Cette semaine, moins de graphiques, et plus de Droit(s) 🙂 – nous partons à la découverte du MES…
I. Contexte
La Crise des finances publiques de la Grèce puis de l’Irlande et du Portugal ont conduit l’Union Européenne à mettre en place deux instruments permettant d’aider les pays en empruntant sur les marchés : le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF : prêts de l’Union Européenne pouvant aller jusqu’à 90 Md€) et le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF, prêts des États de l’Eurozone pouvant aller jusqu’à 660 Md€).
Toutefois, le FESF et le MESF étaient destinés à être temporaires (jusqu’à fin 2013) car ces deux mécanismes étaient contraire aux traités de l’Union européenne (petit souci…).
Je ne développe pas plus ces mécanismes, ce n’est pas l’objet du billet, vous trouverez plus d’informations sur eux par exemple en cliquant ici.
II. Le MES
Ainsi, face à l’approfondissement de la crise financière de la zone euro, le Conseil de l’Union Européenne a décidé la création du Mécanisme Européen de Stabilité le 11 mars 2011, qui a donné lieu à signature du Traité établissant le Mécanisme européen de stabilité le 21 juillet 2011.
Son principe est le suivant : (Source : www.gouvernement.fr)
Organisation nouvelle de droit public international établie par un traité entre les États membres de la zone euro, son but est d’apporter une assistance financière aux États de la zone euro touchés ou menacés par de sévères difficultés financières afin de sauvegarder la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. Les décisions les plus importantes seront adoptées par consensus par un Conseil des gouverneurs composé des ministres des Finances de la zone euro. Ce consensus se fera sur la base d’une analyse de soutenabilité de la dette de l’État membre concerné, réalisée par la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI), en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE)
Le MES sera doté d’une capacité d’intervention financière effective de 500 milliards d’euros qui sera assurée grâce à la constitution d’un capital total de 700 milliards d’euros, composé de 80 milliards d’euros de capital libéré et de 620 milliards d’euros de capital appelable.
40 milliards d’euros de capital libéré seront disponibles dès juillet 2013, la mise à disposition des 40 milliards d’euros autres s’étalera sur les trois années suivantes. Chaque État contribuera au capital du MES en fonction d’une clef de répartition basée sur les contributions au capital de la BCE ajustée marginalement pour tenir compte de la richesse relative des pays. Pour la France, cela impliquera une contribution proche de 20 % de ce montant total.
Voici les contributions au MES :
700 Md€ ! Cela représente une contribution maximale pour notre pays de 143 Md€ (et 16,3 Md€ pour commencer…).
Merci M. Baroin ! Je demande donc à user par la présente de ma faculté CNIL et vous demande de retirer mon adresse de vos fichiers fiscaux afin que je ne reçoive plus de courriers de votre part à l’avenir – en particulier de feuille d’impôts 🙂
III. Le MES « Dictateur européen » ?
Durant l’été, la rumeur a enflé sur Internet : le MES serait
- un « Nouveau Dictateur Européen »,
- « Le Fascisme Européen »
- ou « le Totalitarisme en route ».
Et il y a même la désormais classique “Petite vidéo virale sur Internet pour faire très beaucoup peur aux gens sur le thème « Heureusement qu’on est là pour vous prévenir du complot »».
Alors quels sont les points reprochés ? Ils se fondent sur ces articles du Traité MES :
Article 3- Objet
L’objet du MES est de mobiliser des fonds et fournir une assistance financière, sous stricte conditionnalité de politique économique, au profit des Membres du MES qui connaissent ou sont menacées par des problèmes de financement grave, si cela s’avère indispensable pour sauvegarder la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. A cet effet, le MES est en droit de lever des fonds par émission d’instruments financiers ou en concluant des accords financiers ou autres arrangements avec les Membres du MES, les institutions financières ou d’autres tiers.
Article 8- Capital social
1. Le capital social s’élève à 700 milliards d’euros (EUR 700 000 000 000).
Article 9- Appels du capital
[…] Les Membres du MES, irrévocablement et inconditionnellement, s’engagent à payer sur demande l’appel de capital effectué par le Directeur Général conformément au présent paragraphe, cet appel devant être payé dans les sept (7) jours suivant la réception de ladite demande.
Article 10 – Les changements dans le capital social
1. Le Conseil des Gouverneurs […] peut décider du changement du capital social et de la modification de l’article 8 et l’annexe 2 en conséquence.
Article 27- Le statut juridique du MES, les immunités et privilèges
2. Le MES a la pleine personnalité juridique, il doit avoir la pleine capacité juridique:
(A) pour acquérir et aliéner des biens immobiliers et mobiliers;
(B) pour contracter;
(C) pour ester en justice et
(D) pour entrer dans un accord cadre et / ou des protocoles nécessaires pour s’assurer que ses statuts, privilèges et immunités sont reconnus et mis en vigueur.
3. Le MES, ses biens, fonds et avoirs, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le détenteur, jouissent de l’immunité de toute forme de procédure judiciaire, sauf dans la mesure où le MES renonce expressément à son immunité dans le but de toute procédure ou par les conditions de tout contrat, y compris la documentation sur les instruments financiers.
4. La propriété, le financement et les actifs du MES, où qu’ils se trouvent et quel qu’en soit le lieu, sont exempts de perquisition, réquisition, confiscation, expropriation ou de toute autre forme de saisie, de prise ou forclusion par action de l’exécutif, judiciaire, administrative ou législative.
Article 30 – Immunités des personnes
1. Gouverneurs, Gouverneurs suppléants, Directeurs, Directeurs suppléants, le Directeur Général et membres du personnel doivent être à l’abri de poursuites à l’égard des actes accomplis par eux dans leur qualité officielle et jouissent de l’inviolabilité à l’égard de leurs papiers officiels et documents, sauf lorsque le Conseil des Gouverneurs renonce expressément à cette immunité.
En résumé, les points incriminés sont les suivants.
1°) Que les États membres doivent payer leur contribution dans les 7 jours suivant l’appel (article 9).
=> Ceci semble normal : si on crée un fonds de secours en commun, il faut bien que les États payent leur part rapidement !
2°) Que le MES pourrait à volonté augmenter son capital, que les États n’auraient rien à redire et qu’à payer… dans les 7 jours ! (article 10)
=> Oui… et non ! Le texte dit bien (évidemment !) :
Le Conseil des Gouverneurs […] peut décider du changement du capital social […] Cette décision entrera en vigueur après que les membres du MES auront notifié au Dépositaire l’achèvement de leurs procédures nationales applicables.
Bref, l’unanimité des ministres des finances est requise pour demander la modification du traité, et ensuite, la demande doit être ratifiée par les parlements de chaque pays. En fait, c’est comme pour une entreprise : c’est bien le Conseil d‘Administration qui décide de l’augmentation du capital, mais cela doit évidemment être ratifié par l’Assemblée Générale !
Comment imaginer que le Conseil des Gouverneurs (les ministres des finances) puisse décider seul à l’unanimité et que cela s’imposerait directement aux pays sans passer par la case Parlement… (petit détail, je rappelle que seul le Parlement peut modifier le budget ; le gouvernement ne pourrait pas payer quoi que ce soit sans que le Parlement ne vote une modification du budget).
Les thèses du complot sont décidément toujours vivaces… Cela serait même impossible juridiquement : le capital du MES est défini en dur à l’article 8, pour changer le capital, il faut donc modifier le Traité, et donc procéder à une nouvelle ratification.
Bref, rien de scandaleux dans la lettre du texte…
3°) Le MES peut acheter des biens immobiliers et mobiliers (article 27)
=> Il faut bien qu’ils se logent, ces malheureux…
4°) Il y a une immunité des personnes (article 30)
=> On peut discuter, mais c’est une rédaction fréquente pour les organismes internationaux. En effet, pour les poursuivre, il faudrait une loi, or une loi est rattachée à un pays. Il faudrait donc décider quelle loi lui appliquer, et cela laisserait donc la possibilité audit pays de modifier à sa guise cette loi, ce qui est évidemment inacceptable pour les autres pays…
Regardons par exemple les statuts du FMI de 1944 :
Article III
Tout État membre qui consent à une augmentation de sa quote-part conformément aux dispositions du paragraphe a) de la section 2 du présent article verse au Fonds, dans un délai fixé par celui-ci, vingt-cinq pour cent de l’augmentation en droits de tirage spéciaux […]
Article IX
Section 2. Statut juridique du Fonds
Le Fonds possède la pleine personnalité juridique et en particulier a la capacité :
i) de contracter;
ii) d’acquérir des biens meubles et immeubles et d’en disposer;
iii) d’ester en justice.
Section 3. Immunité de juridiction
Le Fonds, ses biens et ses avoirs, où qu’ils se trouvent et quels qu’en soient les détenteurs, jouissent de l’immunité de juridiction sous tous ses aspects, sauf dans la mesure où il y renonce expressément en vue d’une procédure déterminée ou en vertu d’un contrat.
Section 4. Autres immunités
Les biens et les avoirs du Fonds, où qu’ils se trouvent et quels qu’en soient les détenteurs, ne peuvent faire l’objet de perquisitions, réquisitions, confiscations, expropriations, ou de toute autre forme de saisie de la part du pouvoir exécutif ou législatif.
On voit donc que les statuts du MES sont très proches de ceux du FMI…
Cela vaut-il le coup de s’agiter autant sur ces points ?
Nous verrons dans le prochain billet les vrais scandales du MES – et je vous fournirai le texte intégral du Traité MES…
20 réactions et commentaires
vous avez aimé les subprimes US des années 2000, vous aimerez les MES Europe 😉
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AlerterEn rapport (un peu lointain peut-être mais réveillant la mémoire) :
http://www.franceculture.fr/emission-concordance-des-temps-le-reveil-de-la-grece-au-xixe-siecle-reves-antiques-et-empreintes-tur
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AlerterZone euro : la bombe à retardement des dettes arrivant à maturité.
Décembre 2011 :
La France va devoir emprunter 37,1 milliards d’euros.
L’Italie va devoir emprunter 22,5 milliards d’euros.
L’Espagne va devoir emprunter 12,2 milliards d’euros.
Janvier 2012 :
La France va devoir emprunter 52,9 milliards d’euros.
L’Italie va devoir emprunter 15,6 milliards d’euros.
L’Espagne va devoir emprunter 9,2 milliards d’euros.
Février 2012 :
La France va devoir emprunter 35,9 milliards d’euros.
L’Italie va devoir emprunter 53,1 milliards d’euros.
L’Espagne va devoir emprunter 14,5 milliards d’euros.
Mars 2012 :
La France va devoir emprunter 17,4 milliards d’euros.
L’Italie va devoir emprunter 44,2 milliards d’euros.
L’Espagne va devoir emprunter 8,8 milliards d’euros.
Avril 2012 :
La France va devoir emprunter 34,4 milliards d’euros.
L’Italie va devoir emprunter 44,5 milliards d’euros.
L’Espagne va devoir emprunter 22,7 milliards d’euros.
Le journal « Der Spiegel » a publié le dessin de toutes ces bombes à retardement : sur ce dessin, les bombes les plus énormes sont les bombes italiennes.
http://www.spiegel.de/international/europe/bild-800351-287703.html
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Alertersur le dessin du Spiegel : les bombes les plus énormes sont les bombes italiennes ?
selon moi elles sont équivalentes,
d’ailleurs total Italie : 179,9 milliards d’euros, total France : 177,7 milliards d’euros
c’est kif-kif
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Alerterinexact. Une dette se jauge toujours en rapport du revenu, et le revenu de l’italie n’est pas celui de la france. Même si les 2 sont dans une bien mauvaise passe, l’italie nous précède et de loin!
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AlerterJe vais écrire au député de ma circonscription.
Il posera la question à Mr Baroin en séance.
Olivier, merci d’apporter autant d’eau à mon moulin des Protocoles.
C’est vrai que c’est tellement énorme que l’on a du mal à y croire et pourtant c’est bien ce qui est en train de se mettre en place.
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AlerterBonjour Olivier,
Merci pour ce billet.
Juste une remarque, doit on trouver ca « normal » voir logique que le MES se vote l’immunité puisque le FMI a fait la même chose en 1944 ?
Quelle différence existe il entre le MES et le MESF, je ne suis pas sur d’avoir saisi la nuance…
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Alerterde mémoire il me semble qu’il existe déjà une différence c’est que ceux qui financent le FMI, décident volontairement des sommes qu’ils mettent dans cet organe mais là dans le MES je vois ce point qui est totalement aberrant et que signale Olivier :
« Article 9- Appels du capital
[…] Les Membres du MES, irrévocablement et inconditionnellement, s’engagent à payer sur demande l’appel de capital effectué par le Directeur Général conformément au présent paragraphe, cet appel devant être payé dans les sept (7) jours suivant la réception de ladite demande. «
dans l’exagération le MES demanderait la totalité du budget d’un état, l’état n’aurait plus qu’à s’excécuter (bon s’est abusif mais l’esprit est là non je me trompe ?)
je savais que la panique touchait nos politiciens mais de là à approuver tout et n’importe quoi là je suis attéré.
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AlerterBonjour Ned, je ne veux pas répondre à la place d’Olivier BERRUYER sur le fonds du débat de l’immunité.
Par contre pour la différence entre MESF et MES :
– Le MESF est issu de l’article 122.2 et est adossé au budget de l’Union Européenne (capacité de 60 milliards en gros) ;
– Le MES est issu d’un traité à part entière, c’est une institution internationale et est adossé au capital garanti par les Etats ;
– Le MESF est un instrument communautaire, le MES est sensé être un instrument intergouvernemental ;
Dans le fonctionnement c’est exactement la même chose.
Bien cordialement,
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AlerterToute cette clique est à l’abri de toute poursuite juridique, mais pas à l’abri des balles !
Qu’ils prennent garde tout de même. A force de bafouer la démocratie, les peuples pourraient bien se soulever !
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Alerteril serait ennuyeux de faire la révolution pour de mauvaises raison alors qu’il y aurait tant de bonnes…
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AlerterBonjour Olivier,
Dans le premier paragraphe (contexte), vous parlez de M€ alors que sauf erreur, il s’agit de Md€.
Au second paragraphe, juste avant le tableau, vous dites « contributions au MEF ». N’est-ce pas MES?
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Alerter1) La BCE et son executif jouissent-ils aussi d’une telle immunité?
2) Cette immunité n’ébranle-t’elle pas le principe de séparation des pouvoirs? Nous avons une cour européenne de justice et un parlement européen, donc il existe déjà des structures républicaines à l’échelle communautaire qui pourraient, en principe, contrôler les actions du MES.
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AlerterUn parlement européen ???
Ca existe ???????????
Haaaaaa… oui !!! les 736 guignols que l’on élit tous les 5 ans.
ils n’ont aucun pouvoir (et le démontre actuellement tous les jours) sinon celui de toucher leur gros chèque. Vaste plaisanterie.
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AlerterLes Français sont des crétins qui envoient des clowns au parlement européen.
Je vous rappelle que le parlement a le pouvoir de contrôle sur le volet dépense du budget européen, entre autre.
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AlerterBonjour John Smith, la BCE est effectivement munie des mêmes protections, ainsi que le Commission Européenne et le Parlement Européen. Pour plus de renseignements, reportez vous aux protocoles qui sont accolés aux traités. Un d’entre eux traite justement des immunités au sein des institutions européennes.
Vous vous rendrez-compte alors que ces immunités ne sont que monnaie courante (BCE, Commission, FMI .. MES :)).
Bien cordialement,
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AlerterCher monsieur,
vous ne voyez pas où est le problème dans les articles cités, et osez une comparaison qui me semble un peu rapide avec le FMI.
A bien lire le traité établissant le MES, on se rend compte qu’il reproduit les instances de fonctionnement de l’UE, où la difficile recherche du compromis donne les clefs effectives du pouvoir à la Kommission (non élue).
Idem, donc, pour le MES, ses ministres des finances (auquels je n’accorderais pas ma confiance absolue) et son directeur administratif non élu (qui sera la clef de voûte).
Par ailleurs, si vraiment le MES n’est pas si important, pourquoi le mettre à la place du FESF en vigueur ?
Parce que le FESF est strictement limité par les garanties apportées par les Etats – donc finalement contrôlés par eux – , alors que le MES laisse une ouverture pour une augmentation future de son capital social.
A ce titre, l’un des articles les plus importants concerne la levée d’argent potentiellement admise auprès des banques privées. Les gouvernements nationaux ne seront plus les seuls à apporter des fonds !
Le but ? Se « libérer » des limites imposées par les Etats pour se constituer un vrai budget à un niveau fédéral.
Qui détient l’argent détient le nerf de la guerre.
A défaut d’avoir des obligations fédérales (les euro-obligations), les fédéralistes auraient un MES modifiable à l’avenir.
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AlerterJe vois que ce billet est repris dans Générations Engagées. J’attends avec deux fois plus d’intérêt la partie 2 !
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