Quelle que soit la coalition obtenue, les faucons anti-Pékin continueront à dominer à Tokyo.
Source : Responsible Statecraft, Walter Watch
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Les élections générales, qui se sont déroulées dimanche au Japon, ont laissé des traces. Le Parti libéral démocrate (PLD), qui a gouverné le Japon pendant la majeure partie des 70 dernières années, a perdu sa majorité à la Chambre des représentants, qui choisit le Premier ministre. Le principal parti d’opposition, le Parti constitutionnel démocratique (PCD), a obtenu un grand nombre de sièges, mais il est loin d’avoir la majorité. Les conservateurs du PLD et les libéraux du PCD vont donc passer les prochains jours, voire les prochaines semaines, à tenter de mettre sur pied une coalition gouvernementale.
Lorsque la poussière retombera enfin, il ne faut pas s’attendre à un changement majeur dans la politique japonaise, qui consiste à suivre consciencieusement les États-Unis pour contrer la montée en puissance de la Chine. Le Komeito, partenaire junior autrefois pacifiste du PLD, a pratiquement perdu son rôle central dans la politique japonaise. Les nouveaux faiseurs de roi à Tokyo ont tendance à être des faucons anti-Pékin.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Le PLD a été poursuivi par deux grands scandales. Le premier concerne les liens importants du parti avec l’Église de l’Unification du révérend Sun Myung Moon, qui est devenue la cible des médias après l’assassinat du plus ancien dirigeant du Japon par un homme qui attribuait à l’Église les difficultés financières de sa famille. Il s’est avéré que les « moonistes » avaient fourni des contributions aux campagnes électorales et du personnel électoral aux politiciens conservateurs. L’autre scandale était lié au fait que des factions puissantes du parti n’avaient pas déclaré des dons d’une valeur de 4 millions de dollars stockés dans des caisses noires illégales.
Ces deux scandales ont conduit à la démission de Fumio Kishida en tant que chef du PLD et Premier ministre. Désireux de sauver leur vie politique, les élus du PLD ont choisi un opposant, Shigeru Ishiba, comme nouveau chef du parti et Premier ministre. Il a convoqué des élections anticipées, espérant que sa réputation irréprochable et sa popularité relative lui permettraient de sauver la situation. Il s’est trompé !
Le parti de droite PLD, qui dominait auparavant la chambre basse (mais la plus importante) du parlement, a perdu 56 sièges lors des élections de dimanche, passant de 247 à 191 sièges sur les 465 que compte le parlement. Son partenaire, le Komeito, a également perdu huit sièges (de 32 à 24). Ensemble, ils jouissaient d’une supermajorité qui leur permettait d’adopter des lois sans trop de difficultés. Mais ce n’est plus le cas.
Le PCD, le parti de centre gauche du Japon, a gagné 50 sièges (de 98 à 148). Une version antérieure du PCD, le Parti démocratique du Japon, a évincé le PLD en 2009. Mais son arrivée au pouvoir n’a pas été de tout repos : il a d’abord dû faire face aux plaintes des États-Unis concernant sa politique étrangère plus autonome, puis aux retombées du tremblement de terre et du tsunami qui ont entraîné une catastrophe nucléaire dans le nord-est du Japon, à une économie en difficulté et à des questions persistantes sur la capacité du parti à tenir les rênes.
Même après avoir obtenu de bons résultats lors des élections de dimanche, le PCD pourrait ne pas avoir le magnétisme nécessaire pour réunir une coalition gouvernementale de 233 membres ou plus. Yoshihiko Noda, le chef du PCD, négocie avec les petits partis. Ishiba, le leader du PLD, négocie également, mais à court terme, il devra peut-être s’en remettre à des accords ad hoc (politique par politique) avec d’autres partis.
Tous deux se concentrent sur Ishin (Japan Innovation Party), basé à Osaka, qui est devenu le troisième parti avec 38 sièges, et sur le parti centriste Democratic Party for the People (DPP), qui est passé dimanche de pratiquement nulle part à la quatrième place (avec 28 sièges). Les dirigeants de ces deux partis décideront probablement de la composition du prochain gouvernement japonais.
Ishin est dirigé par Nobuyuki Baba, qui admire Donald Trump et embrasse un populisme qui se situe à gauche du PLD sur de nombreuses questions économiques et sociales. (revenu de base universel, éducation gratuite à tous les niveaux, mariage entre personnes de même sexe, etc.) Le parti préconise une augmentation du budget de défense pour contrer la Chine et la Corée du Nord, ainsi qu’une éventuelle révision de la Constitution anti-guerre du pays.
Dans un sondage réalisé avant les élections, les candidats de l’Ishin étaient les plus nombreux (90 %) à être d’accord avec l’affirmation selon laquelle « le Japon devrait posséder des capacités de contre-attaque. » Baba pense également que le pays devrait avoir un plus grand contrôle sur les armes nucléaires américaines au Japon.
Le DPP est dirigé par Yuichiro Tamaki, un ancien fonctionnaire du ministère des Finances qui a tenté de trouver un équilibre entre le PLD et le PCD. Le parti a fait campagne sur des questions très concrètes, essentiellement économiques, en réclamant des climatiseurs dans les gymnases des écoles et une réduction de la taxe sur la consommation. En ce qui concerne les questions de sécurité, il a discrètement suivi une ligne belliciste, favorisant une défense plus forte et une révision de la constitution pacifiste.
Cela signifie que le Japon d’aujourd’hui est toujours dominé par des politiciens relativement conservateurs qui, notamment en matière de politique étrangère, veulent maintenir le statu quo.
L’un des résultats les plus négligés des élections de dimanche est le déclin continu de Komeito, qui a aidé le PLD à gouverner depuis 2012. Il n’a pas seulement perdu un quart de ses sièges, il a également perdu son chef, Keiichi Ishii, qui n’a pas réussi à se faire réélire dans une banlieue de Tokyo.
Le Komeito, bras politique de la Soka Gakkai, une secte bouddhiste controversée, est ce qui se rapproche le plus d’un parti religieux au Japon. Bien qu’il ait fini par modifier son idéologie, il était à l’origine ardemment pacifiste, favorable à la constitution anti-guerre et opposé à l’envoi de « forces d’autodéfense » japonaises (sef-defense forces ou SDF, euphémisme désignant l’armée du pays). En tant que partenaire mineur du PLD, le Komeito a en quelque sorte freiné certaines des positions les plus belliqueuses du parti au pouvoir.
Lors de chaque cycle électoral, le parti a produit des milliers de soldats fidèles qui ont contribué à faire voter les candidats du Komeito et du PLD. L’année dernière, cependant, Daisaku Ikeda, fondateur du parti et dirigeant de longue date de la Soka Gakkai, est décédé, ce qui a sapé une partie de l’enthousiasme du mouvement. On peut se demander si le Komeito retrouvera un jour sa vitalité politique ou s’il continuera à freiner le virage du gouvernement vers une politique étrangère plus affirmée, voire carrément agressive.
Nous devrions bientôt en savoir plus.
*
Walter Hatch est professeur émérite de gouvernement au Colby College. Il a effectué des recherches à l’université de Harvard et à l’université de Washington à Seattle. Ses recherches portent sur les relations internationales, l’économie politique internationale et la politique de l’Asie de l’Est, en particulier le Japon et la Chine.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Walter Watch, 29-10-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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2 réactions et commentaires
je ne connais pas grand chose des pays d’Asie et j »attends avec impatience des commentaires érudits sur ce blog !
mais quelques notions – très « orwelliennes – utilisées dans ce texte (comme « défense » pour « belliciste », par exemple) m’incitent à panser que nos grands hommes à nous : Macron et Barnier, pourraient se recycler là-bas pour leur z’y esspliquer comment faire d’une minorité de perdants un gouvernement !
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AlerterJe voudrais rebondir sur cet article de la vie politique de ce pays pour contester les continuelles préoccupations de certains analystes (au moins depuis 15 ans) sur la chute de la natalité japonaise et la baisse « rapide » du nombre d’habitants.
Vu la géographie physique du Japon (qui compte ou pas), ce serait plutôt une aubaine et passer de 123 millions d’habitants en 2024 à 105 millions en 2050. (en arrivant de 86 millions en 1950). Un bon coup d’automatisation/robotisation règle ou réglera le problème de la population active. Ne plus compter sur l’immigration coréenne (ils sont devenus plus riches que nous) ou pas, vu la mentalité très particulière de ce pays (constat).
De même pour la charge des retraités qui coûtent plus et consomment de moins en moins, du moment qu’ils investissent leur épargne dans les obligations de leur pays, ça compense, en plus de travailler de plus en plus longtemps. Mais le résultat des dernières élections rebat les cartes.. Cela entrainera t’il beaucoup de bruit pour rien ou une réorganisation effective de leur politique étrangère, la Chine étant géographiquement plus proche du Japon ?
En tout cas, si leur esprit de corps et de « sacrifice » est toujours de mise, ce pays sera toujours en bonne place pour affronter les écueils futurs malgré le manque intrinsèque de ressources en hydrocarbures . Ainsi donc, les épiphénomènes s’effaceront d’autant plus vite que le roman national japonais sera renouvelé en mode symbiotique. Ce qui est (hélas) bien plus facile à dire qu’à faire.
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