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19.mars.202519.3.2025 // Les Crises

Propagande économique : Jeff Bezos impose au Washington Post de défendre le « marché libre » tous les jours

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Les articles s’opposant au « marché libre » ne seront plus publiés par le Post, a averti Bezos à l’intention de la rédaction du journal.

Source : Chris Walker, Truthout
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le fondateur d’Amazon et de Blue Origin, Jeff Bezos, et Kash Patel, le candidat du président Trump au poste de directeur du FBI, quittent les cérémonies d’investiture qui se déroulent dans la rotonde du Capitole, le 20 janvier 2025, à Washington. Chip Somodevilla / Getty Images

Le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, propriétaire multimilliardaire du Washington Post, a informé le département Articles d’opinion que les rédacteurs devraient se concentrer sur la défense des libertés individuelles et du « marché libre » à l’avenir – et que les points de vue divergents ne seraient pas diffusés.

La lettre de Bezos a en premier été signalée par le journaliste du New York Times Ben Mullin, qui en a partagé le contenu sur les médias sociaux.

« Nous allons écrire chaque jour pour soutenir et défendre deux grands axes : les libertés individuelles et le marché libre », a écrit Bezos. « Nous couvrirons bien sûr d’autres sujets, mais les points de vue qui s’opposent à ces deux piliers seront laissés à d’autres. »

Bezos a justifié sa décision en affirmant qu’il n’était plus nécessaire de faire entendre des voix hostiles à ces piliers, puisque les lecteurs pouvaient trouver ces points de vue ailleurs sur internet.

« J’appartiens à l’Amérique et j’agis pour l’Amérique », a déclaré Bezos, affirmant qu’une « grande partie du succès de l’Amérique tient à la liberté dans le domaine économique. » (La défense du « marché libre » par le PDG d’Amazon n’est sans doute pas surprenante étant donné que c’est ce système qui lui a permis de devenir l’un des hommes les plus riches du monde aux dépens de plus d’un million de travailleurs dans le monde).

Bezos, qui a autrefois décrit son style de gestion du journal comme étant « non interventionniste », a également indiqué dans sa lettre qu’il avait donné à David Shipley – qui était jusqu’à mardi le rédacteur en chef du Post – une chance de dire « Oh que oui ! » à la nouvelle stratégie ou de quitter son poste. Shipley a finalement quitté son poste, mais on ne sait toujours pas s’il a démissionné ou s’il a été licencié par Bezos.

Bien qu’il ait promis en 2013 qu’il n’interviendrait pas dans le processus décisionnel du journal, Bezos a exercé un contrôle accru sur les pages d’opinion de la publication au cours des derniers mois, ce qui a poussé plusieurs membres du personnel du Post à démissionner.

L’exemple le plus marquant de l’implication de Bezos se situe peut-être juste quelques semaines avant le jour des élections de 2024, lorsqu’il a interdit à la rubrique Opinions de publier un soutien, pourtant programmé, à Kamala Harris, candidate démocrate à la présidence. Dans un article d’opinion publié peu de temps après cette décision, Bezos a affirmé que de tels soutiens « donnent une impression de partialité, et que y mettre fin est une question de principe. »

Ses détracteurs n’ont pas été convaincus par son argument.

« En effet, en cette ère numérique, le lecteur est confronté à un problème de différenciation entre ce qui relève de l’actualité et ce qui relève de l’opinion éditoriale, mais ce n’est pas en éliminant les soutiens que l’on parviendra à résoudre le problème » a déclaré Jon Allsop, rédacteur de la lettre d’information The Media Today pour Columbia Journalism Review. « Les divisions actuelles et acerbes que connaît l’Amérique peuvent être considérées comme un argument pour ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre camp, mais aussi comme un argument pour le faire, comme un repère dans une époque confuse et bruyante. »

En janvier, Ann Telnaes, lauréate du prix Pulitzer, a quitté le journal en signe de protestation après qu’il a refusé de publier une caricature critiquant Elon Musk, Mark Zuckerberg, Bezos et Disney. « J’ai déjà eu des retours éditoriaux et des conversations productives – et quelques divergences – sur les dessins que j’ai soumis à la publication, mais jamais jusqu’à présent, et jusqu’à ce jour, un de mes dessins n’a été refusé à cause de celui ou de ce que j’ai choisi de viser avec mon stylo », a déclaré Telnaes à propos de sa décision.

Plus tard ce mois-là, des centaines d’employés du Post ont écrit une lettre ouverte à Bezos, l’appelant à reconsidérer l’orientation du journal sous son leadership.

Les auteurs de la lettre déclarent :

Nous sommes extrêmement inquiets des récentes décisions de la direction, lesquelles ont conduit les lecteurs à s’interroger sur l’intégrité de notre institution, en rupture avec une tradition de transparence et qui ont provoqué le départ de certains de nos collègues les plus éminents, d’autres départs étant imminents.

La toute récente mesure de Bezos consistant à imposer les critères de publication pour la section Opinion du journal a suscité de nombreuses réactions négatives.

L’ancien secrétaire au Travail Robert Reich, un critique régulier de l’administration Trump, a noté que Bezos était l’un des trois milliardaires – les autres étant Elon Musk et Mark Zuckerberg – à se trouver tout à côté de Trump lors de son investiture le mois dernier, et qualifie le trio d’oligarques.

« Lorsque des milliardaires prennent le contrôle de nos canaux de communication, ce n’est pas une victoire pour la liberté d’expression. C’est une victoire pour leur baratin de milliardaires » a écrit Reich dans un message publié sur Substack. Lorsqu’ils parlent de « libertés individuelles et de marché libre », ils parlent de leur propre liberté de devenir encore plus riches et plus puissants, alors que le reste de l’Amérique est en train de sombrer dans une plus grande insécurité économique et une peur accrue.

Lyz Lenz, journaliste et directrice de la lettre d’information Men Yell at Me, a dénoncé la nouvelle politique de Bezos visant à promouvoir un capitalisme sans entraves.

« Dans les froids calculs du commerce, les droits des entreprises et des marchés prennent souvent le pas sur le droit humain à la vie », a déclaré Lyz Lenz, avant d’ajouter :

« Quand Bezos parle de libertés, il ne parle pas de notre droit à la vie, à la liberté et à ne pas suffoquer dans les gaz d’échappement de ses milliards. C’est de Jeff Bezos qu’il s’agit. Et s’il lisait son propre journal, il se rendrait compte que ce n’est pas la liberté des marchés qui a besoin d’une défense vigoureuse. Ce sont les libertés sur lesquelles notre pays est censé avoir été fondé. »

Martin Baron, ancien directeur exécutif du Post, a également fustigé les directives de Bezos.

« C’est de la lâcheté. Il a tout simplement peur de Trump, a déclaré Baron. Il a décidé qu’aussi ternes et timorés qu’aient été les éditoriaux, ils ont été trop sévères à l’égard de Trump. »

Baron a également noté que, même s’il n’a pas « vu de preuve qu’il intervienne dans les pages d’information, il est possible que Bezos s’en prenne ensuite à cette branche du journal, en restreignant la façon dont le Post pourra éventuellement couvrir les informations relatives à l’administration Trump. »

« Trump va être furax à cause des pages d’information, a déclaré Baron. Nous en sommes à un point où ce ne sont pas des divergences d’opinion qui nous opposent, mais des divergences sur les faits. »

*

Chris Walker est rédacteur à Truthout, il vit à Madison, dans le Wisconsin. Depuis le début des années 2000, il se concentre sur des sujets nationaux et locaux et a écrit des milliers d’articles analysant les questions d’actualité et leur impact sur le peuple américain. On peut le suivre sur la plupart des plateformes de médias sociaux sous le nom de @thatchriswalker

Source : Chris Walker, Truthout, 26-02-2025

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

John V. Doe // 19.03.2025 à 11h00

Chez nous aussi, les milliardaires qui sont propriétaires de 95% des médias sont d’opinions diverses : il y a ceux qui sont pour le libéralisme le plus sauvage, ceux qui sont pour le libéralisme le plus fascisant et celui qui est pour le libéralisme le plus fascisto-chrétien.

5 réactions et commentaires

  • Sylphe // 19.03.2025 à 09h14

    « Lorsque des milliardaires prennent le contrôle de nos canaux de communication, ce n’est pas une victoire pour la liberté d’expression « .
    Bin oui, tout à fait. Sauf que tous les médias sont possédés par des milliardaires, surtout chez nous en France, et que les États-Unis ont la chance d’avoir deux ou trois milliardaires d’opinion différente !

    • John V. Doe // 19.03.2025 à 11h00

      Chez nous aussi, les milliardaires qui sont propriétaires de 95% des médias sont d’opinions diverses : il y a ceux qui sont pour le libéralisme le plus sauvage, ceux qui sont pour le libéralisme le plus fascisant et celui qui est pour le libéralisme le plus fascisto-chrétien.

      • Morne Butor // 19.03.2025 à 16h11

        Nous entrons dans l’ère de la féodalité moderne où les milliardaires se partagent les biens communs des nations. Ils sont armés de leurs troupes de journalistes à l’information « bien orientée. » Les vassaux prêtent allégeance au milliardaire du moment qui s’est fait nommé roi du royaume. Et ce roi a de plus des envies d’empire.
        Tout va bien, bonnes gens, dormez tranquille et soyez de bon cerfs…

  • Dominique65 // 19.03.2025 à 09h21

    Heureusement, en France, les journaux n’appartiennent pas à des milliardaires et, dans une campagne, il ne viendrait à aucun d’eux l’idée de favoriser un ancien de chez Rothschild.

  • Antoine Block // 19.03.2025 à 16h30

    Nous sommes tous d’accord sur deux constats :
    – le mal est à peu près identique des deux côtés de l’Atlantique
    – les milliardaires perdent de l’argent (ce qui, en principe, devrait leur faire horreur) en achetant des médias, mais ils gagnent de l’influence.
    À partir de ce double constat, il y aurait une seule chose à faire, évidente : limiter -sinon interdire- la possibilité pour ces investisseurs d’acheter des médias. Si ce n’est pas fait, il y a un seul coupable (ou plutôt 577, le nombre de députés à l’Assemblée Nationale) : le législateur. Les députés sont pourtant censés représenter le peuple qui les ont élus et défendre ses intérêts (ce qui n’est pas le cas d’un milliardaire). Il y a un sérieux problème.

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