Un exemple de propagande dans notre pays
Source : Sud Ouest, Nicolas Tenzer, 17/02/2016
Géorgie, Ukraine, Syrie : négocier avec la Russie de Vladimir Poutine est stérile et risque de mettre en danger nos propres idéaux. Les explications de Nicolas Tenzer, professeur à Sciences Po
L’idée que la négociation est toujours possible fait partie des croyances diplomatiques communes. Certes, en principe, la négociation est toujours préférable à la guerre. Cette idée connaît toutefois de nombreuses exceptions, et la Russie de Vladimir Poutine en est une, particulièrement dramatique.
Depuis la crise géorgienne en 2008, l’agression russe contre l’Ukraine, qui a débuté en 2014, et le soutien sans faille au régime criminel de Bachar al-Assad, suivi par l‘intervention directe en Syrie, les pays occidentaux n’ont cessé de prétendre négocier avec la Russie. Or, ces négociations n’ont abouti à rien, ou presque, et n’ont fait que conforter la puissance russe dans sa politique d’agression.
Cette erreur provient à la fois d’un oubli des principes de la négociation et d’une méconnaissance – ou d’une mise entre parenthèses volontaire – de la nature du régime russe qui explique sa stratégie. Elle met en cause la crédibilité des puissances censées défendre le droit international, la liberté et les droits fondamentaux.
Les illusions de la négociation
Les prétendues négociations avec la Russie se sont soldées par un marché de dupes. En 2008, après l’attaque contre la Géorgie, la négociation s’est soldée par l’annexion de fait de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, sans contrepartie autre que la fin des hostilités : la Russie avait atteint ses buts de guerre. En 2015, les accords dits de Minsk 2 ont conduit, de facto, à geler la sphère d’influence russe à l’Est de l’Ukraine, limitant la souveraineté du gouvernement de Kiev. Certes, ils ont permis de diminuer l’intensité des combats et donc d’épargner des vies humaines dans un conflit qui avait déjà coûté plus de 9 000 vies.
Or, outre que le cessez-le-feu n’est pas entièrement respecté par les Russes, ces accords ne traitent pas de la Crimée, annexée illégalement par la Russie et où le nouveau gouvernement se livre à une politique d’épuration ethnique à l’encontre de la minorité tatare. De surcroît, Minsk 2 ne règle pas la situation de l’Ukraine et n’apporte aucune garantie de sécurité durable.
La situation en Syrie est plus tragique encore : outre que la Russie a, depuis 2011, toujours soutenu Assad, faisant obstacle, avec la Chine, à toute résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui aurait permis d’éviter le génocide, elle a à nouveau « sauvé » le gouvernement syrien en 2013, négociant une fin de l’utilisation de certaines armes chimiques contre une absence d’intervention occidentale. Les crimes d’Assad, depuis lors, se sont élevés à plus de 100 000 victimes.
À la suite de son intervention militaire en Syrie, la Russie a fait échouer les négociations de Genève en janvier 2016 et l’accord de cessez-le-feu obtenu à Munich le 12 février dernier confortera les avancées du régime soutenu par la Russie et l’Iran, ne mettra pas un terme aux bombardements indiscriminés sur les civils et les rebelles modérés et vise à prolonger un régime coupable de génocide.
Les règles de base de la bonne négociation
Ce rappel conduit à rappeler quelques règles. D’abord, on ne négocie pas avec celui qui dispose des moyens d’imposer sa paix faute de puissance en face résolue à intervenir. Ce n’est pas alors une négociation, mais une capitulation. Certes, le Munich de 2016 n’est pas celui de 1938, mais il met aux prises deux acteurs dont l’un est assuré de sa puissance, l’autre prêt à tout pour ne pas s’engager dans une guerre. Les États-Unis, à Genève comme à Munich, et depuis le début du conflit, ont voulu un accord à tout prix, ce qui est la première ligne de faiblesse.
En Géorgie déjà, nul n’était prêt à intervenir pour rétablir les frontières officielles. À Minsk, la France et l’Allemagne ont pris l’initiative de la négociation parce que ni les États-Unis, ni l’Europe n’étaient prêts à s’engager militairement pour protéger l’intégrité de l’Ukraine. Première règle donc : une négociation ne peut aboutir à un résultat équilibré lorsqu’une des parties ne montre pas de manière crédible qu’elle peut recourir à la force. La négociation est le résultat de rapports de forces et, au-delà de la puissance réelle, de la détermination à agir.
Ensuite, une négociation n’est valide que lorsque les deux parties ont intérêt à recourir à un compromis. Cela peut être le cas dans une guerre civile qui dure infiniment, si un médiateur a suffisamment de poids pour imposer un compromis. On peut l’imaginer pour un conflit entre deux États également de bonne foi – ce fut le cas, un bref moment, à Oslo, entre Israël et l’autorité palestinienne. Mais la Russie n’a jamais eu intérêt à un compromis.
Elle a toujours considéré ses avancées comme non négociables : l’« indépendance » des deux provinces géorgiennes, le « retour » de la Crimée à la Russie, le maintien d’Assad ou de ses fidèles au pouvoir. Les puissances occidentales ont utilisé le mantra diplomatique classique : « nous condamnons », « exprimons notre très vive préoccupation », « demandons instamment », « exigeons », et ont mis en place un appareil de sanctions – rien de suffisamment convaincant pour le Moscou.
Enfin, que signifie, du point de vue des exigences de la loi internationale, du droit de la guerre et des droits de l’Homme, une négociation qui entérinerait leur abandon ? C’est ce qui est arrivé en Géorgie, est en train de se passer en Ukraine et se démontre avec abjection en Syrie. Sur les territoires comme sur la protection des populations, il n’y a rien à négocier avec la Russie. Cela signifierait abandonner toute volonté de rétablir la loi et d’utiliser pour ce faire les instruments de la puissance. Si l’on continue ainsi, demain, d’autres pays seront menacés.
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OB : On rappellera au passage qu’en vertu de l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’Onu de 1966 :
Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi.
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