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Les Conservateurs ont poussé la Grande-Bretagne vers une famine endémique

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En 2010, 60 000 colis alimentaires ont été distribués en Grande-Bretagne. L’année dernière, ce chiffre a atteint 2,5 millions. Les Conservateurs ont contraint ces gens à dépendre des banques alimentaires, et dans un avenir proche, les choses ne vont faire qu’empirer.

Source : Jacobin Mag, Alex Collinson
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Des bénévoles emballent des colis dans une banque alimentaire du Trussell Trust alors que la crise du coût de la vie au Royaume-Uni s’aggrave. (Peter Summers / Getty Images)

Vendredi dernier, l’ancien Premier ministre David Cameron a tweeté, photo à l’appui, qu’il avait passé les deux dernières années à faire du bénévolat dans une banque alimentaire. La réponse a été, sans surprise, critique. Certains se sont moqués de son hypocrisie, d’autres l’ont positionné comme un pénitent tentant de se racheter pour ses péchés passés.

Mais considérer les banques alimentaires comme la réponse à la faim et à la pauvreté généralisées n’est pas hypocrite ou en contradiction avec les actions passées de Cameron. Au contraire, elle est conforme à l’idéologie qui a inspiré de nombreuses décisions gouvernementales depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2010 – une idéologie qui exige que les individus et les organisations bénévoles fournissent un filet de sécurité plutôt que l’État.

Détruire le filet de sécurité sociale

Par ses politiques d’austérité, le gouvernement de Cameron a supervisé la destruction intentionnelle et idéologique du filet de sécurité sociale.

Cette destruction a été réalisée de plusieurs manières. Le gouvernement a introduit l’Universal Credit (UC), un nouveau système de prestations censé simplifier les choses, mais qui, en réalité, a rendu le système de prestations plus cruel, plus punitif et moins généreux.

Dans le cadre de l’Universal Credit, les nouveaux demandeurs doivent attendre cinq semaines avant de recevoir leur premier paiement. Il est possible de contracter un prêt anticipé pour faciliter l’attente, mais le prêt doit être remboursé par des déductions futures sur les prestations à venir. Il y a aussi la limite de deux enfants, qui plafonne le crédit d’impôt pour enfants et les paiements de l’UC à deux enfants. Et il y a le plafond des prestations, qui limite arbitrairement le montant total des prestations qu’un ménage peut recevoir. Tout cela a été introduit parallèlement à un régime de sanctions punitives qui punit de manière injuste et disproportionnée ceux qui ont besoin d’aide.

Pendant une grande partie de la dernière décennie, également, il y a eu des réductions réelles des paiements de prestations pour les personnes en âge de travailler. Entre 2013 et 2016, la revalorisation des prestations (le montant de l’augmentation des prestations) a été gelée à 1 %. En 2016, les paiements ont été complètement gelés, et ce jusqu’en 2020. Compte tenu du taux d’inflation sur cette période, cela signifie que les paiements ont constamment diminué en termes réels.

En 2019, un rapport de l’ONU sur la pauvreté au Royaume-Uni a résumé la situation, expliquant que le gouvernement a « systématiquement et brutalement érodé » le filet de sécurité sociale. Des réformes désastreuses du système d’allocations, parallèlement à des coupes massives dans le financement des collectivités locales et des services sociaux, ont fait qu’il a été « délibérément supprimé et remplacé par une éthique dure et indifférente. »

Tout cela a été fait pour économiser de l’argent et réduire le rôle de l’État dans la fourniture de l’aide sociale. En février 2021, la New Economics Foundation a estimé que 14 milliards de livres Sterling avaient été retirés du système d’aide sociale depuis 2010-2011 et que la situation des 20 % de ménages les plus pauvres était inférieure de 750 livres Sterling par an à celle de 2010.

Les conséquences de cette destruction

Les conséquences de ces changements sont rapidement devenues évidentes. Le recours aux banques alimentaires a explosé. Le Trussell Trust, l’organisation qui gère environ deux tiers des banques alimentaires au Royaume-Uni, est passé de 61 468 colis alimentaires distribués en 2010-11, la première année du gouvernement de David Cameron, à 2,54 millions en 2020-21. La pauvreté atteint un niveau record, touchant 14,5 millions de personnes, soit une augmentation de 1,5 million de personnes depuis 2010-2011.

La destruction du filet de sécurité nous a laissé encore plus démunis face à la pandémie et, parallèlement à la plus longue compression des salaires de mémoire d’homme, a contribué à la crise actuelle du coût de la vie.

Lorsque les nouvelles statistiques sur la pauvreté seront publiées dans le courant du mois, on s’attend à ce qu’elles montrent une baisse de la pauvreté en 2020-21. Cette baisse était due à l’augmentation temporaire de 20 £ par semaine de l’Universal Credit. Cette augmentation a depuis été réduite, et le nombre de personnes en situation de pauvreté devrait rebondir en 2021-22. Ce seul fait prouve que le gouvernement a le pouvoir d’aider à protéger les personnes de la pauvreté par le biais du système d’allocations – il choisit simplement de ne pas le faire.

Lutter pour une économie sans les banques alimentaires

Nous n’avons pas besoin de voir des photos d’anciens Premiers ministres dans des banques alimentaires. Nous avons besoin de voir des actions de la part de l’actuel Premier ministre et de son gouvernement. La prochaine déclaration de printemps [Présentation du budget rectificatif pour l’année en cours par le Trésor Britannique, NdT] leur offre l’occasion de le faire.

Face à la crise actuelle du coût de la vie, le gouvernement doit remanier le système d’allocations, en le rendant plus généreux par le biais d’une augmentation immédiate de l’Universal Credit et des anciennes allocations à hauteur de 80 % du salaire réel (266 £ par semaine). Les aspects cruels introduits au cours des douze dernières années, tels que l’attente de cinq semaines, le plafonnement des prestations et la limite de deux enfants, doivent être supprimés de toute urgence.

Nous devrions être reconnaissants pour le service rendu par les banques alimentaires. Nous devrions également nous battre pour créer une économie dans laquelle elles n’existent pas. Une partie essentielle de ce combat consiste à recréer le filet de sécurité sociale détruit par ce gouvernement.

A propos de l’auteur :

Alex Collinson est responsable de la politique d’analyse et de recherche du Trades Union Congress.

Source : Jacobin Mag, Alex Collinson, 28-03-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Le Belge // 22.04.2022 à 09h01

Ce n’est pas depuis 2010, mais depuis 1979 et l’arrivée au pouvoir d’une certaine Margaret Hilda Roberts, épouse Thatcher, que ce système a été mis en place menant à un début de famine en Grande-Bretagne (2,5 millions de colis alimentaires, non mais vous vous rendez compte et ce dans un pays membre du G7 et l’un des plus riches du monde) et à des heurts sans nom chez-nous. Pour ces gens, il est bon que la City et ses banques soient protégées quoi qu’il en coûte. Et ce n’est guère mieux sur le Continent : combien de Macron sur nos terres ? Et combien de zozos croyant être du bon côté de la barrière et d’une servilité de domestique vis-à-vis de Micron et ses pairs ? Ah, oui, une chose encore : le nombre de colis alimentaires est en forte augmentation chez-nous aussi. Quand les gens auront vraiment faim, ils comprendront, peut-être (mais j’en doute car « ventre affamé n’a point d’oreilles »), qu’ils ont été roulé dans la farine.
Bonne journée à tout le monde.

11 réactions et commentaires

  • Fabrice // 22.04.2022 à 07h13

    Il serait intéressant de faire un parallèle avec la grande famille irlandaise ou déjà les conservateurs avaient incité à limiter ce qu’ils appelaient de l’assistanat alors qu’en parallèle ils maintenaient un système qui était fondamentalement prédateur sur les petits exploitants agricoles qui ne purent faire face à une épidémie sur les pommes de terre.

    Les britanniques devraient pourtant se souvenir de ce fameux adage « un peuple qui oublie son passé est amené à le revivre ».

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    • Fabrice // 22.04.2022 à 07h16

      J’ajoute un lien sur une bonne synthèse de ce triste événement de la famine irlandaise par nota bene https://youtu.be/ml0d7krNLAE ou l’on voit ce qu’entraîne cette mentalité profondément égoïste et predatrque l’on voit revenir au galop.

        +13

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  • Le Belge // 22.04.2022 à 09h01

    Ce n’est pas depuis 2010, mais depuis 1979 et l’arrivée au pouvoir d’une certaine Margaret Hilda Roberts, épouse Thatcher, que ce système a été mis en place menant à un début de famine en Grande-Bretagne (2,5 millions de colis alimentaires, non mais vous vous rendez compte et ce dans un pays membre du G7 et l’un des plus riches du monde) et à des heurts sans nom chez-nous. Pour ces gens, il est bon que la City et ses banques soient protégées quoi qu’il en coûte. Et ce n’est guère mieux sur le Continent : combien de Macron sur nos terres ? Et combien de zozos croyant être du bon côté de la barrière et d’une servilité de domestique vis-à-vis de Micron et ses pairs ? Ah, oui, une chose encore : le nombre de colis alimentaires est en forte augmentation chez-nous aussi. Quand les gens auront vraiment faim, ils comprendront, peut-être (mais j’en doute car « ventre affamé n’a point d’oreilles »), qu’ils ont été roulé dans la farine.
    Bonne journée à tout le monde.

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    • Mr expat // 22.04.2022 à 09h32

      « Quand les gens auront vraiment faim, ils comprendront, peut-être »

      Hélas la parade a été trouvée, quand les gens auront faim on leur dira que c’est la faute aux méchants Russes, le travail préparatoire bas déjà son plein.
      Et pour ceux qui n’auront pas d’oreilles, les stocks de LBD et de grenade de désencerclement on était refait et avec beaucoup de surplus au cas ou…

      P.S. Je suis revenu en France pour quelque temps (j’habite en Asie dans un pays plutôt pro américain) et bien que je le savais pour nos médias, les premiers jours j’ai quand même été choqué par le niveau de propagande en France. Comme quoi savoir une chose et la voir de ses propres yeux sont des expériences très différentes.

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      • 1Direct // 27.04.2022 à 00h55

        Bon retour en France.
        A propos de la propagande, ce que vous constatez nous le vivont tous les jours.
        Un exemple récent est la fameuse et « universelle » neutralité des journalistes.
        Un exemple récent ?
        Le plus flagrant est le jour des élections présidentielles.
        A partir 14h00 (pour les plus menteurs) tous les journalistes ne pouvaient s’empêcher d’arborer une senerite et un immense sourire.
        Manifestement eux savaient que les jeux étaient faits. Leur poulain était sûr d’être le élu.
        C’est cela la neutralité médiatique en France.
        Bien sûr il y a aussi les oublis , les trous de mémoire.
        Comme l’ingérence de l’Allemagne de l’Espagne et du Portugal
        Plus le soutien affiché du Luxembourg.
        Tous pour Macron bien sûr
        Mais pas un mot sur les « grands médias »
        A part cela au lieu de parler de débat s de fond on nous saoule avec le Pen et la Russie. Là bien sûr les médias cris au risque d’ingérence alors que celle ci (l’ingérence) est déjà là de facto avec l’UE

          +1

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  • Dominique Gagnot // 22.04.2022 à 11h51

    « … Après le risque que les peuples prennent le pouvoir, il y a celui des perturbations de la nature, et de la raréfaction de ses ressources :
    Les plus riches sont maintenant confrontés aux désastres écologiques, conséquence de cette financiarisation qui a poussé à faire n’importe quoi pour « faire de l’argent ».
    La disparition d’un grand nombre des habitants de la planète leur permettrait de limiter l’empreinte écologique et de disposer de l’ensemble des ressources encore disponibles.
    Nous étrangler économiquement, détruire nos moyens d’existence, nous pousser au désespoir, et déclencher des conflits mortifères pourraient offrir une solution.
    Il ne s’agit pas là de procès d’intention, mais de constater une logique implacable.  »

    Extrait de « Comprendre la tragédie capitaliste, imaginer le système d’Après ! » https://bit.ly/4capitalisme

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  • Dominique65 // 22.04.2022 à 12h47

    Laisser les associations s’occuper des pauvres plutôt que d’assurer un filet social par l’État a trois avantages pour un conservateur : il fait faire des économies à l’État, humilié les pauvres, qui ne le sont bien sûr qu’à cause de leur paresse, et évite des discutions politiques éreintantes.

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  • Benzo Diap // 22.04.2022 à 14h33

    L’antinomie classique entre les droits sociaux et la charité… Deux éthiques opposées… L’une d’elle est léonine, mais laquelle ?

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  • Incognitototo // 22.04.2022 à 14h52

    Je ne comprends pas ce qu’il y aurait de nouveau et de si particulier…

    Toutes les politiques néolibérales ont besoin de maintenir un niveau élevé de pauvreté et de compétition entre les pauvres, ainsi qu’un haut niveau de punition, d’humiliation et de culpabilisation des gens dans la misère (« attendre 5 semaines pour recevoir un 1er panier » ; ça donne juste envie de bannir à vie, les gens qui ont mis cela en place).
    Ce sont des politiques essentielles pour faire perdurer le système qui permet de gaver toujours plus les mêmes (exactement celles que Macron veut poursuivre et renforcer).

    En outre, je ne vois pas plus ce qui différencierait la GB de la France… Nous avons sensiblement le même taux de pauvreté ; et rien que les « restaus du cœur » (parmi la multitude d’associations qui font de l’aide alimentaire et sociale) ont distribué à eux seuls plus 142 millions de repas… Je répète 142 millions de repas, avec un nombre d’allocataires qui augmente tous les ans depuis 1985 !

    Bref, l’originalité de cet article m’échappe, puisqu’il pourrait quasiment faire l’objet d’un copier-coller pour la France, y compris pour le masochisme des peuples qui acceptent un tel niveau d’humiliation et d’injustice, et en redemandent en plus.

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  • Hiro Masamune // 22.04.2022 à 20h13

    Ce qui a de génial avec la misère c’est que c’est facile de se faire élire en promettant de la résoudre… Et quand ça aura bien merdé pendant quelques décennies et que les gens vont foutre des Erdogans ou des Poutines au pouvoir dans tous les pays du monde on aura pas l’air frais avec notre démocratie à la marge, nos libertés restreintes et nos droits de l’homme qui se gâtent à la seconde d’après la naissance.

      +6

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  • bob // 25.04.2022 à 10h28

    je pense que c’est le meme systeme qui est en train de se mettre en place en France. Nous avons deja les restos du coeur et differentes assos dans de nombreux quartiers. On diminue les aides sociales, on precarise la population et ensuite les moins pauvres pauvres aident les plus pauvres pendant que nos oligarques s’en lavent les mains et s’en mettent plein les poches !

      +2

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