Leur concurrence féroce pour le pouvoir économique dans la région pourrait en fait faciliter la retraite des États-Unis.
Source : Responsible Statecraft, Annelle Sheline
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
De multiples failles se sont récemment ouvertes dans la relation entre l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis. Les Émirats Arabes Unis résistent aux efforts de l’Arabie saoudite et de la Russie qui tentent de convaincre les membres de l’OPEP+ [en 2016, les 13 membres historiques de l’OPEP se sont alliés à 10 pays non membres, NdT] de continuer à restreindre la production de pétrole.
Parallèlement, l’Arabie saoudite ne considérera plus les biens produits dans les zones franches [les zones franches permettent aux investisseurs étrangers de s’implanter aux EAU tout en étant exonérés de droits de douane à l’importation comme à l’exportation, NdT] comme étant « fabriqués localement », une décision qui soumettra de nombreux produits émiratis à des droits de douane.
Et ce n’est pas tout : L’Arabie saoudite a suspendu ses vols vers les Émirats Arabes Unis (EAU) en raison des inquiétudes suscitées par le variant Delta du COVID-19, ce que les Émirats ont fait à leur tour. En avril, l’Arabie saoudite a annoncé que d’ici 2024, elle cesserait de faire des affaires avec toute entreprise qui ne baserait pas son siège régional dans le royaume, une politique qui obligera vraisemblablement de nombreuses multinationales à se délocaliser des EAU vers l’Arabie saoudite.
Cette dernière a récemment annoncé un investissement de 133 milliards de dollars pour devenir un pôle régional de transport et de logistique, dans le but de remplacer Dubaï et Abu Dhabi (ainsi que Doha). Les Saoudiens ont l’intention de lancer une nouvelle compagnie aérienne qui rivalisera avec d’autres transporteurs du Golfe comme Etihad, Emirates et Qatar Airways pour les clients internationaux.
Considérés dans leur ensemble, ces gestes indiquent des tensions accrues entre les deux pays, et en particulier entre leurs puissants princes héritiers, Mohammed ben Salman (MBS) d’Arabie saoudite et Mohammed ben Zayed al-Nahyan (MBZ) d’Abu Dhabi. Sous l’administration américaine précédente, les princes s’étaient étroitement associés l’un à l’autre et à l’équipe de Trump sur des questions allant du blocus du Qatar en 2017, aux accords d’Abraham en 2020.
[les accords d’Abraham sont deux traités de paix conclus par Israël avec les EAU d’une part et avec Bahreïn d’autre part, NdT] MBZ a été décrit comme un mentor pour MBS, malgré le contraste entre l’habileté du roi émirati à cultiver l’image des EAU et les décisions politiques irréfléchies et souvent horribles du Saoudien qui ont sapé son désir de redorer l’image de son royaume. Pourtant, malgré leur proximité de départ, la rivalité entre les deux pays n’est pas surprenante : MBS considère l’Arabie saoudite comme la puissance dominante légitime de la région et cherche à s’emparer de la position de pôle économique, logistique et touristique jusqu’alors occupée par les EAU.
Sous l’administration Trump, les Saoudiens et les Émiratis se sont coordonnés pour contraindre les États-Unis à s’impliquer davantage dans la région, en réaction aux efforts d’Obama pour négocier un traité nucléaire avec l’Iran et pivoter vers l’Asie. Trump et son équipe ont obtempéré, abandonnant l’accord nucléaire d’Obama et adoptant une position de pression maximale, entraînant les États-Unis à deux doigts d’une guerre avec l`Iran. L’administration Biden cherche quant à elle à réintégrer l’accord nucléaire et semble déterminée à enfin détourner l’attention des États-Unis du Moyen-Orient et de l’Afghanistan.
La course saoudo-émiratie pour les retombées économiques pourrait être de bon augure pour l’objectif de Biden de réduire l’implication des États-Unis dans la région. Si l’Arabie saoudite et les EAU cherchent avant tout à se faire mutuellement concurrence, ils préféreront tous deux favoriser la stabilité régionale afin d’encourager les investissements, ce qui pourrait potentiellement freiner les velléités de se comporter de manière agressive l’un envers l’autre ou envers leurs voisins.
L’Arabie saoudite, en particulier, doit canaliser les capitaux vers l’ambitieux projet Vision 2030 de MBS, par le biais duquel il a promis de diversifier l’économie, de créer davantage d’emplois et d’assurer la prospérité de tous ses citoyens. Pourtant, à l’heure actuelle, l’Arabie saoudite reste embourbée au Yémen, un conflit qui menace d’exiger des ressources encore plus importantes alors que l’incapacité des Saoudiens à neutraliser les Houthis devient de plus en plus flagrante. Espérons que MBS ait compris que les guerres sont souvent plus coûteuses et plus longues que prévues, et qu’il fasse preuve de plus de retenue à l’avenir. En attendant, MBZ est trop rusé pour essayer de gagner un bras de fer avec l’Arabie saoudite dont la puissance économique est plus importante – 700 milliards contre 421 milliards de dollars de PIB – il lui faudra partir à la recherche d’autres sources de revenus.
Pourtant, d’une manière générale, c’est MBS qui est confronté à la tâche la plus difficile : selon l’enquête « Ease of Doing Business » [Facilité des affaires, NdT] de la Banque Mondiale sur les réglementations en vigueur dans 190 pays, les EAU se classent au 16e rang, tandis que l’Arabie saoudite occupe le 62e rang. L’économie saoudienne doit être entièrement transformée pour attirer le niveau d’investissement nécessaire à l’emploi de sa population jeune et croissante. Avec plus de 20 millions d’habitants, les citoyens saoudiens sont nettement plus nombreux que les citoyens des EAU, dont le nombre s’élève à environ 1 million (les deux pays comptent d’importantes populations de travailleurs expatriés, ce qui fait que le nombre total de résidents est supérieur à celui des nationaux).
Le PIB par habitant en Arabie Saoudite est d’environ 20 000 dollars, contre 43 000 dollars dans les Émirats. Avec une population plus importante et moins de richesses par habitant, MBS ne peut pas se permettre d’acheter la quiétude de ses citoyens. Comme l’ont démontré les Accords d’Abraham, la crainte d’une opposition publique ne constitue pas un frein pour MBZ, alors que l’Arabie Saoudite a finalement décidé de ne pas risquer le retour de bâton qui aurait suivi la normalisation des relations avec Israël.
Les EAU ont pu se sentir déçus par la réticence des Saoudiens à leur emboîter le pas sur les accords d’Abraham, d’autant plus que Jared Kushner croyait apparemment pouvoir faire suivre les Saoudiens. MBS doit sa relation étroite avec l’équipe Trump, et plus précisément avec Jared Kushner, à l’introduction de MBZ. Mais finalement, avec un nouveau président à la Maison Blanche, MBZ pourrait trouver plus utile d’être la seule puissance du Golfe à avoir normalisé ses rapports avec Israël, ce qui sera vu d’un bon oeil par les États-Unis, et pourrait apporter aux Emirats un accès à des technologies militaires et de surveillance avancées.
À court terme, la rivalité entre les EAU et l’Arabie saoudite pourrait contribuer à maintenir l’attention des deux princes dirigeants sur les préoccupations économiques. En effet, MBS a fondé sa légitimité sur le respect de ses promesses à la jeune génération de Saoudiens éduqués à l’étranger, une transition qui l’obligera à donner la priorité à la diversification économique en dehors du pétrole. Pour MBS, la concurrence avec les EAU est donc susceptible de prendre de plus en plus d’importance, l’Arabie saoudite cherchant à remplacer le rôle des EAU en tant que capitale régionale du cosmopolitisme, des opportunités et du glamour. À moyen terme, si MBS ne parvient pas à tenir ses promesses, l’Arabie saoudite pourrait devenir de plus en plus instable.
Et à court, moyen et long terme, les EAU et l’Arabie saoudite desservent les intérêts mondiaux en continuant à lier leur fortune à la combustion de combustibles fossiles, même si, dans une certaine mesure, il semblerait qu’Abu Dhabi prenne conscience de l’évolution des réalités. En dépit des violations flagrantes et récurrentes des droits de l’homme dans ces deux pays, l’administration Biden devrait encourager les efforts de chacun d’entre eux pour s’affranchir du pétrole.
Source : Responsible Statecraft, Annelle Sheline, 08-07-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.
Commentaire recommandé
Deux satrapes orientaux sur la photo. Ces gens là sont tellement dégueulasses dans l’âme et dans leurs actes que l’on espère ardemment vu les horreurs infligées aux yéménites, que les Houthis les fassent tomber de leur piédestal.
Nb: 35 millions d’habitants en Arabie Saoudite et 10 millions aux E.A.U. Donc vu le nombre de nationaux annoncés par l’article, cela fait 15 millions « de pauvres hères (pour ne pas dire esclaves) tarifés » en A.S et 9 millions aux E.A.U.
10 réactions et commentaires
Deux satrapes orientaux sur la photo. Ces gens là sont tellement dégueulasses dans l’âme et dans leurs actes que l’on espère ardemment vu les horreurs infligées aux yéménites, que les Houthis les fassent tomber de leur piédestal.
Nb: 35 millions d’habitants en Arabie Saoudite et 10 millions aux E.A.U. Donc vu le nombre de nationaux annoncés par l’article, cela fait 15 millions « de pauvres hères (pour ne pas dire esclaves) tarifés » en A.S et 9 millions aux E.A.U.
+13
AlerterBen mon vieux! Elle en a des choses à apprendre sur le MO, Mme Sheline. Et pas qu’un peu. C’est un peu le problème des journalistes occidentaux qui « analysent » le MO en général. Et la comédie de celui qui a la plus impressionnante que jouent émirats et Arabie semble produire ses effets sur les très « rationnels » statecraftiens. Allez les gars encore quelque dizaines d’années d’observation et vous pourrez, peut être, appréhender la complexités des relations entre tous ceux que le monsieur ci dessus appelle satrapes. ( au demeurant les satrapies c’était dans l’empire perse).
+0
AlerterÉclaire-nous s’il te plaît. Tu dois bien pouvoir nous fournir un lien vers une de tes analyses. Merci d’avance.
Sinon, j’ai été surpris d’apprendre que c’est la péninsule arabique qui a poussé Trump à rompre les engagements envers l’Iran. Je pensais jusque là qu’Israël y était pour quelque chose.
+2
AlerterPas facile. Je suis de là bas. J’y ai grandi et y retourne régulièrement. C’est une vie d’expérience qui parle et surtout la connaissance des habitants. Vous savez ils font comme vous et moi. Ils ont leurs rêves et leurs cauchemars. Être du MO ne fait pas de vous un alien. Essayez de lire les journaux de langue anglaise ou française de la bas. Il en existe de nombreux. Très courageux. Qui ont payé le prix du sang. Écouter de temps en temps Al Jazeera ou Al arabiyya en anglais ce n’est pas mal non plus. Vous ne comprenez pas l’arabe je suppose mais c’est juste un inconvénient pas un obstacle insurmontable. Juste un rappel. Jusqu’à 1920, ces pays n’existaient pas. C’était l’empire ottoman. On leur demande de faire en un siècle ce que nous avons mis des centaines d’années à faire. Et on les juge à travers des critères purement occidentaux et j’insiste très récents. Les pays arabes du MO méritent un autre regard. Celui qu’un être humain doit porter sur d’autres etres humains. Je m’emploie à vous écrire avec quelques références qui montrent le chemin. Bien à vous. J’ajoute pour terminer une petite blague courte. C’est un juif qui parle à un autre arabe. Ou c’est un arabe qui parle à un autre juif. Ça marche dans les deux sens.
+2
AlerterVous êtes au courant que les mots ont plusieurs définitions possibles ?
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/satrape/71096
Quant au ton familier et à la suffisance, vous en tenez une sacré, de couche.
Bonne journée à vous Mr Gedeon.
+6
AlerterCet article me titille.au delà de l’analyse assez,comment dire,convenue,j’y décèle un grand mépris pour les gens du golfe. le regard du « supérieur » sur l »l’inférieur ». [modéré] Et au nom de quoi ou de qui et pourquoi l’Arabie saoudite n’aurait elle pas le droit ,la possibilités et les compétences pour créer un nouveau modèle économique? et partant,social? Par quel extraordinaire réduction « ces gens là » ne pourraient pas trouver leur chemin? Et pour quelle raison leurs guerres eraient hors la loi quand le continet européen s’est déchiré trois fois en 80 ans dans des boucheries innomables? Il serait peut-être temps d’avoir une vision différente de cette partie du monde,et moins de mépris pour ses dirigeants,en général. Pour ce qui est plus sépcifiquement de la guerre au Yémen et du yémen,les opinions sont tellement prédigerées qu’elles traduisent une ignorance complète de la situation. Au yémen,tout le monde se bat contre tout le monde,en ce moment.Et les houthis ne valent pas mieux que les autres.
+1
AlerterC’est incontestable qu’en matière de « possibilités et compétences pour créer un nouveau modèle économique et partant social », l’Arabie saoudite et les émirats se posent un peu là : ils n’ont pas leur pareil pour faire trimer comme des esclaves les pauvres du tiers monde dont les rangs sont décimés tant les conditions de travail sont moyenâgeuses.
De même concernant les femmes pour qui, c’est pas demain la veille qu’elles pourront accéder à l’autonomie, l’indépendance et la liberté. Itou pour les journalistes contestataires massacrés à la tronçonneuse n’importe où dans le monde par les barbouzes du royaume.
Enfin, grâce à l’achat d’armements notamment français, l’AS peut tranquillement écraser sous les bombes la rébellion au Yémen avec les inévitables dégâts collatéraux sur les populations civiles.
Pas de doute, nous avons bien à faire à un modèle de civilisation qu’il serait injuste de critiquer et qu’il faudrait au contraire promouvoir…
+6
AlerterEt là , d’aucuns vont s’apercevoir que dans des pays ou ils fait 50°, ou il n’y a ni eau douce , ni réseau hydrique, aucune matière première à part du pétrole, une infra qui supporte pas l’industrie (à part l’industrie du pétrole mais on transporte pas des légumes ou des télés pas oléoduc) et quasi aucun savoir faire local exportable … c’est compliqué.
J’espère que vous êtes prêts à les accueillir ceux là , ils vont plus trop tarder à venir migrer … on va être super contents de récupérer des docteurs en études coraniques , c’est une profession tellement utile à la France et on en manquait depuis que les nôtres ont crevé le parquet en 2015.
+2
Alerterexcellent … mais ils seront une chance pour la France … leurs cultures , leurs mœurs , leurs traditions …etc … seront un enrichissement pour notre pays … qui avouent le , n’a rien de rien … ni culture , ni tradition , ni fête , ni langues , ni spécialité cuisinière … rien comme le dit si bien nos hommes politiques , nos journalistes … a vivement qu’ils nous enrichissement … après avoir enrichis tout les politiques , industrielle … tous les corrompus du pouvoir …
vivement de vivre dans cette société multiculturelle avec un respect l’un de l’autre … vive la société bisousnours …
+0
AlerterPersonnellement, les immigres qui me gonflent le plus, c’est ces parasites qui viennent de milliardaisie … Arnault, Bettencourt, Drahi, vous voyez la racaille, ils nous imposent leurs lois, leurs interets, leurs valeurs … ils possedent nos journaux, nos chaines de tele …
Ils ne sont ni noirs ni bleus ni verts
Ils sont tres, tres, tres etrangers pour 99,9% d’entre nous, un autre monde.
Ils roulent pour leur classe et pour leur gueule.
Qui dit mieux ?
+1
AlerterLes commentaires sont fermés.