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11.janvier.202511.1.2025 // Les Crises

OTAN : des dépenses militaires à hauteur de celles de la Guerre froide d’ici 2030 ?

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Mark Rutte veut des dépenses à hauteur de celles de la Guerre froide, mais la Russie n’est pas du tout le même adversaire, ce qui remet en question ses véritables motivations.

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Mark Rutte, le nouveau secrétaire général de l’OTAN, a demandé à l’Alliance de s’engager à maintenir des dépenses militaires à hauteur de celles de la Guerre froide d’ici 2030.

Ce faisant, il fait naître dans l’esprit des citoyens de l’OTAN l’idée que la Russie moderne présenterait le même niveau de menace que l’Union soviétique. Mais il n’est pas nécessaire de se pencher sur les chiffres pour comprendre qu’il s’agit d’une comparaison erronée et délibérément trompeuse.

La déclaration de Rutte fait écho à l’appel lancé par Donald Trump en faveur d’une augmentation des dépenses de l’OTAN à hauteur de 3%, un mouvement dans lequel le ministre britannique des Affaires étrangères s’est empressé de s’engouffrer. Après tout, les États-Unis consacrent 3,38 % de leur PIB à la défense, ce qui représente les deux tiers des dépenses totales de l’OTAN. Seuls trois autres membres – la Pologne, l’Estonie et la Grèce – dépensent plus de 3 %, tandis que huit membres n’atteignent pas l’objectif actuel de 2 %.

« Pendant la guerre froide, les Européens ont dépensé bien plus que 3 % de leur PIB pour la défense », a déclaré Rutte.

Toutefois, la comparaison avec la Guerre froide est tout à fait erronée. L’Union soviétique était un concurrent direct des États-Unis, avec ses chars et ses troupes aux portes de l’Europe occidentale. Bien que l’économie soviétique n’ait jamais été comparable à celle des États-Unis, elle représentait néanmoins un peu plus de la moitié du PNB américain en 1984. Cependant, les Soviétiques ont dépensé beaucoup plus pour leur défense et un rapport de la CIA de 1982 estimait que les dépenses militaires soviétiques totales avaient dépassé les dépenses américaines d’une petite marge en 1980.

Dans les années 1980, l’Union soviétique disposait d’une armée permanente de 4,3 millions de personnes, soit plus de deux fois la taille de l’armée permanente américaine. En 1990, la population soviétique était de 288 millions d’habitants, contre 250 millions d’Américains. Il s’agissait donc d’un adversaire comparable, voire plus important, selon les principaux critères.

Cette comparaison ne s’applique tout simplement plus aujourd’hui. La Russie n’est, en aucune mesure, que ce soit sur le plan économique, démographique ou militaire conventionnelle, un concurrent comparable aux États-Unis ou à l’alliance de l’OTAN dans son ensemble. La seule exception est l’arsenal nucléaire de la Russie, qui est d’une taille effroyablement comparable.

Le PIB russe est 24,5 fois inférieur au PIB combiné des membres de l’OTAN et 11,5 fois inférieur à celui des États-Unis. Sa population est sept fois inférieure à la population combinée de l’OTAN et près de deux fois et demie inférieure à la population américaine. Ses effectifs militaires, considérablement accrus, ne représentent dans leur totalité que 45 % de la taille des armées permanentes de l’OTAN. Dans une guerre d’usure avec l’OTAN, ce que la Russie a toujours cherché à éviter, elle ne disposerait pas des réserves démographiques ou économiques nécessaires pour l’emporter.

La comparaison avec la Guerre froide ne sert donc pas à grand-chose et n’est pas pertinente en tant que cadre de référence. Ce qu’il faut retenir, c’est que, même en maintenant les dépenses de défense à leur niveau actuel, l’OTAN est le plus grand empire militaire que le monde ait jamais connu. Selon la base de données du SIPRI [Stockholm International Peace Research Institute], l’OTAN représentera, en 2023, 57 % des dépenses mondiales en matière de défense.

Pour mettre cela en perspective, aux niveaux de dépenses actuels, l’OTAN dépense cinq fois plus pour la défense que la Chine et dix fois plus que la Russie. Sept fois plus que l’ensemble de l’Asie hors Chine et Inde, 10 fois plus que le Moyen-Orient, 20 fois plus que l’Amérique latine et 31 fois plus que l’Afrique.

Si l’OTAN passait à 3 % de dépenses concernant la défense, cela représenterait une augmentation d’environ 260 milliards de dollars par an en valeur actuelle. C’est 1,8 fois plus que ce que la Russie prévoit de dépenser pour sa défense en 2025 (environ 145 milliards de dollars). Et, pour être clair, la quasi-totalité de cet argent serait dépensée aux portes de la Russie, en Europe, puisque les États-Unis ont déjà dépassé la barre des 3 %. Les pays européens de l’OTAN dépensent déjà 3 fois et demie plus d’argent en matière de défense que ce que la Russie prévoit de faire en 2025.

Jusqu’à quel point l’OTAN doit-elle devenir plus puissante que la Russie avant de se convaincre que les chars russes ne sont pas sur le point d’arriver à Riga ?

À quoi serviraient ces dépenses extravagantes de l’OTAN ? Rutte a parlé de la nécessité de relancer l’industrie de défense de l’OTAN actuellement « vidée de sa substance », alors soyez assurés qu’une grande partie de l’argent ira à l’équipement militaire.

En moyenne, selon les données de l’OTAN, 32 % des dépenses de défense sont consacrées à l’équipement (30 % pour les États-Unis). Ainsi, d’après ces chiffres, l’OTAN dépense environ 472 milliards de dollars chaque année pour le seul équipement militaire, soit 3,2 fois plus que le total des dépenses militaires prévues en Russie en 2025. Pour moi on ne peut pas vraiment dire « vidée de sa substance ». Le fait de dépasser les 3 % ajouterait 83,5 milliards de dollars chaque année à ce chiffre colossal.

Il n’est donc pas étonnant que les entreprises mondiales de défense, dont les cinq premières sont américaines, enregistrent actuellement des revenus records. Les États-Unis représentent environ 57 % de l’industrie mondiale de la défense, tant en termes de production nationale que d’exportations. Ainsi, 3 % de dépenses de défense signifieraient que les entreprises américaines auraient un revenu combiné plus de deux fois supérieur au total des dépenses militaires russes.

Ah mais bien sûr, l’Europe doit dépenser plus au cas où l’Amérique déciderait un jour de quitter l’alliance. Mais elle n’est pas près de se retirer de l’OTAN. Si il y a une chose que Donald Trump adore, c’est faire des bénéfices, et l’alliance de l’OTAN est une immense manne pour les entrepreneurs américains. Du côté russe, la seule chose qu’ils voient, c’est une immense alliance militaire et – qui est pour eux – menaçante, qui cherche à s’agrandir encore. En quelque sorte, l’OTAN est à la Russie ce que l’Union soviétique était à l’Europe occidentale il y a quarante ans. Si la Russie mène une guerre coûteuse en Ukraine ce n’est absolument pas parce qu’elle veut envahir l’OTAN ensuite. Elle le fait pour empêcher l’OTAN de se rapprocher de sa frontière.

*

Ian Proud a été membre du service diplomatique de Sa Majesté britannique de 1999 à 2023. Il a été conseiller économique à l’ambassade britannique à Moscou de juillet 2014 à février 2019. Avant d’être posté à Moscou, il a, depuis le 10 Downing Street, organisé le sommet du G8 de 2013 à Lough Erne, en Irlande du Nord. Il a récemment publié ses mémoires, A Misfit in Moscow : How British diplomacy in Russia failed, 2014-2019 [Un inadapté à Moscou : comment la diplomatie britannique en Russie a échoué, 2014-2019].

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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