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6.juillet.20246.7.2024 // Les Crises

Navires de guerre russes à Cuba : les sanctions américaines se sont révélées contre-productives

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Certes, Poutine fait de l’esbroufe, mais La Havane a besoin d’une bouée de sauvetage économique que Moscou peut lui offrir et que les États-Unis n’ont pas su lui proposer.

Source : Responsible Statecraft, William LeoGrande
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

L’annonce de la présence de quatre navires de guerre russes à La Havane pour des exercices navals rappelle l’aphorisme du vieux marin : « N’importe quel port dans la tempête. »

Cuba a désespérément besoin d’une aide économique, et la Russie la lui a apportée. Il en résulte un partenariat approfondi qui a des échos géopolitiques de la Guerre froide, bien que les Cubains soient désormais attirés par Moscou moins par affinité idéologique que par nécessité économique.

Depuis la pandémie de Covid-19, l’économie cubaine a été secouée par les vents d’une tempête parfaite – une confluence de sanctions américaines intensifiées imposées par le président Trump, une pandémie qui a fermé l’industrie du tourisme, et des politiques gouvernementales mal conçues qui ont empiré les choses au lieu de les améliorer.

Manquant cruellement de devises étrangères, le gouvernement cubain n’est pas en mesure d’importer suffisamment de produits de première nécessité tels que la nourriture, le carburant et les médicaments, sans parler des intrants nécessaires à la production nationale, qui s’est effondrée. La diminution de la production se traduit par une baisse des recettes en devises provenant des exportations et par un besoin encore plus grand d’importations – un cercle vicieux dont il n’est pas facile de sortir.

Certaines des réformes économiques entreprises par le gouvernement peuvent contribuer à relancer l’économie à moyen et à long terme, mais à court terme, le seul espoir de Cuba d’atténuer la crise immédiate, de mettre de la nourriture dans les assiettes des gens et, littéralement, de garder les lumières allumées, est l’aide étrangère. C’est là que la Russie entre en jeu.

Au début des années 1960, l’aide de l’Union soviétique a sauvé l’économie cubaine des ravages de l’embargo américain, contrecarrant les plans des présidents américains successifs visant à soumettre le gouvernement révolutionnaire. Les Soviétiques considéraient Cuba comme un avant-poste idéologique précieux en Amérique latine et Cuba voyait l’Union soviétique comme un partenaire nécessaire dans sa lutte pour se libérer de la domination américaine.

Bien que ce partenariat se soit effondré avec la fin de la Guerre froide, Vladimir Poutine s’est efforcé de le reconstruire depuis son premier mandat en tant que président russe. Son principal levier a été l’assistance économique. Poutine a effacé 90 % de la dette de Cuba datant de l’ère soviétique et, depuis, il a accordé une aide économique de plus en plus importante. En 2009, les relations économiques se sont étendues aux sphères politique et diplomatique lorsque les deux pays ont déclaré un « partenariat stratégique. »

Lorsque l’économie cubaine a subi un déclin de 11 % en raison de la pandémie, la Russie a envoyé de la nourriture et des fournitures médicales dont le pays avait désespérément besoin et qui ont permis de sauver des vies cubaines – une initiative qui a ravivé l’affection de certains Cubains pour les Russes, en particulier ceux qui ont étudié en Union soviétique lorsqu’ils étaient jeunes.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis à mal ce nouveau partenariat. Cuba entretenait des relations étroites avec l’Ukraine depuis les années 1990, lorsqu’elle a fourni un traitement médical à plus de 18 000 enfants ukrainiens souffrant de maladies dues aux radiations provoquées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. En outre, la non-intervention et l’opposition aux sphères d’influence des grandes puissances ont été les pierres angulaires de la politique étrangère cubaine et un cri de ralliement contre les politiques américaines de changement de régime depuis que Fidel Castro est arrivé à La Havane en 1959.

Dans un premier temps, Cuba a tenté de trouver une voie médiane sur l’Ukraine, réitérant son opposition à une intervention et appelant à une fin négociée du conflit, tout en reprochant aux États-Unis et à l’Europe occidentale d’avoir provoqué Moscou en élargissant l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Aux Nations unies, Cuba s’est abstenu sur les résolutions demandant le retrait de la Russie, mais s’est opposé aux résolutions imposant des sanctions à Moscou.

Depuis un an et demi, cependant, la position de Cuba est progressivement devenue moins équivoque et s’est rapprochée de celle de la Russie. Depuis que le président Miguel Díaz-Canel s’est rendu à Moscou en novembre 2022 et a déclaré que « la Russie n’est pas responsable » de la guerre, un défilé de responsables russes et cubains a voyagé entre les deux capitales, signant plus d’une douzaine de nouveaux accords de coopération économique.

Lors d’un voyage en juin 2023, le vice-président du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, a rencontré Raúl Castro qui, selon l’agence de presse russe Tass, « a exprimé son soutien total à la Russie en ce qui concerne la situation en Ukraine et sa confiance dans la victoire de la Russie. »

Le mois dernier, Díaz-Canel s’est de nouveau rendu à Moscou et, lors de sa rencontre avec Poutine, il a réitéré la condamnation par Cuba de l’expansion de l’OTAN, déclarant : « Nous vous souhaitons, à vous et à la Fédération de Russie, tout le succès possible dans l’opération militaire spéciale. »

La visite des navires de guerre russes est une façon pour Poutine de rappeler au président Biden que Moscou peut défier Washington dans sa propre sphère d’influence, un contrepoint symbolique à l’aide américaine à l’Ukraine. Depuis plusieurs années, la déclaration annuelle sur la posture du Commandement Sud des États-Unis cite l’influence croissante des « concurrents stratégiques » – en particulier la Russie et la Chine – comme le principal défi de sécurité nationale pour les intérêts américains dans l’hémisphère occidental.

Sur cette question, comme sur celle de l’immigration, les sanctions américaines contre Cuba se sont révélées contre-productives. En exacerbant les difficultés économiques auxquelles sont confrontés les Cubains, les politiques de Washington ont accéléré la migration et n’ont laissé à Cuba d’autre choix que de chercher de l’aide auprès de ces mêmes concurrents stratégiques. Comme l’a déclaré au Congrès le commandant du Southcom, le général Laura J. Richardson, en faisant référence à l’Amérique latine de manière plus générale, « lorsque vous avez besoin d’une corde à saisir, vous ne cherchez pas nécessairement à savoir qui l’a lancée. C’est nous qui devons lancer la corde, pas nos concurrents stratégiques. »

Voilà, en résumé, une bonne explication de l’évolution des relations entre Cuba et la Russie et un conseil judicieux pour la politique américaine à l’égard de Cuba.

*

William M. LeoGrande est chercheur non résident à l’Institut Quincy, professeur de gouvernement et doyen émérite de l’École des affaires publiques de l’American University à Washington.

Source : Responsible Statecraft, William LeoGrande, 13-06-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

RGT // 06.07.2024 à 11h01

Les occidentaux ont la mémoire courte, ce qui n’est pas la cas de leurs victimes.

Souvenez-vous de la victoire de Castro contre Fulgencio Battista (un dictateur du même niveau que Pinochet au niveau des conséquences sur la population).
Lors de cette victoire, Castro, qui n »était qu’un simple avocat qui se battait avec conviction pour libérer la population de l’île de ce dictateur sanguinaire pour rétablir une véritable démocratie qui n’avait rien de marxiste.
Dans un but de justice, Castro a ensuite nationalisé les biens des entreprises qui soutenaient l’ancien dictateurs qui leur accordait des privilèges délirants en échange de leur soutien à son régime ignoble.

N’oublions JAMAIS que le premier pays que Castro a contacté pour obtenir un soutien a bel et bien été les USA et non pas l’URSS contrairement à ce que raconte la propagande occidentaliste.
Il est donc allé voir Eisenhower qui lui a intimé l’ordre de restituer les biens nationalisés (« volés », par exemple ceux appartenant à United Fruit Company) à titre préliminaire sans aucun engagement de la part des USA, et une promesse de conflit armé en cas de refus.

Comprenant que les USA ne changeraient pas leur position et qu’ils représentaient un réel danger, Castro s’est donc tourné vers le seul pays qui avait la force de contrer les USA afin de sauver la population d’un retour de la dictature oppressive (ce qui s’est réalisé ensuite dans toute l’Amérique latine hélas).

N’oublions pas que Cuba est un tout petit pays dont les seules ressources sont agricoles et touristiques.
Ce pays a donc besoin d’un « protecteur » puissant pour le protéger de la voracité des USA.

Protecteur qui ne tentera pas de le transformer en simple pion servile pour le piller contrairement aux USA.

3 réactions et commentaires

  • Dominique65 // 06.07.2024 à 08h10

    Sanctions ?
    Non, blocus totalement illégal. Je tape « sanctions cuba » dans mon moteur de recherche et voilà la première occurrence dans les réponses : « L’assemblée générale des Nations unies, de nombreuses résolutions proposant aux États-Unis de cesser leur embargo sur Cuba ont été votées, à une très large majorité. En juin 2021, seuls deux États, les États-Unis et Israël, sur plus de 190 ont voté contre la résolution demandant la fin totale de l’embargo. »

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  • RGT // 06.07.2024 à 11h01

    Les occidentaux ont la mémoire courte, ce qui n’est pas la cas de leurs victimes.

    Souvenez-vous de la victoire de Castro contre Fulgencio Battista (un dictateur du même niveau que Pinochet au niveau des conséquences sur la population).
    Lors de cette victoire, Castro, qui n »était qu’un simple avocat qui se battait avec conviction pour libérer la population de l’île de ce dictateur sanguinaire pour rétablir une véritable démocratie qui n’avait rien de marxiste.
    Dans un but de justice, Castro a ensuite nationalisé les biens des entreprises qui soutenaient l’ancien dictateurs qui leur accordait des privilèges délirants en échange de leur soutien à son régime ignoble.

    N’oublions JAMAIS que le premier pays que Castro a contacté pour obtenir un soutien a bel et bien été les USA et non pas l’URSS contrairement à ce que raconte la propagande occidentaliste.
    Il est donc allé voir Eisenhower qui lui a intimé l’ordre de restituer les biens nationalisés (« volés », par exemple ceux appartenant à United Fruit Company) à titre préliminaire sans aucun engagement de la part des USA, et une promesse de conflit armé en cas de refus.

    Comprenant que les USA ne changeraient pas leur position et qu’ils représentaient un réel danger, Castro s’est donc tourné vers le seul pays qui avait la force de contrer les USA afin de sauver la population d’un retour de la dictature oppressive (ce qui s’est réalisé ensuite dans toute l’Amérique latine hélas).

    N’oublions pas que Cuba est un tout petit pays dont les seules ressources sont agricoles et touristiques.
    Ce pays a donc besoin d’un « protecteur » puissant pour le protéger de la voracité des USA.

    Protecteur qui ne tentera pas de le transformer en simple pion servile pour le piller contrairement aux USA.

      +45

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  • libvert.fr // 12.07.2024 à 17h28

    ‘Cuba a désespérément besoin d’une aide économique’ : Non, pour moi Cuba a besoin de liberté, c’est tout..
    L’embargo des USs est leur problème principal effectivement, mais cela ne change rien au fait que, quel que soit ce qu’on fait des Américains en Ukraine (ils ne l’ont pas envahie..), le Président Russe n’a pas respecté le principe de subsidiarité, c’est à dire le choix majoritaire des citoyens Ukrainiens, en l’envahissant contre leur gré..

      +0

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