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17.avril.202417.4.2024 // Les Crises

Tsahal protège les exactions des colons israéliens en Cisjordanie

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Shane Bauer explique comment les colons qui ont été récemment condamnés par les États-Unis sont soutenus directement par l’État d’Israël.

Source : Truthout, Amy Goodman
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

S’appuyant sur une vague de violence inédite déclenchée par des colons en 2023, les attaques israéliennes contre les Palestiniens de Cisjordanie occupée se sont intensifiées depuis le 7 octobre, avec plus de 400 Palestiniens tués par les forces israéliennes et les colons au cours des cinq derniers mois. La semaine dernière, l’administration Biden a imposé des sanctions à l’encontre de trois colons israéliens et de deux avant-postes israéliens en Cisjordanie occupée pour avoir agressé, harcelé et menacé des Palestiniens et avoir violemment expulsé un grand nombre d’entre eux de leurs terres. Le journaliste d’investigation Shane Bauer s’est rendu sur place pour dresser la carte de la violence contre les Palestiniens, laquelle a connu une recrudescence depuis le 7 octobre, et s’est en particulier intéressés aux avant-postes illégaux de « deux hommes très dangereux » visés par les sanctions : Neria Ben-Pazi et Moshe Sharvit. « La réalité est que (Moshe Sharvit), tout comme Neria Ben-Pazi, sont soutenus directement par l’État d’Israël, déclare Bauer. Selon le libellé des sanctions, cela voudrait dire que tant l’État d’Israël lui-même que toutes les organisations qui le soutiennent devraient être sanctionnés, ce qui, bien sûr, n’a pas été le cas. » Bauer décrit comment « la ligne de séparation entre les colons et l’armée a pratiquement disparu après le 7 octobre », alors que les membres du cabinet israélien d’extrême droite font pression pour « une officialisation de l’apartheid » en Cisjordanie.

Amy Goodman : Ici Democracy Now. Je suis Amy Goodman. L’administration Biden a imposé la semaine dernière des sanctions à l’encontre de trois colons israéliens et de deux avant-postes israéliens en Cisjordanie occupée pour leur implication dans l’agression, le harcèlement et les menaces envers des Palestiniens, et l’expulsion par la violence de nombre d’entre eux de leurs terres. Les sanctions du département d’État américain visent Moshe Sharvit, propriétaire des avant-postes de Moshe’s Farm, Zvi Bar Yosef, fondateur de Zvi’s Farm, et Neria Ben-Pazi.

Au cours des cinq derniers mois, la violence des colons israéliens s’est intensifiée en Cisjordanie, les groupes de défense des droits humains accusant le gouvernement israélien d’encourager les attaques contre les Palestiniens. Selon les autorités de santé, plus de quatre cents Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par Tsahal et les colons depuis le 7 octobre.

Le journaliste d’investigation Shane Bauer a récemment écrit pour le magazine The New Yorker un article qui met en avant deux des colons israéliens sanctionnés par l’administration Biden : Neria Ben-Pazi et Moshe Sharvit, que Shane Bauer décrit comme « deux hommes très dangereux ». Shane Bauer s’est rendu dans leurs avant-postes illégaux en Cisjordanie et s’est entretenu avec plusieurs autres colons, dressant un tableau de la violence contre les Palestiniens qui s’est intensifiée depuis le 7 octobre. Son article pour le New Yorker a été publié en février sous le titre : « Les colons israéliens attaquent leurs voisins palestiniens ». L’édition papier s’intitule « Les dépossédés ».

J’ai récemment interviewé Shane Bauer et mes premières questions portaient sur son voyage en Cisjordanie et sur la manière dont il avait pu rencontrer les colons qui ont finalement été sanctionnés par l’administration Biden.

Shane Bauer : Le 7 octobre est arrivé en quelque sorte au beau milieu d’une vague de violence sans précédent menée par des colons en Cisjordanie et commencée vers le début de l’année 2023. Cette recrudescence de la violence a fait suite à l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement israélien, qui comptait des colons très influents, comme Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich. Avant le 7 octobre, les Nations unies recensaient environ trois attaques de colons par jour. Le 7 octobre arrive ensuite et forcément la violence augmente de façon exponentielle.

Quelques jours après le 7 octobre, j’ai appris par des rapports que des groupes israéliens et palestiniens de défense des droits humains faisaient état d’attaques et de dépeuplement de certains villages. Je me suis donc rendu en Cisjordanie. Sur place, j’ai rencontré deux des colons qui venaient d’être sanctionnés, Moshe Sharvit et Neria Ben-Pazi. Ce sont des gars qui dirigent des fermes. Ils exploitent des fermes pastorales. Il s’agit là d’une tactique relativement nouvelle utilisée par les colons de Cisjordanie pour s’emparer de terres. Il s’agit essentiellement de colons qui installent des avant-postes. Ces derniers sont, comme vous le savez, illégaux au regard du droit israélien, non seulement du droit international, qui considère toutes les colonies comme illégales, mais aussi d’Israël, qui considère ces avant-postes comme illégaux. Cependant, Israël (comme me l’a dit Moriah, la femme de Moshe) les a soutenus dans l’installation de ces avant-postes. Ils ont pris l’avis de nombreuses instances du gouvernement. Ils ont reçu le soutien de l’armée.

L’avant-poste où je me suis rendu était une sorte de petite ferme où ils élevaient un tas de moutons. L’idée de ce type d’avant-postes de bergers est que les colons, avec un nombre relativement restreint de gens, peuvent contrôler une grande partie du territoire. Ce qu’ils font c’est faire paître leurs moutons et ainsi repousser de force les Palestiniens qui se trouvent sur ce territoire. Ils font donc en quelque sorte partie d’une stratégie qui consiste à vider la partie de la Cisjordanie connue sous le nom de zone C (il s’agit des 60 % de la Cisjordanie qui sont essentiellement sous le contrôle d’Israël) pour la débarrasser des Palestiniens dans l’espoir d’une éventuelle annexion à Israël. Il s’agit de…

Amy Goodman : Je voudrais vous interrompre un instant, Shane, parce que lorsque vous parlez de la zone C, je ne pense pas que la plupart des gens…

Shane Bauer : Oui.

Amy Goodman : comprennent les divisions, zone A —

Shane Bauer : C’est vrai.

Amy Goodman : La zone B et la zone C. Pouvez-vous expliquer ?

Shane Bauer : Oui. Bien sûr. Dans les accords d’Oslo des années 1990, la Cisjordanie a été divisée en trois zones. La zone A devait rester sous le contrôle total de l’Autorité palestinienne. Elle comprenait les principales villes, comme Ramallah et Naplouse. La zone B, quant à elle, regroupait essentiellement les villages palestiniens. Israël y exercerait un contrôle sur le plan de la sécurité et l’Autorité palestinienne un contrôle sur le plan administratif. Le reste du territoire était la zone C, et là, Israël exerçait un contrôle total sur la sécurité militaire et sur l’administration. Ainsi, si on regarde la carte de ces zones, on voit en fait des centaines de petites îles des zones A et B qui se trouvent au milieu d’une mer qui est la zone C.

Et donc, si on imagine l’annexion de la zone C, cela se traduirait par la création de nombreuses petites enclaves, des enclaves palestiniennes, ce serait un peu comme créer de nombreuses bandes de Gaza en Cisjordanie, ou de bantoustans si on voulait comparer avec le modèle de l’apartheid sud-africain. Ces zones seraient habitées par des Palestiniens, mais, selon le plan de Bezalel Smotrich, qui est surtout responsable de la Cisjordanie, les Palestiniens qui y vivent n’auraient pas le droit de vote. Il existe donc une campagne permanente menée par les colons qui revendiquent la zone C au nom d’Israël. Tout ça c’est terminé et depuis les années 90, Israël considère de plus en plus que cette zone fait partie d’Israël. Mais des pressions s’exercent pour que cela, vous voyez, devienne plus officiel. Smotrich est arrivé avec un projet, il y a plusieurs années, qui dit essentiellement : vous voyez, il veut annexer la Cisjordanie. Les Palestiniens qui ne sont pas d’accord peuvent soit partir, soit rester en tant que citoyens sans droit de vote, ce qui revient à officialiser l’apartheid.

Amy Goodman : Je voulais passer à un clip dont j’aimerais que vous nous parliez. Vous l’avez vous-même filmé lors d’un reportage en Cisjordanie. Si vous voulez bien (c’est une image), vous parlez à des soldats israéliens, qui vous répondent en anglais. Pouvez-vous expliquer où vous êtes, ce qui s’est passé et pourquoi vous avez fini par leur parler.

Shane Bauer : Lorsque je suis arrivé en Cisjordanie, j’ai commencé par essayer de rencontrer des gens qui avaient été attaqués auparavant. Je me suis donc rendu dans le village de Qusra qui, quelques jours seulement après le 7 octobre, avait été très brutalement attaqué par des colons d’un avant-poste voisin. Un certain nombre de gens ont été tués. Le lendemain, il y a eu les funérailles. Et lors du cortège, alors que les corps étaient amenés depuis l’hôpital jusqu’au village, le cortège a été arrêté par un barrage de colons et de soldats, les colons ont tiré et ont tué deux autres personnes.

J’étais donc en train d’interviewer le frère d’une des victimes, et il s’est trouvé que cet homme était en train de cueillir des olives juste en dehors du village. Je suis donc allé là bas alors qu’il travaillait. Et pendant que nous étions en train de parler, nous avons vu des soldats qui s’approchaient, arrivant de l’avant-poste un peu plus loin.

Amy Goodman : Voici donc le clip que Shane a enregistré.

Shane Bauer : Ces hommes sont occupés à récolter des olives, et l’armée arrive.

Soldat : Il y a des terroristes dans tous ces villages, d’accord ? Il n’y a pas que Gaza, OK ? Nous arrêtons le Hamas – OK ? – Il y a le Hamas dans tous ces villages.

Shane Bauer : Mais ils ne font rien si ce n’est récolter des olives. Ils n’ont aucune arme. Il n’y a pas d’armes. C’est clair. C’est d’accord?

Soldat : Je ne fais pas usage de mon arme, si ?

Shane Bauer : Non, non, mais eux n’ont pas d’armes.

Soldat : Je n’ai pas d’arme non plus.

Shane Bauer : Eh bien, vous avez…

Amy Goodman : Le soldat lève les mains en disant : « Nous n’avons pas d’armes. » Mais, bien sûr, il déplace l’arme automatique qu’il porte en bandoulière. Et il dit qu’il y a des terroristes dans tous ces villages, qu’il y a le Hamas dans tous ces villages. Shane ?

Shane Bauer : Exact. Pendant que j’étais là-bas, on était à la saison de la récolte des olives. Vous savez, de nombreux Palestiniens de Cisjordanie complètent leurs revenus en récoltant des olives dans des vergers qui appartiennent généralement à leurs familles depuis des générations. Je suivais divers groupes de médias sociaux animés par des colons. Je parlais à des colons. Et le discours qu’ils mettaient en avant était que les cueilleurs d’olives étaient des agents infiltrés du Hamas qui tentaient d’attaquer leurs colonies. Ils s’en servaient donc comme d’un précédent ou d’un prétexte pour chasser les gens de leurs oliveraies et empêcher la récolte. Bien sûr, cela a un impact sur leurs moyens de subsistance et c’est, vous voyez, une tentative pour en quelque sorte encourager les gens à partir.

Dans un village, ils ont même collé des tracts sur les voitures des gens qui étaient en train de récolter, menaçant d’une nouvelle Nakba. Vous savez, la Nakba [littéralement « catastrophe » en arabe, NdT] est le terme palestinien qui désigne l’exil forcé de sept cent cinquante mille Palestiniens en 1948. Des gens ont été tués. J’ai parlé d’un homme, Bilal Saleh, qui a été tué par des colons dans son oliveraie. Tout ça pour vous expliquer que j’ai vu cela à maintes reprises, cette espèce d’affirmation prétendant que les Palestiniens civils ordinaires étaient, en fait, des agents du Hamas, et que pour protéger les colonies, ils devaient en quelque sorte, vous voyez, les chasser.

Amy Goodman : Et l’effet produit par Smotrich : vous savez, Smotrich et Ben-Gvir, des colons israéliens, qui sont aussi maintenant des membres puissants au sein du gouvernement israélien, des membres du Cabinet ; l’effet produit par l’annonce du ministre de la sécurité nationale Ben-Gvir expliquant que son ministère était en train d’acheter dix mille fusils pour équiper les soi-disant équipes de sécurité civiles installées le long des frontières d’Israël et des colonies illégales en Cisjordanie, en leur offrant ces armes ?

Shane Bauer : Mm-hmm, oui, et cela s’ajoute aux sept mille fusils qui ont été remis aux colons par l’armée après le 7 octobre. Je veux dire, c’est très évident. Vous savez, les Palestiniens m’ont dit que les colons qui les harcelaient auparavant avaient maintenant des M16. Et donc, lorsque je me rendais dans les colonies, vous imaginez, c’était comme aller au supermarché, et il y avait des gens qui se promenaient en trimballant des Uzis et des M16. C’est quelque chose de très, très courant.

Et, en fait, en dehors de tout ceci, ce n’est pas seulement le fait de distribuer des fusils aux civils, mais après le 7 octobre, l’armée a recruté des milliers de colons qui ensuite ont servi localement. Ainsi, cela faisait plusieurs années que quelqu’un comme Moshe Sharvit, qui vient d’être sanctionné par l’administration Biden, avait son avant-poste et il était connu pour la façon dont ils avait dispersé les troupeaux des Palestiniens locaux, faisant pression sur ceux qui vivaient aux alentours de son avant-poste pour qu’ils s’en aillent. Et puis, suite au 7 octobre, il est devenu soldat. Et, à ce moment là, il se pointe chez certains de ces gens, menaçant de les tuer si ils ne partent pas. Voilà comment douze familles sont parties. Et c’est à maintes reprises que j’ai entendu cette même histoire racontée par les Palestiniens, voyez-vous, en particulier ceux qui avaient très directement subi les pressions des colons avant le 7 octobre, et qui, quelques jours après le 7 octobre, ont vu ces même colons, sous uniforme militaire. Et c’est ainsi que la ligne de séparation entre l’armée et les colons civils a pratiquement disparu après le 7 octobre.

Amy Goodman : Je voulais passer à un deuxième extrait que vous avez enregistré, Shane, dans une interview avec un Palestinien plus âgé, qui raconte avoir été battu par Moshe Sharvit, l’un des colons israéliens sanctionné aujourd’hui par l’administration Biden, il a été battu par Moshe et son frère, qui se sont présentés chez lui, en Cisjordanie, armés de M16. Voulez-vous nous en dire un peu plus sur cet homme et sur ce qu’il s’est passé ?

Shane Bauer : Oui, cet homme, qui s’appelle Nabil Shtayyeh, est l’une des personnes que j’ai rencontrées et qui vivait juste à côté de l’avant-poste de Moshe Sharvit, la ferme de Moshe, qui fait maintenant l’objet de sanctions. Lui et d’autres ont décrit ce qui s’est passé après le 7 octobre. Vous savez, je le redis, ces gens avaient été harcelés pendant des années par Moshe avant le 7 octobre, mais sur cette video, il décrit ce qui s’est passé.

Nabil Shtayyeh : Quand ils sont arrivés, j’étais seul. Ils m’ont dit de partir. Puis ils ont commencé à me battre. Il y avait quatre hommes avec lui. J’ai passé la nuit dans un hôpital à Tobas. J’ai passé deux jours à l’hôpital. J’ai été blessé à la main, à la tête et au dos.

Shane Bauer : Ils vous ont battu avec un bâton ?

Nabil Shtayyeh : Ils m’ont frappé avec un bâton et m’ont donné des coups de pied.

Shane Bauer : Dans votre maison ?

Nabil Shtayyeh : Dans la maison, oui. Je criais. J’ai cru qu’ils allaient me tuer. J’ai réussi à m’enfuir. J’ai vraiment pensé qu’ils allaient me tuer dans ma maison. Mes voisins ont appelé une ambulance. Ils ont détruit mon réservoir d’eau. Venez voir par ici.

Shane Bauer : Ils ont fait ça le jour où ils vous ont chassé ?

Nabil Shtayyeh : Oui, le jour où ils m’ont battu.

Shane Bauer : Voilà c’est là qu’est l’avant-poste, l’avant-poste de Moshe.

Amy Goodman : Nous regardons donc au loin l’avant-poste de Moshe. Encore une fois, Moshe est l’un de ceux qui ont été sanctionnés par l’administration Biden. Parlez-nous de Nabil Shtayyeh, Shane Bauer.

Shane Bauer : Eh bien, il y a une chose qu’on ne voit pas dans ce clip, c’est ce que Nabil m’a dit ce jour là. Les soldats sont arrivés chez lui en premier et ont dit que Moshe affirmait qu’il cachait des terroristes dans sa maison. Ils ont donc fait une fouille complète de sa maison, sont partis, et dès qu’ils sont partis, Moshe et d’autres gars sont arrivés et l’ont tabassé.

Et, vous savez, il y a quelque chose sur laquelle je voudrais insister : c’est que Moshe, vous voyez, j’ai beaucoup parlé à son épouse Moriah, et elle m’a décrit les différents soutiens qu’ils obtiennent du gouvernement pour leur avant-poste, avant-poste, encore une fois, qui est considéré même par Israël comme étant illégal. Lorsqu’ils ont implanté cet avant-poste, ils ont eu (dit-elle) « un milliard de réunions » avec différentes instances du gouvernement. L’armée leur a donné des M16. Ils ont installé, l’armée a installé des caméras de surveillance dans la zone avoisinant l’avant-poste, et c’est l’armée elle-même qui les contrôle. Comprenez bien, Moriah a dit qu’ils étaient les yeux de l’armée. Et, je le répète, Moshe lui-même est maintenant soldat.

Alors quand on parle des sanctions que l’administration Biden a instaurées, elles visent Moshe en tant qu’individu, elles gèlent tous les actifs qu’il pourrait avoir aux États-Unis, mais le décret qui autorise les sanctions vise également les individus ou les responsables gouvernementaux qui soutiennent financièrement ou matériellement ces individus. Donc, vous voyez, ce qui n’est pas dit ici, c’est que cet homme, ainsi que Neria Ben-Pazi, sont directement soutenus par l’État d’Israël. Par conséquent, conformément au libellé des sanctions, cela signifie que l’État d’Israël lui-même et toutes les organisations qui le soutiennent devraient être sanctionnés. Mais bien sûr cela n’a pas été le cas.

Amy Goodman : Shane, vous avez écrit sur X : « Israël a attribué à Ben-Pazi un terrain pour y implanter un avant-poste illégal dans la zone destinée à être annexée et a payé des gardes qui ont expulsé par la violence les Palestiniens des terres avoisinantes. Des officiers supérieurs de Tsahal, dont le ministre de la Défense Yoav Gallant, viennent régulièrement dans cet avant-poste. » Pouvez-vous nous en dire plus ?

Shane Bauer : Bien sûr. Ben-Pazi est lui-même un personnage intéressant parce qu’en 2015, il a été, vous voyez, il a établi un avant-poste qui était considéré par le Shin Bet, la branche de la sécurité intérieure d’Israël, comme une sorte de centre du terrorisme juif. Les personnes qui y vivaient ont ultérieurement été reconnues coupables de crimes de haine, des crimes de haine avec incendies criminels, y compris le meurtre par le feu d’un enfant, un enfant palestinien. Ben-Pazi avait été arrêté puis relâché.

Et puis plus tard, le temps ayant passé, Netanyahou, vous vous en souvenez peut-être, avait réclamé l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie. Cela se passait du temps de Trump. Et à ce moment-là, les relations entre Ben-Pazi et le gouvernement ont commencé à se modifier. L’administration civile, qui est en quelque sorte le bras bureaucratique de l’occupation israélienne en Cisjordanie, a attribué des terres à Ben-Pazi pour son avant-poste illégal. Le ministère de l’agriculture lui a donné de l’argent pour les volontaires d’une organisation appelée Hashomer Yosh, connue pour ses attaques violentes contre les Palestiniens. Il s’agit d’une organisation qui récupère principalement des jeunes délinquants Israéliens et les place dans ces fermes pastorales, où ils gardent les moutons et attaquent les Palestiniens qui pénètrent sur leurs pâturages.

Amy Goodman : Si c’est possible, pouvez-vous nous préciser qui était disposé à vous parler et qui ne l’était pas ? Par exemple, Moriah, la femme de Moshe, alors que lui, ne voulait pas vous parler. Pouvez-vous expliquer qui elle est, née dans le New Jersey, faisant aujourd’hui partie des colons en Cisjordanie occupée.

Shane Bauer : Oui. Ce que je veux dire, je dirai qu’il n’est pas facile d’obtenir des interviews auprès des colons. Beaucoup d’entre eux refusent de me parler parce que je suis journaliste. Moriah, en fait je l’ai contactée, parce que leur colonie était, je l’ai trouvée sur Google Maps, et elle était qualifiée de site touristique. Il y avait un site web qui proposait une sorte d’expérience B&B [Bed and Breakfast, NdT], où les gens pouvaient séjourner dans des tentes bédouines climatisées. Paradoxalement, ils déplacent les Bédouins de la région et proposent aux gens de dormir dans ces versions idéalisées de leur habitat. J’ai donc pris contact avec elle, je lui ai dit que j’étais journaliste et elle m’a invitée à venir. Elle-même est originaire du New Jersey. Elle a arrivée en Israël quand elle était jeune et a grandi dans les colonies, tout comme Moshe.

Vous voyez, certains de ces colons étaient, ils étaient souvent très réticents. Et à ma grande surprise, j’ai découvert qu’une fois que je commençais à leur parler, ils étaient ouverts, une fois assis pour parler. Nombre de colons ont comparé la situation actuelle à celle de 1948. Vous savez, le chef d’un conseil régional, David Elhayani, c’est l’un des plus… ce sont en somme les instances dirigeantes des colons en Cisjordanie. Il m’a dit qu’aujourd’hui, la bataille actuelle est comme celle de 1948. C’est une lutte pour la terre. Et il a comparé ces avant-postes de bergers, celui de Moshe en particulier, aux premières colonies, celles d’avant 1948, celles des colons juifs qui les établissaient dans des régions qui étaient en grande partie arabes, afin d’étendre les frontières d’un futur État. Il disait que, vous voyez, ce que font ces avant-postes pastoraux est au fond la même chose : ils agrandissent le territoire et occupent la terre.

Amy Goodman : Parlez-nous de Moriah et de ce qu’elle vous a dit.

Shane Bauer : Moriah, en fait, a été très franche quant à ce qu’elle pensait des Palestiniens. Elle m’a dit que les Palestiniens … elle ne considérait pas les Palestiniens comme des gens normaux. Elle pensait qu’ils devraient partir, vous savez, en Jordanie, en Syrie. Et vous voyez, elle m’a parlé de leur travail, du rôle de leurs avant-postes. Et la façon dont elle l’a décrit est identique à celle de nombreux colons, à savoir qu’il s’agit de protéger la terre appartenant à l’État d’Israël, la zone C. Encore une fois, il s’agit de quelqu’un qui est convaincue que la Cisjordanie lui appartient. Elle est persuadée que Dieu lui a donné la Cisjordanie, et c’est important de le relever, parce que, encore une fois, on est face à ces sortes de fondamentalistes religieux alliés à l’État laïque d’Israël. Elle a donc utilisé ces arguments religieux, mais également des arguments juridiques selon lesquels la zone C appartient à Israël et qu’ils la défendent. En fait, elle a décrit ce qu’ils faisaient comme étant une façon d’empêcher que la terre leur soit volée, et que les Palestiniens, ne serait-ce qu’en vivant en Cisjordanie, étaient en train de voler des terres à Israël.

Amy Goodman : Vous écrivez sur X : « Les Sharvits ont eu un million de réunions avec des organismes gouvernementaux pour implanter l’avant-poste illégal, a déclaré Moriah. Elle ajoute que la ferme a joué le rôle d’yeux de l’armée. L’armée leur a donné des M16 et a installé sur les terres avoisinantes des caméras de surveillance qu’elle contrôlait depuis un centre de commandement. Par l’intermédiaire de Sharvit et de Ben-Pazi, Israël s’empare de terres tout en évitant les obstacles juridiques liés à la création de colonies officielles. Avi Naim, du ministère des colonies, a déclaré : « On prend des gens qui croient en cet idéal comme en une mission de pionnier, et on les laisse gérer le travail pour garder le contrôle de la terre. » Pourriez-vous nous en dire plus sur cette relation très étroite entre le gouvernement israélien et ces colons ?

Shane Bauer : Oui. En réalité, ce qu’il faut noter (comme, par exemple, cette citation d’Avi Naim) c’est qu’il s’agit de quelque chose qui est connu de tous. Ce n’est pas un secret, voyez-vous. On entend des responsables politiques israéliens qui parlent de ces confiscations de terres par ces colons.

Et, soyez en sûre, le lien est très direct. Neria Ben-Pazi, par exemple, qui a été sanctionné, a le 12 octobre (après le 7 octobre donc) supervisé l’expulsion de la communauté de Wadi Siq. Il s’agissait d’une petite communauté palestinienne. Cette expulsion a été menée par des dizaines de colons et de soldats, tous ensemble. Vous savez, ils sont entrés. Ils ont menacé les habitants de les tuer s’ils ne partaient pas. Les colons et les soldats ont alors torturé un certain nombre de Palestiniens qui se trouvaient là. Les soldats ont attaqué des militants israéliens qui essayaient de protéger cette communauté, les accusant en leur disant : « Pourquoi n’êtes-vous pas à Gaza ? Pourquoi protégez-vous les terroristes ? » L’avocat de Neria Ben-Pazi avait écrit dans des documents juridiques qu’il avait des liens étroits avec les services de sécurité. Vous savez, tout cela est tout à fait prouvé.

Et, vous savez, la sorte de… je veux dire, même à l’ONU, lorsque j’ai mentionné précédemment les quelque 600 attaques qui ont eu lieu depuis le 7 octobre, l’ONU a déclaré que dans au moins la moitié de ces attaques, des soldats étaient présents. Vous savez, ce n’est pas une coïncidence. Et il ne s’agit pas simplement de soldats ne s’opposant pas à ces colons. Nombre d’entre eux collaborent activement et en permanence.

Amy Goodman : Et selon vous, ces sanctions n’abordent pas ce problème.

Shane Bauer : Oui, c’est vrai. Je veux dire qu’elles ciblent ces individus, vous savez, une poignée d’individus, sur des centaines qui attaquent les Palestiniens, et elles les ciblent en tant qu’individus, mais ne ciblent pas un État qui les soutient et les encourage à continuer à accaparer des terres.

Amy Goodman : L’article du journaliste Shane Bauer pour le New Yorker s’intitule « Les colons israéliens attaquent leurs voisins palestiniens. »

Et cette nouvelle de dernière minute : Le premier ministre irlandais vient de démissionner.

Je suis Amy Goodman.

Cet article a été reproduit par Truthout avec autorisation ou licence. Il ne peut être reproduit sous quelque forme que ce soit sans l’autorisation ou la licence de la source.

Amy Goodman

Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now !, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de mille cent chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now ! son « Pick of the Podcasts » [le meilleur des podcasts, NdT], au même titre que « Meet the Press » de NBC.

Source : Truthout, Amy Goodman, 20-03-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

marco // 17.04.2024 à 10h18

Amy Goodman, Katie Halper, Lee Camp, Aaron Mate… cette liste de journalistes et commentateurs juifs qui dénoncent l’apartheid et le genocide en cours au quotidien depuis 6 mois redonne espoir en l’humanité.
Ils ont redonné une voix aux nombreux activistes, historiens et rabbins qui s’opposent à l’horreur que subissent les palestiniens depuis des décennies ainsi qu’aux jeunes qui vont prendre la relève : Norman Finkelstein, Gabor Mate, Ilan Pappe, Naomy Klein, Miko Peled, Rabin Yaakov Shapiro, Simone Zimmermann, Zach Foster…
Merci à tout ces héros.

Elucid devrait interviewer Norman Finkelstein. Il a étudié en France dans sa jeunesse et ne refuse jamais une interview.

8 réactions et commentaires

  • marco // 17.04.2024 à 10h18

    Amy Goodman, Katie Halper, Lee Camp, Aaron Mate… cette liste de journalistes et commentateurs juifs qui dénoncent l’apartheid et le genocide en cours au quotidien depuis 6 mois redonne espoir en l’humanité.
    Ils ont redonné une voix aux nombreux activistes, historiens et rabbins qui s’opposent à l’horreur que subissent les palestiniens depuis des décennies ainsi qu’aux jeunes qui vont prendre la relève : Norman Finkelstein, Gabor Mate, Ilan Pappe, Naomy Klein, Miko Peled, Rabin Yaakov Shapiro, Simone Zimmermann, Zach Foster…
    Merci à tout ces héros.

    Elucid devrait interviewer Norman Finkelstein. Il a étudié en France dans sa jeunesse et ne refuse jamais une interview.

      +23

    Alerter
  • Savonarole // 17.04.2024 à 13h23

    Les autorités locales ne se sont pas contenté de distribuer des M16 après le 7 octobre : https://www.theguardian.com/world/2024/apr/17/revealed-israel-has-sped-up-settlement-building-in-east-jerusalem-since-gaza-war-began

    Ce qui est dommage pour tout ces plans sur la comète, c’est qu’Israel a réussi a perdre sa sécurité , son imunité et son impunité en une nuit d’Avril à force d’enchainer les grosses bétises.
    Pas sur que beaucoup de « colons » restent super motivés par la déstination en contexte , surtout si c’est pour finir avec un Shahed ignorant leur « mandat divin » dans le toit … ce qui est beaucoup plus dissuasif pour l’implantation qu’une sanction de pure forme.

      +7

    Alerter
    • petitjean // 18.04.2024 à 14h33

       » les grosses bêtises »

      ces « grosses bêtises » ça représente combien de milliers de femmes et d’enfants tués ?

        +4

      Alerter
      • Savonarole // 19.04.2024 à 18h17

        Un tué c’est toujours un de trop. Et c’est déjà une grosse bétise. Le côté infantilisant de l’euphémisme n’est cepandant pas déplacé.
        Après , ma tendance à un peu tout euphémiser « didn’t happen in a vacuum » comme dirait l’autre. :p

          +0

        Alerter
  • Hugo // 17.04.2024 à 13h30

    ßonjour, tout cela est vraiment triste ; et, en plus, cela explique pourquoi Israël n’a eu aucun scrupule à ƒournir des drones d’attaque « dernier modèle » à l’Azerbaïdjan musulman ; pour virer, avec perte et ƒracas, toutes les ƒamilles Arméniennes de l’Artsakh / Nagorny-Karabagh.

    Décidément, tout se tient.

    Et, toujours, avec « la conscience tranquille », dans la conviction indibutable d’accomplir une Volonté ∆ivine.

      +13

    Alerter
  • RGT // 18.04.2024 à 09h39

    Comme toujours dans TOUS les conflits ce sont TOUJOURS des psychopathes (civils ou militaires) qui commettent les pires atrocités au nom « d’idéologies » ignobles qui « justifient » le pillage par une violence infinie des voisins pour des considérations ethniques (les untermenschen d’en face n’étant pas de vrais humains).

    Ce comportement est strictement identique à celui d’une population dirigée par un petit moustachu qui au nom de « valeurs » nauséabondes avait incité « sa » population à aller massacrer des populations à l’est pour qu’elle profite de terres qui leur étaient dues au nom de la « supériorité de leur race peuple, terres « volées » par des sous-humains qui n’avaient pas le droit d’exister.
    Et bien sûr l’armée faisait partie de la « fête » pour aller « nettoyer » le terrain de tous les « miteux » qui refusaient de se faire massacrer sans protester.

    Bilan de l’opération : 24 millions de morts CIVILS (+ 2 millions de bidasses, soit 26 millions au total) parmi les « sous-hommes » (>10 fois plus que dans les ignobles camps d’extermination si décriés à juste titre) mais comme ces « gueux » faisaient partie du « pays du mal absolu » (et subissaient de plus les horreurs de leur dirigeants) la mémoire a oublié, du moins dans le « camp du bien » les horreurs causées par une idéologie ignoble.

    Bref, quand les anciennes victimes deviennent bourreaux ce n’est jamais « propre » et aucune excuse ne peut être invoquée.

    Seuls les « grands penseurs » de ces idéologies nauséabondes doivent être condamnés et pendus comme le furent leurs prédécesseurs (avec l’espoir que ça ne recommence pas – tout faux).

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