Après avoir discrètement mis en avant un projet de privatisation de Medicare soutenu par le secteur des assurances, l’administration Biden s’est retrouvée sous le feu des militants pro-Medicare. En réponse, l’administration a donné un nouveau nom au projet, mais a laissé intacte sa nature privatisée.
Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Bien que cela semble incroyable, l’administration Biden a consacré l’année dernière à promouvoir un programme datant de l’ère Trump qui interpose une entreprise à but lucratif comme intermédiaire entre les retraités et leur assurance maladie, ce qui, selon ses critiques, est la première étape vers la privatisation totale du programme. Et il semble que la bataille qui suivra ne fait que commencer.
Joe Biden semblait suspendre le programme de « contractants directs » après qu’une vague d’opposition parmi les militants de base et les progressistes du Congrès lui ait forcé la main. Les responsables ont commencé à laisser entendre qu’ils allaient remanier le programme ou même l’annuler complètement, les entreprises qui devaient en profiter travaillant fébrilement pour empêcher cette dernière issue. Depuis une semaine, l’industrie des soins de santé et les défenseurs des soins de santé publique attendaient avec impatience de connaître la décision de l’administration.
Hier, ils ont eu leur réponse. En réaction aux « commentaires des parties prenantes et des participants », les Centers for Medicare & Medicaid Services (CMS) ont annoncé que le programme de contractants directs serait transformé en une entité appelée ACO REACH (Accountable Care Organization Realizing Equity, Access, and Community Health). [Qui peut se traduire par Organisation de Soins Responsable Réalisant l’Equilibre, l’Accès et la Santé Collective, NdT].
Outre le changement de nom, l’administration a proposé plusieurs réformes. Désormais, les entités participant au programme pilote doivent « élaborer et mettre en œuvre un plan solide d’équité en matière de santé pour les communautés défavorisées », il y aura plus de transparence, et la CMS promet également « d’explorer des protections plus fortes contre le classement impropre et la croissance du score de risque » – faisant référence à la pratique des intermédiaires privés présentant les bénéficiaires de Medicare comme plus malades pour siphonner des paiements plus élevés du programme. Jusqu’ici, tout cela est vague.
Plus important encore, la CMS exige désormais que toute ACO participant au programme – ce que l’on appelait auparavant les « entités contractantes directes » (ou DCE) qui servaient d’intermédiaires – soit contrôlée par des « fournisseurs participants » à hauteur de 75 % au moins de ses organes directeurs, contre 25 % auparavant, et qu’elle comprenne deux défenseurs des bénéficiaires ayant le droit de vote.
La question est de savoir si ce changement est suffisant pour résoudre ce qui inquiétait les militants de la santé publique au départ, à savoir les contrats directs. La réponse, selon eux, est négative.
« Nous ne voyons rien d’autre qu’un changement de nom », déclare Diane Archer, présidente de Just Care USA [Prenez Soin, Ndt].
Les médecins pour un programme national de santé (PNHP), l’un des groupes qui a mené la lutte contre le programme, a réagi de la même manière, son président, le Dr Susan Rogers, qualifiant ACO REACH de « contrat direct déguisé » et avertissant que cela « doublait » le problème fondamental actuel : placer inutilement dans le système Medicare traditionnel un intermédiaire axé sur le profit qu’aucun bénéficiaire n’a jamais demandé.
Quant au changement le plus substantiel – l’augmentation du nombre de fournisseurs au sein des organes directeurs des DCE – la CMS a discrètement ajouté une échappatoire. Dans la demande de candidatures au programme qu’il a publiée jeudi, le CMS note que toute ACO peut « demander une exception au contrôle de 75 % » à la discrétion de l’agence. Il leur suffit de décrire leur organe de direction actuel et d’expliquer comment ils vont « impliquer les fournisseurs participants de manière innovante dans la gouvernance de l’ACO. »
« Ils redoublent d’efforts », déclare le Dr Ana Malinow, professeur de pédiatrie à l’université de Californie à San Francisco. « Ils ont réalisé que les mots Entités à contrat direct sont devenus toxiques à cause de toute la pression que nous avons exercée. »
Malinow a de mauvais pressentiments à propos du nouvel accent mis par le programme sur « l’équité et les communautés défavorisées ». Actuellement, la performance d’une ACO est jugée sur la façon dont elle réduit les dépenses pour un groupe de bénéficiaires de Medicare par rapport à un point de référence, ou objectif de dépenses, qui est basé sur les niveaux historiques de dépenses. Mais les communautés défavorisées ont tendance à avoir des dépenses de santé plus faibles par rapport à leurs besoins réels, ce qui dissuade les ACO de se tourner vers ces communautés. La CMS augmentera les points de référence pour les ACO qui traitent des proportions plus élevées de ces populations – en théorie, c’est une bonne chose – mais cela signifie également que les communautés à faible revenu sont maintenant plus susceptibles de se retrouver piégées dans le projet pilote de contrat direct, ou ACO REACH, comme il s’appelle maintenant.
« Cela consiste à mettre les pauvres dans le collimateur des sociétés de capital-risque pour qu’elles puissent en tirer plus d’argent », déclare-t-elle.
La ligne de conduite de l’administration Biden s’aligne plus ou moins exactement sur une lettre envoyée par le groupe commercial d’une DCE il y a plus d’une semaine. Dans cette lettre, l’industrie exhorte l’administration à « réparer, mais pas à mettre fin » aux contrats directs en « limitant la participation à certains types de DCE, tels que les DCE dirigées par les fournisseurs » et en procédant à un « changement de marque et de nom », qui sont toutes deux les pièces maîtresses de ce programme ACO REACH. Dans le bras de fer entre les défenseurs de la santé publique et les grandes entreprises, l’administration s’est rangée du côté des exigences de ces dernières.
Le programme de contrats directs était déjà une voie obscure et excessivement technique vers une privatisation partielle de Medicare que peu de gens connaissaient, et le changement de nom a peut-être permis à ses partisans de gagner du temps pour poursuivre leurs plans. Maintenant, les défenseurs de la santé publique devront continuer à essayer de sensibiliser et de susciter l’indignation du public sur ce qui est présenté comme quelque chose d’entièrement nouveau. Le sort de Medicare tel que nous le connaissons dépend de leur succès.
Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.
Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 27-02-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
« Bien que cela semble incroyable »
Je ne vois rien que du très banal dans cette affaire. Peut-être parce que j’ai vu la gauche française réaliser des casses sociales dont la droite n’aurait osé rêver.
14 réactions et commentaires
Pour ceux qui pensaient que les démocrates sont plus fréquentables que les républicains à part « l’épisode » esclavagiste et raciste avant la seconde guerre mondiale, regardez bien comment il trahissent leurs électeurs (merci Sanders de jouer les idiots utiles) et comment on frôle la seconde guerre mondiale.
La forme désormais masque le fait que le fond est toujours le même comme nous en France peu importe l’élu au fond on verra rapidement les même trahisons que le parti au pouvoir soit de droite ou de gauche.
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AlerterPlutôt que d’argumenter en termes démocrate/republicain…un autre angle non partisan :
– La publicité pour le tabac est interdite, mais quiconque souhaite acheter un paquet de cigarettes sait exactement où le trouver, tout en sachant que c’est pas bon pour la santé.
– Aux Etats-Unis, la publicité pour les médicaments ne semble pas reglementée, ou si elle l’est, ce n’est pas immédiatement apparent. Par exemple, ça ne semble choquer personne que youtube juxtapose en tête d’une video une pub pour des chips et une pub pour un médicament. Et ici on ne parle pas d’aspirine ou de doliprane.
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AlerterTrump en a rêvé, Biden l’a fait…
Tout comme le firent les fauxcialistes en allant largement plus loin que les rêves les plus fous de la « drouate » depuis la « révolution rose » de 1981…
Le jour où les moutons qui se déplacent pour aller faire la queue devant un
urinoirisoloir comprendront que cette fumisterie ne sert que les intérêts des « divins élus » et de ceux de leurs « mécènes » un grand pas sera fait dans l’amélioration de l’intelligence humaine.Il faudrait cesser d’interdire le MANDAT IMPÉRATIF ce qui permettrait d’établir une véritable DÉMOCRATIE, la population décidant enfin de son propre sort et de « répudier » les « représentants » indélicats avec des sanctions réellement DISSUASIVES.
Et il en va de même pour TOUS les « grands serviteurs de l’État » qui ne servent que leur propre intérêt et celui de leurs « amis » au détriment de la population.
Privatisation de l’Assurance Maladie, des retraites, de l’Assurance chômage, des banques de dépôt (déjà fait, avec toutes les conséquence que l’on voit), et de tous les services publics PAYÉS PAR LES UTILISATEURS et qui sont « généreusement » donnés aux plus cupides.
Sans parler de l’utilisation sans limite de « cabinets de conseils » qui vendent à prix d’or des « rapports » pondus par des stagiaires sous payés mais facturés à prix d’or.
Il n’y a plus AUCUN garde fou pour protéger la population des dérives de la kleptocratie et les électeurs feraient mieux de voter massivement pour Poutou ou Arthaud plutôt que de se précipiter pour faire allégeance à un « homme providentiel » s’ils ne veulent plus être asservis.
Si ça se produisait j’ai la certitude que les élections seraient alors faussées, annulées ou qu’un « gouvernement d’union nationale pour la préservation des Libertés » ferait un coup d’état qui nous rappellerait les « bienfaits » de ceux qui ont « fleuri » en Amérique Latine à partir des années 1950…
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AlerterBiden est en même temps le porte parole des industriels du pétrole américains et du GIEC.
Mais finalement comme pour Medicare il choisit le camp du pognon.
Comme Macron est en même temps le protecteur des Français et le détricoteur des droits qui les protègent. Parce qu’il a choisi l’argent
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Alerter« Bien que cela semble incroyable »
Je ne vois rien que du très banal dans cette affaire. Peut-être parce que j’ai vu la gauche française réaliser des casses sociales dont la droite n’aurait osé rêver.
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AlerterPas la gauche le ‘PS’ ,très , très grosse nuance , vous devez juger d’un point de vue éloigné pour confondre après les années Jospins ,mais surtout Hollande gauche et PS !
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AlerterBiden est né en 1942.
Il a donc 80 ans.
Qui peut croire qu’a 80 ans on est prêt à faire la révolution?
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Alerter« La guerre provoque la révolution et la révolution provoque la guerre »
Citation de Mao Tsé Toung.
Donc Biden joue au billard .
Avec la bande guerre en Europe il parviendra à la révolution.
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AlerterBiden est le président des Lobbies, président faible, choisi par défaut, le lobby financier lui impose la privatisation de Medicare, les démocrates ne sont plus progressistes mais néolibéraux.
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AlerterJe ne comprends pas le néo !!
Les « démocrates » US sont libéraux !!
Comme le PS d’ailleurs et la goche française ! Le reste c’est de la communication.
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AlerterIl peut y avoir des solutions pour résoudre le problème des retraites des frais médicaux qui s’élèvent avec l’âge en France comme à l’étranger.
Aux USA il y a eu ( a encore ) les opioïdes, le Covid, le confinement ( en particulier en EHPAD)
En France le Covid, le confinement, les mauvaises nouvelles ( bruits de guerres, inflation , pollution, réchauffement climatique ) qui s’accumulent de toutes parts depuis quelques mois et génèrent de la dépression. Il suffit de discuter avec des retraités qui ont bien dépassés les 70 ans pour voir que certains dépriment avec ces nouvelles.
Jeudi il y a eu une manifestation de retraités pour le pouvoir d’achat. Cette manifestation a eu un parcours bizarre de la gare de Lille Flandres jusqu’au siège de l’Association Régionale de Santé ?
Rapport entre l’ARS et le montant des retraites ou le pouvoir d’achat ???
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AlerterPauvre Robinette*, finalement il fait comme Obama, une réforme de protection sociale mal foutue car sous pression des intérêts financiers, mais avec le glamour en moins ! Avec ça il ne faut pas s’étonner que les indicateurs démographiques américains soient en berne :
– l’espérance de vie baisse, pas mieux que Cuba ou la Chine : 4 fois moins riche par habitant !
– le taux de mortalité enfantine augmente, il est proche de celui de la Chine : 5.6 vs 6.0. La France est à 3.6 pour mille.
La fin de mandat va être longue : Afghanistan, bientôt l’Ukraine et cette réforme qui va permettre aux intérêts privés de gérer les fonds publics : moins ils dépenseront d’argent pour soigner mieux ils seront rémunérés !
* Rien à voir avec un quelconque problème de prostate, Joé Biden, s’appelle en effet Joseph Robinette Biden,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joe_Biden
C’est un vieux nom d’un huguenot français émigré en Amérique transmis par sa grand-mère paternelle.
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AlerterNous avons pris le même chemin de plus en plus ouvertement. La part des mutuelles payantes pour l’accès aux soins est exponentielle et on soumet l’hôpital à un stress de plus en plus destructeur.
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AlerterHumm… il me semble qu’on pourrait reprocher à M. Biden d’autres magouilles, qui nous concernent plus directement… concernant un pays où son fiston avait des intérêts, et dont il a fait virer le procureur général…
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