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24.octobre.202324.10.2023 // Les Crises

Nouvelle Guerre froide : la géométrie très variable du secrétaire d’État américain Blinken

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Ce qui est clair, c’est que les strates dirigeantes de Washington sont convaincues de la primauté de l’endiguement de la Chine.

Source : The AltWorld, Alastair Crooke
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Ce qui est clair, c’est que les strates dirigeantes de Washington sont convaincues de la primauté de l’endiguement de la Chine.

La semaine dernière, le secrétaire d’État Blinken, lors d’un discours à l’université Johns Hopkins, a déclaré sans ambages :

« Ce à quoi nous sommes confrontés n’est pas un test de l’ordre de l’après-Guerre froide. C’est la fin… d’un moment d’histoire… Les pays et les citoyens perdent confiance dans l’ordre économique international – leur confiance est ébranlée par des failles systémiques… Plus ces disparités persistent, plus elles alimentent la méfiance et la désillusion des gens, qui ont l’impression que le système ne leur donne pas une chance équitable. »

Jusqu’ici, tout va bien, mais il poursuit :

« Les États-Unis sont en position de force dans cette période charnière… Une ère s’achève, une nouvelle commence… Nous devons agir, et agir de manière décisive… Nous devons faire avancer l’histoire. Nous devons mettre la main sur le gouvernail de l’histoire, parce que… »

« Aucune nation au monde n’a une plus grande capacité à mobiliser les autres autour d’une cause commune. Parce que nos efforts continus […] nous permettent de corriger nos défauts et de renouveler notre démocratie de l’intérieur. Et parce que notre vision de l’avenir – un monde ouvert, libre, prospère et sûr – n’est pas seulement celle de l’Amérique, mais l’aspiration durable des peuples de toutes les nations et de tous les continents » (emphase ajoutée).

La « nouvelle ère » ressemble donc à « l’ancienne » bien connue : notre « vision libérale » occidentale et sa doctrine économique sont celles de tous, partout dans le monde – affirme Blinken.

Mais le défi de la « nouvelle ère » est le suivant,

« Nos concurrents [la Russie et la Chine] ont une vision fondamentalement différente… Le contraste entre ces deux visions ne pourrait être plus clair. Et les enjeux de la compétition à laquelle nous sommes confrontés ne pourraient être plus élevés – pour le monde et pour le peuple américain. »

C’est pourquoi nous – Team America – nous efforçons « d’aligner nos amis d’une nouvelle manière afin que nous puissions répondre aux trois tests déterminants de cette ère émergente : une concurrence stratégique féroce et durable ; des menaces existentielles pour les vies et les moyens de subsistance partout dans le monde – et le besoin urgent de rééquilibrer notre avenir technologique et notre avenir économique, de sorte que l’interdépendance soit une source de force – et non de vulnérabilité. » (Interdépendance ? … hmm)

« Nous y parvenons grâce à ce que j’aime appeler la géométrie variable diplomatique. Nous avons aligné des dizaines de pays pour imposer à la Russie un ensemble sans précédent de sanctions, de contrôles des exportations et d’autres coûts économiques. »

Ah – la Guerre froide est donc terminée ? Et qu’est-ce qui va la remplacer ? Eh bien, une nouvelle Guerre froide à « géométrie variable. » Manifestement, le message émanant des sommets des BRICS et du G20 n’a pas « fait son chemin. »

Le message qui ressort clairement de ces sommets est que l’ensemble des pays non occidentaux s’est rallié à la demande urgente d’une réforme radicale du système mondial. Ils veulent un changement dans l’architecture économique mondiale. ils contestent ses structures (c’est-à-dire les systèmes de vote qui se cachent derrière ces structures institutionnelles telles que l’OMC, la Banque mondiale et le FMI) – et surtout ils s’opposent à l’hégémonie militarisée du dollar.

En clair, ils réclament une place à la table des négociations. Un point, c’est tout.

À cette demande, la réponse de Blinken est celle d’un défi pur et simple – la géométrie variable :

« Nous rassemblons une coalition adaptée. Nous transformons le G7 en comité directeur des démocraties les plus avancées du monde, en combinant nos forces politiques et économiques… Nous portons les relations bilatérales essentielles, [en particulier] avec l’Union européenne, à un niveau supérieur. Nous utilisons ce pouvoir pour façonner notre avenir technologique et économique… »

En clair, la géométrie variable de la nouvelle Guerre froide contre la Chine et la Russie revient à poursuivre une guerre financière armée :

« Nous avons aligné des dizaines de pays pour imposer un ensemble sans précédent de sanctions, de contrôles des exportations et d’autres coûts économiques à la Russie. Nous avons coordonné le G7, l’Union européenne et des dizaines d’autres pays pour soutenir l’économie ukrainienne et reconstruire son réseau énergétique. Voilà à quoi ressemble la géométrie variable. »

Les outils de la nouvelle Guerre froide – tels que définis dans le discours de Blinken – sont tout d’abord la « narration » (notre vision est la vision du monde), une économie militarisée, une nouvelle capacité de prêt pour le FMI contrôlé par les États-Unis et une « ceinture » protectrice qui empêche les fleurons de la technologie occidentale de trouver une porte de sortie vers la Chine.

Ce qui est clair, c’est que les strates dirigeantes de Washington sont convaincues de la primauté de l’endiguement de la Chine. Le débat est clos.

Ce plan comporte toutefois deux paradoxes majeurs : le premier est que la guerre financière contre la Russie a abouti à une Russie économiquement plus forte et à un allié américain plus faible et plus pauvre : l’Europe. De même, comme l’a fait remarquer un fonctionnaire chinois soulignant la percée représentée par le Huawei Mate 60 Pro, « les sanctions ne sont pas si mauvaises que cela. Elles ne font que renforcer le mouvement de désoccidentalisation », comme on l’appelle officieusement en Chine. En d’autres termes, elles renforcent finalement la Chine et affaiblissent les États-Unis.

Le deuxième paradoxe est qu’en formulant la « nouvelle Guerre froide » en termes aussi explicitement manichéens que « avec ou contre nous », qui excluent tout « terrain d’entente », les pays du BRICS comme l’Inde n’auront que peu de marge de manœuvre pour jouer sur les deux tableaux. Finalement, seule la géographie poussera l’Inde à s’intégrer sans réserve dans la sphère du Heartland.

https://english.almayadeen.net/articles/analysis/blinkens-variable-geometry-for-a-new-cold-war

Alastair Crooke

Alastair Crooke est le fondateur et le directeur du Conflicts Forum, qui œuvre en faveur d’un engagement entre l’islam politique et l’Occident.

Source : The AltWorld, Alastair Crooke, 24-09-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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POPOV // 24.10.2023 à 08h58

Rien que ça??? Les propos du Blinken pourraient passer pour comiques même s’ils font froid dans le dos. Apparemment, son humour à géométrie variable a trouvé un public en occident, reste à convaincre le sud et l’orient du bien fondé de la farce. En réponse au Blinken, M. Poutine pourrait couvrir de fleurs ses missiles « sarmat » et autres diableries avant de les expédier sur nos têtes, histoire de rester dans l’esprit « drôle de guerre ». En plus, la période d’halloween s’y prêterait bien.
En se lançant dans la politique tout en continuant ses pitreries, Zelinsky a perdu toute son aura. Reste à savoir si passer du politique à la plaisanterie, tout en gardant sa capacité de nuisance, ramènera le Blinken à une certaine pondération?

11 réactions et commentaires

  • POPOV // 24.10.2023 à 08h58

    Rien que ça??? Les propos du Blinken pourraient passer pour comiques même s’ils font froid dans le dos. Apparemment, son humour à géométrie variable a trouvé un public en occident, reste à convaincre le sud et l’orient du bien fondé de la farce. En réponse au Blinken, M. Poutine pourrait couvrir de fleurs ses missiles « sarmat » et autres diableries avant de les expédier sur nos têtes, histoire de rester dans l’esprit « drôle de guerre ». En plus, la période d’halloween s’y prêterait bien.
    En se lançant dans la politique tout en continuant ses pitreries, Zelinsky a perdu toute son aura. Reste à savoir si passer du politique à la plaisanterie, tout en gardant sa capacité de nuisance, ramènera le Blinken à une certaine pondération?

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    • La Mola // 24.10.2023 à 15h46

      à propos de Zelinsky, digne émule de Reagan… je ne vois plus le dossier « Ukraine » sur ce site qui documentait le coup d’état, Maidan, la guerre civile sauvage contre les russophones… bref ces presque 10 ans qui sont occultés partout au profit du « narratif » anglo-saxon. dommage…

        +5

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  • Fritz // 24.10.2023 à 09h19

    « Nous avons aligné des dizaines de pays pour imposer un ensemble sans précédent de sanctions, de contrôles des exportations et d’autres coûts économiques à la Russie. Nous avons coordonné le G7, l’Union européenne et des dizaines d’autres pays » (Antony Blinken).

    C’est beau, les discours français sur la nécessité de l’UE comme contrepoids « non-aligné » à « l’hyperpuissance américaine ». Je me rappelle de ces affiches, contemporaines du traité de Maastricht (1992), où l’on voyait une vaillante Europe résistant à l’étouffement des États-Unis et du Japon… Mais partout ailleurs en Europe, le discours européiste insiste sur la nécessaire soumission à Washington. Dur, dur avec un vieillard sénile à la Maison Blanche.

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    • Savonarole // 24.10.2023 à 19h41

      Je sais pas qui est plus inquiétant entre le vieillard sénile à la maison blanche et les gens qui lui tendent les discours , mais je reste d’accord sur le fond quand même.
      L’Europe est devenu une puissance totalement impuissante, incapable d’avoir ses propres choix et sa propre voix car dirigée par des molusques adoubés par « le maitre » et dont on fait exploser les structures et les infrastrucures sans conséquences et à convenance.
      Hé le maitre : memento mori 🙂

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      • Grd-mère Michelle // 25.10.2023 à 11h41

        L’Europe n’est pas une « puissance » mais un continent, notion géographique (comme, par ex, Les Amériques ou l’Afrique) et qui inclut la Russie, d’ailleurs…
        Votre erreur est excusable, étant donné qu’on n’enseigne plus la géographie.

        Par contre, l’UE est une institution dans laquelle se sont regroupés certains pays d’Europe, officiellement pour empêcher ses vieux empires de continuer à s’envahir et à envoyer leurs enfants s’entretuer, qui n’a jamais été puissante dans aucun domaine car elle est incapable d’être UNIE DANS LA DIVERSITÉ (ce qui, admettons-le, est fort ambitieux, et irréalisable sans la volonté explicite de tou-te-s ses citoyen-ne-s: nécessité d’une démocratie effective et de son enseignement, dès l’âge de raison, avec exercices pratiques).
        Nécessité aussi de préserver et d’enseigner une langue française commune, de base, qui permette au moins aux européen-ne-s francophones de se comprendre, de parler « d’une seule langue » des projets et difficultés qui les concernent, et de l’UE elle-même, à rénover(et nécessité de former une armée de traducteurs-trices/interprètes dans toutes les langues européennes).
        Par ailleurs, ce qui est actuellement considéré comme « puissances puissantes » ne le sont qu’en fonction de leur capacité de nuisance… fort peu désirable, donc… sauf pour de petits potentats comme E.Macron…

          +3

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      • pipa2 // 26.10.2023 à 16h03

        L’Europe n’a jamais été une puissance. Elle a été voulue par les yankees comme un toutou à promener en laisse, et est devenue au fil des ans et des réformes un simple esclave des cinglés de Washington.

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    • POPOV // 24.10.2023 à 21h49

      Pour faire preuve d’impartialité, l’UE et son bras gauche armé (la CPI) pourrait ouvrir une procédure pénale à l’encontre de Netanyahu.

        +9

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  • RémyB // 24.10.2023 à 09h28

    paroles politiques d’une part
    et un message pour réclamer encore davantage de pognon au Congrès

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    • Grd-mère Michelle // 25.10.2023 à 12h06

      Oui!
      « Money makes the world go round, the world go round, the world go round… »
      Une des principales chansons du film musical « américain », Cabaret, de 1972, réalisé par Bob Fosse, dont l’histoire se situe à Berlin dans les années 30.

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  • cedivan // 25.10.2023 à 15h51

    Tu parles d’un scoop… Les Etats Unis ont toujours cru avoir un leadership messianique sur le reste du Monde. Ils inféodent donc leurs « alliés ». ce n’est pas nouveau, seules les modalités changent éventuellement…. C’est une vision très manichéenne, très simpliste et très brutale de voir les choses. Mais la finesse n’a jamais été le fort des américains. Parfois, c’est efficace, souvent c’est catastrophique

      +2

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