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15.août.202415.8.2024 // Les Crises

Les banques financent l’élevage industriel au mépris de leurs engagements climatiques

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Pour respecter leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les banques américaines doivent cesser de soutenir financièrement les entreprises qui pratiquent l’élevage industriel.

Source : LA Progressive, Monique Mikhail, Ward Warmerdam
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Jennifer Campbell, alias JENMEDIA, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Alors que la crise climatique suscite de plus en plus d’inquiétudes, aux États Unis, les banques américaines sont soumises à une pression accrue de la part de leurs actionnaires, des décideurs politiques et de la société civile pour que leurs prêts et leurs services financiers contribuent à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Nombre d’importantes banques se sont engagées à réduire leurs investissements dans des secteurs fortement émetteurs afin d’atteindre l’objectif zéro émission.

Cependant, elles restent encore financièrement empêtrées dans des industries dont les émissions étouffent la planète et mettent en péril les objectifs climatiques mondiaux.

Investir dans des industries peu respectueuses du climat est néfaste tant pour les banques que pour les investisseurs, comme l’admettent justement les gestionnaires d’actifs. Dans une lettre adressée aux chefs d’entreprise en 2020, Larry Fink, PDG de BlackRock, principal gestionnaire d’actifs du monde, a souligné l’inquiétude croissante des investisseurs quant à l’impact du changement climatique sur leurs investissements.

Cela concerne tant les effets concrets du changement climatique (augmentation des charges, interruption de l’approvisionnement et évolution de la demande) que les effets des politiques climatiques qui modifient la rentabilité des activités néfastes pour le climat.

Les banques ne font pas tout ce qu’elles devraient faire pour réduire l’impact de leurs investissements sur le climat. L’agriculture, et en particulier l’élevage industriel (élevage de bovins, de porcs et de poulets pour produire de la viande, des produits laitiers et des œufs, et culture des fourrages qu’ils consomment), est un secteur à fortes émissions au sein duquel les banques n’ont pas encore modifié de manière significative leurs schémas de financement.

Réduire leur soutien financier à l’élevage industriel serait un changement relativement mineur pour les banques, mais cela leur permettrait de faire un grand pas en avant vers leurs objectifs de réduction des émissions.

L’impact de l’agriculture industrielle sur le climat

Selon une estimation, l’élevage industriel contribue déjà à hauteur de 19,6 % aux émissions mondiales. Ces dernières doivent être plafonnées si on veut que l’augmentation de la température mondiale se limite à 1,5 degrés Celsius et moins. Or, l’élevage est actuellement en passe de consommer environ la moitié du budget mondial des émissions d’ici à 2030 et jusqu’à 80 % d’ici à 2050.

L’élevage industriel est une industrie mondiale organisée, dont la plupart des activités se font dans le cadre de gigantesques unités d’engraissement dans des pays comme le Brésil et les États-Unis :

  • Les bovins eux-mêmes sous forme de méthane (un gaz à effet de serre particulièrement puissant)
  • Production et traitement dans le secteur de l’alimentation animale
  • Traitement et stockage des effluents
  • Déforestation

Outre ces émissions, ce secteur est synonyme d’une cruauté inouïe à l’encontre des animaux, de dommages environnementaux (perte de biodiversité et pollution), d’atteintes à la santé humaine et d’impacts sociaux tels que violations des droits du travail. Voici quelques-uns des impacts secondaires les plus importants.

Déforestation

La majeure partie de la viande et des produits laitiers provient d’animaux élevés sur des terres autrefois plantées d’arbres, souvent des forêts tropicales primaires défrichées pour faire place au bétail. On estime qu’à l’échelle mondiale le bétail et la production d’aliments pour animaux sont à l’origine de 48 % de la déforestation des zones tropicales.

La destruction de forêts pour y installer du bétail ou du fourrage (comme le soja) libère le carbone piégé dans les arbres et le sol, ce qui signifie que ces arbres ne sont plus en mesure d’absorber et stocker le CO2 et contribuer à réduire les effets du changement climatique à l’avenir.

Accaparement des terres et violations des droits humains

Dans la mesure où le bétail nécessite beaucoup de terres, il est fréquent que les industries de l’élevage achètent du bétail à des producteurs qui se sont installés sur des terres volées aux communautés autochtones et locales.

Destruction de l’habitat, perte de biodiversité et violations du droit des animaux

Lorsque les forêts sont reconverties pour produire de la viande, des produits laitiers et des aliments pour animaux, ceux-ci, ainsi que les plantes et les insectes perdent leurs habitats naturels et voient leur survie menacée. L’élevage industriel est l’un des principaux facteurs de déforestation et de perte de biodiversité. La disparition des habitats et la pollution par les pesticides résultant de la production d’aliments pour animaux sont également des facteurs clés de l’appauvrissement de la biodiversité.

L’élevage industriel est en outre source de violations massives du droit et du bien-être des animaux.

Raréfaction de l’eau, pollution et effets sur la santé

L’élevage industriel nécessite de grandes quantités d’eau, alors même que celle-ci manque souvent dans les zones de production. Les élevages industriels, ou fermes usines, rejettent une grande quantité de déchets animaux et de produits chimiques, entraînant la pollution de l’air des populations riveraines et la contamination des rivières, des bassins versants et des réserves d’eau potable.

Les pesticides et les engrais utilisés dans la production d’aliments pour animaux polluent le sol, l’air, l’eau et les denrées alimentaires. Ils sont associés à un grand nombre de troubles de la santé, notamment cancers, troubles neurologiques comme la maladie de Parkinson, troubles de la reproduction comme l’infertilité et les perturbations endocriniennes.

Maladies infectieuses et résistance aux antibiotiques

Les maladies se propagent rapidement et aisément entre animaux élevés dans des locaux surpeuplés et insalubres liés à l’élevage industriel, et elles peuvent parfois se propager à la faune sauvage et à l’homme. L’utilisation excessive et à large échelle d’antibiotiques pour favoriser la croissance des animaux en élevage industriel est également à l’origine de l’apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques, ce qui complique le traitement des maladies chez les humains.

Violation des droits du travail

Les travailleurs dans le secteur de l’élevage industriel et des abattoirs sont parmi les plus vulnérables au monde aux blessures, aux maladies et à l’absence de protection juridique. Ils sont souvent confrontés à des conditions de travail risquées, notamment un risque accru dû aux machines et aux produits chimiques dangereux, aux tâches répétitives et pénibles et aux environnements soumis à de fortes pressions.

En outre, nombre d’entre eux sont des immigrés ou des travailleurs faiblement rémunérés et n’ont pas toujours accès aux soins de santé appropriés, à des salaires équitables ou à la possibilité de faire valoir leurs droits.

Les banques qui financent le fonctionnement et la croissance des entreprises du secteur de la viande, des produits laitiers et de l’alimentation animale favorisent directement leurs émissions et toutes les autres conséquences environnementales et sociales négatives qui en découlent.

Le rapport 2024 « Bull in the Climate Shop » (Un taureau dans le magasin climatique), que nous avons co-rédigé pour nos organisations, les Amis de la Terre et Profundo, reprennent en détail les atteintes que les banques américaines font subir au climat, à l’environnement et à la société en investissant dans des entreprises du secteur de la viande, des produits laitiers et de l’alimentation animale.

Les « Big three » (trois grandes) banques financent l’éco catastrophe

Nous nous sommes penchés sur les 56 plus grandes entreprises en termes de volume de production dans six secteurs et fait le bilan de leurs rapports d’émissions. Ces six secteurs sont les suivants :

  • alimentation animale
  • commerce du soja
  • bovins
  • volaille
  • porc
  • produits laitiers

Dans l’ensemble, nous avons calculé que ces entreprises sont chaque année à l’origine de 1,14 milliard de tonnes d’équivalent CO2, soit plus que le Japon, huitième émetteur mondial.

Des dizaines de banques américaines financent les entreprises du secteur de la viande, des produits laitiers et des aliments pour animaux, mais les Big three sont les banques qui prédominent : selon nos estimations, la Bank of America, Citigroup et JPMorgan Chase fournissent à elles seules plus de la moitié des 134 milliards de dollars investis dans ces entreprises en Amérique.

Bien que cela ne représente que 0,25 % de l’encours des prêts de ces banques, l’élevage, du fait de sa forte intensité d’émissions, génère 11 % des émissions signalées concernant leurs portefeuilles.

Par rapport à la construction automobile, la banque Bank of America génère deux fois plus d’émissions par dollar, Citigroup 2,5 fois plus et JPMorgan Chase quatre fois plus pour le financement des élevages.. Sur la base de leurs déclarations, les financements de JPMorgan Chase dans les secteurs de la viande, des produits laitiers et de l’alimentation animale génèrent neuf fois plus d’émissions que leurs investissements dans le secteur du pétrole et du gaz.

Notre analyse a découvert que les financements accordés par ces trois banques aux entreprises du secteur de la viande, des produits laitiers et de l’alimentation animale ont entraîné l’émission de 24,4 millions de tonnes d’équivalent CO2. Cela équivaut au carbone libéré par la combustion de 12,3 millions de tonnes de charbon ou par la conduite de 5,4 millions de voitures pendant un an.

Le méthane, qui contribue de manière significative au changement climatique avec un potentiel de réchauffement global 80 fois supérieur à celui du CO2 pour une période de 20 ans, représente une part non négligeable de l’impact des émissions dues au secteur bancaire. Les émissions de méthane comptent pour près de 50 % des émissions financées par les 58 banques américaines et provenant des clients du secteur de la viande et des produits laitiers.

Les banques mentionnées dans notre rapport reconnaissent que leurs investissements dans le pétrole et le gaz génèrent du méthane et commencent à remédier aux dégâts. En revanche, elles ne s’attaquent pas au méthane provenant des émissions due au bétail dans le secteur industriel, même si l’impact par dollar est beaucoup plus important.

Le plus grand délinquant du bétail : JBS

Quelques énormes entreprises – Cargill, ADM, Bunge, Nestlé et JBS – figurent parmi les pires contrevenants aux règles climatiques figurant dans la clientèle du secteur agricole des banques.

La société brésilienne JBS S.A., la plus grande entreprise mondiale du secteur de la viande, a été soumise à un audit approfondi en raison de son implication dans :

  • le changement climatique
  • la déforestation
  • les violations des droits humains
  • les violations du droit des animaux
  • les scandales de corruption

Les pays importateurs de viande comme les États-Unis exigent des producteurs qu’ils soient sincères quant à l’endroit où ils élèvent leurs animaux. Pourtant, des enquêtes menées au Brésil ont révélé des irrégularités dans l’approvisionnement en bœuf de la société JBS, faisant apparaître des liens avec la déforestation illégale de la forêt amazonienne.

En 2023, la commission des finances du Sénat américain a mis en évidence les pratiques de « blanchiment de bétail » de JBS, qui consiste à déplacer le bétail élevé dans des ranchs « sales » situés dans des zones déboisées vers des ranchs « propres », dissimulant ainsi la destruction de la forêt.

JBS a affirmé être sur la bonne voie pour atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2040, mais la façon d’y arriver n’est pas claire ; mi-2024, la société n’avait toujours pas publié de plan concret, et la procureure générale de l’État de New York, Letitia James, a intenté un procès à JBS en février 2024 pour avoir menti aux consommateurs quant à son engagement en matière d’émissions nettes nulles.

Le passé de JBS, entaché de scandales, a empêché cette entreprise d’entrer à la Bourse de New York, mais elle a annoncé en 2023 qu’elle ferait un nouvel essai. Entre-temps, malgré toutes les controverses, Bank of America et Citigroup continuent d’accorder des prêts à JBS.

Or c’est une chose qu’elles ne devraient pas faire : Pour respecter leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les banques américaines devraient cesser de soutenir JBS.

Des chiffres peu fiables masquent l’impact réel des émissions

Les entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers sous déclarent et embrouillent leurs données, ce qui complique l’évaluation par les banques de l’ampleur de l’impact des entreprises sur le climat. Seules 22 % des entreprises étudiées ont divulgué leurs émissions de scope 3, [qui tiennent compte des émissions indirectes, comme la vente ou l’achat de produits ou services à d’autres entreprises, NdT] qui peuvent représenter plus de 90 % des émissions totales. 56 % n’ont rien déclaré du tout.

JBS a exclu de sa catégorie « biens et services achetés » les émissions du scope 3, alors même que l’approvisionnement en bétail et en volaille auprès de plus de 50 000 producteurs représente jusqu’à 97 % de son empreinte climatique.

Le secteur de la viande et des produits laitiers plaide de plus en faveur d’une nouvelle méthode de mesure des émissions, le PRP*, qui remplacerait le potentiel de réchauffement planétaire (PRP) actuellement utilisée pour calculer les émissions de gaz à effet de serre. Le système de mesure proposé pourrait permettre aux entreprises de prétendre à la neutralité climatique par le biais de réductions minimes des émissions de méthane, ce qui leur donnerait une meilleure image et rendrait moins efficace les demandes de réductions urgentes des émissions de méthane afin de limiter à court terme l’augmentation des températures, conformément à la trajectoire de 1,5 degré Celsius.

Par exemple, une entreprise comme Tyson pourrait parvenir à réduire ses émissions de 30 % d’ici à 2030, selon la norme actuelle GWP100 standard (qui tient compte de l’impact des émissions sur une période de 100 ans). Cependant, la même réduction d’émissions mesurée selon le PRP* pourrait en fait être négative, ce qui laisserait entendre à tort que leur travail d’atténuation du changement climatique est réalisé.

Cette mesure climatique faussée peut permettre aux grands pollueurs historiques de méthane, comme Tyson, de ne pas être tenus pour responsables de leurs émissions continues de méthane, puisqu’elle ne prend pas en compte les émissions antérieures.

Faire face au taureau dans le magasin climatique : Que doivent faire les banques ?

Étant donné que la production industrielle de bétail a des répercussions négatives qui vont bien au-delà des émissions de gaz à effet de serre, les banques doivent reconsidérer la manière dont elles financent les entreprises du secteur de la viande, des produits laitiers et de l’alimentation animale. Les grandes banques peuvent prendre trois mesures majeures pour respecter leurs engagements en matière de climat :

  • Mettre un terme à tout nouveau financement qui permet l’expansion de l’élevage industriel.
  • Exiger de leurs clients qu’ils se fixent des objectifs de réduction des émissions conformes aux trajectoires scientifiques et sanctionner l’absence de progrès. La présentation de rapports d’entreprise sincères et précis serait déjà un bon début.
  • S’attaquer aux dommages sociaux et environnementaux additionnels dus à l’élevage industriel.

Diminuer le soutien à l’élevage industriel représente un changement relativement mineur pour les banques : Ces entreprises agricoles ne représentent qu’une infime partie (0,25 %) des portefeuilles des banques. Pourtant, cela entraînerait une immense amélioration quant à l’impact de leurs émissions. En d’autres termes, cette mesure est positive pour la planète et les populations, mais les banques y gagneraient aussi.

De plus, les banques doivent agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, en février 2024, lors du débat du Conseil de sécurité des Nations unies sur le changement climatique et l’insécurité alimentaire :

« Il nous faut des investissements majeurs pour une transformation durable vers des systèmes alimentaires sains, équitables et pérennes. Et il faut que les gouvernements, les entreprises et la société travaillent de concert pour faire de ces systèmes une réalité ».

*

Cet article a été produit par Earth | Food | Life, une étude de l’Independent Media Institute. Les opinions exprimées ici sont uniquement celles des auteurs et ne reflètent pas les opinions ou les convictions de LA Progressive.

Monique Mikhail est la directrice de campagne du programme de financement de l’agriculture et du climat aux Amis de la Terre, un groupe de défense de l’environnement à but non lucratif. Ward Warmerdam est chercheur principal chez Profundo, où il dirige l’équipe de recherche financière et économique.

Source : LA Progressive, Monique Mikhail, Ward Warmerdam, 02-07-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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