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21.janvier.202521.1.2025 // Les Crises

Nous, Irlandais, avons réagi face à la barbarie d’Israël. Pourquoi les autres ne l’ont-ils pas fait ?

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Je ne crois pas à cette idée qui voudrait qu’on soit du bon côté de l’histoire. L’histoire au futur n’est pas notre souci. C’est le présent qui nous importe.

Source : The Irish Times, Mark O’Connell
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président Michael D. Higgins avec l’ambassadrice de l’État de Palestine en Irlande, Jilan Abdalmajid, à Áras an Uachtaráin cette semaine. Photo : Colin Keegan/Collins Dublin

Il y a quelques semaines, j’ai interrogé l’historien Rashid Khalidi. Celui-ci, récemment retraité de son poste de professeur d’études arabes modernes au département d’histoire de l’université de Columbia, est un intellectuel arabo-américain de premier plan et, depuis de nombreuses années, il est l’un des critiques les plus virulents concernant l’implication des États-Unis dans le conflit entre Israël et la Palestine.

Cette discussion, qui paraît dans le numéro actuel de la New York Review of Books, porte sur l’assaut israélien en cours contre Gaza et sur la réaction du monde à cet assaut. (Depuis le 7 octobre 2023, l’excellent livre de Khalidi, The Hundred Years’ War on Palestine, a rarement quitté la liste des best-sellers du New York Times. Quelques jours après la publication en ligne de notre entretien, le président Joe Biden a été photographié sortant d’une librairie de l’île de Nantucket avec un exemplaire de ce livre sous le bras – une péripétie qui a semblé mettre en colère les partisans d’Israël et de la Palestine dans des proportions à peu près égales).

En 2022, Khalidi était chercheur invité au Long Room Hub du Trinity College, où il a mené des recherches en vue d’établir des parallèles entre les administrations coloniales de la Palestine et de l’Irlande, et la manière dont l’Irlande a servi de laboratoire pour les types de pratiques coloniales que l’État britannique a ensuite exportées en Palestine. Au cours de notre conversation, nous avons abordé le sujet du statut inhabituel de l’Irlande en Europe, et plus généralement en Occident, en tant que pays dont la population soutient largement la cause palestinienne – un soutien qui est en outre traduit, sous une forme atténuée, par les positions de son gouvernement en matière de politique étrangère.

J’ai dit à Khalidi qu’il était logique que, compte tenu de notre histoire, nous Irlandais soyons largement acquis à la cause palestinienne. Je lui ai expliqué que ce qui me semblait moins évident, c’était qu’une telle mémoire culturelle de la colonisation – le fait de savoir que des atrocités ont été commises dans son propre pays par une puissance occupante étrangère – soit une sorte de condition préalable indispensable pour pouvoir considérer que des atrocités similaires commises aujourd’hui sont elles aussi inacceptables. J’ai eu l’impression que Khalidi, malgré son expertise de l’histoire coloniale et ses années de militantisme politique en faveur de la cause palestinienne, était également quelque peu déconcerté par cette histoire. En tant que pays ayant connu la plus longue expérience coloniale, l’Irlande, reconnaissait-il, était un « cas à part. » Le fait que des circonstances historiques aussi extraordinaires puissent être une exigence en matière de sens moral élémentaire ne semblait pas si facilement compréhensible.

On pourrait l’expliquer en partie par le fait que l’histoire coloniale n’est pas simplement un fait historique – comme si l’histoire pouvait jamais être « simple ». La lutte pour les droits civiques dans le Nord du pays, le massacre du Bloody Sunday, les interminables années de violence paramilitaire brutale des deux côtés : toutes ces choses restent confortablement – ou, plus exactement, inconfortablement – dans la mémoire vivante. Mon propre grand-père est né sujet britannique, dans le comté de Kilkenny. Le passé n’est jamais mort, comme l’a dit William Faulkner. Il n’est même pas révolu.

Quoi qu’il en soit, le mystère n’est pas de savoir pourquoi nous, Irlandais, avons réagi comme nous l’avons fait face à la barbarie israélienne. (Avez-vous besoin que je vous donne le nombre de morts et de disparus ? Avez-vous besoin que je détaille l’horreur et la dépravation en cours, les enfants abattus par des snipers, les politiques de famine, la destruction systématique de la vie civile et des infrastructures à Gaza ?). Le mystère est de savoir pourquoi cette réponse est sans équivalent dans les autres pays européens, hormis l’Espagne et la Norvège.

Pour le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, s’exprimant au lendemain de la décision prise cette semaine par son pays de fermer son ambassade à Dublin, les choses sont très claires : la politique du gouvernement irlandais à l’égard d’Israël – sa reconnaissance d’un État palestinien et son intervention devant la Cour internationale de justice dans l’affaire de l’Afrique du Sud mettant en cause Israël pour génocide, et réclamant un élargissement de la notion du génocide par la Cour – est insupportablement « extrême », et notre taoiseach [chef du gouvernement de l’Irlande, NdT] Simon Harris est « antisémite. »

Le fait que notre pays – son peuple et son establishment politique – fasse entendre sa voix au-dessus du silence assourdissant de la plupart des autres nations occidentales est une chose dont nous pouvons, pour le moment, être fiers

Cette affirmation ne peut être considérée par quiconque de sérieux sur le plan intellectuel ou moral qu’avec mépris. Elle reflète un effort grotesque, venant d’un État dont le Premier ministre a fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre présumés, visant à salir quiconque ose affirmer ce qui est pourtant évident. Et cela reflète en outre un sombre paradoxe historique de notre époque : les normes mondiales sur lesquelles se fondent les critiques du massacre perpétré par Israël à Gaza existent en raison de la reconnaissance du danger mortel de l’antisémitisme et de la Shoah en tant que crime qui ne doit plus jamais être toléré. Cet édifice de normes mondiales (droit international, droits humains), construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste, s’effondre aujourd’hui à Gaza sous la forme de décombres encore fumants, ensevelis sous le silence et la complicité de ce que l’on appelait autrefois « la communauté internationale. »

En début de semaine, alors qu’il recevait les lettres de créance de la nouvelle ambassadrice de Palestine Jilan Abdalmajid, le président Michael D. Higgins a déclaré que l’accusation d’antisémitisme portée par le ministre israélien des Affaires étrangères contre notre gouvernement était une « grave diffamation » à l’encontre du peuple irlandais. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’une insulte superficielle : une réponse de toute évidence peu sérieuse face à l’accusation lourde de conséquences qui veut qu’Israël soit en train de commettre un génocide à Gaza.

Le président a poursuivi, précisant qu’en raison de notre histoire, nous, Irlandais, comprenons de manière empirique des concepts tels que la dépossession et l’occupation, et c’est la raison pour laquelle nous insistons sur l’importance du droit international. Il a raison, bien sûr, mais la question qui me vient à l’esprit est de savoir pourquoi un pays et son peuple ont besoin d’une telle histoire pour comprendre ce genre de choses. Pourquoi l’Irlande serait-elle, comme l’a dit Khalidi, un cas particulier ? Je me flatte peut-être, mais j’aime à penser que même si j’étais Britannique, Américain, Allemand ou Néerlandais, je serais encore en mesure d’observer la campagne de massacre et de destruction menée par Israël et de la considérer comme un outrage moral.

Il est fort déplorable que l’Irlande soit un cas isolé, mais cette honte n’est pas celle de l’Irlande. Le fait que notre pays – son peuple et son establishment politique – se fasse entendre malgré le silence assourdissant de la plupart des autres nations occidentales est une chose dont nous pouvons, pour le moment, être fiers. Je ne crois pas à cette idée qui voudrait qu’on soit du bon côté de l’histoire. L’histoire au futur n’est pas notre souci. C’est le présent qui nous importe. Et notre pays est, du moins sur ce point important, du bon côté de l’histoire.

Source : The Irish Times, Mark O’Connell, 21-12-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Tzevtkoff // 21.01.2025 à 07h58

La dette mémorielle éternelle pèse sur le psyché des Européens.

2 réactions et commentaires

  • Tzevtkoff // 21.01.2025 à 07h58

    La dette mémorielle éternelle pèse sur le psyché des Européens.

  • Gracques // 21.01.2025 à 09h02

    Et l Espagne ?
    En fait une bonne partie des états européens reconnaissent l état de Palestine….

    Quant à la dette née du génocide des Juifs….cette explication aurait tenu dans les années 60 80, mais aujourd’hui?

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