Un documentaire au plus près des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot est sorti en salle le 9 mars : À demain mon amour. Nous nous sommes entretenus avec le réalisateur, Basile Carré-Agostini, sur les différents aspects du film qui concernent la critique des médias. Entretien réalisé par Laurent Dauré.
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Acrimed : La question des médias et de leur critique jalonne À demain mon amour, est-ce un choix conscient au-delà du souci de refléter les préoccupations et la pratique des Pinçon-Charlot ?
Basile Carré-Agostini : Oui, absolument. Mais avant même de parler précisément du film, je pense pouvoir affirmer que le geste documentaire est en soi une forme de résistance au bruit permanent qu’imposent les médias dominants, et ce d’autant plus quand les productions sont destinées au calme des salles de cinéma. Mon documentaire est aussi un film sur deux sociologues, deux chercheurs, qui ont passé une vie de labeur à produire de la connaissance.
Loin du fracas médiatique, dans leur travail scientifique au CNRS, ils ont cependant, surtout à la retraite, décidé de prendre la parole pour offrir au plus grand nombre le fruit de leur recherche, d’une part en écrivant des livres plus accessibles et d’autre part en allant en parler à la télévision et à la radio. Petite anecdote à ce propos : c’est Pierre Bourdieu lui-même qui, dans la cour du Collège de France, a félicité Monique et Michel Pinçon-Charlot : « J’apprécie la façon dont vous arrivez à travailler avec les médias, je vous écoute à la radio. Vous arrivez vraiment à faire passer la sociologie ! »
Monique a pris cette injonction du « maître » très à cœur, ce n’était pourtant pas dans son tempérament, et j’ai pu la filmer de nombreuses fois en train de se préparer à affronter des plateaux généralement hostiles. Il fallait la réconforter quand elle en revenait, après s’être retrouvée seule face à des contradicteurs libéraux unis pour la décrédibiliser ; un article d’Acrimed dénonce les manipulations de montage dont la parole de Monique a été victime dans une émission de France 5, comme si le déséquilibre flagrant du plateau ne suffisait pas. Dans ces moments, Monique vit la sociologie comme un vrai sport de combat. Aujourd’hui c’est plus simple, elle n’est presque plus invitée dans les grands médias depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Pour parler du film, au tournage comme au montage, une de mes obsessions était bien de dénoncer la fiction dans laquelle je considère que les médias dominants nous font vivre. Ainsi, si je suis entré dans la chambre de Monique et Michel pour les filmer, ce n’est pas par voyeurisme, mais bien pour mesurer la différence entre le réel que nous avions vécu ensemble la journée, par exemple lors d’une mobilisation sociale, et le traitement médiatique dans le JT du soir. Ma chance de cinéaste est que leur grande télévision est au pied du lit. Ainsi, le message est clair dès le premier dialogue du film, on entend Monique dans la pénombre de la chambre dire à son mari : « Oh j’ai la flemme, c’est toi qui vas éteindre la télé… »
Il éteint la télé mais la lecture studieuse du Monde semble être un rituel quotidien chez les deux sociologues. L’objectif est-il d’« éteindre » les médias dominants, voire de faire comme s’ils n’existaient pas, ou plutôt de les combattre résolument, frontalement, comme Monique le conseille à deux Gilets jaunes venus chez elle pour discuter de l’attitude à adopter sur les plateaux télé ?
B.C.-A. : Monique et Michel ont un rapport intime avec le journal Le Monde, ils le découpent, l’annotent, en discutent tous les deux. Pour eux, ce journal est une mine d’informations, malgré ses orientations. Comme intellectuels, ils sont actifs à sa lecture, identifient les signatures, essaient de repérer les évolutions d’un discours au fil des mois. Ils sont très organisés, leur grenier est rempli de cartons thématiques qui regroupent des coupures de presse. De plus, l’avantage du collectif que constitue leur couple fait qu’ils ne sont pas seuls dans leur rapport aux médias, ils confrontent au quotidien la réception de l’information.
Se couper ou non des médias dominants ? Je n’ai pas la réponse, mais il paraît essentiel, et c’est le conseil que je me donne à moi-même, de mesurer la fatigue que le bruit médiatique impose à nos cerveaux.
En ce qui concerne la scène du film où le salon de Monique et Michel est devenu le temps d’une après-midi, une cellule de communication pour les Gilets jaunes venus les interroger, il faut se souvenir de l’agression permanente que subissait le mouvement au fil des semaines. Il me semble important de mesurer la différence de mobilisation de la classe dominante et de ses agents médiatiques selon que le pays se trouve être ou non en temps de crise.
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Source : Acrimed – Laurent Dauré – 02-04-2022
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