La guerre en Ukraine en est à son quatrième mois, mais il n’y a aucun signe de cessez-le-feu ou de résolution en vue. Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a exclu tout cessez-le-feu ou toute concession, mais il maintient que seule la diplomatie peut mettre fin à la guerre. Entre-temps, les forces russes tentent de s’emparer de l’est de l’Ukraine, tandis que la politique des États-Unis consiste à fournir un soutien militaire au gouvernement de Zelenskyy aussi longtemps qu’il le faudra pour affaiblir la Russie dans l’espoir qu’un changement de régime se produise à Moscou.
Source : Truthout, C. J. Polychroniou
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
La guerre en Ukraine en est à son quatrième mois, mais il n’y a aucun signe de cessez-le-feu ou de résolution en vue. Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a exclu tout cessez-le-feu ou toute concession, mais il maintient que seule la diplomatie peut mettre fin à la guerre. Entre-temps, les forces russes tentent de s’emparer de l’est de l’Ukraine, tandis que la politique des États-Unis consiste à fournir un soutien militaire au gouvernement de Zelenskyy aussi longtemps qu’il le faudra pour affaiblir la Russie dans l’espoir qu’un changement de régime se produise à Moscou.
Ces développements ne sont de bon augure ni pour l’Ukraine ni pour le monde en général, affirme Noam Chomsky, un intellectuel public considéré par des millions de personnes comme un trésor national et international. Dans cette nouvelle interview exclusive pour Truthout, Chomsky exhorte les forces capables de mettre fin à la guerre à consacrer leur énergie à trouver des moyens constructifs de mettre un terme aux tragédies en cours. En outre, il analyse le nouvel ordre mondial très dangereux qui est en train de prendre forme.
Peut-être à la surprise de beaucoup, surtout si l’on considère la guerre en cours en Ukraine, il ne décrit pas la confrontation entre les États-Unis et la Russie comme l’élément central du nouvel ordre mondial en gestation. Chomsky est professeur d’institut et professeur de linguistique au MIT, actuellement professeur lauréat à l’université d’Arizona. Il a publié quelque 150 ouvrages sur la linguistique, la pensée politique et sociale, l’économie politique, l’étude des médias, la politique étrangère des États-Unis et les affaires internationales.
C. J. Polychroniou : Après des mois de combats, il y a encore très peu d’espoir de paix en Ukraine. La Russie recentre désormais ses efforts sur la prise de contrôle de l’est et du sud du pays avec l’intention probable de les incorporer à la Fédération de Russie, tandis que l’Occident a signalé qu’il allait renforcer son soutien militaire à l’Ukraine. À la lumière de ces développements, les responsables ukrainiens ont exclu un cessez-le-feu ou des concessions à Moscou, bien que le président Volodymyr Zelenskyy ait également déclaré que seule la diplomatie pouvait mettre fin à la guerre. Ces deux positions ne s’annulent-elles pas l’une l’autre ? Un accord mutuellement acceptable pour la fin d’une guerre ne contient-il pas toujours des concessions ? En effet, en mars dernier, le gouvernement ukrainien avait indiqué qu’il était prêt à faire de grandes concessions pour mettre fin à la guerre. Alors, que se passe-t-il ? Se pourrait-il qu’aucune des deux parties ne soit pleinement investie dans la paix ?
Noam Chomsky : Je reviendrai sur les questions, mais nous devons considérer attentivement les enjeux. Ils sont très élevés. Ils vont bien au-delà de l’Ukraine, aussi désespérée et tragique que soit la situation là-bas. Toute personne ayant une once de morale dans son corps voudra réfléchir à ces questions avec soin, sans posture héroïque.
Réfléchissons à ce qui est en jeu.
Tout d’abord, bien sûr, l’invasion de l’Ukraine par Poutine, un crime (à répéter une fois de plus) qui peut être comparé à l’invasion de l’Irak par les États-Unis ou à l’invasion de la Pologne par Hitler et Staline, le genre de crimes contre la paix pour lesquels les criminels de guerre nazis ont été pendus – bien que seuls les vaincus soient sujets au châtiment dans ce que nous appelons la « civilisation ». En Ukraine même, le bilan sera terrible tant que la guerre persistera.
Il y a des conséquences plus larges, qui sont vraiment colossales. Ce n’est pas une exagération.
L’une d’elles est que des dizaines de millions de personnes en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient risquent littéralement de mourir de faim alors que la guerre se poursuit, coupant les approvisionnements agricoles dont la région de la mer Noire a désespérément besoin, le principal fournisseur de nombreux pays, dont certains sont déjà confrontés à un désastre total, comme le Yémen. Nous reviendrons sur la façon dont cela est géré.
La seconde est la menace croissante d’une guerre nucléaire terminale. Il est trop facile d’élaborer des scénarios plausibles qui conduisent à une montée rapide dans l’échelle de l’escalade. Pour en prendre un, en ce moment même, les États-Unis envoient des missiles antinavires avancés à l’Ukraine. Le navire amiral de la flotte russe a déjà été coulé. Supposons qu’une plus grande partie de la flotte soit attaquée. Comment la Russie réagit-elle alors ? Et que se passe-t-il ensuite ?
Pour évoquer un autre scénario, la Russie s’est jusqu’à présent abstenue d’attaquer les lignes d’approvisionnement utilisées pour acheminer des armements lourds vers l’Ukraine. Supposons qu’elle le fasse, ce qui la placerait en confrontation directe avec l’OTAN – c’est-à-dire les États-Unis.
D’autres propositions circulent qui conduiraient très probablement à une guerre nucléaire – ce qui signifie la fin, pour nous tous, des faits qui ne semblent pas être bien compris. L’une d’entre elles est l’appel largement exprimé en faveur d’une zone d’exclusion aérienne, ce qui signifie attaquer les installations anti-aériennes à l’intérieur de la Russie. L’extrême danger de telles propositions est compris par certains, notamment le Pentagone, qui jusqu’à présent a pu opposer son veto aux propositions les plus dangereuses. Pour combien de temps dans l’état d’esprit qui prévaut ?
Ce sont des perspectives horribles. Perspectives : ce qui pourrait arriver. Si l’on regarde ce qui se passe réellement, c’est encore pire. L’invasion de l’Ukraine a annulé les efforts bien trop limités déployés pour lutter contre le réchauffement climatique – qui deviendra bientôt une friture mondiale. Avant l’invasion, certaines mesures étaient prises pour éviter la catastrophe. Aujourd’hui, tout a été renversé. Si cela continue, nous sommes fichus.
Un jour, le GIEC émet un autre avertissement sévère : si nous voulons survivre, nous devons commencer dès maintenant à réduire l’utilisation des combustibles fossiles. Tout de suite, sans délai. Le jour suivant, le président Biden annonce une nouvelle expansion de la production de combustibles fossiles.
Des dizaines de millions de personnes en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient sont littéralement menacées de famine alors que la guerre se poursuit, coupant les approvisionnements agricoles dont la région de la mer Noire a désespérément besoin.
L’appel de Biden à augmenter la production de combustibles fossiles relève du pur théâtre politique. Cela n’a rien à voir avec les prix des carburants et l’inflation d’aujourd’hui, comme on le prétend. Il faudra des années avant que les poisons n’arrivent sur le marché – des années qui pourraient être consacrées à faire passer rapidement le monde aux énergies renouvelables. C’est parfaitement faisable, mais on en parle à peine dans le grand public. Il n’est pas nécessaire de commenter ici. Le sujet a récemment été analysé de manière experte par l’économiste Robert Pollin dans une autre de ses contributions essentielles à la compréhension de cette question critique de survie et à l’action sur cette compréhension.
Il est clair comme de l’eau de roche que le règlement de la crise ukrainienne revêt une importance extraordinaire, non seulement pour l’Ukraine elle-même, mais aussi en raison des conséquences calamiteuses qu’entraînerait la persistance de la guerre.
Que pouvons-nous donc faire pour faciliter la fin de cette tragédie ? Commençons par un truisme virtuel. La guerre peut se terminer de deux façons : soit il y aura un règlement diplomatique, soit l’une des parties capitulera. L’horreur continuera si elle ne se termine pas par un règlement diplomatique ou une capitulation.
Cela au moins devrait être au-delà de toute discussion.
Un règlement diplomatique diffère de la capitulation sur un point crucial : chaque partie l’accepte comme tolérable. C’est vrai par définition, et c’est donc au-delà de toute discussion.
Ensuite, un règlement diplomatique doit offrir à Poutine une sorte de porte de sortie – ce que ceux qui préfèrent prolonger la guerre appellent aujourd’hui avec dédain une « porte de sortie » ou un « apaisement. »
Cela est compris même par les plus fervents détracteurs de la Russie, du moins ceux qui sont capables de penser à autre chose qu’à punir l’ennemi honni. L’éminent spécialiste de la politique étrangère Graham Allison, de la Kennedy School of Government de l’université Harvard, qui a également une longue expérience directe des affaires militaires, en est un bon exemple. Il y a cinq ans, il nous disait qu’il était alors clair que la Russie dans son ensemble est une société « démoniaque » et « mérite d’être étranglée ». Aujourd’hui, il ajoute que peu de gens peuvent douter que Poutine soit un « démon », radicalement différent de tous les dirigeants américains, qui, au pire, ne font que des erreurs, selon lui.
Pourtant, même Allison soutient que nous devons contenir notre juste colère et mettre fin rapidement à la guerre par des moyens diplomatiques. La raison en est que si le démon fou « est obligé de choisir entre perdre et augmenter le niveau de violence et de destruction, alors, s’il est un acteur rationnel, il choisira la seconde solution » – et nous pourrions tous mourir, et pas seulement les Ukrainiens.
Poutine est un acteur rationnel, affirme Allison. Et s’il ne l’est pas, toute discussion est inutile car il peut détruire l’Ukraine et peut-être même faire exploser le monde à tout moment – une éventualité que nous ne pouvons empêcher par aucun moyen qui ne nous détruise pas tous.
En partant d’un truisme, s’opposer ou même agir pour retarder un règlement diplomatique revient à appeler à prolonger la guerre avec ses sombres conséquences pour l’Ukraine et au-delà. Cette position constitue une expérience épouvantable : voyons si Poutine s’éclipsera tranquillement dans la défaite totale, ou s’il prolongera la guerre avec toutes ses horreurs, ou même s’il utilisera les armes dont il dispose indiscutablement pour dévaster l’Ukraine et préparer le terrain pour une guerre finale.
Tout cela semble assez évident. Ou devrait l’être, mais pas dans le climat actuel d’hystérie, où ces quasi truismes suscitent un grand flot de réactions totalement irrationnelles : le monstre Poutine ne sera pas d’accord, c’est de l’apaisement, qu’en est-il de Munich, nous devons établir nos propres lignes rouges et nous y tenir quoi que dise le monstre, etc.
Il n’y a pas lieu de répondre à de tels débordements. Il n’est pas nécessaire de répondre à de tels discours. Ils reviennent tous à dire : N’essayons pas, et entreprenons plutôt l’expérience épouvantable.
L’expérience épouvantable est la politique américaine en vigueur, et elle est soutenue par un large éventail d’opinions, toujours avec une rhétorique noble sur la façon dont nous devons défendre les principes et ne pas permettre que le crime reste impuni. Lorsque nous entendons cela de la part de fervents partisans des crimes américains, comme c’est souvent le cas, nous pouvons le considérer comme du cynisme pur et simple, le pendant occidental des apparatchiks les plus vulgaires des années soviétiques, désireux de dénoncer avec éloquence les crimes occidentaux, tout en soutenant pleinement les leurs. Nous l’entendons également de la part des opposants aux crimes américains, de personnes qui ne veulent sûrement pas réaliser l’expérience épouvantable qu’ils préconisent. D’autres questions se posent ici : la marée montante de l’irrationalité qui sape tout espoir d’un discours sérieux – une nécessité si l’on veut épargner à l’Ukraine une tragédie indescriptible, et même si l’expérience humaine doit se poursuivre encore longtemps.
Si nous pouvons échapper au cynisme et à l’irrationalité, le choix humain qui s’offre aux États-Unis et à l’Occident est simple : chercher à faciliter un règlement diplomatique ou, du moins, ne pas saper cette option.
Il est clair comme de l’eau de roche que le règlement de la crise ukrainienne revêt une importance extraordinaire, non seulement pour l’Ukraine elle-même, mais aussi en raison des conséquences calamiteuses qui s’ensuivraient si la guerre persistait.
Sur cette question, l’opinion officielle occidentale est divisée. La France, l’Allemagne et l’Italie appellent à des négociations pour établir un cessez-le-feu et avancer vers un règlement diplomatique. Les États-Unis et la Grande-Bretagne, les deux États guerriers de l’Occident, s’y opposent. Leur position est que la guerre doit continuer : l’expérience épouvantable.
La politique américaine de longue date consistant à saper la diplomatie, que nous avons examinée en détail dans des discussions antérieures, a été présentée sous une forme plus nette il y a quelques semaines lors d’une réunion des puissances de l’OTAN et d’autres organisations organisée par Washington à la base aérienne américaine de Ramstein, en Allemagne. Les États-Unis ont donné les ordres de marche : la guerre doit être poursuivie de manière à nuire à la Russie. C’est le « modèle afghan » largement préconisé dont nous avons parlé : selon les termes de l’étude scientifique définitive sur le sujet, il s’agit de la politique consistant à « combattre la Russie jusqu’au dernier Afghan » tout en cherchant à retarder le retrait russe et à saper les efforts diplomatiques des Nations Unies qui pourraient finalement mettre fin à la tragédie.
Expliquant les objectifs des États-Unis et de l’OTAN à Ramstein, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin a déclaré que « nous voulons voir la Russie affaiblie au point qu’elle ne puisse plus faire le genre de choses qu’elle a faites en envahissant l’Ukraine. »
Réfléchissons-y. Comment faire en sorte que la Russie ne puisse plus jamais envahir un autre pays ? Nous laissons ici de côté la question impensable de savoir si un remaniement de la politique américaine pourrait contribuer à cet objectif, par exemple en examinant le refus ouvertement déclaré de Washington de prendre en compte toute préoccupation de sécurité russe et de nombreuses autres actions que nous avons évoquées.
Pour atteindre l’objectif annoncé, il semble que nous devions au moins rééditer quelque chose comme le traité de Versailles, qui visait à garantir que l’Allemagne ne pourrait plus entrer en guerre.
Mais Versailles n’est pas allé assez loin, comme on l’a vite compris. Il s’ensuit que la nouvelle version envisagée doit « étrangler le démon » d’une manière qui va au-delà de l’effort de Versailles pour contrôler les Huns. Peut-être quelque chose comme le plan Morgenthau.
Telle est la logique des déclarations. Même si nous ne prenons pas les mots au sérieux et leur donnons une interprétation limitée, la politique implique de prolonger la guerre, quelles qu’en soient les conséquences pour les Ukrainiens et les « dommages collatéraux » au-delà : famine de masse, possibilité de guerre terminale, destruction continue de l’environnement qui soutient la vie.
Des questions plus étroites du même ordre se posent en ce qui concerne le blocus, avec ses effets mortels dans le Sud. À l’heure actuelle, les ports ukrainiens sont bloqués par la marine russe, ce qui empêche les exportations qui font cruellement défaut. Que peut-on faire à ce sujet ?
Comme toujours, il y a deux directions à explorer : militaire ou diplomatique. « Guerre/Guerre ou Mâchoire/Mâchoire » selon la phrase attribuée à Churchill, qui donnait la priorité à la seconde.
Guerre/Guerre est la politique officielle des États-Unis : envoyer des missiles antinavires avancés pour forcer la Russie à cesser le blocus des ports. Au-delà du navire amiral russe, d’autres peuvent être coulés. Les Russes observeront-ils tranquillement ? Peut-être. Comment les États-Unis réagiraient-ils dans des circonstances similaires ? Nous pouvons mettre cela de côté.
Une autre possibilité, proposée par les rédacteurs du Wall Street Journal, est « d’utiliser des navires de guerre pour escorter les navires marchands hors de la mer Noire ». Les rédacteurs nous assurent que cela serait conforme au droit international, et que les Russes ne reculeront devant rien. Ainsi, s’ils réagissent, nous pourrons proclamer fièrement que nous avons défendu le droit international alors que tout part en fumée.
Les rédacteurs font remarquer qu’il y a des précédents : « Les États-Unis ont rassemblé des alliés pour une telle mission à deux reprises au cours des dernières décennies. À la fin des années 1980, les États-Unis ont changé le pavillon des pétroliers koweïtiens et les ont protégés alors qu’ils quittaient le golfe Persique pendant la guerre des pétroliers entre l’Iran et l’Irak. »
C’est exact, mais il y a un petit oubli. Les États-Unis sont en effet intervenus directement pour apporter un soutien crucial à Saddam Hussein, le bon ami de Reagan, lors de son invasion de l’Iran. C’était après avoir soutenu la guerre chimique de Saddam qui a tué des centaines de milliers d’Iraniens, et même avoir accusé l’Iran du massacre des Kurdes par Saddam à l’aide de la guerre chimique. L’Iran était le démon de l’époque. Un excellent précédent.
Ce sont des options pour mettre fin au blocus, en respectant la convention et en limitant le recours à la force plutôt qu’à d’éventuelles mesures pacifiques.
Y en a-t-il ? On ne peut le savoir sans y réfléchir, sans regarder ce qui se passe et sans essayer. Il est peut être pertinent que la Russie ait proposé quelque chose de ce genre, bien que dans notre culture de plus en plus totalitaire, cela ne puisse être signalé qu’à l’extrême limite. Citation d’un site web libertaire :
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Andrey Rudenko […] [a fait valoir] que son pays n’est pas le seul responsable de l’urgence alimentaire naissante, tout en pointant du doigt les sanctions occidentales bloquant l’exportation de céréales et d’engrais.
« Il ne faut pas seulement faire appel à la Fédération de Russie, mais aussi examiner en profondeur l’ensemble des raisons qui ont provoqué la crise alimentaire actuelle. [Les sanctions] interfèrent avec le libre-échange normal, englobant les produits alimentaires, notamment le blé, les engrais et autres », a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Andrey Rudenko.
Cela vaut-il la peine d’être considéré ? Pas dans notre culture, qui tend automatiquement vers le revolver.
La préférence réflexe pour la violence, et ses sombres conséquences, n’ont pas été négligées à l’étranger. C’est courant dans le Sud, qui a une grande expérience de la pratique occidentale, mais aussi chez les alliés. Le rédacteur en chef de la revue australienne d’affaires internationales Arena déplore la censure rigide et l’intolérance à l’égard de toute dissidence, même légère, dans les médias américains, et conclut que « cela signifie qu’il est presque impossible, au sein de l’opinion dominante, de reconnaître simultanément les actions insupportables de Poutine et de forger un chemin de sortie de la guerre qui n’implique pas une escalade et la poursuite de la destruction de l’Ukraine. »
Tout à fait exact. Et à moins que nous ne puissions échapper à ce piège que nous nous sommes imposé, il est probable que nous marchions vers l’anéantissement. Tout cela rappelle les premiers jours de la Première Guerre mondiale, lorsque les grandes puissances se sont lancées avec enthousiasme dans une guerre autodestructrice, mais cette fois avec des conséquences incomparablement plus graves que celles de l’époque.
Je n’ai rien dit de ce que les Ukrainiens devraient faire, pour la simple et bonne raison que ce n’est pas notre affaire. S’ils optent pour cette expérience épouvantable, c’est leur droit. C’est aussi leur droit de demander des armes pour se défendre d’une agression meurtrière.
Nous en revenons à ce qui nous regarde : nous-mêmes. Comment devons-nous répondre à ces demandes ? Je vais répéter dans un instant ma conviction personnelle, mais ici aussi un peu d’honnêteté ne ferait pas de mal. Il existe de nombreuses déclarations éloquentes qui défendent le principe sacré selon lequel les victimes d’agressions criminelles doivent être soutenues dans leur juste demande d’armes pour se défendre. Il est facile de montrer que ceux qui les émettent ne croient pas un mot de ce qu’ils disent, et qu’en fait, presque toujours, ils soutiennent fermement la fourniture d’armes et un soutien diplomatique crucial à l’agresseur. Pour ne prendre que le cas le plus évident, où sont les appels à fournir aux Palestiniens des armes pour se défendre d’un demi-siècle d’occupation criminelle brutale en violation des ordres du Conseil de sécurité et du droit international – ou même à retirer le soutien décisif des États-Unis à ces crimes ?
On peut, bien sûr, lire les rapports sur les atrocités des colons et des forces israéliennes soutenus par les États-Unis dans la presse israélienne, dans les colonnes quotidiennes du grand journaliste Gideon Levy. Et nous pouvons lire les rapports cinglants d’une autre honorable journaliste israélienne, Amira Hass, qui passe en revue les condamnations amères des dommages écologiques causés par les Russes « démoniaques » en Ukraine, qui, d’une manière ou d’une autre, passent à côté de l’attaque israélienne sur Gaza en mai dernier, lorsque « les obus israéliens ont mis le feu à des centaines de tonnes de pesticides, de semences, d’engrais, d’autres produits chimiques, de feuilles de nylon et de plastique, et de tuyaux en plastique dans un entrepôt de la ville de Beit Lahia, au nord de Gaza ». Les bombardements ont mis le feu à 50 tonnes de substances dangereuses, avec des effets mortels sur la population anéantie, qui vit dans des conditions de stricte survie, rapportent les agences internationales, après des décennies de sadisme israélien soutenu par les États-Unis. Il s’agit d’une « guerre chimique par des moyens indirects », rapporte l’agence palestinienne de recherche juridique et de militantisme al-Haq, très réputée, après une enquête approfondie.
Rien de tout cela, et bien plus encore, n’inspire le moindre mot dans le courant dominant au sujet de la fin de l’énorme soutien américain à l’occupant meurtrier, ou bien sûr de tout moyen de défense.
Mon propre point de vue est que la demande ukrainienne d’armes devrait être honorée, sous réserve d’empêcher les expéditions qui intensifieraient l’assaut criminel, punissant les Ukrainiens encore plus, avec des effets cataclysmiques potentiels au-delà.
Mais assez de ces accusations-contre-accusations outrancières, autrement connues sous le nom d’honnêteté élémentaire, et un thème commun en dehors de notre système doctrinal étroitement contrôlé. Comment le principe devrait-il s’appliquer dans le cas unique de l’Ukraine, où les États-Unis s’opposent pour une fois à l’agression ? Mon propre point de vue, pour le répéter, est que la demande ukrainienne d’armes devrait être honorée, avec la prudence d’empêcher les envois qui intensifieront l’agression criminelle, punissant encore plus les Ukrainiens, avec des effets cataclysmiques potentiels au-delà.
Si la guerre en Ukraine peut être terminée par la diplomatie, un accord de paix pourrait prendre de nombreuses formes. La solution diplomatique avancée par de nombreux experts est celle qui repose sur un traité de neutralité ukrainien tandis que la Russie lève ses objections à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, même si le chemin vers l’adhésion sera inévitablement très long. Cependant, il existe un scénario qui est rarement discuté, et pourtant c’est vers lui que les choses pourraient se diriger. Il s’agit du « scénario coréen » de Graham Allison, dans lequel l’Ukraine est divisée en deux parties sans traité officiel. Considérez-vous qu’il s’agit d’un scénario probable ou possible ?
C’est l’un des nombreux résultats possibles et très désagréables. Les spéculations me semblent plutôt oiseuses. Il vaut mieux, je pense, consacrer notre énergie à réfléchir à des moyens constructifs de surmonter les tragédies en cours – qui, encore une fois, vont bien au-delà de l’Ukraine.
Nous pourrions même envisager un cadre plus large, quelque chose comme la « maison européenne commune » sans alliances militaires proposée par Mikhaïl Gorbatchev comme cadre approprié de l’ordre mondial après l’effondrement de l’Union soviétique. Ou bien nous pourrions reprendre certaines des premières formulations du Partenariat pour la paix, lancé par Washington au cours des mêmes années, comme lorsque le président Clinton, en 1994, a assuré à Boris Eltsine que « l’objectif plus large et plus élevé [était] la sécurité, l’unité et l’intégration européennes – un objectif que je sais que vous partagez. »
Ces perspectives prometteuses d’intégration pacifique ont toutefois été rapidement sapées par les plans de Clinton pour l’expansion de l’OTAN, en dépit des fortes objections de la Russie, bien avant Poutine.
Ces espoirs peuvent être ravivés, pour le plus grand bénéfice de l’Europe, de la Russie et de la paix mondiale en général. Ils auraient pu être ravivés par Poutine s’il avait poursuivi les initiatives timides de Macron en faveur d’un compromis au lieu de choisir bêtement l’agression criminelle. Mais ils ne sont pas nécessairement morts.
Il est utile de rappeler un peu d’histoire. Pendant des siècles, l’Europe a été l’endroit le plus vicieux de la planète. Pour les Français et les Allemands, le but suprême de la vie était de se massacrer les uns les autres. Dans mon enfance encore, il semblait inimaginable que cela puisse un jour prendre fin. Quelques années plus tard, cela s’est terminé, et depuis, ils sont devenus de proches alliés, poursuivant des objectifs communs dans un renversement radical d’une longue histoire de conflit brutal. Les succès diplomatiques ne sont pas forcément impossibles à obtenir.
Il est désormais courant de dire que le monde est entré dans une nouvelle Guerre froide. En fait, même le scénario autrefois impensable de l’utilisation d’armes nucléaires dans une guerre n’est plus un sujet tabou. Sommes-nous entrés dans une ère de confrontation entre la Russie et l’Occident, une rivalité géostratégique et politique qui rappelle la Guerre froide ?
La guerre nucléaire devrait rester un sujet tabou et une politique impensable. Nous devrions nous efforcer de restaurer le régime de contrôle des armements qui a été pratiquement démantelé par Bush II et Trump, qui n’a pas eu tout à fait le temps de terminer le travail mais qui s’en est approché. Biden a réussi à sauver la dernière relique majeure, New Start, quelques jours seulement avant son expiration.
Le régime de contrôle des armements devrait alors être étendu, en attendant le jour où les puissances nucléaires rejoindront le traité des Nations Unies sur l’interdiction des armes nucléaires, aujourd’hui en vigueur.
D’autres mesures peuvent être prises pour atténuer la menace, notamment la mise en place de zones exemptes d’armes nucléaires (NWFZ). Elles existent dans une grande partie du monde, mais sont bloquées par l’insistance des États-Unis à y maintenir des installations d’armes nucléaires. La plus importante serait une NWFZ au Moyen-Orient. Cela mettrait fin à la prétendue menace nucléaire iranienne et éliminerait tout prétexte pour les bombardements, assassinats et sabotages criminels américano-israéliens en Iran. Cette avancée cruciale pour la paix mondiale est cependant bloquée par les seuls États-Unis.
La raison n’est pas obscure : cela interférerait avec la protection par Washington de l’énorme arsenal nucléaire d’Israël. Cela doit être gardé secret. S’il était révélé, la loi américaine entrerait en jeu, menaçant le soutien extraordinaire de Washington à l’occupation illégale et aux crimes constants d’Israël – un autre sujet inavouable dans une société polie.
Toutes les mesures doivent être prises pour éliminer le fléau des armes nucléaires de la Terre, avant qu’elles ne nous détruisent tous.
Dans le système mondial qui se dessine, la confrontation avec la Russie n’est qu’une façade. Poutine a fait un merveilleux cadeau à Washington en faisant de l’Europe un vassal virtuel des États-Unis, coupant toute perspective de voir l’Europe devenir une « troisième force » indépendante dans les affaires internationales. Une conséquence est que la kleptocratie russe en déclin, avec son énorme stock de ressources naturelles, est en train d’être incorporée dans la zone dominée par la Chine. Ce système croissant de développement et de prêts s’étend sur l’Asie centrale et atteint le Moyen-Orient par le biais des Émirats arabes unis et de la Route de la Soie maritime, avec des tentacules qui s’étendent jusqu’en Afrique et même jusqu’à la « petite région de Washington », comme le secrétaire à la Guerre de Roosevelt, Henry Stimson, décrivait l’Amérique latine tout en appelant au démantèlement de toutes les associations régionales à l’exception de la nôtre.
C’est la « menace chinoise » qui est la pièce maîtresse de la stratégie américaine. Cette menace est renforcée si la Russie, riche en ressources, est intégrée en tant que partenaire junior.
Les États-Unis réagissent désormais vigoureusement à ce qu’ils appellent « l’agression chinoise », comme le fait de consacrer des ressources d’État au développement de technologies avancées et à la répression interne. Cette réaction, initiée par Trump, a été poursuivie par la politique « d’encerclement » de Biden, basée sur un cercle « d’États sentinelles » au large des côtes chinoises. Ceux-ci sont équipés d’armes avancées, récemment améliorées en armes de haute précision, visant la Chine. La « défense » est soutenue par une flotte de sous-marins nucléaires invulnérables qui peuvent détruire non seulement la Chine, mais aussi le monde entier. Comme cela ne suffit pas, ils sont maintenant remplacés dans le cadre de l’énorme expansion militaire Trump-Biden.
La réaction sévère des États-Unis est compréhensible. « La Chine, contrairement à la Russie, est le seul pays suffisamment puissant pour défier la domination des États-Unis sur la scène mondiale », a annoncé le secrétaire d’État Antony Blinken pour décrire cette menace intolérable pour l’ordre mondial (c’est-à-dire la domination des États-Unis).
Alors que nous parlons « d’isoler la Russie », voire « d’étrangler » cette société « démoniaque », la majeure partie du monde garde ses liens ouverts avec la Russie et avec le système mondial dominé par la Chine. Il observe également, perplexe, les États-Unis se détruire de l’intérieur.
Pendant ce temps, les États-Unis développent de nouvelles alliances, qui se renforceront probablement en novembre si le GOP [Parti républicain, NdT] prend le contrôle du Congrès et parvient à prendre le contrôle à long terme du système politique grâce à ses efforts très ouverts pour saper la démocratie politique.
L’une de ces alliances est en train de se consolider avec la « démocratie illibérale » raciste autoproclamée de la Hongrie, qui a écrasé la liberté d’expression et les institutions culturelles et politiques indépendantes et qui est vénérée par les figures de proue du GOP, de Trump à la star des médias Tucker Carlson. Des pas vers cet objectif ont été faits il y a quelques jours lors de la conférence des éléments d’extrême droite en Europe qui s’est réunie à Budapest, où l’attraction principale était la Conservative Political Action Conference, un élément central du Parti républicain.
L’alliance entre les États-Unis et l’extrême droite européenne a un allié naturel dans l’alliance Abraham forgée par Trump et Jared Kushner. Cette alliance largement saluée a formalisé les relations tacites entre Israël et les États les plus réactionnaires de la région MENA (Moyen-Orient-Afrique du Nord). Israël et la Hongrie entretiennent déjà des relations étroites, fondées sur des valeurs racistes communes et un sentiment de grief pour avoir été évincés par des éléments plus libéraux en Europe. Un autre partenaire naturel est l’Inde d’aujourd’hui, où le Premier ministre Modi est en train de briser la démocratie laïque indienne et d’établir une ethnocratie hindoue, de réprimer amèrement la population musulmane et d’étendre les domaines de l’Inde avec son occupation brutale du Cachemire.
Les États-Unis sont déjà pratiquement seuls à reconnaître les deux occupations illégales existantes de la région MENA, en violation des ordres du Conseil de Sécurité : l’annexion par Israël des hauteurs du Golan syrien et du Grand Jérusalem largement étendu, et l’annexion par le Maroc du Sahara occidental pour étendre son quasi-monopole sur les réserves irremplaçables de phosphate. Avec le GOP au pouvoir, les États-Unis pourraient compléter le tableau en reconnaissant la prise de contrôle violente du Cachemire par l’Inde hindoue.
Un nouvel ordre mondial est en train de prendre forme, mais la confrontation États-Unis-Russie n’en est pas l’élément central.
En parlant d’une nouvelle Guerre froide, je dois dire que je suis totalement incrédule face à la réaction délirante d’un grand nombre de personnes aux États-Unis face aux analyses qui cherchent à fournir le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et il en va de même pour les voix qui appellent à la diplomatie pour mettre fin à la guerre. Ils confondent explication et justification et ignorent délibérément les faits historiques, tels que la décision des États-Unis d’étendre l’OTAN vers l’est sans tenir compte des préoccupations de sécurité de la Russie. Et ce n’est pas comme si cette décision avait été saluée à l’époque par d’éminents diplomates et experts en affaires étrangères. L’ancien envoyé des États-Unis en Union soviétique, Jack F. Matlock Jr., et l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger ont mis en garde contre l’expansion de l’OTAN et l’inclusion de l’Ukraine. La réaction de George Kennan à la ratification par le Sénat, en 1998, de l’expansion de l’OTAN vers l’est jusqu’aux frontières de la Russie était encore plus brutale : « Je pense que c’est le début d’une nouvelle Guerre froide… Je pense que les Russes vont progressivement réagir de manière assez négative… Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison pour cela. Bien sûr, il y aura une mauvaise réaction de la part de la Russie, et ensuite [les partisans de l’élargissement de l’OTAN] diront que nous vous avons toujours dit que les Russes étaient comme ça – mais c’est tout simplement faux. »
Ces hauts diplomates américains étaient-ils des pions russes, comme on le dit souvent aujourd’hui de toute personne offrant des informations de fond sur les raisons pour lesquelles la Russie a envahi l’Ukraine ? J’aimerais avoir votre avis sur cette question.
Vous pouvez ajouter d’autres personnes qui ont adressé à Washington des avertissements sévères selon lesquels il était imprudent et inutilement provocateur d’ignorer les préoccupations annoncées par la Russie en matière de sécurité, notamment l’actuel directeur de la CIA, William Burns, et son prédécesseur, Stansfield Turner, et même des faucons comme Paul Nitze, en fait la quasi-totalité du corps diplomatique qui avait une connaissance approfondie de la Russie. Ces avertissements étaient particulièrement forts en ce qui concerne les préoccupations de la Russie, bien avant Poutine et incluant tous les dirigeants russes, au sujet de l’incorporation dans l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine. Il s’agit du cœur géostratégique de la Russie, comme le montre un simple coup d’œil à une carte topographique et à l’histoire récente, l’opération Barbarossa.
Sont-ils tous des pions russes ? Je suppose qu’on peut le prétendre dans le climat actuel d’irrationalité frénétique, un danger pour nous-mêmes et pour le monde.
Il est utile de se pencher sur des chapitres de l’histoire qui remontent suffisamment loin pour que nous puissions les considérer avec un certain degré de détachement. Un choix évident, comme mentionné précédemment, est la Première Guerre mondiale. Il est aujourd’hui reconnu qu’il s’agissait d’une terrible guerre de futilité et de stupidité dans laquelle aucun des agents n’avait de position défendable.
C’est maintenant. Pas à l’époque. Alors que les grandes puissances de l’époque s’enfonçaient dans la guerre, les classes éduquées de chacune d’elles proclamaient la noblesse de la cause de leur propre État. Un célèbre manifeste d’éminents intellectuels allemands a appelé l’Occident à soutenir le pays de Kant, Goethe, Beethoven et d’autres grandes figures de la civilisation. Leurs homologues français et britanniques ont fait de même, tout comme les intellectuels américains les plus éminents lorsque Woodrow Wilson a rejoint la guerre peu après avoir remporté les élections de 1916 sur un programme de paix sans victoire.
Tous n’ont pas pris part à la célébration de la grandeur de leur propre État. En Angleterre, Bertrand Russell ose remettre en question la ligne du parti ; en Allemagne, il est rejoint par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ; aux États-Unis, par Eugene Debs. Tous ont été emprisonnés. Certains, comme Randolph Bourne aux États-Unis, ont échappé à ce sort. Bourne a seulement été exclu de toutes les revues libérales.
Ce schéma n’est pas un écart par rapport à la norme historique. C’est plutôt la norme, malheureusement.
L’expérience de la Première Guerre mondiale a permis de tirer d’importantes leçons. Cela a été reconnu très rapidement. Deux exemples très influents sont Walter Lippmann et Edward Bernays. Lippmann est devenu l’un des plus grands intellectuels américains du XXe siècle. Bernays est devenu l’un des fondateurs et des leaders intellectuels de l’énorme industrie des relations publiques, la principale agence de propagande au monde, qui se consacre à saper les marchés en créant des consommateurs non informés qui feront des choix irrationnels et à encourager le consumérisme effréné qui se classe aux côtés des industries des combustibles fossiles comme une menace pour la survie.
Lippmann et Bernays étaient des libéraux de Wilson-Roosevelt-Kennedy. Ils étaient également membres de l’agence de propagande créée par le président Wilson pour convertir une population pacifiste en fanatiques anti-allemands déchaînés, le Creel Committee on Public Information, un titre proprement orwellien. Tous deux étaient très impressionnés par son succès dans la « fabrication du consentement » (Lippmann), « l’ingénierie du consentement » (Bernays). Ils reconnaissent qu’il s’agit là d’un « nouvel art dans la pratique de la démocratie », un moyen de s’assurer que le « troupeau ahuri » – la population générale – peut être « remis à sa place » en tant que simple « spectateur » et ne s’immiscera pas dans des domaines où il n’a pas sa place : les décisions politiques. Celles-ci doivent être réservées à la « minorité intelligente », « les intellectuels technocrates et orientés vers la politique » dans la version Camelot.
C’est à peu près la théorie démocratique libérale dominante, que Lippmann et Bernays ont contribué à forger. Ces conceptions ne sont en aucun cas nouvelles. Elles remontent aux premières révolutions démocratiques des XVIIe et XVIIIe siècles en Angleterre, puis dans sa colonie américaine. Elles ont été revigorées par l’expérience de la Première Guerre mondiale.
Mais si les masses peuvent être contrôlées par des « illusions nécessaires » et des « simplifications excessives émotionnellement puissantes » (selon les mots de Reinhold Niebuhr, vénéré comme le « théologien de l’establishment libéral »), il y a un autre problème : les « intellectuels orientés vers les valeurs » qui osent soulever des questions sur la politique américaine qui vont au-delà des décisions tactiques. Comme on ne peut plus les emprisonner, comme pendant la Première Guerre mondiale, les détenteurs du pouvoir cherchent maintenant à les expulser du domaine public par d’autres moyens.
C. J. Polychroniou est économiste politique/scientifique politique, auteur et journaliste. Il a enseigné et travaillé dans de nombreuses universités et centres de recherche en Europe et aux États-Unis. Actuellement, ses principaux intérêts de recherche portent sur l’intégration économique européenne, la mondialisation, le changement climatique, l’économie politique ainsi que la politique des États-Unis et la déconstruction du projet politico-économique du néolibéralisme. Il contribue régulièrement à Truthout et est membre du Public Intellectual Project de Truthout. Il a publié de nombreux livres et plus de 1000 articles qui sont parus dans une variété de revues, de magazines, de journaux et de sites d’information populaires. Nombre de ses publications ont été traduites en plusieurs langues étrangères, notamment en arabe, chinois, croate, espagnol, français, grec, italien, néerlandais, portugais, russe et turc. Ses derniers livres sont Optimism Over Despair : Noam Chomsky On Capitalism, Empire, and Social Change (2017); Climate Crisis and the Global Green New Deal : The Political Economy of Saving the Planet (avec Noam Chomsky et Robert Pollin comme principaux auteurs) ; The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic, and the Urgent Need for Radical Change, une anthologie d’entretiens avec Chomsky publiée à l’origine sur Truthout et rassemblée par Haymarket Books ( 2021); et Economics and the Left: Interviews with Progressive Economist (2021).
Source : Truthout, C. J. Polychroniou, 02-06-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
L’Afrique crève périodiquement la fin parce que l’OMC empêche son agriculture d’être rentable, pourquoi croyez vous qu’ils applaudissent Poutine ?
On est en train de passer d’un « ordre international basé sur des règles » à un « ordre international basé sur des faits » , dans la liste des faits , il y a les ADM.
Les 80% de la planète qui détiennent 80% des ressources et 80% de la population ne sont plus d’accord pour vivre sous je joug d’un exceptionnalisme débile des 20% restant qui détiennent 99% des signes monétaires …
12 réactions et commentaires
lu autre part, ceci est une fiction, toute ressemblance avec la réalité est purement fortuite. Amoinsque…
https://www.youtube.com/watch?v=QWblpPrffhE&t=76s
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AlerterQui met le bazar sur terre pour ses propres intérêts ?
Il n’y ni bien, ni mal dans la posture des États Unis, de la Russie, d’Israël, de l’inde ou du Maroc. Chaque pays fait en fonction de ses intérêts, c est ainsi, le plus fort, le plus malin, le plus intelligent s’etend, et le plus faible s’éteint. Le monde a toujours fonctionné comme ça. Notre train de vie a un coup pour les autres et pour la planète,, encore une fois ni bien ni mal. Qui ici serait prêt à sacrifier son train de vie ( 10 litres d’eau par jour, pas d’électricité la journée, manger moins et plus cher, ne pas avoir de sécurité sociale, etc…) alors pour notre plus grand confort, nous avons des gens que nous avons élus, qui sous traitent la guerre pour une remodelage à long terme et qui n’hésite pas en cas d urgence à court terme à menacer et à attaquer avec toute la puissance dont ils disposent.
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AlerterJe suis assez d’accord avec votre analyse, mais vous mettez un peu trop facilement sous le boisseau le libre arbitre. A vous lire, peu importe la personnalité des dirigeants, tout est purement question de rapports de force et d’intérêts égoïstes. Or il y a mille façons de régler un problème, et deux dirigeants n’agiront jamais exactement de la même façon. Rien n’est jamais inéluctable, l’actuel conflit russo-ukrainien pas plus qu’un autre. Mais il faut avoir le courage d’être réaliste.
De 1973 à 1975, en pleine guerre froide, alors que les deux « grands » se traitent mutuellement de puissance maléfique et que leurs arsenaux nucléaires approchent de leur apogée, se tiennent des discussions au plus au niveau qui aboutissent aux accords d’Helsinki en 1975. Ces accords confirment entre autres choses les frontières en Europe issues de la Seconde Guerre mondiale.
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AlerterAussi longtemps que les causes qui ont présidé a la création des AMD perdureront il n’y a que peu de chance que les AMD en question disparaissent
On peut maintenant rajouter deux problèmes.
1 l’accès aux ressources.
2 La pollution
Seule l’une des parties antagonistes (qui sera de plus en plus petite) aura droit aux ressources en veillant a ne pas polluer encore plus, autrement dit les presque 7 milliards d’habitants devront de plus en plus vivre en attrition afin de permettre a une petite minorité de vivre « normalement » en sachant que cette minorité sera de plus en plus petite.
Comme les laissé pour compte ne l’accepteront pas il faut des AMD pour les contenir, pour un temps.
Ca va de moins en moins se jouer a Etat contre Etat et de plus en plus a Très riches contre pauvre.
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Alerter« Tout d’abord, bien sûr, l’invasion de l’Ukraine par Poutine, un crime (à répéter une fois de plus) qui peut être comparé à l’invasion de l’Irak par les États-Unis ou à l’invasion de la Pologne par Hitler et Staline, le genre de crimes contre la paix pour lesquels les criminels de guerre nazis ont été pendus – bien que seuls les vaincus soient sujets au châtiment dans ce que nous appelons la « civilisation » »
Ayant pratiquement lu tout Chomsky, je ne peux pas croire qu’il ai dit ou écrit quelque chose comme ça. Ce n’est ni son mode d’affirmation ni son style, et surtout c’est mot pour mot le langage de la propagande USEUROTAN.
Quelqu’un n’est-il pas en train de manipuler le grand âge de Chomsky ou pire de fabriquer du « fake » à l’insu de l’intéressé…Comme les manipulateurs osent tout, je n’en serai pas étonné.
Si bien que je n’ai même pas pris la peine de lire le reste de l’article, sachant que je suis convaincu que le danger n°1 pour l’espèce humaine sur cette planète, est depuis longtemps celui d’un holocauste total par les armes nucléaires…L’horloge de Bloomsfield frise minuit.
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AlerterL’Afrique crève périodiquement la fin parce que l’OMC empêche son agriculture d’être rentable, pourquoi croyez vous qu’ils applaudissent Poutine ?
On est en train de passer d’un « ordre international basé sur des règles » à un « ordre international basé sur des faits » , dans la liste des faits , il y a les ADM.
Les 80% de la planète qui détiennent 80% des ressources et 80% de la population ne sont plus d’accord pour vivre sous je joug d’un exceptionnalisme débile des 20% restant qui détiennent 99% des signes monétaires …
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Alerter« Il faut éliminer le fléau des armes nucléaires avant qu’elles ne nous détruisent. » Heu ? Il croit que c’est un diable à ressort qu’on peut faire rentrer dans sa boîte ? L’arme nucléaire existe, il faut faire avec. Il faut éviter qu’elles prolifèrent, mais le truc de les supprimer entre gens raisonnables en faisant confiance à tous, ça me paraît bien utopique.
Après, Chomsky n’est pas un analyste compétent de ce qu’il se passe en Ukraine. C’est hallucinant de comparer Poutine à Hitler, quand les insignes nazis sont portés par des ukrainiens qui ont tué et torturé des gens du Donbass au nom de l’Ukraine avec l’aval de l’Otan. [modéré] l’invasion est une réaction. Les criméens et les gens du Donbass, ils ont réagi à Maidan et à des débuts de persécutions. Les accords de Minsk, Macron s’est assis dessus, et pas que lui. Et surtout, c’est amorcé dans les questions ci-dessus, mais l’Otan a empêché Zelesnky de céder et négocier fin février et fin mars. Les russes n’auraient pas conquis ces terres pour en faire des territoires autonomes proches des russes, ils vont d’ailleurs en conquérir d’autres, tout se serait arrêté fin-février en termes du moins d’annexions territoriales et de sang versé. Il percute le petit père Chomsky ? Il m’a l’air un peu âgé.
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AlerterVous n’avez pas lu attentivement l’article dans son intégralité…
La compétence de N.Chomsky n’est certainement pas limitée par l’âge, mais bien par les zones d’ombre qui empêchent toute analyse pertinente(la vôtre ou la mienne), par les « secrets » qu’il persiste néanmoins, inlassablement (alors qu’il pourrait, vu son âge, se reposer et profiter du temps qu’il lui reste à vivre pour écouter les oiseaux chanter, un des plus grands plaisirs-GRATUIT- de l’existence), à tenter de dévoiler. C’est tout à son honneur.
Vous détournez complètement son paragraphe sur « l’invasion de l’Ukraine… de la Pologne… de l’Irak… » et vous vous inscrivez ainsi dans « …le climat actuel d’hystérie… » et dans « … la marée montante de l’irrationnalité qui sape tout espoir de discours sérieux… »!
Voir aussi le dernier paragraphe au sujet des « …intellectuels orientés vers les valeurs… » que « …les détenteurs du pouvoir cherchent maintenant à …expulser du domaine public par d’autres moyens…(que les emprisonner).
Vous semblez ignorer que « l’utopie est la réalité de demain ».
Depuis que l’humanité s’est mise à parler, à écrire, à penser, elle construit le futur sur terre.
Ne nous laissons pas voler notre capacité de rêver, d’imaginer, de concevoir …et surtout de décider! Et cessons de croire aux diables et aux dieux: chacun-e de nous EST un diable ET un dieu.
Mais, hélas, comme l’avait écrit un jeune fugueur, battu par ses parents « bien intentionnés » pour le dresser, sur les murs de la maison d’accueil où il s’était réfugié:
« IL EST UTILE D’ÊTRE IDIOT ».
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Alertereh oui David,
Noam est il naif ? je ne pense pas
comment aujourd hui pourrait-on croire à l’arrêt des armes nucléaires alors que par exemple , les états unis font proliférer des armes et labos biologique (armes de destruction massives) à travers le monde car chez eux, c’est interdit.
un monde de vautour et de magouilleurs. Rien ne les arrêtera
comme pour la citation, ce sont ceux qui osent tout
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Alerter« Dans le système mondial qui se dessine, la confrontation avec la Russie n’est qu’une façade. Poutine a fait un merveilleux cadeau à Washington en faisant de l’Europe un vassal virtuel des États-Unis, coupant toute perspective de voir l’Europe devenir une « troisième force » indépendante dans les affaires internationales »
Poutine n’a fait aucun cadeau. L’Europe a fait ce qu’il fallait pour se couper toute seule de la Russie et s’agenouiller devant son maître. La seule chose qu’une partie de l’Europe espérait, c’était de faire cela en conservant le flux de gaz. Lavrov a dit en 2021 ne plus rien attendre de l’Europe. Quand une partie veut le divorce, l’autre ne peut que l’acter. Et agir pour ses intérêts.
Il est temps pour l’Europe de comprendre que la Russie est en train de fermer les portes et de jeter les clés.
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AlerterLes multi-milliardaires qui commande l’otanie et apparenté sont des nuisances pour la planète *** Ils n’ont en tête que l’appât du gain de leurs intérêts particuliers *** Tant que ce gang, musk208, bezos130, arnault129, gates115… ne sera pas financièrement démantelé et ruiné, les états russe et chinois ne peuvent pas risquer de se désarmer.
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AlerterjpLand
La technologie de « fusion nucléaire « devrait remplacer les centrales à fission nucléaire (une réaction de fusion rend impossible un accident comme ceux que peut provoquer la fission ou une réaction en chaîne aboutissant à la fusion du cœur)
Donc avec la fusion nucléaire il n’est pus possible de concevoir des armes nucléaires
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