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10.avril.202010.4.2020 // Les Crises

Muchas gracias Cuba ! Par Richard Labévière

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Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 30-03-2020

Pour lutter contre le Covid-19, 37 pays ont fait appel à la médecine cubaine, priorité – avec l’éducation – de la Grande île depuis sa révolution de 1959. Cette crise illustre et confirme son degré d’avancement dans l’industrie biotechnologique, et ce malgré le « bloqueo », l’embargo qu’exercent les Etats-Unis contre Cuba depuis le 3 février 1962.

Dimanche passé, à la demande de la Lombardie – où le coronavirus a fait plus de morts que dans l’ensemble de la Chine -, 37 médecins cubains (des généralistes, des pneumologues, des spécialistes en maladies infectieuses et soins intensifs), ainsi que 15 infirmiers sont arrivés en renfort du dispositif sanitaire local. Comme dans les 37 pays où ils sont déployés pour lutter contre le covid-19, les médecins cubains engagés en Italie ont une solide expérience dans l’urgence sanitaire, dont celle qu’ils avaient déjà mis en pratique lors du traitement du virus Ebola en 2014.

Depuis 2003, la Chine bénéficie d’un transfert de technologie pour l’Interféron alfa 2b, un antiviral produit par la société cubano-chinoise Chang/Heber– un médicament utilisé contre des virus présentant des facteurs similaires à ceux du covid-19. En Chine, l’Interféron 2b a été administré à 1 500 patients, qui ont guéri depuis. Une quinzaine de pays ont demandé à Cuba le droit d’utiliser ce même médicament.

« FRENTE BIOLOGICO »

En 1981, le plan Frente biologico (front biologique) a permis la création du Centre de génie génétique et de biotechnologie, produisant des médicaments accessibles sur le marché intérieur et sur celui d’une cinquantaine d’autres pays. Quelque 569 des 857 produits figurant sur la liste des médicaments homologués à Cuba sont ainsi fabriqués dans le pays. Et depuis 1999, l’Ecole latino-américaine de médecine a formé – chaque année – des milliers d’étudiants de 24 pays d’Amérique latine. En 2010, les médecins cubains ont prescrit un traitement à plus de 85 millions de patients, réalisant plus de 2,2 millions d’opérations, multi-vaccinant plus de 9,2 millions de personnes.

En 2018, l’exportation de services médicaux a rapporté 6,3 milliards de dollars, confirmant l’importance stratégique de ce secteur pour une économie cubaine toujours sous embargo américain. L’administration Trump vient du reste de renforcer les sanctions contre Cuba ! On se demande bien pourquoi et pour qui la Grande île représente – aujourd’hui – une quelconque menace… Depuis l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro au Brésil et de Jeanine Anez (présidente auto-proclamée de Bolivie), plus de 9000 médecins cubains ont dû quitter ces pays. Pour de plus amples informations, on consultera le site de l’association Cuba-Coopération-France1 toujours très bien informé.

Toujours est-il que dans ce contexte, Washington a lancé une vaste et virulente campagne contre Cuba, dont les médecins ne seraient « qu’une main d’œuvre-esclave », sans préciser – bien-sûr – que les montants des honoraires ainsi dégagés à l’étranger étaient réinjectés dans le système national de santé publique – gratuit pour tous, comme le stipule la Constitution, même s’il connaît des difficultés croissantes liées aux sanctions américaines.

FRANCE-INTER LAMENTABLE !

Bien-sûr, il s’est trouvé un ahuri pour reprendre, terme à terme, cette rhétorique anti-cubaine sur une antenne de notre service public. Un certain Anthony Bellanger (à ne pas confondre avec son homonyme président de la Fédération internationale des journalistes) a déversé sa bile en citant tout un tas de chiffres – invérifiables et non sourcés – pour affirmer que l’intervention des médecins cubains n’était qu’une opération de « pure propagande », alors « que les habitants du pays manquent de tout… ». Faux, archi-faux et lamentable ! Ce personnage sait-il de quoi il parle ? A quand remonte son dernier séjour à Cuba ? Y-a-t-il jamais mis les pieds ? Spécialité très courante des éditorialistes parisiens : juger des situations et des pays auxquels on ne connait strictement rien…

Renseignement pris, Anthony Bellanger serait l’un des remplaçants de Bernard Guetta (dont la suffisance et les certitudes moralisantes nous ont éloignés de France-Inter durant de longues années. Il est désormais euro-député de la République-en-marche, évidemment). Sur France-Inter, Anthony Bellanger anime une rubrique intitulée « Histoires du monde ». Faudrait-il encore avoir quelques connaissances du monde… Mais qui est-il ? Sa seule référence : les « Inrockuptibles », un magazine « classé à gauche », selon Wikipédia… Quelle référence ! Quels sont ses domaines de spécialité et de compétence ? Au nom de quoi et de qui s’autorise-t-il ainsi de traîner Cuba dans la boue ? On a vainement cherché ses états de service qui pourraient expliquer une telle sortie de route, mais néant. Ce genre d’incident n’est pas anodin et soulève bien des questions quant au paysage médiatique de notre pays, et notamment aux médias de service public financés par les contribuables.

Comment ces gens sont-ils choisis pour ainsi occuper les postes clés de nos médias de service public, financés par la redevance et l’assiduité des contribuables ? Comment la direction de Radio France peut-elle admettre que de tels personnages transforment ainsi France-Inter en une Voice of America de pacotille ? Il faut déjà supporter les certitudes moralisantes, toutes aussi arrogantes, de Guillaume Erner – qui a transformé les matinales de France-Culture en leçons quotidiennes de la bobologie dominante – sans parler des perroquets de BFM et autres médiocrités des autres chaînes continues, continuellement insignifiantes… Mais que fait le CSA pour lutter contre la désinformation en ces temps de Covid-19 ?

EUROPE DECADENTE

Parfaitement incongrue, cette charge anti-cubaine traduit bien autre chose que de l’ignorance et de la bêtise. Plus qu’une poussée d’ethnocentrisme aggravée, on est ici dans une forme de racisme larvé, qui ne supporte pas l’incompressible réalité d’un déclassement de l’Occident et tout particulièrement d’une Europe qui n’est plus le centre du monde, de l’excellence, de l’innovation et de la recherche scientifique (lire L’envers des cartes de Guillaume Berlat : « L’Europe décadente »).

Comme vient de le dire Hubert Védrine, « c’est à nous Européens de nous interroger sur notre stratégie, sur notre naïveté. C’est très dur pour les Européens qui se voyaient encore comme l’avant-garde civilisationnelle du monde »2. Marcel Gauchet surenchérit : « sommes-nous réellement toujours parmi les meilleurs du monde ? Nous l’avons été, mais nous ne le sommes probablement plus. Entendons-nous : nous bénéficions d’un acquis historique formidable et si on prend pour point de comparaison les pays du Sud les plus démunis, nous figurons toujours parmi les ultra-privilégiés. Mais c’est la tendance globale qu’il faut envisager. Nous disposons d’établissements de pointe qui sont au meilleur niveau mondial. Mais cette brillante zone d’excellence (qui est celle que fréquente nos élites) cache un tableau d’ensemble moins reluisant »3.

Adossés à ce complexe historique de supériorité, ressurgissent aussi tous les poncifs anti-communistes les plus caricaturaux. Dans cet ordre d’idées, faut il rappeler que la médecine justement (et dans de nombreuses spécialités les plus techniques), ainsi que l’éducation ont été les deux priorités récurrentes du gouvernement cubain depuis 1959, deux priorités « politiques », parce que dans ce pays – et indépendamment du déluge de propagande déversé sur lui depuis sa révolution -, la politique prétend supplanter les déterminismes de l’économie dite libérale.

En comparaison, Marcel Gauchet encore, revient sur ce désapprentissage européen de la politique et ses conséquences : « l’anticipation de la menace n’existe quasiment plus dans la conscience européenne. C’est en un sens notre privilège et cela se révèle une énorme faiblesse dans une situation comme celle-ci. La paix et la prospérité, jointes au court-termisme de la performance économique, ont évacué la dimension stratégique de l’existence politique. L’accroissement des droits individuels et des moyens matériels de chacun est devenu le seul horizon concevable »4, au détriment de la volonté et de la prévision politiques, de la politique tout court !

« DES MEDECINS, PAS DES BOMBES ! »

Ce mot d’ordre est lancé le 26 mai 2003, lors de l’investiture du président Nestor Kirchner : – des médecins, pas des bombes ! – et la vidéo de ce discours prononcé à la faculté de droit de Buenos Aires , l’un des derniers grands discours du Lider Maximo, circule abondamment sur les réseaux numériques. Evoquant le Che – qui était médecin -, Fidel rappelle que les deux priorités de la révolution cubaine ont été l’éducation et la santé : « comme il connaît son adversaire depuis de nombreuses décennies, notre pays a dû apprendre à se défendre. Notre pays ne largue pas de bombes sur d’autres peuples, n’envoie pas des milliers d’avions bombarder des villes, notre pays ne possède pas d’armes nucléaires, pas d’armes chimiques, pas d’armes biologiques. Les dizaines de milliers de scientifiques et de médecins de notre pays ont été formés dans l’idée de sauver des vies. Il serait absolument contradictoire, avec leurs conceptions, qu’un médecin ou un scientifique se mette à produire des substances, des bactéries ou des virus capables de causer la mort d’autres êtres humains ».

Il poursuit : « les USA sont allés jusqu’à prétendre que Cuba faisait des recherches sur des armes biologiques. Dans notre pays, les recherches ont permis de mettre au point, par des techniques de génie génétique, des vaccins capables de soigner des maladies aussi dures que la méningite cérébro-spinale ou l’hépatite ; elles visent aussi, ce qui est extrêmement important, à mettre au point des vaccins ou des formules thérapeutiques par immunologie moléculaire – pardonnez-moi l’expression technique – autrement dit par des méthodes qui attaquent directement les cellules malignes, aussi bien en vue de prévenir que de guérir. Voilà sur quelle voie nous avançons. Cela fait l’orgueil de nos médecins et de nos centres de recherche. Des dizaines de milliers de médecins cubains ont prêté leurs services internationalistes dans les endroits les plus reculés et les plus inhospitaliers. J’ai dit que nous ne pouvions pas lancer des attaques par surprise et préventives, et nous ne le pourrions pas, contre n’importe quel trou perdu du monde, mais que notre pays était en revanche en mesure d’envoyer les médecins dont ont besoin les trous les plus perdus du monde. Des médecins, pas des bombes ! ».

Fidel conclut : « le problème est mondial. Et c’est pour cela que, malgré les difficultés qui existent ici et ailleurs, malgré, bien des fois, les fragmentations, malgré, bien des fois, les divisions – et des divisions, il peut y en avoir, il doit même y en avoir, bien que les intérêts communs soient si nombreux qu’ils doivent finir par l’emporter – toujours plus de gens prennent toujours plus conscience qu’un autre monde est possible. Voyez un peu la force qu’a prise cette phrase : un monde meilleur est possible ! Mais quand on aura instauré ce monde meilleur possible, il faudra continuer de répéter : un monde meilleur est possible, et encore : Un monde meilleur est possible ! ».

Intéressant document d’histoire qui permet de replacer, dans l’espace et le temps, le volontarisme politique – oui, politique ! – de la révolution cubaine, de son chef, de ses espérances et de son héritage. Oui, aujourd’hui – et malgré 58 ans d’embargo américain – Cuba a poursuivi ses efforts en matière d’éducation et de santé publiques. Et on ne voit pas au nom de quoi, dans le contexte de la crise actuelle, il faudrait jeter la pierre à Cuba en capacité d’exporter ses savoir-faire médicaux à destination de pays demandeurs.

Dans la même filiation que le p’tit gars de France-Inter, les Dupont/Dupont de Reporters sans frontières – Pierre Haski et Christophe Deloire – affirment sérieusement qu’une presse libre, en Chine et en Russie, aurait pu empêcher le Coronavirus… Au-delà de toutes cubaphobie, chino- et russophobie, on préférerait que ces prétendus journalistes fassent tout simplement leur métier en nous informant sur ce qui se passe dans le reste du monde, en dehors du pré-carré français qui n’est pas le centre du monde.

Par différentes sources, la rédaction de prochetmoyen-orient.ch apprend que la situation est catastrophique à New York – où des patients meurent dans les couloirs des hôpitaux -, et dans d’autres grandes villes des Etats-Unis. Dans ces conditions, la réélection de Donald Trump n’est plus acquise. Ce qui n’est pas forcément de bon augure dans un pays où les ventes d’armes ont fait un bond spectaculaire, alors que certains Républicains annoncent déjà qu’ils pourraient contester des résultats qui écarteraient leur champion… Des attaques spectaculaires ont déjà eu lieu dans le métro de New York. Des explosions de violences de ce type pourraient aussi survenir dans nos villes et pas seulement dans les quartiers dits « sensibles ».

Si le pire n’est jamais certain, il est bien clair que cette crise va générer des soubresauts inédits en matière de sécurité publique et de maintien de l’ordre. L’avenir semble s’inscrire à l’ombre de régimes de plus en plus autoritaires. A n’en pas douter, nos libertés civiles et politiques ne manqueront pas de souffrir et nous avec elles.

On apprend aussi que la trentaine d’opérations de maintien de la paix des Nations unies est gravement compromise, les Casques bleus cherchant à rentrer chez eux par tous les moyens, laissant ainsi autant de conflits à ciel et fronts ouverts. Leur poursuite n’est guère assurée, puisque les bailleurs de fonds s’intéresseront d’abord au redémarrage de leur économie nationale respective…

La semaine dernière, dans notre « Géopolitique d’après… », nous appelions à une refondation des Nations unies, seul format universel existant. On voit bien que ce n’est pas gagné et que cela ne va pas être simple, même si comme le rappelle le discours de Fidel, il faut continuer à travailler pour qu’un monde meilleur soit possible ! Voilà, Messieurs les journalistes donneurs de leçons, les priorités sur lesquelles nous aimerions avoir de vraies informations, analyses et prospectives, en lieu et place de vos certitudes morales et idéologiques qui ne servent pas à grand-chose !

LE GRAND JEU

Aussi continuons la rubrique hebdomadaire des lectures ou relecture de confinement, avec d’abord le très original Du côté de chez Céline, de Jean-Philippe de Garate aux éditions Proustiana (mai 2019) et, aussi un classique : Le Grand jeu – Officiers et espions en Asie centrale de Peter Hopkirk aux éditions Nevicata (mai 2011).

Extrait : « Le Britannique ne put s’empêcher de remarquer que sur la carte de Gromchevsky, l’inquiétant espace ‘vide’ du Pamir était marqué en rouge. Il n’était plus possible d’espérer que les Russes n’aient pas remarqué l’existence de ce no man’s land où la Russie, la Chine, l’Afghanistan et les Indes britanniques se rencontraient. Selon Gromchevsky, les Britanniques étaient responsables de l’hostilité des Russes en Asie centrale à cause de leurs ingérences dans les régions de la mer Noire et des Balkans et par leurs tentatives de nuire à ce que Saint-Pétersbourg considérait comme ses intérêts légitimes dans ces zones. Si la Russie attaquait les Indes – pour Gromchevsky, ce n’était qu’une question de temps -, ce ne serait pas avec une petite force comme semblaient l’envisager les stratèges britanniques. Ce serait avec une armée qui pourrait compter jusqu’à quatre cent mille hommes. Francis Younghusband savait que les experts britanniques, dont MacGregfor, estimaient que cent mille soldats étaient le maximum qui puissent être déployés sur ce type de terrain. Il demanda à son collègue russe comment son pays envisageait de transporter et de ravitailler une si grande armée lorsqu’ils auraient laissé derrière eux le train et auraient à franchir les grandes barrières de montagnes qui protégeaient les Indes. Son hôte lui répondit que le soldat russe était un individu stoïque qui allait là où on lui disait d’aller sans trop se préoccuper des transports et des équipements. Il considérait son commandant comme un père et si à la fin d’une dure journée de marche ou de combat, il ne trouvait pas d’eau ou de nourriture, il s’en passait tout simplement et poursuivait sa mission jusqu’à ce qu’il tombe ».

Bonne lecture. Prenez soin de vous et à la semaine prochaine.

Richard Labévière
30 mars 2020

1 https://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=4646 ;voir aussi : http://ms21.over-blog.com/2020/03/coronavirus-la-lecon-de-cuba.html
2 Le Figaro, 23 mars.
3 Le Figaro, 26 mars.
4 Ibid.

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Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 30-03-2020

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1 réactions et commentaires

  • Jean-Pierre Kayemba // 10.04.2020 à 20h16

    « Le mensonge peut courir 100ans, la vérité le rattrape en 1jour ». La preuve par le coronavirus.

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