Source : Consortium News, As`ad AbuKhalil, 12-12-2018
12 décembre 2018
L’avalanche d’hagiographie funèbre a noyé toute discussion possible sur ce que Bush a fait au Moyen-Orient. As’ad AbuKhalil écrit qu’il a rallié les despotes contre l’Irak et établi un nouvel ordre sécuritaire tyrannique dans la région.
Suite de la « trahison britannique » de la Première Guerre mondiale
Tout bilan sérieux de l’héritage politique du défunt président George H.W. Bush a été noyé la semaine dernière par l’avalanche d’hagiographie des grands médias. Cela a servi, en partie, de catharsis. Plus les membres des médias faisaient l’éloge de Bush, dont la famille entretient des relations pénibles avec le président Donald Trump, plus cela les aidait à exprimer leur animosité envers le président actuel.
Dans cette orgie anti-historique et sans fondement, on a perdu toute discussion possible sur l’héritage le plus important de Bush, dont l’un est certainement sa formidable imposture sur les intérêts arabes au Proche-Orient. Presque tous les présidents américains depuis Harry S. Truman ont été plus pro-Israël que leur prédécesseur. La seule exception à cette règle était George H.W. Bush. Mais par la guerre contre l’Irak, son administration a fini par embrasser les intérêts israéliens et l’hégémonie régionale à tel point qu’elle a causé des dommages durables à la paix et à la stabilité dans la région.
H.W. Bush était un adepte du changement d’idéologie pour s’adapter à la situation. L’homme qui sortit de l’aile « modérée » du parti républicain de la côte Est devint l’héritier politique du président Ronald Reagan, qui courtisa la droite religieuse et fit de l’avortement un critère déterminant pour toutes les candidates à la Cour suprême.
Bien que Bush n’ait pas laissé de mémoires présidentiels (il est le premier depuis Franklin D. Roosevelt à ne pas le faire), il a coécrit un livre avec Brent Scowcroft, son conseiller en sécurité nationale, « A World Transformed » [Un monde en mutation, NdT]. Il témoigne des liens étroits de Bush avec les despotes du Golfe arabe et l’homme fort égyptien déchu Hosni Moubarak, qui a été son conseiller principal dans la région.
Bush était évidemment impressionné par la fabuleuse richesse et l’hospitalité des potentats arabes. À un moment donné dans le livre, lors d’un séjour dans l’un des palais d’honneur en marbre du roi Fahd, il s’émerveille devant les lustres, l’air conditionné et continue longuement sur un somptueux dîner d’État. « Je n’avais jamais vu autant de nourriture – et de pratiquement tous les sortes imaginables. »
Les amis arabes fortunés
Les liens de Bush avec les riches Arabes lui ont été très utiles. L’homme d’affaires libanais Najad Isam Faris et l’homme d’affaires syrien Jamal Daniel ont contribué à la carrière commerciale du fils de Bush, Neil. Avec son réseau d’associés du Golfe, M. Bush a été un conseiller apprécié du Carlyle Group, la société mondiale d’investissement privé basée à Washington, D.C., spécialisée dans l’investissement dans les entreprises qui dépendent des contrats gouvernementaux.
Les empreintes de Bush dans la région commencent avec ses années d’activité pétrolière au Texas. À cette époque, dans les années 1950, les compagnies pétrolières servaient souvent de principale force de pression pour les régimes du Golfe contre le lobby israélien. Cela n’était pas dû à une quelconque préoccupation humanitaire pour le sort du peuple palestinien. C’était dû à la motivation financière habituelle. Le lobby israélien s’est opposé au resserrement des liens entre les États-Unis et tous les pays arabes, ce qui a obligé les sociétés pétrolières à défendre leurs fournisseurs du Golfe. Depuis que le lobby israélien s’est opposé aux ventes d’armes américaines aux régimes du Moyen-Orient, il a également eu d’autres opposants au sein des grandes entreprises.
Plus tard dans sa vie, Bush a également traité avec le Moyen-Orient en tant qu’ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies et directeur de la CIA. (Le chef adjoint des services de renseignements saoudiens pendant le séjour de Bush à la CIA, le prince Turki Al-Faisal, était l’un des rares dignitaires étrangers invités à assister aux funérailles).
Lorsque le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a rendu hommage à Bush la semaine dernière, il a occulté une longue histoire de détestation israélienne de cet homme.
En tant que vice-président de Ronald Reagan, Bush (avec James Baker, chef de cabinet de la Maison-Blanche, et Caspar Weinberger, secrétaire à la Défense) était celui qui avait l’attitude la plus froide envers Israël de tous les membres du gouvernement, qui était par ailleurs rempli d’ardents sionistes. Bush a été vilipendé pour sa remarque de 1991 selon laquelle il était « un seul homme seul », luttant contre « un millier de lobbyistes au Congrès ».
Néanmoins, Bush a respecté la ligne pro-israélienne et a défendu la cause des dissidents juifs soviétiques et le parrainage de l’émigration des Juifs d’Éthiopie, de Syrie et de l’ancienne Union soviétique vers Israël. Il a également recruté d’ardents sionistes (Jack Kemp, Condoleezza Rice et Dennis Ross) dans son administration.
En tant que président, Bush a été qualifié d’antisémite en 1991 pour avoir « reporté » pendant 120 jours des garanties de prêts de 10 milliards de dollars à Israël. Il l’a fait pour empêcher Israël d’affecter l’argent aux colonies dans les territoires occupés en 1967. Bush essayait également de persuader Israël d’adhérer au processus de paix parrainé par les États-Unis.
Sérieux au sujet des colonies
Cela a été la seule fois où le gouvernement américain a traité les colonies et le rôle d’Israël dans le processus de paix comme une question grave. L’administration Obama a exprimé de faibles protestations au sujet des colonies qui violent le droit international. Mais après Bush, les colonies n’ont plus jamais causé d’irritation sérieuse dans les relations américano-israéliennes.
L’administration Bush a également, à un moment donné, interdit à Ariel Sharon, militariste et homme politique israélien, d’entrer dans les bâtiments du gouvernement américain en raison de ses déclarations contre le rôle des États-Unis dans le processus de paix. (Lorsque Jack Kemp, alors secrétaire au Logement, a voulu rencontrer Sharon, James Baker lui a demandé de le faire à l’extérieur des bureaux du gouvernement).
Mais en Irak, l’administration Bush a entamé le processus de renversement d’un régime dont le gouvernement israélien se plaignait depuis des années. C’était avant qu’Israël ne découvre le danger iranien. C’était aussi de nombreuses années après qu’Israël s’était débarrassé du danger égyptien grâce aux accords de Camp David entre le président égyptien despotique Anouar Sadate et le gouvernement israélien sous les auspices du président américain des droits de l’homme, Jimmy Carter. Plus tard, les États-Unis ont bombardé tout ce qui figurait sur la liste des bombardements souhaités par Israël en Irak.
Bush avait l’intention d’aller en guerre contre l’Irak en 1990. Il envoya Dick Cheney, alors secrétaire à la défense, et Colin Powell, alors président des chefs d’état-major interarmées, à Riyad pour persuader le roi que des troupes américaines étaient nécessaires sur le terrain en Arabie saoudite pour protéger le royaume contre une invasion irakienne (les navires américains étaient partis avant que Cheney ait mis un pied sur le sol saoudien).
Rassemblement contre l’Irak
L’administration de H.W.Bush a rallié les despotes arabes contre l’Irak et a établi un ordre tyrannique régional. Même le régime syrien a surmonté ses précédents conflits avec les États-Unis et s’y est rallié. Ensemble, ils ont refusé à Saddam Hussein, le président irakien, la seule condition qu’il posait pour se retirer. Comme Bush l’admet dans le livre qu’il a coécrit, cette seule condition était l’accès au Golfe Persique.
À partir de 1991, la plupart des membres des forces armées américaines – en particulier de l’armée de l’air – ont commencé à s’entraîner au-dessus (ou sur) les terres arabes. Aujourd’hui, cela signifie des bases et des activités militaires en Irak, au Koweït, au Qatar, en Libye, en Arabie saoudite, à Oman, aux Émirats arabes unis, en Syrie (illégalement), sans parler d’autres endroits où les États-Unis ont des bases militaires et de renseignements secrets (la presse a appris il y a quelques années que Dubaï abrite une des plus grandes bases de la CIA au monde).
Bush a exploité la guerre du Golfe pour imposer un régime de sécurité où les États-Unis – et non ses partisans despotiques locaux – étaient les leaders. En outre, Bush a présenté l’utilisation abusive de l’ONU comme « une couverture politique supplémentaire pour les guerres et les actions des États-Unis », comme il est décrit à la page 416 du livre qu’il a coécrit.
En ciblant l’Irak, Bush commence par éliminer la plus grande puissance militaire arabe (bien qu’exagérée). Il a également poussé les gouvernements arabes à s’asseoir face à face avec Israël à Madrid sans obtenir aucune concession d’Israël.
Le « processus de paix » sous Bush était comme il l’avait été sous ses prédécesseurs et successeurs. Il s’agissait de promesses creuses de récompenses de la part des États-Unis pour la participation arabe à la guerre contre l’Irak. C’était une répétition de la « trahison britannique » de la Première Guerre mondiale, quand, en échange d’une aide contre l’Empire ottoman, les Arabes pensaient gagner leur indépendance.
As`ad AbuKhalil est professeur de sciences politiques libano-américain à la California State University, Stanislaus. Il est l’auteur du « Dictionnaire historique du Liban » (1998), de « Ben Laden, Islam and America’s New War on Terrorism » (2002) et de « The Battle for Saudi Arabia » (2004). Il tweete en tant que @asadabukhalil
Source : Consortium News, As`ad AbuKhalil, 12-12-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
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Commentaire recommandé
Vous auriez dû lire cet article. Il est sérieux et instructif, en particulier les derniers paragraphes (« rassemblement contre l’Irak »). Pour l’Irak, l’enfer a commencé le 2 août 1990, avec la décision suicidaire d’attaquer le Koweit, fuite en avant facilitée par les propos lénifiants de Mme Glaspie, ambassadrice des États-Unis à Bagdad.
La mainmise directe de Washington sur le monde arabe ne date pas des accords de Camp David, mais de 1990. Jamais les dirigeants arabes n’auraient dû entrer dans la coalition Bush-Thatcher.
3 réactions et commentaires
Et bien, il n’a plus l’air de passionner les foules le Georges H. W. !
Je dois bien avouer que je n’ai même pas lu l’article…
R. I. P. malgré tout.
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AlerterVous auriez dû lire cet article. Il est sérieux et instructif, en particulier les derniers paragraphes (« rassemblement contre l’Irak »). Pour l’Irak, l’enfer a commencé le 2 août 1990, avec la décision suicidaire d’attaquer le Koweit, fuite en avant facilitée par les propos lénifiants de Mme Glaspie, ambassadrice des États-Unis à Bagdad.
La mainmise directe de Washington sur le monde arabe ne date pas des accords de Camp David, mais de 1990. Jamais les dirigeants arabes n’auraient dû entrer dans la coalition Bush-Thatcher.
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AlerterTrès bon article de fond sérieux et bien étayé. Il met également en lumière l’adhesion du monde dit arabe à la guerre contre Saddam Hussein, Syrie comprise,dans l’indifference générale des donneurs de leçons d’aujourd’hui. Ça fait du bien de lire autre choses que des articles dogmatiques sur ce sujet déjà presqu’oublie au profit de la deuxième guerre contre Saddam Hussein .
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