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25.février.202525.2.2025 // Les Crises

Les assureurs abandonnent les propriétaires face au risque d’incendie, mais investissent dans les grandes compagnies pétrolières

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Ces entreprises ont investi 500 milliards d’euros dans les combustibles fossiles, alimentant ainsi la crise qui les a amenées à se débarrasser de milliers de propriétaires.

Source : Derek Seidman, Truthout
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les maisons situées le long de Concha St. et à proximité sont en ruines. Photo prise le 26 janvier 2025 à Alatadena, Californie, moins de deux semaines après l’incendie Eaton qui a dévasté la zone. Robert Gauthier / Los Angeles Times via Getty Images

Les gigantesques incendies de Los Angeles, causés par le changement climatique, ont été dévastateurs pour des milliers de propriétaires et de locataires déplacés dont les habitations ont été endommagées ou détruites. Le coût total de la catastrophe n’est pas encore connu, mais il atteindra certainement des dizaines de milliards de dollars.

Les incendies ont une fois de plus mis en lumière la crise croissante du secteur de l’assurance aux États-Unis. La multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes participe à la montée en flèche des primes d’assurance pour les propriétaires, tandis que les assureurs se retirent en masse de régions entières du pays, dont la Californie. Le système d’assurance habitation vacille.

Pourtant, malgré le rôle évident de l’industrie des combustibles fossiles dans l’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes qui bouleversent l’assurance habitation de millions de personnes et réduisent les bénéfices de l’industrie, les compagnies d’assurance continuent de souscrire des contrats et d’investir dans les combustibles fossiles. En Californie, les principaux assureurs, comme State Farm, qui suscite la colère des Angelenos [nom donné aux habitants de LA, NdT], détiennent des milliards de dollars dans le secteur du pétrole et du gaz et figurent parmi les principaux actionnaires de géants pétroliers comme ExxonMobil et Chevron. En parallèle, ils refusent de renouveler des milliers de polices d’assurance dans tout l’État, y compris, l’année dernière, dans le quartier de Pacific Palisades, au cœur des incendies.

Les assureurs de combustibles fossiles confrontés à des pertes et fuyant les marchés sont désormais une vieille histoire qui se reproduit à chaque nouvel événement climatique extrême.

« Le secteur des assurances a la possibilité de réduire immédiatement son exposition à l’expansion des combustibles fossiles », a déclaré à Truthout Risalat Khan, stratège principal d’Insure Our Future, un think tank axé sur les liens entre le secteur des assurances et la crise climatique. « Mais plutôt que de le faire, ils continuent à jouer sur les deux tableaux. »

Combustibles fossiles, conditions météorologiques extrêmes et crise de l’assurance

De l’avis général, le changement climatique contribue à l’augmentation et à l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui est la source mondiale la plus fiable sur l’impact du changement climatique, a conclu comme un « fait établi que les «émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine » ont augmenté la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes.

Le GIEC a également conclu, avec un « degré de confiance élevé », que les conditions météorologiques engendrant des incendies « deviendront plus fréquentes dans certaines régions en cas de niveaux plus élevés de réchauffement climatique ». Une étude scientifique récente a révélé que la fréquence des « événements extrêmes [d’incendies de forêt] » a été multipliée par 2,2 entre 2003 et 2023, les sept dernières années comprenant les six années les plus extrêmes.

Selon les Nations Unies, le principal moteur du changement climatique est tout aussi incontestable : la combustion de combustibles fossiles dont les émissions réchauffent et polluent l’atmosphère, représentant « plus de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et près de 90 % de l’ensemble des émissions de dioxyde de carbone ».

La multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les incendies de forêt, les inondations et les ouragans, provoque une crise existentielle du secteur de l’assurance habitation et des biens. Ne voulant pas ou ne pouvant pas à la fois assurer les propriétaires confrontés à des événements climatiques extrêmes et réaliser des bénéfices suffisants, les compagnies d’assurance augmentent de plus en plus les montants des primes ou se retirent complètement de certaines régions.

Le changement climatique n’est pas le seul moteur de cette crise du secteur de l’assurance, mais il pourrait en être le facteur principal. Un rapport récent d’Insure Our Future a révélé : « Plus d’un tiers des pertes assurées liées aux conditions météorologiques au cours des deux dernières décennies, soit un total de 600 milliards de dollars, peuvent être attribuées au changement climatique, et la part des pertes assurées dues au changement climatique est passée de 31 % à 38 % en moyenne au cours de la dernière décennie. »

Le secteur de l’assurance soutient les combustibles fossiles

Pourtant, de nombreuses compagnies d’assurance restent déterminées à soutenir leur propre fossoyeur, à savoir l’industrie des combustibles fossiles, en tant qu’assureurs et investisseurs. L’industrie des combustibles fossiles ne pourrait pas poursuivre ses activités habituelles et son expansion continue, sans les services essentiels que les compagnies d’assurance fournissent en assurant tout ce qui va de la construction d’oléoducs à la construction d’installations d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL).

Un rapport publié en 2023 par Insure Our Future estime qu’une petite poignée de géants de l’assurance – dont AIG, Chubb et Liberty Mutual – ont perçu environ 2,6 milliards de dollars au titre de l’assurance des combustibles fossiles au titre de l’année 2022. Un rapport publié en 2024 par Public Citizen et Rainforest Action Network montre comment les principaux assureurs soutiennent largement le boom des exportations de GNL sur la côte du golfe du Mexique.

En outre, les assureurs ne se contentent pas d’assurer les activités de l’industrie des combustibles fossiles. Ils investissent massivement dans ce même secteur. Une grande partie du modèle d’entreprise du secteur de l’assurance consiste à reconditionner une grande partie des primes globales qu’ils perçoivent de leurs clients sous forme de liquidités à investir dans des instruments financiers tels que les actions et les obligations.

Les principaux assureurs, comme State Farm, détiennent des milliards de dollars dans le pétrole et le gaz et figurent parmi les principaux actionnaires de géants pétroliers comme ExxonMobil et Chevron, alors même qu’ils refusent de renouveler des milliers de polices d’assurance.

Les compagnies d’assurance ne sont pas non plus des investisseurs mineurs. Ce sont d’énormes institutions financières aux multiples facettes et, avec plus d’un demi-milliard de dollars investis dans les combustibles fossiles, elles ont des intérêts majeurs dans les mêmes compagnies pétrolières et gazières qu’elles garantissent, alimentant ainsi les conditions météorologiques extrêmes qui provoquent une crise dans leur propre secteur d’activité.

Khan parle d’un « cercle vicieux » dans lequel les assureurs « aggravent le problème en investissant et en souscrivant à l’expansion des combustibles fossiles, bien qu’ils soient exposés au risque de devoir payer ces pertes ».

Khan a expliqué à Truthout que les assureurs agissent de la sorte en partant du principe qu’ils peuvent réduire leurs risques en ne renouvelant pas les polices ou en augmentant les primes. « Ils aggravent le risque et font ensuite payer davantage pour ces risques, ou les retirent de leurs bilans, » a-t-il déclaré.

Selon Khan, cela « pousse le système dans son ensemble vers ces points de basculement où nous ne pouvons plus gérer ces risques et où les gens n’ont pas l’argent nécessaire pour payer ces coûts ».

La crise de l’assurance en Californie

Ces dynamiques plus larges se manifestent dans les incendies catastrophiques de Los Angeles et, plus généralement, dans l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes en Californie.

Les scientifiques et les dirigeants mondiaux ont noté que le changement climatique a probablement intensifié les incendies de Los Angeles, avec des « coups de fouet météorologiques » et de faibles niveaux d’humidité du sol et des combustibles. D’une manière plus générale, les agences de l’État ont publié de nombreux rapports sur l’impact de la crise climatique en Californie, qui touche des domaines aussi variés que l’érosion côtière, l’approvisionnement en eau, les risques d’incendie et les dommages causés à l’agriculture.

Quinze des vingt incendies de forêt les plus destructeurs de l’histoire de la Californie ont eu lieu au cours de la dernière décennie.

En raison de l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes en Californie et des coûts massifs des indemnités d’assurance, les compagnies ont réduit leurs activités dans cet État. En 2023, 7 des 12 premières compagnies d’assurance en Californie ont interrompu ou limité les nouvelles polices d’assurance dans cet État.

Khan note que des entreprises comme State Farm, Travelers, AIG, Liberty Mutual et d’autres ont simultanément renoncé à assurer des Californiens tout en restant attachées aux combustibles fossiles.

« Il s’agit d’assureurs qui ont investi massivement dans les combustibles fossiles ou qui souscrivent à l’expansion des combustibles fossiles, a-t-il déclaré. L’hypocrisie de chacune de ces entreprises est très visible.

Cette pénurie d’assurance a plusieurs conséquences, notamment l’alourdissement du régime d’assurance de l’État, déjà surchargé, et l’augmentation des coûts de location et d’accession à la propriété dans un contexte de pénurie de logements.

Dans le même temps, les principaux assureurs californiens restent déterminés à investir dans les combustibles fossiles. Une réunion d’information organisée en 2023 par Insure Our Future a permis d’identifier un groupe d’assureurs nationaux, parmi lesquels Berkshire Hathaway, State Farm et Nationwide, qui ont restreint leur couverture en Californie en invoquant les risques climatiques, mais qui restent profondément liés à l’industrie des combustibles fossiles.

Collectivement, ces entreprises ont des investissements dans les combustibles fossiles estimés à 113 milliards de dollars et des revenus de souscription de 3,6 milliards de dollars.

Examen des participations de l’assurance dans les combustibles fossiles

State Farm, le plus grand assureur habitation de Californie et des États-Unis, est devenu le point de mire de la colère des habitants de Los Angeles pour avoir annulé des dizaines de milliers de polices d’assurance habitation et appartement l’année dernière, dont 70 % dans le code postal de Pacific Palisades. State Farm prévoit de supprimer 1 million de polices en Californie au cours des cinq prochaines années.

Pourtant, au moment même où State Farm ne renouvelle pas les polices d’assurance habitation en Californie en raison de « l’augmentation rapide de l’exposition aux catastrophes, » l’entreprise a doublé sa mise sur les combustibles fossiles.

Cette pénurie d’assurance a plusieurs conséquences, notamment l’augmentation des coûts de location et d’accession à la propriété dans un contexte de pénurie de logements.

En septembre dernier, le Wall Street Journal a rapporté que State Farm et Berkshire Hathaway, qui exerce également une activité importante en Californie, « ont fait des paris de plusieurs milliards de dollars sur les grandes compagnies pétrolières, » suffisamment importants pour contribuer à compenser la baisse des investissements dans les combustibles fossiles dans d’autres secteurs de l’industrie.

L’enquête note que State Farm et Berkshire « ont augmenté l’exposition globale du secteur aux combustibles fossiles, la faisant passer de 3,8 % à 4,4 % de leurs portefeuilles, et que la valeur des avoirs en combustibles fossiles du secteur de l’assurance dommages a augmenté pour atteindre 84,6 milliards de dollars » en 2023, contre 57 milliards de dollars en 2014, en partie grâce aux investissements de ces deux assureurs.

L’analyse par Truthout de la dernière déclaration de State Farm à la SEC, déposée en novembre 2024, soit moins de deux mois avant le début des incendies de Los Angeles, montre la poursuite d’investissements considérables dans les combustibles fossiles.

Par exemple, la divulgation révèle plus de 5,5 milliards de dollars de participations dans seulement deux grandes compagnies pétrolières, avec 3 577 589 566 dollars dans ExxonMobil et 1 963 729 843 dollars dans Chevron. Selon le site de données financières WhaleWisdom.com, State Farm figure ainsi parmi les 20 premiers actionnaires de ces deux sociétés. Le dossier fait également état d’une participation de 411 541 212 dollars dans Duke Energy et de 122 536 947 dollars dans Shell.

Ces entreprises de combustibles fossiles et de services publics figurent sur de nombreuses listes parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre et de CO2 dans le monde. State Farm a également révélé des avoirs d’une valeur de 86 443 949 dollars dans Enbridge, la société à l’origine des pipelines controversés Line 3 et Line 5.

Truthout a contacté State Farm pour obtenir des commentaires, mais n’a pas reçu de réponse.

« Ils ont la possibilité de réduire l’exposition »

Les régulateurs fédéraux et nationaux ont un rôle important à jouer dans la création d’un fossé entre le secteur de l’assurance et les combustibles fossiles.

En 2023, la commission du budget du Sénat a lancé une enquête sur plusieurs grandes entreprises qui assurent et investissent dans des projets de combustibles fossiles. Dans des États comme New York et le Connecticut, les organisateurs font pression sur la législation pour limiter l’assurance des combustibles fossiles ou pour taxer les assureurs de combustibles fossiles.

Selon Khan, les autorités de régulation d’États comme la Californie, qui ont déjà constaté des liens entre les assureurs et les combustibles fossiles, pourraient obliger les assureurs opérant dans l’État à divulguer les projets de combustibles fossiles nouveaux ou en cours d’expansion qu’ils souscrivent.

Après l’échec, l’année dernière, d’un projet de loi sur le « Superfond climatique » visant à faire payer les pollueurs des combustibles fossiles pour lutter contre les effets néfastes du changement climatique, une nouvelle initiative est en cours, et l’ancien commissaire aux assurances de Californie s’est prononcé en faveur de l’idée de faire payer les pollueurs des combustibles fossiles.

En fin de compte, une grande question se pose au secteur de l’assurance : Est-il vraiment utile de soutenir l’industrie des combustibles fossiles alors même que le chaos climatique bouleverse ses propres activités ?

Le tableau de bord 2024 d’Assurer notre avenir se termine en notant que, parmi les 28 principaux assureurs IARD supervisant plus d’un tiers de la part de marché mondiale collective du secteur, les primes liées aux combustibles fossiles « représentent moins de 2 % de leurs primes d’assurance totales en 2023 – essentiellement de la menue monnaie ».

« Pourquoi les assureurs déstabilisent-ils la majorité de leurs activités pour une si petite fraction des revenus qu’ils tirent des combustibles fossiles ? Cela a-t-il vraiment un sens économique pour les assureurs ? »

Khan se console en se disant que les gens sont en train de comprendre le rôle que jouent les assureurs dans la crise climatique. Les organisateurs de la justice climatique et environnementale aux États-Unis et ailleurs se concentrent de plus en plus sur les géants de l’assurance.

« Le secteur de l’assurance pourrait être l’une des plus grandes forces positives dans l’histoire du climat, a déclaré Khan. Il peut regarder ses clients du secteur des combustibles fossiles et leur dire qu’il n’assurera plus leurs plans d’expansion inconsidérés, parce que c’est trop coûteux pour lui et pour tout le monde. »

Cet article est placé sous licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 4.0), et vous êtes libre de le partager et de le republier selon les termes de la licence.

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Derek Seidman est un écrivain, chercheur et historien vivant à Buffalo, dans l’État de New York. Il contribue régulièrement à Truthout et à LittleSis.

Source : Derek Seidman, Truthout, 30-01-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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1 réactions et commentaires

  • La Mola // 25.02.2025 à 14h15

    il me semble qu’on ne peut plus parler seulement « d’hypocrisie » mais plutôt « d’insouciance criminelle »

    même en termes de « profits » que peut donc bien apporter à terme la destruction inéluctable de régions entières, de leurs ressources en eau, de leur agriculture indispensables à la VIE ?

    s’imaginent-ils que quelques lignes informatiques sans substance réelle leur permettra de survivre isolément à terme ?

    c’est terrifiant de constater à quel point la « connerie humaine » – versant réaliste de ladite « intelligence artificielle » – colonise à ce point les « z’élites » décidément handicapées du cerveau !!

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