L’investisseur et milliardaire de TikTok, Jeff Yass, a envoyé des millions à des organisations antimusulmanes et à des groupes pro-israéliens extrémistes.
Source : Responsible Statecraft, Eli Clifton
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Selon une enquête du Guardian et de Responsible Statecraft, le principal donateur républicain et investisseur de TikTok, Jeff Yass, est lié à un financement de plus de 16 millions de dollars à des groupes antimusulmans et pro-israéliens qui prônent une guerre des États-Unis contre l’Iran et d’autres politiques militaristes au Moyen-Orient.
Les articles des médias sur Jeff Yass, cofondateur milliardaire du Susquehanna International Group, une société de commerce et de technologie, se sont concentrés sur le rôle considérable qu’il joue au sein du Parti républicain, dont il est désormais le plus grand donateur politique dans le cycle électoral de 2024, avec une contribution de plus de 46 millions de dollars jusqu’à présent.
Jeff Yass est également devenu le principal bailleur de fonds d’un groupe visant la représentante progressiste Summer Lee (Pennsylvanie) dans sa course aux primaires, ce qui laisse supposer qu’il souhaite influencer les résultats des primaires démocrates, et pas seulement soutenir les Républicains.
Mais peu d’informations ont été publiées sur son implication dans le financement de groupes prônant une politique étrangère américaine pro-israélienne, des politiques américaines agressives au Moyen-Orient et le soutien à des théoriciens que les experts décrivent comme des conspirationnistes antimusulmans extrémistes.
En tête de la philanthropie de Jeff Yass dans le domaine de la politique étrangère figurent les 7,9 millions de dollars versés à l’Université en ligne de Jérusalem entre 2014 et 2019 par un groupe d’octroi de subventions dont il a été un temps l’un des trois directeurs.
Une enquête du Jewish Daily Forward sur le groupe, en 2011, a révélé que le site web se présente comme une source de matériel éducatif sur le Moyen-Orient et Israël, mais que le message réel du site web est beaucoup plus partial, selon le Forward.
« Sur son site web et dans ses documents promotionnels, Jerusalem Online U ne se présente pas comme un centre de recherche universitaire neutre », écrit le Forward. « En fait, elle se targue d’une mission explicitement pro-israélienne qui semble nettement en contradiction avec les principes universitaires. Dans une publicité pour ses services, le blog du site Jerusalem Online U présente une vidéo du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou déclarant au Congrès en mai dernier « qu’Israël est ce qui est juste » au sujet du Moyen-Orient. Les mots « Faites partie de ce qui est juste » apparaissent à l’écran pendant qu’il parle. »
Les contributions provenaient de la Claws Foundation, une entité dont Jeff Yass était directeur aux côtés d’Arthur Dantchik, cofondateur de Susquehanna, et de l’avocat Alan P. Dye, qui n’a pas répondu à nos questions. Le Kids Connect Charitable Fund (qui ne compte ni Jeff Yass ni Arthur Dantchik parmi ses administrateurs, mais qui a mentionné la Claws Foundation comme une « organisation exonérée d’impôts » dans une déclaration au fisc et qui a été identifiée comme une branche philanthrope des deux hommes par Haaretz) a contribué à hauteur de 3,48 millions de dollars à l’organisation associée à l’Université en ligne de Jérusalem, Imagination Productions.
La Claws Foundation a également accordé une subvention de 10 000 dollars aux Friends of the Israel Defense Forces [Amis des forces de défense israéliennes, NdT] en 2011 et 35 000 dollars de subventions, entre 2010 et 2011, au Center for Security Policy, un groupe anti-musulman et promouvant la théorie du complot, fondé par Frank Gaffney, que le Southern Policy Law Center décrit comme « l’un des islamophobes américains les plus notoires » et que l’Anti-Defamation League décrit comme l’un des principaux promoteurs de la théorie du complot « selon laquelle le gouvernement américain a été infiltré par les Frères musulmans et qu’un certain nombre de personnalités politiques ont des liens réels avec le groupe ». Le vice-président du Center for Security Policy, Clare Lopez, a déclaré : « Lorsque les musulmans suivent leur doctrine, ils deviennent des djihadistes. »
En 2013 et 2014, la Claws Foundation a envoyé 250 000 dollars au David Horowitz Freedom Center, un autre grand promoteur de théories du complot antimusulmanes. Horowitz, qui a donné son nom au groupe et qui en est le président, s’est déjà plaint que les musulmans étaient une « espèce protégée dans ce pays » et a déclaré qu’il « attendait le jour où les bons musulmans se manifesteront », lors d’un événement organisé par le Brooklyn College en 2011.
« Le fait que Jeff Yass fasse des dons aux organisations de Gaffney et Horowitz montre à quel point ses politiques sont extrêmes », a déclaré Tommy Vietor, ancien porte-parole du Conseil de sécurité nationale sous le président Obama. « Ils sont au-delà de Trump. Ce sont des théoriciens du complot. Gaffney en particulier. »
La Claws Foundation a également fait un don de 100 000 dollars au Central Fund of Israël en 2014, un groupe que le New York Times a décrit comme une « chambre de compensation » pour le développement des colonies en Cisjordanie occupée par Israël.
« La Claws Foundation a versé plus de 300 millions de dollars, essentiellement à des hôpitaux pour enfants, à des soins de santé pour adultes, à l’éducation et aux arts aux États-Unis, et n’a jamais cherché à influencer la politique étrangère des États-Unis », a déclaré un porte-parole de Yass et Dantchik. « En outre, 31 millions de dollars des contributions de Claws ont été versés à l’Institut Shalom Hartman, dont l’une des initiatives apolitiques importantes consiste à jeter des ponts entre les communautés juives et musulmanes. Le fait de se concentrer sur quelques contributions de moindre importance favorise une fausse narration qui correspond à un agenda biaisé. »
La philanthropie de Jeff Yass semble également le mettre en contact étroit avec les efforts visant à influencer les relations entre les États-Unis et Israël et entre les États-Unis et l’Iran par le biais de campagnes de plaidoyer et de lobbying. Un groupe à but non lucratif, QXZ Inc, est la plus grande source identifiable de financement des efforts de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) pour entraver la diplomatie nucléaire de la Maison Blanche avec l’Iran pendant le second mandat présidentiel de Barack Obama.
En 2015, QXZ Inc a versé 1,5 million de dollars à Citizens for a Nuclear Free Iran [Citoyens pour un Iran sans nucléaire, NdT], le groupe de pression de l’AIPAC qui s’oppose au Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) [Plan d’action global conjoint, Accord de Vienne NdT], un accord conclu entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne et l’Iran pour imposer des restrictions au programme nucléaire iranien en échange d’un allègement des sanctions liées au nucléaire pour l’Iran.
Vietor n’a pas tenu compte du travail de l’AIPAC pour s’opposer à l’accord de Vienne durant l’ère Obama, mais il a suggéré que l’élection et l’influence de Trump étaient devenues un objectif pour certains opposants à l’accord sur l’Iran.
« [Les bailleurs de fonds de la campagne anti-JCPOA] ont mis le feu aux poudres en 2015. Ils étaient incapables de battre Obama politiquement en faisant échouer le JCPOA au Congrès, alors ils ont changé de tactique et se sont tous lancés à corps perdu dans la campagne pour Trump », a déclaré Vietor. « Trump a choisi de se retirer de l’accord de Vienne bien que nombre de ses conseillers lui aient dit que ce serait un désastre, et c’est ce qui s’est passé. L’Iran est plus proche que jamais d’obtenir une arme nucléaire. »
Les liens de Yass avec un groupe fournissant un soutien financier important à l’effort de l’AIPAC n’ont pas été signalés jusqu’à présent. Les liens entre QXZ et Yass ont été révélés lorsque Strong Economy for Growth, un groupe basé dans le Massachusetts, a dépensé 1,2 million de dollars pour soutenir une proposition de vote qui a échoué en 2016 et qui concernait la hausse des plafonds sur les écoles sous contrat. Les responsables du financement des campagnes électorales de l’État ont exigé que le groupe révèle l’identité de ses donateurs. Jeff Yass, par l’intermédiaire de QXZ, était le principal bailleur de fonds de Strong Economy for Growth.
L’implication de QXZ dans le financement bien dissimulé de la défense de la politique étrangère s’est poursuivie en 2015 avec une contribution de 250 000 dollars au Comité d’urgence pour Israël (ECI) de Bill Kristol, un groupe qui a diffusé des publicités attaquant Obama comme « cédant à l’Iran » avec le JCPOA.
Connie Bruck, du New Yorker, a dressé le profil des stratégies du groupe et a rapporté que l’ECI « cherchait à intimider les critiques de Netanyahou et les plus puissants soutiens américains d’Israël, pour l’escalade de la guerre avec l’Iran, et à nuire à Obama ».
Soulignant l’engagement de QXZ envers les ailes les plus militaristes et pro-israéliennes du Parti républicain, le groupe a versé 1,05 million de dollars entre 2018 et 2019 à la Coalition juive républicaine, un club de mégadonateurs faucons pro-israéliens.
Un porte-parole de Yass n’a pas commenté les liens entre Yass et QXZ, mais a nié l’implication de Yass dans les dons au Comité d’urgence pour Israël, à la Coalition juive républicaine ou aux Citoyens pour un Iran sans nucléaire.
« Jeff Yass n’a jamais demandé à QXZ de financer de tels groupes et toute déclaration contraire est fausse », a déclaré le porte-parole.
Yass n’a rien dit de son programme de politique étrangère en public, mais la chronologie de sa rencontre avec Trump et le revirement ultérieur de ce dernier sur l’interdiction de TikTok indiquent que Yass pourrait déjà être une personnalité influente pour le candidat républicain à la présidence.
Trump a l’habitude de modifier ses positions sur Israël et l’Iran pour s’aligner sur les mégadonateurs politiques. Ce n’est qu’après avoir obtenu l’investiture en 2016 que Trump a pivoté vers des positions plus militaristes au Moyen-Orient (s’engageant à retirer les États-Unis du JCPOA, à transférer l’ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem et à soutenir une approche inconditionnellement pro-israélienne des États-Unis dans le conflit israélo-palestinien), des positions en phase avec ses plus grands mécènes politiques lors de l’élection générale, feu Sheldon Adelson et son épouse, Miriam.
Le porte-parole de Jeff Yass a nié que ce dernier cherche à influencer Donald Trump sur des questions de politique étrangère.
« Jeff Yass n’a jamais discuté de politique étrangère avec Donald Trump, n’a jamais fourni de contribution à Trump et n’a pas l’intention de le faire », a déclaré le porte-parole. « La philanthropie de Yass est largement axée sur le choix de l’école et n’a rien à voir avec la politique étrangère. »
« En tant que libertarien, Jeff s’oppose généralement à l’implication des États-Unis dans les affaires étrangères, comme en témoigne son soutien à Rand Paul et à Thomas Massie », a déclaré le porte-parole.
Eli Clifton
Eli Clifton est conseiller principal à l’Institut Quincy et journaliste d’investigation à Responsible Statecraft. Il s’intéresse à l’argent dans la politique et à la politique étrangère des États-Unis.
Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.
Source : Responsible Statecraft, Eli Clifton, 24-04-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
C’est quand même dingue que la survie de telle ou telle autre solution dépende de celui qui a le plus gros portefeuille plutôt que le bien commun , le bon sens , la justice …On a eu une période bénie grâce a la force des résistants a la sortie de la guerre , et depuis les années 70 , après une génération d’oubli , ils ont pratiquement tout repris sans qu’on y puisse rien .Effrayant , on court a notre perte . On court a la guerre , a la mort et a la désolation par notre bêtise et notre lâcheté . Faut changer de mode de fonctionnement et vite .
2 réactions et commentaires
C’est quand même dingue que la survie de telle ou telle autre solution dépende de celui qui a le plus gros portefeuille plutôt que le bien commun , le bon sens , la justice …On a eu une période bénie grâce a la force des résistants a la sortie de la guerre , et depuis les années 70 , après une génération d’oubli , ils ont pratiquement tout repris sans qu’on y puisse rien .Effrayant , on court a notre perte . On court a la guerre , a la mort et a la désolation par notre bêtise et notre lâcheté . Faut changer de mode de fonctionnement et vite .
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AlerterBof. il y a Soros et Cie de l’autre coté. Le fric fait la loi, c’est surtout ça qui est consternant.
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