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11.juillet.202311.7.2023 // Les Crises

Quota de pollution : les compagnies pétrolières ont fait pression pour que la fumée des incendies ne soit pas comptabilisée

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En raison d’une exemption soutenue par les grandes compagnies pétrolières, les données fédérales sur la qualité de l’air ne tiendront pas compte de la fumée des incendies de forêt de cette semaine. L’exemption permet aux États d’ignorer la pollution due à des « événements exceptionnels », ce qui évite aux pollueurs de réduire leurs émissions pour compenser l’impact de la fumée.

Source : Jacobin, Rebecca Burns
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le soleil se lève derrière le One World Trade Center, tandis que la fumée des incendies de forêt au Canada recouvre Manhattan, à New York, le 8 juin 2023. (Eduardo Munoz Alvarez / Getty Images)

Soixante-quinze millions de personnes dans tout le pays ont été placées sous alerte concernant la qualité de l’air, alors que les journées où le ciel a été chargé de fumées ont fait grimper les niveaux de suie plus de dix fois au delà de ce que les régulateurs fédéraux considèrent comme étant sans danger pour la respiration.

Cependant, selon les données fédérales sur la qualité de l’air, c’est comme si ces journées n’avaient jamais eu lieu. En effet, une dérogation à la loi fédérale sur l’environnement, soutenue par les grandes compagnies pétrolières, permet aux États de ne pas tenir compte de la pollution due à des « événements exceptionnels » échappant à leur contrôle, notamment les incendies de forêt. Alors que les autorités chargées de la réglementation environnementale envisagent de sévir contre la pollution par la suie et les particules, les groupes industriels s’opposent également à ces réformes.

En vertu des règles actuelles, les États comme celui de New York, où les habitants ont été invités à rester chez eux, ne verront pas leurs niveaux de qualité de l’air « dangereux » pris en compte pour le respect du Clean Air Act [Le Clean Air Act se réfère, dans le monde anglophone, à une loi en matière de diminution du smog et de pollution de l’air en général, NdT], ce qui signifie, par exemple, que les sources d’émissions ne seront pas tenues de réduire d’autres rejets pour compenser la pollution par les fumées.

« Chaque moniteur de qualité de l’air, de New York à Washington, va exploser la limite», a déclaré Sanjay Narayan, avocat du programme de droit de l’environnement du Sierra Club. Mais au lieu de prendre en compte ces données dans les normes globales qu’elles doivent respecter, les municipalités diront : « C’est dû aux incendies de forêt, donc nous continuerons à faire comme d’habitude. »

Les groupes de défense de justice environnementale de villes comme Phoenix, Chicago et Detroit ont déjà accusé les États d’exploiter l’échappatoire que représentent les incendies de forêt pour éviter d’assainir l’air déjà dangereusement pollué, et ce, souvent au profit des pollueurs qui ont également contribué à faire modifier la loi sur la qualité de l’air (Clean Air Act) au milieu des années 2000.

Ces modifications permettent aux États de ne pas déclarer la pollution due à des phénomènes naturels tels que les tempêtes de poussière, réduisant ainsi la probabilité de déclencher des mesures de dépollution renforcées susceptibles d’avoir un impact sur les activités industrielles. En 2016, le principal groupe de pression de l’industrie pétrolière a même pris le parti, ce qui est rare, de se ranger du côté des régulateurs fédéraux de l’environnement dans le cadre d’une action en justice intentée par des groupes écologistes qui soutenaient que les régulateurs avaient illégalement étendu les exemptions de déclaration pour y d’inclure certaines pollutions d’origine humaine.

Faisant écho à leur campagne plus générale de déni climatique, les lobbyistes pétroliers ont affirmé qu’il était pratiquement impossible de faire la différence entre les « émissions purement naturelles » et celles liées à l’activité humaine, et que les régulateurs devraient donc considérer les incendies de forêt et autres événements similaires comme des « événements naturels ».

L’année dernière, un groupe d’experts scientifiques indépendants a adopté une position complètement inverse, remettant en question le fait que les régulateurs fédéraux puissent continuer de traiter les incendies de forêt comme des événements « exceptionnels », étant donné qu’ils sont désormais saisonniers.

« L’augmentation dramatique du nombre d’incendies de forêt au cours de la dernière décennie n’est pas quelque chose de naturel », a écrit le Comité consultatif scientifique sur la qualité de l’air dans ses recommandations de mars 2022, indiquant que dans les causes il fallait compter à la fois le changement climatique et les pratiques de gestion des terres. « Étant donné le risque d’effets néfastes importants sur la santé, il est peut-être temps de reconsidérer l’approche actuelle. »

Polluer la loi sur la qualité de l’air

Lorsque le Congrès a adopté la loi sur la qualité de l’air en 1970, ses partisans s’inquiétaient surtout de la pollution provenant de sources industrielles telles que les cheminées – des problèmes que les organismes de réglementation pouvaient localiser et réduire. En vertu de cette loi, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) fixe des normes de contrôle de la pollution que les États doivent s’efforcer de respecter et de maintenir. Les États sont également tenus de communiquer toutes les données relatives à la qualité de l’air qui sont inférieures à ces normes.

L’échappatoire pour les événements exceptionnels, qui a été codifiée dans les 2005 amendements à la loi sur la qualité de l’air, avait pour but d’éviter de pénaliser les États pour des événements qu’ils ne pouvaient contrôler. Par exemple, alors que la ville de New York souffre cette semaine de la pire qualité de l’air au monde, les régulateurs des États ne peuvent pas faire grand-chose pour arrêter les incendies de forêt au Canada.

À l’époque, les lobbyistes du secteur pétrolier ont salué cette initiative, encourageant l’EPA, dans ses commentaires réglementaires de 2006, à « élargir la définition des événements exceptionnels afin d’y inclure toutes les émissions et tous les événements qui échappent au contrôle » des États, et ils ont explicitement cité en exemple la pollution par les particules due aux incendies de forêt. Au fil du temps, l’agence fédérale a continué à élargir la définition, ce qui a permis aux États de bénéficier plus facilement de dérogations.

Bien que la pollution due aux incendies de forêt ne s’inscrive pas parfaitement dans le paradigme réglementaire existant, les groupes de défense de l’environnement affirment que les autorités de régulation ne peuvent pas se permettre pour autant d’ignorer cette pollution. Les habitants contraints de respirer un air chargé de suie ne se soucient pas de la source, et le fait d’effacer des rapports la pollution par les fumées ne permet pas de réparer les dommages que son accumulation peut à long terme causer au cœur et aux poumons.

Selon une étude récente du Centre national de recherche atmosphérique, les incendies saisonniers ont déjà réduit à néant des décennies de progrès en matière de qualité de l’air.

Selon certains experts de la science des incendies de forêt, le problème réside en partie dans un cadre qui peut pénaliser les États pour la fumée dégagée par les brûlages contrôlés qui contribuent à prévenir les incendies de forêt, tout en les exonérant des conflagrations plus importantes et plus dangereuses qui en résultent souvent.

Dans les commentaires publics sur les changements proposés à la règle des « événements exceptionnels » de l’EPA en 2016, un expert en science du feu a suggéré que l’agence adopte « une approche exactement opposée » pour réglementer la fumée des incendies de forêt.

« Les agences de réglementation de l’air des États devraient comptabiliser les émissions des feux de forêt », a écrit Scott Stephens, professeur de science des feux de forêt à l’Université de Californie à Berkeley, arguant qu’en procédant ainsi, cela « deviendrait un générateur de feux prescrits écologiquement appropriés. »

Le coût de l’inaction

L’EPA n’a pas intégré les suggestions des scientifiques spécialistes des incendies dans les modifications de 2016.

Mais cependant, l’agence a assoupli les normes générales pour ce qui pourrait être considéré comme un événement exceptionnel – une décision que l’American Petroleum Institute (API), le principal groupe de lobbying de l’industrie pétrolière et gazière, avait soutenue dans ses propres commentaires sur la réglementation.

Au cours des années précédentes, l’API avait fait pression, aux côtés d’Exxon, concernant une proposition de loi visant à assouplir les critères applicables aux États cherchant à obtenir des dérogations en matière de qualité de l’air à la suite de tels événements.

En 2016, des groupes de défense de l’environnement ont contesté cette règle plus souple devant un tribunal fédéral, estimant qu’elle créait une brèche trop importante pour certains types d’émissions d’origine humaine. En réponse, le lobby pétrolier a fait quelque chose d’inhabituel : il est intervenu en faveur de l’EPA.

Les avocats de l’API ont écrit dans un mémoire que l’annulation de la règle de l’agence obligerait les États à communiquer davantage de données montrant une mauvaise qualité de l’air, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les activités de ses membres. En d’autres termes, obliger les États à rendre compte plus exhaustivement de la pollution atmosphérique, même à partir de sources qu’ils ne contrôlent pas complètement, pourrait signifier une répression sur davantage de sources qui elles sont contrôlées.

Le tribunal a donné raison à l’EPA et aux lobbyistes pétroliers. Selon un rapport publié en mars par le Government Accountability Office, ces dernières années, les États ont eu de plus en plus recours aux dérogations relatives aux incendies de forêt pour respecter les normes de qualité de l’air qui leur sont imposées, alors même que la qualité de l’air s’est dégradée.

À plusieurs reprises, des associations locales de défense de l’environnement ont contesté la décision de l’agence fédérale consistant à approuver ces dérogations. En mars, un groupe de Détroit a contesté une dérogation pour événement exceptionnel accordée par l’EPA en raison de la mauvaise qualité de l’air enregistrée dans la ville l’année précédente. Les autorités de régulation de l’environnement de l’État ont affirmé que les relevés avaient été biaisés par la fumée d’incendies de forêt éloignés.

Mais dans une lettre adressée à l’EPA, le Great Lakes Environmental Law Center a déclaré que l’État cherchait plutôt « à retarder et à éviter d’utiliser sa responsabilité pour réduire la pollution par l’ozone dans la région de Détroit », région qui compte un taux d’asthmatiques anormalement élevé. L’agence fédérale a approuvé la dérogation de l’État en mai.

Les autorités fédérales chargées de la législation environnementale envisagent actuellement une mesure qui, selon les groupes de défense de la justice environnementale, pourrait contribuer à remédier à la dégradation rapide de la qualité de l’air, notamment en raison des incendies de forêt : le renforcement des normes relatives à la pollution par la suie et les particules. Les lobbies du pétrole et du gaz, de l’industrie minière et de l’industrie chimique s’opposent fermement à cette mesure.

Bien qu’il n’existe pas de solution réglementaire unique pour lutter contre les incendies de forêt, la brume inquiétante qui s’empare actuellement du ciel de vastes régions du pays devrait nous rappeler qu’il est urgent de s’attaquer à leurs causes sous-jacentes, a déclaré Narayan, du Sierra Club.

« C’est pourquoi il est essentiel que l’EPA impose une réglementation concernant les gaz à effet de serre dans le cadre de la loi sur la qualité de l’air (Clean Air Act) – c’est la raison d’être de cette loi, a-t-il déclaré. On entend beaucoup l’industrie se plaindre du coût des réductions en matière de gaz à effet de serre, mais cela doit nous rappeler que le coût de l’action est beaucoup moins élevé que le coût de l’inaction. »

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Contributrice

Rebecca Burns est reporter à the Lever.

Source : Jacobin, Rebecca Burns, 10-06-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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Commentaire recommandé

Bouddha Vert // 12.07.2023 à 00h16

Tout va très bien Madame la Marquise!
Le château brûle, mais le bois de charpente provient du village voisin, donc tout va bien, non?

A force de tout décorréler, de fermer les yeux, les oreilles on va finir par rendre l’obscurantisme désirable, « viva la muerte ».

5 réactions et commentaires

  • cedivan // 11.07.2023 à 11h52

    Intuitivement, c’est assez scandaleux. Tout le monde doit contribuer à lutter contre la pollution atmosphérique, c’est assez clair. Mais il ne faudrait pas non plus que les entreprises privées payent pour l’incurie des pouvoirs publics. Ce n’est peut-être pas le cas ici, je ne sais pas si l’Etat canadien a été mauvais dans la prévention/gestion des incendies, mais combien de fois les Etats se permettent des comportements qu’ils font ensuite supporter par le privé ?….

      +5

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    • RGT // 19.07.2023 à 17h05

      Petite question : Combien de fois les entreprises privées ont-elles réussi à faire payer les dégâts qu’elles ont généré par l’état donc au final par le con-tribuable ?

      Si les « investisseurs » (qui détiennent réellement le pouvoir dans les entreprises) avaient une vision à long terme au lieu de ne se préoccuper que du profit maximal à très court terme la situation de l’ensemble de l’humanité serait sans doute bien différente.

      Sans compter le fait que les « catastrophes naturelles » sont bien souvent la conséquence directe des activités humaines les plus rémunératrices, le cas des feux de forêt causés par le dérèglement climatique en est un bel exemple.
      Certes, il y avait bien des incendies de forêt avant l’arrivée de l’homme sur terre, mais depuis l’avènement de l’économie basée sur les combustibles fossiles carbonés ils ont connu une croissance exponentielle jamais vue sur cette planète.

      Pour mémoire, les extinctions de masse se sont en fait déroulées sur des centaines de milliers d’années, voire des millions d’années…
      L’anthropocène fait la même chose mais 1000 à 10 000 fois plus vite… heurtez un mur à 1 km/h, vous aurez dans le pire des cas un petit hématome… Heurtez le même mur à 1000 km/h et je doute que vous surviviez à l’expérience..

        +1

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  • Bouddha Vert // 12.07.2023 à 00h16

    Tout va très bien Madame la Marquise!
    Le château brûle, mais le bois de charpente provient du village voisin, donc tout va bien, non?

    A force de tout décorréler, de fermer les yeux, les oreilles on va finir par rendre l’obscurantisme désirable, « viva la muerte ».

      +6

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  • La main du Kremlin // 12.07.2023 à 08h47

    Tout cela est bel et beau
    Mais je suppose que ce sont des scientifiques qui comptabilisent la pseudo réduction des gaz a effet de serre pour arriver au pseudo objectif de 2030
    Donc a la fin toutes les émissions seront bien prises en compte , il ne vont pas trier les bons et les mauvais bobards

      +3

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  • BA // 13.07.2023 à 17h07

    Climat : sur la terre comme en mer, le monde a connu la semaine la plus chaude jamais enregistrée.

    L’Organisation météorologique mondiale craint des « effets potentiellement dévastateurs sur les écosystèmes et l’environnement » .

    https://www.20minutes.fr/planete/rechauffement-climatique/4045056-20230710-climat-terre-comme-mer-monde-connu-semaine-plus-chaude-jamais-enregistree

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