de cynisme mais tant que nous, populations ne souffrirons pas suffisamment des conséquences de nos activités, les politiques, à l’aise, feront les fanfarons et les entreprises continuerons leurs affaires, d’autant que le secteur énergétique manipule des sommes d’argent gigantesques et que les services qu’il nous rend est sans aucun équivalent historique.
La science dans cette affaire ne bénéficie que de peut d’écoute parce que froide et sèche alors, c’est la technologie qui remporte la mise, luxuriante, chaude, à l’écoute…
En attendant, il nous faut converser, donc construire des réseaux humains, phosphorer, penser à vivre, et vivre avec moins de commodités.
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