La Chine encourage un processus de paix boiteux tout en renforçant ses liens économiques avec Israël.
Source : Truthout, Shireen Akram-Boshar
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
- Résidence d’État Diaoyutai à Pékin, en Chine le 23 juillet 2024. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, assiste à la signature de la « déclaration de Pékin », un accord conclu par 14 factions palestiniennes prévoyant de mettre en place un « gouvernement intérimaire de réconciliation nationale » afin de gouverner Gaza après la guerre. PEDRO PARDO / POOL / AFP via Getty Images
Tout au long de l’année écoulée, des analystes et des écrivains de la presse traditionnelle et de certains médias de gauche ont affirmé que la Chine avait redéfini ses relations avec Israël en prenant la défense de la Palestine dans le sillage du 7 octobre. Toutefois, les relations entre la Chine et la Palestine ne sont pas aussi claires : tout en critiquant modérément le génocide perpétré par Israël à Gaza, la Chine a préservé ses investissements en Israël et sa coopération avec les entreprises israéliennes, tout en essayant d’accroître son influence en tant que puissance mondiale au Moyen-Orient, au détriment des Palestiniens.
Tout au long de cette année de guerre d’Israël contre Gaza, la Chine n’a cessé d’appeler à la reprise du processus de paix et à la mise en œuvre d’une solution à deux États, qui fait depuis longtemps l’objet de discussions. Mais cette rhétorique est loin pour autant d’être un signal d’opposition et de défiance à l’égard d’Israël. Ces appels ne sont pas très radicaux : ils visent à revenir à un processus de paix piloté par les États-Unis et à une solution à deux États, traditionnellement défendue par les États-Unis. Tant le processus de paix que la solution des deux États sont vivement critiqués par les Palestiniens et le mouvement de solidarité avec la Palestine dans son ensemble, qui y voient des mécanismes excluant le droit au retour des Palestiniens et prenant comme point de départ le vol de la majorité des terres palestiniennes. Néanmoins, les critiques modérées de la Chine à l’encontre d’Israël ne se sont pas traduites par des efforts visant à faire avancer un processus aussi bancal.
Lors d’un récent séminaire en ligne, Eli Friedman, professeur à l’université Cornell et spécialiste du travail et du développement en Chine, a expliqué certaines des dynamiques qui se jouent entre la Chine et la Palestine. Il faut bien comprendre, a-t-il dit, que « la Chine n’est en rien responsable du génocide » à Gaza ; la responsabilité en incombe à Israël et aux États-Unis, soutenue par d’autres puissances européennes. « L’idée cependant que la Chine souhaite la libération de la Palestine est également extrêmement contestable, a-t-il ajouté. La Chine est le deuxième partenaire commercial d’Israël après les États-Unis, et en réalité presque à égalité. » La coopération entre Israël et la Chine est particulièrement importante dans les secteurs technologique et militaire. « Lorsque les États-Unis, après les évènements de la place Tiananmen en 1989, ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas vendre d’équipements militaires à la Chine, Israël a continué à leur en vendre – Israël est en quelque sorte une voie détournée, et leur coopération dans ce domaine a été très importante ».
« La Chine veut exercer une influence économique dans la région, a-t-il poursuivi. Elle veut que le système continue à fonctionner sans heurts ». Comme Israël est un acteur clé de la région avec qui la Chine veut entretenir des relations, elle « veut qu’Israël puisse continuer à fonctionner plus ou moins comme d’habitude. Aujourd’hui, elle souhaite également la fin de l’occupation. La position officielle de la Chine à l’égard d’Israël est une solution à deux États […] mais elle ne fera rien pour perturber fondamentalement » ses relations économiques avec Israël.
Friedman a expliqué que la Chine aurait beaucoup à perdre sur le plan économique si elle devait le faire.
« Les entreprises d’État chinoises gèrent le port de Haïfa et sont à l’origine d’une importante expansion du port d’Ashdod, situé juste au nord de Gaza. Elles sont en train de construire une extension du système ferroviaire léger de Tel Aviv. Les capitaux publics chinois sont donc largement investis dans l’infrastructure réelle du génocide. Si demain, les entreprises chinoises déclaraient : « Nous allons fermer le port de Haïfa et nous n’autoriserons aucune arme ni aucun matériel pour soutenir le génocide », cela aurait un impact énorme sur la situation dans la bande de Gaza. Et ce n’est pas ce qu’ils font. Je pense qu’il est important de le souligner, parce que la libération de la Palestine ne fait pas l’objet d’un intérêt sincère et solidaire ».
En effet, l’État chinois a interdit les manifestations de solidarité avec la Palestine, confisquant les drapeaux palestiniens brandis en public et empêchant les mobilisations en faveur de Gaza.
Certains soulignent la baisse des échanges commerciaux entre la Chine et Israël en 2023 comme étant une preuve que les relations entre les deux pays ont atteint un tournant, voire un point de rupture. Mais si la baisse de 2023 est réelle et probablement due à divers facteurs, il est peu probable qu’elle marque une rupture dans des relations qui ne cessent de se développer. La collaboration entre la Chine et Israël dans des domaines tels que la technologie, l’intelligence artificielle et l’énergie s’est considérablement accdéveloppée au cours des dernières décennies. En 2020, la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial d’Israël dans le monde, et le premier en Asie. Récemment, les échanges commerciaux entre la Chine et Israël ont atteint le chiffre record de 20 milliards de dollars par an. Des entreprises chinoises et indiennes ont procédé à la privatisation du port israélien de Haïfa – ce que Netanyahou a autorisé allant à l’encontre du souhait des États-Unis. L’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative BRI), lancée en 2013,a encouragé davantage d’entreprises chinoises à investir en Israël ou à y installer des centres de recherche et de développement. En 2014, l’université de Tel-Aviv et l’université Tsinghua de Pékin ont créé un centre de recherche de 300 millions de dollars. En 2015, l’université de Pékin et l’université de Tel-Aviv ont signé un protocole d’accord en vue de créer un institut de recherche commun. La même année, l’université de Shantou et l’institut technologique israélien Technion ont créé l’institut technologique Guangdong-Technion. Comme l’expliquent les militants chinois solidaires de la Palestine : « Ce type de collaboration illustre le fait que les étudiants chinois entretiennent des relations avec les institutions israéliennes comme si elles étaient neutres, sans reconnaître que les universités israéliennes sont complices du génocide, de l’occupation et de l’oppression du peuple palestinien qui sont en cours. »
Ces mêmes militants ont également signalé certaines des collaborations entre Israël et la Chine en matière de technologie de surveillance. La société Hikvision, soutenue par l’État chinois, est notamment complice du maintien de l’ordre et de la surveillance en Palestine, en Chine et même aux États-Unis. Israël utilise la technologie Hikvision pour espionner les Palestiniens en Cisjordanie occupée, en enregistrant les informations dans une base de données qui les surveille spécifiquement ; Hikvision fournit également une technologie qui espionne et contrôle la population musulmane ouïghoure dans la région du Xinjiang en Chine ; et les caméras Hikvision sont utilisées dans de nombreux autres pays, y compris aux États-Unis – par la police de New York, entre autres – et ce même si cette technologie a été interdite aux États-Unis par les autorités fédérales.
Comme l’a souligné Friedman, la Chine souhaite jouer un rôle plus important au Moyen-Orient. Depuis les accords d’Abraham elle fait en sorte de renforcer sa position dans la région et profite du génocide israélien à Gaza pour d’accroître son influence.
La Chine a tiré profit du processus de normalisation qui a débuté en 2020, et qui lui a permis d’accroître son influence et ses investissements au Moyen-Orient. Une intégration plus ouverte d’Israël dans la coopération économique de la région a permis à la Chine de développer des projets englobant à la fois Israël et la région du Golfe. Le processus de normalisation a ouvert des possibilités d’extension du projet chinois Nouvelle route de la soie dans la région, par exemple. Et depuis le début de ce dernier, la Chine, les Émirats arabes unis et Israël ont tous renforcé leur collaboration dans les secteurs technologiques, notamment dans la recherche sur l’intelligence artificielle – en regroupant, par exemple, l’Institut chinois de génomique de Pékin et l’entreprise G42 d’Abou Dhabi, qui construisent tous deux des laboratoires et des bureaux en Israël – ainsi que dans le domaine de l’énergie et du développement. Le processus de normalisation et le dégel des relations entre Israël et les Émirats arabes unis offrent davantage d’ouvertures économiques à la Chine, qui a approfondi ces dernières années ses relations avec des acteurs réactionnaires dans toute la région, notamment l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et, plus récemment, le Général de l’armée soudanaise. Il est clair que la priorité est la stabilité pour les entreprises, plutôt que la justice pour les Palestiniens ou tout autre groupe opprimé dans la région.
Mais la Chine est également pleinement consciente du fait que, dans toute la région du Moyen-Orient, l’opinion publique est extrêmement négative à l’égard des États-Unis puisqu’ils sont – à juste titre – considérés comme responsables de la poursuite du génocide à Gaza. La Chine espère profiter de cette crise pour se présenter comme une alternative aux États-Unis, une alternative plus digne de confiance pour les États arabes et, plus largement, pour les pays du Sud. En juillet, la Chine a réuni diverses factions palestiniennes à Pékin pour progresser vers l’« unité nationale » et aplanir les divergences entre le Fatah et le Hamas. Bien que largement symbolique, cet événement s’inscrivait dans le cadre des efforts déployés par la Chine pour renforcer son statut et son rôle dans la région. Nombreux sont ceux qui ont félicité la Chine pour avoir facilité cette rencontre, mais celle-ci n’a pas donné grand-chose. Avant même le 7 octobre, la Chine établissait un « partenariat stratégique » avec l’Autorité palestinienne (AP) et son président, Mahmoud Abbas, avec qui elle entretenait des relations depuis des années. D’autre part, la gauche palestinienne et d’autres acteurs de la société palestinienne critiquent vivement celle-ci pour sa coopération en matière de sécurité et sa collaboration avec l’occupant israélien. En cherchant à s’attirer les faveurs de l’Autorité palestinienne, la Chine montre qu’elle cherche à accroître son influence dans la région, plutôt qu’elle ne souhaite sincèrement que les Palestiniens obtiennent justice.
Dans le même ordre d’idées, la Chine a joué un rôle de médiateur dans la normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran au début de l’année 2023, démontrant ainsi à la fois son intérêt pour la stabilité économique dans l’intérêt de la région et son désir accru de tenir les rênes des négociations politiques – et peut-être de prendre la place des États-Unis dans ce processus. La Chine se considère clairement comme un acteur clé du nouveau statu quo post-2011 au Moyen-Orient, caractérisé par des États réactionnaires, rendus plus audacieux, qui cherchent à améliorer les relations interétatiques pour leur bénéfice économique, au détriment des populations dans leur ensemble.
La position de la Chine concernant la Palestine est, à bien des égards, conforme à celle de la plupart des pays membres des BRICS+. Lesquels regroupent le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis et d’autres États, et affirment représenter une alternative possible, un rempart contre les États-Unis et une défense des pays de l’ensemble du Sud. Cependant, comme dans le cas de la Chine, les pays des BRICS soutiennent souvent les Palestiniens de manière rhétorique et défendent la solution à deux États, tout en renforçant leurs investissements et leurs collaborations avec Israël. C’est particulièrement évident dans le cas de l’Inde, cinquième partenaire commercial d’Israël au niveau mondial, qui soutient activement Israël dans son génocide à Gaza par des ventes d’armes et a renforcé ses partenariats avec des universités israéliennes complices du génocide, et ce après des décennies de liens étroits avec Israël – remontant au moins aux années 1980 et 1990 – et de défense d’une violente islamophobie d’extrême droite. La Russie, elle aussi, entretient des relations économiques étroites avec Israël et continue de lui fournir du charbon depuis le début du génocide. Le Brésil et même l’Afrique du Sud – le pays qui a assigné Israël devant la Cour internationale de justice – ont refusé de cesser leurs ventes de charbon et de pétrole à Israël. En clair, cette approche est en contradiction avec celle prônée par le mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions. En coopérant avec Israël plutôt qu’en cherchant à l’isoler dans un contexte de génocide, ces États – et les entreprises technologiques qu’ils soutiennent – constituent un obstacle à la libération des Palestiniens, plutôt que de contribuer à la solution.
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Shireen Akram-Boshar, écrivaine socialiste est éditrice et militante engagée dans la solidarité avec le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Source : Truthout, Shireen Akram-Boshar, 01-12-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Ce texte, très intéressant au demeurant, souligne ce qu’on sait déjà : La diplomatie chinoise est tournée vers le commerce et non vers la promotion d’une quelconque idéologie. Pas de sentiment, pourvu que ce soit bon pour leurs entreprises. Un peu, finalement, la même que les anglo-saxons, le messianisme (au sens large) en moins.
2 réactions et commentaires
Ce texte, très intéressant au demeurant, souligne ce qu’on sait déjà : La diplomatie chinoise est tournée vers le commerce et non vers la promotion d’une quelconque idéologie. Pas de sentiment, pourvu que ce soit bon pour leurs entreprises. Un peu, finalement, la même que les anglo-saxons, le messianisme (au sens large) en moins.
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AlerterUn article qui fleure bon le whataboutism à l’ancienne : ça nous manquait presque ! Paille , poutre toussa …
En même temps ; qui d’autre peut fournir en masses drones , camera , infrastructures portuaires etc…Les US ?
Il y a cependant une chose que la Chine s’est bien gardé de fournir : un véto à l’Assemblée générale des Nations Unies… ce qui n’est pas le cas de tout le monde.
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