Il ne s’agit pas seulement d’un accord stratégique, mais aussi d’un message montrant qu’ensemble, les deux pays peuvent se soustraire au statut de paria de l’Occident.
Source : Responsible Statecraft, Michael Corbin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le 17 janvier, le président russe Vladimir Poutine et son homologue iranien Masoud Pezeshkian ont signé un accord stratégique historique d’une durée de 20 ans qui, selon Reuters, « est susceptible d’inquiéter l’Occident. »
Dans cet accord, les deux pays ont convenu de renforcer leur coopération en matière de services de sécurité, d’exercices militaires, de visites portuaires et de formation conjointe d’officiers. Ils se sont engagés à ne pas permettre que leur territoire soit utilisé dans le cadre d’une action militaire contre l’autre, ni à aider quiconque à attaquer l’autre, et à coopérer pour contrer les menaces militaires extérieures.
Dans un premier temps, il a été question que le pacte soit approuvé lors du sommet des BRICS qui s’est tenu en Russie en octobre, mais Moscou a rapidement dissipé ces rumeurs à l’époque. Il est probable que la Russie ait choisi de ne pas signer l’accord en octobre, compte tenu des efforts déployés par Moscou pour que le sommet soit ouvert au Sud.
Ainsi, l’optique entourant un partenariat bilatéral en matière de commerce et de sécurité aurait sapé les principaux objectifs du sommet. Plus précisément, ces objectifs (qui constituent également les fondements du partenariat nouvellement signé) visaient à discréditer les affirmations occidentales sur l’isolement de la Russie et à montrer que les BRICS continuent de bénéficier d’un soutien, en particulier, d’un point de vue géoéconomique, que le bloc peut contrer les sanctions imposées par l’Occident par divers moyens.
Ces derniers incluent le développement de nouveaux systèmes de paiement qui permettraient aux pays de commercer dans leurs monnaies nationales.
En outre, le message soigneusement cultivé de l’unité des BRICS aurait été affaibli si l’annonce avait ignoré des participants aussi importants que la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui ne sont pas connus pour être les plus fervents partisans du régime de Téhéran.
Cependant, moins de deux mois plus tard, l’implication de la Turquie dans le renversement du gouvernement Assad, soutenu par Moscou et Téhéran, et le jeu de pouvoir qui s’en est suivi en Syrie ont accéléré la signature officielle de l’accord.
La Syrie était clairement un sujet clé pour Poutine et Pezeshkian. Lorsqu’ils ont évoqué les récents développements en Syrie, ils ont tous deux souligné leur engagement « en faveur d’un règlement global dans ce pays, fondé sur le respect de sa souveraineté, de son indépendance et de son intégrité territoriale » selon le compte-rendu de la conversation publié par le Kremlin.
En outre, la Syrie et la région immédiate revêtent une importance significative, comme l’indique la formulation du partenariat. Par exemple, à l’article 12, les deux parties ont convenu de renforcer la coopération russo-iranienne en matière de sécurité « en Asie centrale, dans le Caucase du Sud et au Moyen-Orient, dans le but d’empêcher l’ingérence […] et la déstabilisation par des tiers [États]. » Cette coopération comprend un accord mutuel pour ignorer les futures sanctions occidentales à l’encontre des deux pays.
Lors de la conférence de presse qui a suivi la signature, Poutine a souligné qu’assurer la paix et la stabilité dans cette région (souvent décrite comme l’Asie occidentale) « sert les intérêts de nos deux nations. » L’Asie occidentale n’est pas seulement importante pour les deux pays en termes de sécurité, mais aussi en termes de commerce régional, de coopération économique et de développement.
« Des opportunités prometteuses […] s’ouvrent dans le cadre du corridor de transport international Nord-Sud » a déclaré Poutine après la signature. « Des discussions sont en cours concernant la construction du tronçon ferroviaire Rasht-Astara. La mise en œuvre de ce projet permettrait d’établir une chaîne d’approvisionnement sans faille entre la Russie et le Belarus et les ports iraniens du Golfe. »
La poursuite du développement de ces possibilités accrues de chaîne d’approvisionnement sert non seulement la Russie et l’Iran, mais envoie également un signal important au partenaire clé qu’est la Chine pour soutenir son initiative « la Route de la Soie » Il s’agit également d’un message adressé aux membres des BRICS et aux membres potentiels des BRICS qui recherchent davantage d’opportunités de développement commercial et économique dans la région.
La conférence de presse conjointe a également été l’occasion d’annoncer que les deux parties sont sur le point de finaliser un accord de 2 milliards de mètres cubes par an pour l’envoi de gaz russe vers l’Iran, qui pourrait être porté à 55 milliards de mètres cubes par an. Les deux pays apprécient probablement des liens énergétiques plus étroits dans un contexte de tensions croissantes avec l’Occident et le risque d’une politique de sanctions énergétiques plus sévère de la part de la future administration Trump.
Le projet démontre également l’engagement de la Russie à développer de nouveaux partenariats et de nouvelles voies d’acheminement de l’énergie après que l’Ukraine a interrompu les livraisons de gaz russe. Le gaz russe a cessé d’être acheminé vers les États de l’UE via l’Ukraine après l’expiration d’un accord de cinq ans en décembre, marquant ainsi la fin d’un arrangement vieux de plusieurs décennies.
La Russie et l’Iran sont désormais des partenaires importants dans les domaines du commerce, de la finance et de l’investissement, et leur collaboration dans ces domaines ne cesse de s’intensifier. Poutine a déclaré : « Sur les dix premiers mois de 2024, le commerce bilatéral a augmenté de 15,5 %. »
« Nos pays sont presque entièrement passés à l’utilisation des monnaies nationales dans les règlements mutuels » a affirmé Poutine. « Des efforts sont déployés pour établir des canaux de prêt et d’interaction bancaire durables et pour aligner les systèmes de paiement nationaux. En 2024, les transactions effectuées en roubles russes et en rials iraniens représenteront plus de 95 % du commerce bilatéral. »
Étant donné que la signature de l’accord a eu lieu trois jours avant l’investiture du président Trump, cette déclaration pourrait tout à fait être un coup dirigé contre Trump lui-même, qui a récemment menacé d’imposer des droits de douane de 100 % aux pays qui cherchent à saper le dollar ou à utiliser d’autres monnaies lors de transactions commerciales bilatérales.
Ce partenariat intervient à un moment où l’influence de Moscou et de Téhéran dans la région a été réduite en raison de l’évolution de la situation en Syrie et au Moyen-Orient. Par exemple, en réponse à une question concernant la chute d’Assad, Trump a écrit en décembre sur la plateforme de médias sociaux Truth Social : « La Russie et l’Iran sont actuellement affaiblis, l’un à cause de l’Ukraine et d’une mauvaise économie, l’autre à cause d’Israël et de ses succès au combat. »
Depuis le début de la guerre en Ukraine, Moscou cultive agressivement des liens plus étroits avec l’Iran et d’autres nations considérées comme hostiles aux États-Unis pour contrer les affirmations de sa faiblesse et de sa perte d’influence. Par exemple, elle a déjà conclu des pactes stratégiques avec la Corée du Nord et son proche allié, le Belarus, ainsi qu’un accord de partenariat avec la Chine.
Il reste à voir si ces pactes stratégiques auront un effet dissuasif sur les conflits futurs, qu’ils soient militaires ou économiques, avec les États-Unis ou leurs alliés.
Une plus grande retenue sera nécessaire, mais elle sera d’autant plus difficile que l’Occident se trouve de plus en plus divisé quant à l’avenir de ses propres institutions économiques et de sécurité, en raison de la diminution des points communs entre Washington et Bruxelles.
En tant que tels, ces pactes pourraient saper les efforts de paix de l’administration Trump en exacerbant les affirmations des factions les plus dures de l’Occident.
*
Michael Corbin a près de 30 ans d’expérience dans le milieu universitaire, au sein du gouvernement fédéral et de divers groupes de réflexion sur les questions commerciales et économiques liées à la Russie et à l’Eurasie. Il est titulaire d’une maîtrise en études russes et est-européennes de l’université d’État de l’Ohio.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Michael Corbin, 23-01-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Une analyse un peu plus lucide que d’habitude parce qu’elle se conclut par: « l’Occident se trouve de plus en plus divisé quant à l’avenir de ses propres institutions économiques et de sécurité, en raison de la diminution des points communs entre Washington et Bruxelles » , et que l’actualité récente de la déclaration de Vance à Munich confirme spectaculairement.
Mais il y a toujours un soubassement de pensée « perverse » malgré l’effort d’objectivité quand l’inversion accusatoire se manifeste au détour de la réflexion:
« Moscou cultive agressivement des liens plus étroits avec l’Iran et d’autres nations considérées comme hostiles aux États-Unis pour contrer les affirmations de sa faiblesse et de sa perte d’influence. Par exemple, elle a déjà conclu des pactes stratégiques avec la Corée du Nord et son proche allié, le Belarus, ainsi qu’un accord de partenariat avec la Chine. » Moscou étant explicitement et très factuellement attaqué par l’USOTAN ne « cultive pas AGRESSIVEMENT » des alliances mais bel et bien DÉFENSIVEMENT, et avec pas mal de succès d’ailleurs.
Et toujours la reprise du mantra d’une Russie affaiblie économiquement et militairement, perception inversée puisque ses indicateurs économiques sont au beau fixe et sa suprématie militaire avérée sur le terrain et au niveau technologique (missiles hypersoniques notamment). S’y ajoute le succès diplomatique de la montée des BRICS, face à un occident complètement déconsidérée…
5 réactions et commentaires
Une analyse un peu plus lucide que d’habitude parce qu’elle se conclut par: « l’Occident se trouve de plus en plus divisé quant à l’avenir de ses propres institutions économiques et de sécurité, en raison de la diminution des points communs entre Washington et Bruxelles » , et que l’actualité récente de la déclaration de Vance à Munich confirme spectaculairement.
Mais il y a toujours un soubassement de pensée « perverse » malgré l’effort d’objectivité quand l’inversion accusatoire se manifeste au détour de la réflexion:
« Moscou cultive agressivement des liens plus étroits avec l’Iran et d’autres nations considérées comme hostiles aux États-Unis pour contrer les affirmations de sa faiblesse et de sa perte d’influence. Par exemple, elle a déjà conclu des pactes stratégiques avec la Corée du Nord et son proche allié, le Belarus, ainsi qu’un accord de partenariat avec la Chine. » Moscou étant explicitement et très factuellement attaqué par l’USOTAN ne « cultive pas AGRESSIVEMENT » des alliances mais bel et bien DÉFENSIVEMENT, et avec pas mal de succès d’ailleurs.
Et toujours la reprise du mantra d’une Russie affaiblie économiquement et militairement, perception inversée puisque ses indicateurs économiques sont au beau fixe et sa suprématie militaire avérée sur le terrain et au niveau technologique (missiles hypersoniques notamment). S’y ajoute le succès diplomatique de la montée des BRICS, face à un occident complètement déconsidérée…
+17
AlerterConcernant la Biélorussie: c’est un pays qui est dans une union douanière et frontiére ouverte entre eux. Cette union existe tout autant que l’UE. Le bloc UE et les Etats-Unis ne reconnaissenr rien sauf eux-mêmes.
Conçernant les systèmes de payment: les banques russes et iraniennes ont déjà connecté leurs systèmes.
« (Trump) La Russie et l’Iran sont actuellement affaiblis, l’un à cause de l’Ukraine et d’une mauvaise économie, l’autre à cause d’Israël et de ses succès au combat. »
ah oui les succès d’une armée entière dans une agglomérarion telle que Gaza.
Et la faiblesse russe, etc. Bof
Tout montre que la Russie va installer des systèmes de missiles en Iran Ni Téhéran ni Moscou ne sont Gaza.
+3
Alerter« L’alliance des emmerdés » et, au train ou vont les choses, on va bientôt pouvoir rajouter la Chine dans les amis de l’Iran. (Chine que Washington essaye maintenant de désouder de la Russie après avoir passé 4 ans le TIG à la main…tout en multipliant les provocations.)
Un jour , les USA comprendront que leurs actions ont des consquences et qu’il ne suffit pas de changer le guignol à leur tête pour que « le reste du monde » leur pardonne les conneries d’avant comme par magie.
Ça les fait juste encore plus passer pour de dangeureux malades.
+14
AlerterLe texte officiel du « Traité sur le partenariat stratégique global entre la République islamique d’Iran et la Fédération de Russie » est notamment sur ce site : https://president.ir/en/156874
(version anglaise donnée à traduite à DeepSeek)
Concernant la défense mutuelle, j’ai relevé ces trois passages :
Article 1
… Les Parties contractantes s’efforceront … de renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense …
Article 3
… 3. Dans le cas où l’une des Parties contractantes serait victime d’une agression, l’autre Partie contractante ne fournira aucune assistance militaire ou autre à l’agresseur qui contribuerait à la poursuite de l’agression, et aidera à garantir que les différends survenus soient réglés sur la base de la Charte des Nations Unies et d’autres règles applicables du droit international. …
Article 5
… 4. Les Parties contractantes se consulteront et coopéreront pour contrer les menaces militaires et de sécurité communes de nature bilatérale et régionale. …
+6
Alertercoopération, non encouragement des agresseurs, charte de l’ONU… c’est vrai que ça fait peur !
+1
Alerter