Lorsque j’écrivis mon ouvrage La Démondialisation, ouvrage qui fut publié en 2011 aux éditions du Seuil, il était déjà nettement possible de percevoir les signes d’une crise de la mondialisation, et même de l’amorce d’un processus de démondialisation. Le constat minimal que l’on peut tirer des dix dernières années est que cette mondialisation, ou globalisation, s’est fort mal passée, et qu’elle a engendrée de profondes et puissantes forces de contestation. Nous percevons mieux aujourd’hui ce qui était en fait évident depuis le début : ce processus est contradictoire à l’existence même de la démocratie. Ce qui frappe aujourd’hui est que ces pathologies politiques ont atteint un point de rupture dans le pays qui se présentait comme le cœur même du processus de mondialisation, les Etats-Unis[1].
Que l’on regarde les questions sociales, les questions écologiques ou les questions directement économiques, les signes d’un épuisement du processus, mais aussi d’une remise en cause de ce dernier s’accumulaient. Le retour au premier rang des nations comme acteurs politiques était évident[2]. Différents événements, allant du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (le « Brexit ») à l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, en passant par les réactions devant les tentatives de ces mêmes Etats-Unis de construire leur droit en législation extraterritoriale et la montée d’un euroscepticisme aujourd’hui très prégnant dans les pays de l’Union européenne sont venus confirmer l’analyse.
Alors, on parle aujourd’hui de risques de guerre à l’échelle mondiale. Et il est vrai que les tensions géopolitiques se sont accrues. Mais, il faut le savoir, la « mondialisation » n’a jamais interrompu les guerres. Ces dernières années, que ce soit dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, la « mondialisation » s’est accompagnée de conflits violents, certains mettant en présence des armées régulières et d’autres faisant intervenir des forces dites « irrégulières ». Certains de ces conflits armés ont même été précipités, voire encouragés, par ce que l’on appelle la « mondialisation ». Les intérêts des grandes entreprises et des Etats, la volonté dans certains cas de s’assurer un monopole de ressources (sur le pétrole mais aussi sur les terres rares[3]) pour utiliser ce dit monopole dans le cadre d’un commerce « mondialisé » ont précipité des millions et des millions des femmes d’hommes et d’enfants dans les horreurs des guerres et des guerres civiles[4]. Le fait justement que le commerce soit « mondialisé » induit un nouveau degré dans la concurrence mais implique aussi de nouveaux espoirs de profits. Ces deux éléments jouent bien souvent un rôle décisif dans la décision d’entrer en conflit armé ou de susciter, en exploitant telle ou telle revendication ce conflit armé. En 2011 déjà, j’écrivais que le navire marchand fut en permanence précédé du navire de guerre. Rien de plus vrai à cet égard.
Cela devrait nous faire comprendre que nous vivons une période dangereuse car, à l’ordre glacé de la « Guerre Froide » n’a succédé aucun système stable organisant les relations entre les nations. Et, si le « mondialisation » a pu initialement bénéficier de la fin de la « Guerre Froide », de la chute du mur de Berlin et de la dissolution de l’Union soviétique, l’incapacité des uns à construire une réelle hégémonie et l’inaptitude des autres à mettre en place des structures de coordination efficaces est en train d’entraîner un recul accéléré de ce que l’on appelle la « mondialisation ». Les événements survenus depuis 2011 ont donc apporté une forme de confirmation aux thèses de mon livre. Le processus de démondialisation, dont on pouvait voir émerger les premiers signes dans le courant des années 2000, s’est bien radicalement accéléré. Il est probablement devenu irréversible, du moins pour la période historique dans laquelle nous sommes entrés.
La démondialisation est-elle un concept ?
Mais, qu’appelle-t-on aujourd’hui « démondialisation » ? Certains confondent ce terme avec une interruption volontaire ou fortuite des flux d’échanges qui courent tout à travers la planète. Ils confondent ainsi un protectionnisme, qui peut être amplement justifié dans la théorie économique, et la pratique de l’autarcie qui, elle, bien souvent est annonciatrice de guerres. Ils se trompent aussi sur la nature du lien qui lie la croissance du PIB à l’échelle mondiale est le volume des échanges. Rappelons ici que c’est la croissance du PIB qui tire les échanges et non les échanges qui tirent le PIB. Mais, surtout, ils oublient que ces échanges, échanges de biens, de services, mais aussi échanges culturels voire échanges financiers, sont bien plus ancien que le phénomène nommé « mondialisation » ou « globalisation ». Car la « mondialisation » pour ne garder que ce seul mot, ne se réduit pas à l’existence de ces flux.
Ce qui avait fait émerger le phénomène de la mondialisation et l’avait constitué en « fait social » généralisé était un double mouvement. Il y avait à la fois la combinaison, et l’intrication, des flux de marchandises et des flux financiers ET le développement d’une forme de gouvernement (ou de gouvernance) où l’économique semblait l’emporter sur le politique, les entreprises sur les Etats, les normes et les règles sur la politique. Or, sur ce point, nous ne pouvons que constater une reprise en mains par les Etats de ces flux, un retour victorieux du politique. Ce mouvement s’appelle le retour de la souveraineté des Etats. Or, la souveraineté est indispensable à la démocratie[5]. Nous avons des exemples d’Etats qui sont souverains mais qui ne sont pas démocratiques, mais nulle part on a vu un Etat qui était démocratique mais n’était pas souverain.
Cette reprise en main, et ce fait est nouveau par rapport au début des années 2010, s’accompagne aussi d’une insurrection des peuples contre les effets de la « mondialisation ». Cette insurrection peut prendre des formes très diverses. Elle est essentiellement électorale aux Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump ou en Grande-Bretagne et en Italie. Elle se joue dans la rue, sur les ronds-points, en France, comme on l’a vu avec le mouvement des Gilets Jaunes. Ce qui se produit cependant à chaque fois c’est bien la révolte d’une population qui a été paupérisée par le « mondialisation », un phénomène qui avait été analysé il y a plus de dix ans[6], et qui se sent aussi humiliée et dépossédée par ce processus de sa capacité à décider de sa vie. On a beaucoup dit, et avec raison, que le mouvement des Gilets Jaunes correspondait à une révolte de la France périphérique, un concept popularisé par un géographe, Christophe Guilluy[7]. Mais, et ce point en dit long sur la profondeur de ce mouvement, il a aussi lancé des passerelles vers d’autres catégories sociales qui, tout comme cette France périphérique, souffrent de la mondialisation. En France, il est très instructif de voir comment les revendications des Gilets Jaunes ont ainsi évoluées d’une révolte antifiscale au départ à une remise en cause de l’injustice fiscale, puis à une remise en cause de la structure économique qui maintient les salaires et les revenus de la majorité au plus bas, et enfin à une remise en cause du cadre politique avec des revendication comme celle du référendum d’initiative citoyenne voir avec la demande de démission du Président de la République.
Alors, disons-le, la démondialisation ce sera le grand retour du politique sur le « technique », de la décision sur l’automaticité des normes. Or, le « technique » s’incarne aujourd’hui principalement dans l’économique et le financier. La démondialisation est donc fondamentalement le retour de la souveraineté. Être souverain, c’est avoir la capacité de décider[8], ce que Carl Schmitt exprime aussi dans la forme « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle »[9]. Sur cette question de la souveraineté il ne faudra donc pas hésiter à se confronter, et pour cela à lire, à Carl Schmitt[10] si l’on veut espérer avoir une intelligence du futur. Car, la question du rapport de la décision politique aux règles et aux normes, et donc la question de la délimitation de l’espace régi par la politique et de celui régi par la technique, est bien constitutive du débat sur la souveraineté[11].
Non que les raisonnements économiques et financiers soient amenés à perdre toute importance. Ils continueront certainement de devoir être pris en compte et la question de la puissance économique, tout comme celle de la souveraineté monétaire, sera à l’évidence une part importante de la puissance d’un Etat. Non qu’il n’existe non plus, dans nos sociétés, des espaces régis par l’ordre technique, ou du moins des espaces dominés par la légitimité technicienne. Mais, ces dimensions deviendront désormais secondes par rapport au politique, qui recouvrera ses droits. L’économique et le financier redeviendront des instruments au service du politique. Et, avec ce retour en force du politique, nous pourrons avoir celui de la démocratie, d’un ordre qui tire sa légitimité non du marché mais du peuple, qui est mis au service des intérêts du peuple, et qui se matérialise dans le pouvoir du peuple. La phrase de Lincoln[12], prononcée dans sa célèbre Adresse de Gettysburg le 19 novembre 1863 qui commémorait l’une des plus terribles bataille de la guerre de Sécession[13], « Du peuple, pour le peuple, par le peuple » va retrouver tout son sens. La démondialisation, doit donc être comprise comme le retour de la souveraineté, celle des Nations bien sûr que l’on avait analysée dans un ouvrage de 2008[14], mais une souveraineté qui prend la forme en démocratie de la souveraineté du peuple. Bien sûr, ce retour de la souveraineté ne garantit pas celui de la démocratie. On l’a dit, il est des Etats souverains qui ne sont pas démocratiques. Mais, la souveraineté permet la démocratie, car il faut se souvenir qu’il ne peut y avoir de régime démocratique qui ne soit pas souverain et qui ne reconnaisse pas la souveraineté du peuple. Et c’est pourquoi la démondialisation doit être regardée comme une chose positive, car elle implique cette réaffirmation de la souveraineté qui rend possible la démocratie et elle détermine alors le contexte des futurs combats politiques.
I. Prendre acte des changements
Pour mesurer ce qui sépare le contexte actuel de celui dans lequel la première édition de La Démondialisation avait été initialement écrite, il convient de revenir sur des événements marquants qui ont montré le recul de la mondialisation ou de la globalisation. Ces événements ont pu s’étaler sur une période assez longue. Il en va ainsi de la paralysie qui a gagné l’OMC et le « Cycle de Doha » au début des années 2010, et dont déjà on pouvait rendre compte dans l’édition originelle de l’ouvrage. D’autres de ces événements se sont produits sur un laps de temps plus court. On peut considérer que la période qui va de 2016 à 2018 a été à cet égard particulièrement fertile en ces événements. Nous avons eu, bien entendu, le Brexit, qui reste un ébranlement majeur dans la zone de l’union européenne. Donald Trump a, quant à lui, signifié la fin des accords de libre-échange discutés depuis plusieurs années, comme le TAFTA[15], et a renégocié le traité avec le Canada et le Mexique (ALENA)[16].
La démondialisation dans les faits économiques
Le processus de démondialisation s’est donc accéléré depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Il a été marqué par la stabilisation puis la baisse de la part des échanges mesurés en pourcentage du PIB mondial.
Ce mouvement est lié au flux des exportations mondiales (et à l’échelle du monde, toute exportation et aussi une importation, ce qui fait que le montant global des exportations est aussi le volume du commerce mondial). Ce mouvement ne pouvait être encore perçu dans les années 2010-2011. Le montant des exportations est ainsi passé de 6,1 trillions de dollars américains à 16,1 trillions de 2001 à 2008 soit une augmentation de 2,6 fois. Mais de 2008 à 2017, ce montant est passé de 16,1 à 17,7 trillions, soit une augmentation de seulement 10%, inférieure de fait à celle du PIB mondial. Le ressort semble donc cassé. Le point qui est ici intéressant est bien la baisse du pourcentage de ces exportations mondiales rapportées au Produit Intérieur Brut mondial. Cela indique clairement que le poids du commerce international dans la richesse mondial est lui-même en train de baisser.
Graphique 1
Source : UNCTAD, Handbook of Statistics 2018 – International merchandise trade,
En contrepartie, cela nous dit aussi qu’une part croissante de la richesse est produite en réalité pour alimenter les marchés intérieurs des divers pays. Autrement formulé, l’impact quantitatif de la « mondialisation » est en train de régresser depuis plusieurs années. Ce mouvement se retrouve d’ailleurs quand on regarde les évolutions de l’indice d’ouverture des différents groupes de pays. Après avoir augmenté de 2006 à 2011 il baisse de manière parfois assez considérable de 2011 à 2016. Il est donc clair que la démondialisation ne correspond pas à une représentation mais bien à des faits.
Graphique 2
Source : FMI (base de données)
Mais, ce qui a rendu évident ce tournant, dont on peut penser qu’il s’est en réalité produit avec la crise de 2007 à 2009 que l’on a surnommé la « crise des subprimes », a été deux événements politiques majeurs. Le Brexit et l’élection de Trump ont démontré que des changements importants étaient en cours.
Madame Theresa May, la Première-ministre britannique, ne faisait pas partie du groupe des partisans du Brexit. Devenue Première-ministre elle a décidé d’assumer ce dernier pour des raisons de respect de la démocratie. Madame May affirme dans le même temps la nécessité de réindustrialiser le Royaume-Uni. Voilà qui est nouveau, en particulier en Grande-Bretagne. La politique qu’elle propose tourne le dos en réalité à plus de trente années de politique néo-libérale au Royaume-Uni. Donald Trump quant à lui n’hésite pas, même si ses méthodes peuvent en surprendre plus d’un. Nous avons ainsi eu l’épisode de la politique-twitter, où les décisions étaient annoncées sur les réseaux sociaux, et qui avait vu les grandes entreprises américaines se ranger à certaines de ses idées. En 2018, il a entamé un bras de fer avec la Chine dans l’espoir de rééquilibrer les échanges entre les deux pays[17]. Ne nous y trompons pas. Derrière les rodomontades, derrière le slogan de la campagne de 2016 « Make America Great Again », il y a la compréhension qu’un équilibre doit être trouvé entre les Etats-Unis et la Chine. La négociation entre les deux pays est appelée à être longue parce qu’elle ne porte pas simplement sur des données commerciales mais aussi sur des enjeux géostratégiques.
Graphique 3
Source : UNCTAD Handbook of Statistics 2017, Annex 6.4.
Dans cette négociation, les Etats-Unis comme la Chine font et feront étalage de leurs forces, de leurs capacités de nuisance et de rétorsions réciproques. Il ne faut pourtant avoir aucun doute ; on arrivera bien à un accord, et cet accord aura des répercussions considérables sur les équilibres mondiaux. Dans le même temps, Donald Trump a remis en cause toute une série d’accords de libre-échange internationaux. Il a lancé des mesures protectionnistes visant les voitures allemandes, mais il a aussi sanctionné le Canada et le Mexique, et obtenu une renégociation du traité de libre-échange qui unit ces trois pays, le TAFTA. Bref, il semble bien que cela en soit fini du dogme du libre-échange[18]. Et à cela, il y a une raison. Le Secrétaire d’Etat américain au Trésor, M. Wilbur Ross a déclaré que la sécurité économique était une forme de la sécurité militaire[19]. Ce n’est pas faux. Et cette déclaration symbolise parfaitement le retour du politique qui est le signe de la démondialisation.
La faillite du G-7 et l’échec de la réunion de la Malbaie en juin 2018
Dans ce contexte, le jeu des Etats-Unis, jeu qui a décontenancé ses alliés et surpris tant par sa méthode que par ses objectifs, doit être expliqué. Si Donald Trump prend en effet le risque de dresser contre lui ses anciens alliés, comme il l’a fait en provoquant la crise du G-7 en juin 2018, c’est parce qu’il a fait un choix : celui de considérer des forums mondiaux comme le G7 comme dépourvus de toute légitimité et celui d’obtenir de la Chine un accord général aboutissant à une forme de partage du monde. Il est faux de dire que Donald Trump est irréfléchi et n’a pas de stratégie[20]. Ce discours, que l’on entend en boucle dans la presse française, est d’une rare stupidité.
Trump a une vision et une stratégie, même si ses méthodes doivent plus au monde des affaires dont il est issu qu’au lambris dorés et aux moquettes feutrées de la diplomatie traditionnelle. Il convient de la comprendre, sans nécessairement l’approuver, pour imaginer ses répercussions sur les relations internationales et peut-être aussi pour s’y opposer. Mais, la réalité s’impose. Nous voici donc revenus à la problématique de Yalta. Ce partage du monde se fera très vraisemblablement sans les européens, qui restent fidèles, et ce jusqu’à la caricature, à l’idéologie de la « mondialisation » et qui payent, aussi, la foi mal placée qu’ils ont mis dans des institutions tant obsolètes que dangereuses, l’UE et l’Euro figurant ici en bonne place[21]. De ce point de vue, il convient de souligner les aspects extrêmement néfastes de la domination allemande sur l’Union européenne. La politique de l’Allemagne est en train de détruire l’Union européenne, et avec elle l’idée d’une coopération européenne[22], ainsi que l’on a pu le voir dans les tensions qui ont émergé entre la France et l’Italie mais aussi entre l’Italie, la Pologne et la Hongrie et la France et l’Allemagne. Ces changements ne sont qu’imparfaitement représentés par le Brexit ou l’élection de Trump qui, en réalité, ne sont que des réponses partielles à des questions globales[23].
Ces changements se sont accélérés dans le cours du mois de juin 2018. Les vendredi 8 et samedi 9 juin se sont en effet tenues deux réunions importantes : celle du G-7, qui s’est tenue à la Malbaie au Québec, et qui a débouché sur un fiasco évident, et celle de l’OCS (l’Organisation de Coopération de Shanghai) qui s’est tenue à Qingdao (Chine). La tenue simultanée de ces réunions était fortuite. Leur résultat ne l’est pas. Si la presse française s’est largement faite l’écho du fiasco du G-7, elle est restée étrangement silencieuse sur la réunion de l’OCS. Ce n’est certes pas un hasard.
Car, l’échec du G-7 signe en réalité l’épuisement du « modèle occidental », en fait du modèle anglo-saxon, de la mondialisation, tandis que le succès de la réunion de l’OCS indique clairement que le temps des Nations (et pas de n’importe lesquelles) est revenu. Ceci confirme une tendance qui était notable depuis la fin des années 2000[24]. Il est donc clair que le processus de démondialisation est aujourd’hui engagé de manière irréversible[25].
Le G7, un organisme dépassé ?
Le G-7, qui est issu d’une forme d’organisation internationale mise en place après l’éclatement du système de Bretton-Woods en 1973, s’était donné pour objectif d’être la tour de contrôle de la mondialisation, une plate-forme d’où on pourrait piloter la globalisation. Il a donc connu un échec patent dont il pourrait ne pas se relever. Factuellement, c’est le conflit entre le Président des Etats-Unis, Donald Trump et le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui a provoqué cet échec. Donald Trump a vigoureusement réagit à la présentation faite par Trudeau des résultats du G-7, et a retiré la signature du communiqué final. C’est un acte d’une extrême importance. On peut penser que cet échec a été provoqué par les différents commerciaux entre les Etats-Unis et l’Allemagne ainsi le Canada, ainsi que par l’inimitié, et les différences de personnalité, entre Trump et Trudeau.
Mais, en réalité, l’échec était inscrit dans des politiques désormais par trop divergentes et des intérêts top opposés. Il était aussi inscrit dans un mouvement général de retour à la décision politique. Cet échec était donc prévisible. Il faut le constater, sur de nombreux sujets qu’il s’agisse de la question du « multilatéralisme », de celle de la participation de la Russie ou encore de la question climatique, les sujets de discordes ont dominé. Notons d’ailleurs que, contrairement à ce que veut faire croire une partie de la presse française, devenue décidément une presse à gages, le conflit n’a pas été une opposition de Donald Trump à ses six partenaires. Il n’y a pas eu, en dépit de ce que disent certains médias français, de « front uni » contre Donald Trump. Et, la raison en est simple. Le G-7 ne peut plus, que ce soit dans son format actuel, ou que ce soit sur ses principes de constitution, être la plate-forme qui impulse et dirige l’économie mondiale. Il n’en a pas, d’ailleurs, la légitimité.
Au-delà, il a beaucoup perdu de son importance économique. Après avoir dépassé le 65% du PIB mondial à la fin des 1980 et dans les années 1990, son poids est tombé aujourd’hui nettement sous les 50%. Et il y a un lien évident entre cette perte de légitimité et cette perte d’influence dans le PIB mondial. De fait, quand le G-7 a expulsé la Russie en 2014, il a probablement signé son acte de décès. Il est d’ailleurs intéressant que la Russie n’est nullement intéressée par un retour au G-7. Elle a, elle, tirée les leçons des transformations de l’économie mondiale de ces quinze dernières années.
Graphique 4
Source : Base de donnée de l’UNCTAD
Le succès de l’OCS
Face à l’échec du G-7, le succès de la réunion de l’OCS constitue un contraste saisissant. Il est le signe que l’on assiste bien à un basculement du monde. Car l’OCS est la première, et quasiment la seule, organisation internationale post-Guerre froide. Elle est ouvertement fondé sur une volonté de coopération d’Etats souverains et limite au strict nécessaire la production de normes en son sein. Son succès fait un symbolique effet de miroir. Non que les conflits n’existent pas entre les nations membres ou associées à l’OCS. Mais, enfin, ces conflits ont été maîtrisés. La Chine et l’Inde y cohabitent, de même que l’Inde et le Pakistan. Existe-t-il donc tant d’organisations régionales qui peuvent se prévaloir de tels succès ? Et l’on peut y voir, ici, l’avantage d’une structure respectant la souveraineté des Nations, admettant l’expression ouverte des intérêts nationaux et, à partir de là, permettant d’aboutir à des compromis, sur une structure – le G-7 – prétendant faire d’une raison supranationale, la logique économique et financière, le guide de l’ordre du monde. Rappelons, aussi, que l’OCS est en grande partie fondée par les pays des BRICS, ce groupe qui rassemble la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud.
Dans ce groupe, les trois principaux pays sont en effet membres de l’OCS. Or, le processus d’internalisation des économies apparaît de manière accélérée pour les pays des BRICS. Le taux d’ouverture, ou d’externalisation, de ces économies, qu’on le calcule à partir des exportations ou des importations, n’a cessé de baisser. Ceci est particulièrement significatif quand on sait que les BRICS incluent deux pays dont le poids dans le commerce mondial est élevé, la Chine et l’Inde. Le succès de l’OCS, tient à son caractère pragmatique. A la différence du G-7, l’OCS ne prétend pas à l’existence d’une raison supérieure d’où découlerait des règles impératives pour les Nations. C’est un point important, un point que l’on peut même considérer comme crucial. En un sens, elle traduit l’opposition d’une logique prenant en compte la construction des intérêts nationaux dans le cadre politique de chaque pays sur l’affirmation péremptoire d’une raison descendant du ciel vers ces pays L’OCS est donc une organisation de coopération. Elle ne se fonde pas sur la prétention d’un partage des souverainetés, une idée qui recouvre constamment la négation de la souveraineté, mais elle pose en principe le fait que la coopération réciproque est le meilleur instrument pour gérer les différences d’intérêts[26].
Graphique 5
Source : voir Graphique 2.
L’OCS s’est ainsi dotée à la fois d’institution de sécurité mais aussi d’institutions de développement économique, comme d’une banque d’investissement. Les huit nations qui composent l’OCS[27] réunissent 41,4% de la population mondiale et 23% du PIB mondial. Elles comptent donc assurément. Et, la montée progressive en puissance de l’OCS face à la désagrégation du G-7 nous en dit beaucoup sur ce qui est en train de se jouer actuellement. De fait, le G-7 a épuisé ses possibilités et n’a plus de potentiel. Il ne correspond plus, dans sa forme actuelle, au nouveau monde qui vient. Il sera donc vraisemblablement appelé à se déliter et soit il se transformera radicalement, soit il dépérira.
La démondialisation en actes
Cette démondialisation, elle a été paradoxalement initiée par le pays qui avait le plus fait pour établir la mondialisation en dogme : les Etats-Unis. On a vu les logiques, et les conséquences probables, de la politique de Donald Trump. Mais, la remise en cause de la mondialisation par les Etats-Unis ne se limite pas à cela. Par la politique des « sanctions économiques », que ces dernières visent Cuba, l’Iran, le Russie ou le Venezuela, les Etats-Unis, mais aussi l’Union européenne qui leur a servilement emboîté le pas, ont accéléré le phénomène de la démondialisation. En montrant que les échanges, et les normes qui leurs sont liées, pouvaient être interrompus, ils ont apporté la démonstration que ces échanges et ces normes n’étaient nullement d’ordre « naturel » ou ne correspondaient pas à on ne sait quelle raison immanente, mais traduisaient des rapports de force, des rapports de domination. La réaction de certains pays, comme la Chine et la Russie avec la création de leurs propres agences de notation pour réguler les marchés financiers régionaux[28], ou par le mécanisme des « contre-sanctions » qui a été mis en œuvre en Russie dans l’agriculture, a brisé le cadre précédemment établi par la mondialisation. D’autres pays ont suivi le mouvement. Intellectuellement, cela a permis de comprendre que ce monde de flux économiques et financiers pouvait être (et même était souvent) attentatoire à la souveraineté des Nations. En faisant surgir un nouveau paradigme, ces mesures ont puissamment contribué à la démondialisation. De même, le processus de dédollarisation des échanges qui a commencé en particulier avec la montée en puissance du Yuan indique que l’on a passé un cap très important[29]. La pluralité des monnaies de transactions et des monnaies de réserve est aussi un indicateur de la fragmentation montante d’un espace que l’on disait globalisé.
La démondialisation, on l’a dit, ne fait évidemment pas disparaître les échanges. Même si, dans certains cas, les logiques des chaînes de sous-traitance tendent à se renationaliser, les échanges commerciaux et financiers continueront d’être très importants. Cette démondialisation ne règle pas non plus tous les problèmes. Ainsi, l’interdépendance des économies va perdurer, de même que les grandes questions qui sont liées au développement et à la gestion des ressources naturelles. On le voit aussi avec la question écologique, que certains abusivement réduisent à la question du dérèglement climatique, mais qui est en réalité bien plus profonde. Mais, les problèmes qui en découlent devront être résolus, ou à tout le moins gérés, dans un strict respect de la souveraineté des uns et des autres.
Cela veut dire que les flux, tant commerciaux que financiers, devront être contrôlés. Et il faut s’attaquer aujourd’hui à cette question du contrôle, des principes devant présider à ce contrôle, et non pas chercher à revenir à tout prix au « Libre-Echange ». La montée du protectionnisme est aujourd’hui une évidence, et elle n’est pas une mauvaise chose. Mais, ce protectionnisme doit être pensé, réfléchi. C’est là, normalement, un programme de travail qui devrait s’imposer à l’ensemble des dirigeants politiques. Pourtant, on constate sur ce point une grande résistance en Europe. De fait, ce sont les dirigeants qui plaident pour un Libre-Echange intégral qui représentent aujourd’hui les femmes et les hommes du passé. Mme Angela Merkel et M. Emmanuel Macron semblent ne pas avoir compris le sens de ce qui s’est passé du 8 au 10 juin 2018. Ils se cramponnent à des idées révolues. Ils défendent des traités indéfendables.
Car, le contexte international est encombré de textes qui sont pour certains obsolètes, pour d’autres erronés, et qui parfois combinent ces deux aspects.
Si l’on regarde tant l’Organisation Mondiale du Commerce que le G-7, c’est plutôt l’obsolescence des textes et des institutions qui frappe. Rappelons que le G-7 tire son origine du G-5 (informel) puis du G-6 de 1974-1975. A cette époque une partie du monde (les pays communistes) n’était pas concerné et le groupement de pays représenté par le G-6 (devenu G-7 avec l’entrée du Canada), qui était essentiellement concerné par les problèmes financiers[30], représentait en réalité les Etats-Unis et leurs alliés. L’obsolescence de cette institution est manifeste. On peut en dire la même chose de l’OMC, désormais à la fois paralysé par des blocages internes, et régulièrement contourné tant par de nouveaux traités que par des Etats, comme on l’a vu à propos des sanctions contre la Russie en 2014. Or, il est toujours dangereux de vouloir conserver des institutions obsolètes. Elles maintiennent un cadre fictif alors que la réalité de la situation a déjà évolué hors de ce cadre.
Il y a aussi des traités, et des institutions qui, sans être nécessairement obsolètes, sont en réalité dangereuses. Le CETA en est un des exemples. On sait que les négociations pour ce traité dit « de nouvelle génération » découlent justement des blocages de l’OMC. Mais, et cela a été largement démontré depuis plus de deux ans, le CETA est un traité dangereux, tant d’une point de vue politique (il met la démocratie en tutelle) que du fait de ses conséquences financières et écologiques. La lutte politique contre ces institutions, qu’elles soient obsolètes ou qu’elles soient dangereuses devient alors aujourd’hui une priorité.
On ne doit pas attendre que la démondialisation se produise pour ainsi dire « naturellement » ou du fait de la logique des évolutions du commerce et des réactions politiques qu’elles suscitent. On ne doit pas attendre que cette démondialisation se fasse sous la direction implicite, et parfois explicite, de ceux qui ont dans la période précédente conduit la mondialisation. La démocratie et la souveraineté ne sont jamais concédées mais toujours conquises. Le combat pour la démondialisation, pour imposer ce retour du politique et de la démocratie, reste plus que jamais d’actualité.
II – Comprendre la démondialisation
La démondialisation nous est souvent présentée comme une forme de retour à la barbarie. On pourrait sourire de cette outrance si elle n’était défendue par des doctes auteurs, des personnages par ailleurs parfaitement respectables[31]. On la présente aussi comme un retour vers une fermeture complète des frontières. L’erreur est évidente. Il ne s’agit pas de construire des barrages mais bien des écluses. Car, c’est bien la dimension non-contrôlée des flux, qu’il s’agisse des flux de marchandises, des flux de capitaux ou des flux humains, qui provoque le désordre et le chaos. Le retour du politique, de la souveraineté, implique que ces flux doivent être contrôlés mais non pas interrompus. De plus, le processus de démondialisation s’inscrit dans un contexte particulier : celui des dix années qui ont suivi la crise financière de 2007-2009, et dont on peut penser qu’elles ont été celles d’une accélération du pivotement de la mondialisation à la démondialisation[32].
Mondialisation ou autarcie ? Le faux débat
L’un des premier mensonge que l’on entend fort souvent est que la démondialisation nous conduirait à l’autarcie, comme si nous n’avions de choix qu’entre le libre-échange intégral et la fermeture totale des frontières. Rien n’est plus faux, et l’exemple de la période 1950-1990 où nous avons vécu dans un cadre protectionniste le montre à l’évidence.
Il convient, tout d’abord, de s’entendre sur les termes. Les périodes d’autarcie totale, sauf durant des conflits, ont été extrêmement rares dans l’histoire. Même l’Union soviétique, que l’on présente comme fermée au commerce internationale, a de fait entretenu des relations commerciales importantes avec le reste du monde tant avant qu’après la seconde guerre mondiale.
Le commerce à longue distance existait déjà du temps des Pharaons. Il s’était fortement développé du temps de la Rome républicaine et impériale. Le moyen-âge et la période moderne ont connu eux-aussi des flux d’échanges importants sur des distances en fait fort longues[33]. Ce rappel montre que ce n’est pas l’existence du commerce, de l’échange à longue distance, qui peut permettre de définir les périodes de mondialisation. Ce qui les définit c’est d’une part la circulation financières entre les pays, qui non seulement facilite les transferts de capitaux mais ouvre de nouveaux espaces aux crises et permet à certaines entreprises de réaliser leurs profits hors de l’espace où elles produisent, et d’autre part, mais ce phénomène est lié au premier, le découplage entre le lieu ou une entreprise fabrique ses produits et le lieu où elle les vend. Le point est ici important. Il permet aux dirigeants de l’entreprise de faire pression à la baisse sur les salaires de leurs travailleurs sans compromettre leurs profits, ce qui ne manquerait pas de se produire si le lieu de la production et le lieu de la vente étaient les mêmes.
Dès lors, ce que l’on appelle « mondialisation » ou « globalisation » se caractérise d’une part par l’émancipation des entreprises transnationales des règles étatiques et, d’autre part, par une crise latente de la démocratie dans chacun de ces Etats en réaction à cette émancipation[34]. Réduire la « mondialisation » à un phénomène économique (le libre-échange) ou financier (la circulation transnationale sans contrôle des capitaux), même si ces phénomènes sont importants et ont fait apparaître des comportements nouveaux[35], est une erreur. La « mondialisation » est un phénomène global qui a vu ses dimensions sociales et politiques devenir déterminantes dans la perception, et dans les sentiments de rejet, que les populations en ont.
Dans le cas des Etats-Unis, pays pourtant dominant lors de la marche à la mondialisation, la part des salariés dans le secteur manufacturier, un secteur ou traditionnellement les salaires ouvriers sont le plus élevé est passé de 32% en 1953 à 8,5% en 2018. Les Etats-Unis ont perdu plus de 8 millions de postes de travail, un processus qui s’explique par la délocalisation des activités industrielles. Mais, sur les postes de travail restant, la concurrence avec le travail à très bas coût des immigrants, que les entreprises vont chercher hors des frontières et qu’elles maintiennent dans un état de semi-servitude, ce qui permet évidemment de les payer moins, explique aussi la stagnation des salaires ouvriers[36]. Lutter contre cette forme de la mondialisation implique donc bien de réhabiliter le protectionnisme. C’est en réalité ce qui sous-tend la politique commerciale des Etats-Unis de Donald Trump dans leur affrontement avec la Chine[37]. Un débat intéressant opposant partisans du protectionnisme[38] et partisan du « régionalisme », soit une forme de libre-échange limitée à des blocs régionaux[39], a eu lieu à l’automne 2018 dans le cadre du Club Valdaï. L’opposition est en réalité entre deux visions, celle d’une part d’Etats-Nations qui défendent leur souveraineté et qui, sur cette base, nouent des coopérations pour résoudre certains problèmes, et celle d’ensembles régionaux intégrés, protégés par des droits de douanes extérieurs importants et par des alliances militaires mais pratiquent en leur sein une forme quasi-totale de libre-échange et acceptant des formes d’institutions supranationales. De fait, l’un et l’autre vision aboutissent à nier la mondialisation et sont des formes possibles de démondialisation. Mais, la première, correspond sans doute mieux à une vision démocratique de la démondialisation. Assurément, Vyatcheslav Lissovolik, qui défend l’idée de blocs régionaux intégrés, parle de plate-forme de coopération. Cependant, la logique des mesures qu’il propose va bien au-delà de simples plateformes.
Le véritable problème engendré par la mondialisation est de nature politique. C’est la crise de la démocratie qu’elle a engendrée, justement en raison de cette émancipation des entreprises transnationales des règles étatiques, et la mise en tutelle du politique par des aspects techniques qui ont engendré ce que l’on appelle, et pas forcément à tort, le « moment populiste » que nous vivons actuellement. C’est donc cette dimension politique et sociale qui explique, en réaction, la montée de différentes formes de contestation, dont certaines sont considérées comme « populistes » mais dont toutes sont populaires.
Les effets politiques de la mondialisation
La « mondialisation », du fait de ses effets induits, a un impact important sur le contexte politique. Elle est loin de se résumer à une simple question économique et ses conséquences sur la démocratie peuvent être très délétères. La mondialisation aboutit en effet à rompre l’unité entre la capacité à décider et la responsabilité des décideurs. Or, cette unité est à la base de l’existence de la démocratie. Rappelons que la démocratie exige la présence d’un « peuple », autrement dit un corps politique, et non ethnique ou déterminé en fonction d’une croyance religieuse, corps qui souverain dans un espace territorial définit par des frontières[40].
Souverain, voici donc le grand mot lâché. La souveraineté se définit par cette liberté de décider qui caractérise les communautés politiques que sont les peuples, liberté qu’ils exercent au travers du cadre de la Nation et de l’Etat. Cet oubli de la dimension nécessairement sociale et collective de notre liberté caractérise le point de vue « libéral », point de vue qui lui-même transcende les divisions « gauche-droite » depuis le « triomphe » de la mondialisation, et qui, il ne faut pas s’en étonner, s’avère hostile dans certains de ses courants à cette notion de souveraineté.
Cependant, encore faut-il savoir ce qui fait société, encore faut-il comprendre ce qui constitue un « peuple », et faut-il comprendre que quand nous parlons d’un « peuple » nous ne parlons naturellement pas d’une communauté ethnique ou religieuse, mais de cette communauté politique d’individus rassemblés qui prend son destin et son avenir en mains[41]. Le « peuple » auquel on se réfère est un peuple « pour soi », qui se construit dans l’action et non un peuple « en soi ». Comment donc se constitue un peuple ? Il peut être utile de revenir vers l’antiquité, et en particulier vers la Rome républicaine pour le comprendre.
Claudia Moatti, grande spécialiste de la « chose publique »[42], nous donne des éclaircissements. Pour cela, elle a recours à Cicéron dont elle produit une citation[43] : « tout peuple qui sur tel rassemblement d’une multitude (…) toute cité qui est l’organisation du peuple ; toute res publica qui est comme je l’ai dit la chose du peuple, doit être dirigée par un conseil pour pouvoir durer »[44]. Ce qui est ici important est la manière dont Cicéron hiérarchise le passage de la « multitude » au peuple, par l’existence d’intérêts communs, puis présente la Cité comme cadre organisateur de ce « peuple ». Claudia Moatti souligne le côté remarquable du texte de Cicéron par sa tentative de clarification[45]. Elle rappelle alors, que la « Cité » ne désigne pas une simple ville (oppidum) mais qu’elle décrit le cadre dans lequel s’organise un « peuple » de citoyens, un peuple dont la présence est obligatoire pour rendre la justice[46], tout comme pour édicter des lois. La citoyenneté est ici une notion fondamentale. Appartenir au « peuple romain », c’est avoir le droit d’agir en interaction avec les autres citoyens sur le territoire de la « Cité ». Ce sont donc les citoyens qui constituent la « Cité » [47]. La res publica ne se pense donc qu’en relation avec le « peuple ». Elle définit les relations et les conflits au sein de ce « peuple ». De ce point de vue, c’est bien l’égalité juridique des citoyens, cette égalité que l’on retrouve dans la formule archaïque populus plebsque[48] qui est centrale. Avec cette égalité juridique, le « peuple » prend réellement un sens politique et se constitue comme acteur de la politique[49]. On voit donc que c’est dans l’accord qui existe entre le corps politique et les institutions politiques qui l’organisent que le peuple se constitue. Mais pas seulement ; un peuple, c’est aussi une mémoire, et la projection de cette mémoire vers le futur. C’est pourquoi il est important de conserver en mémoire qu’aux temps premiers de la République le peuple romain est à la fois un acteur dans la cité et une entité pour les relations entre la cité et l’étranger[50]. Retenons ici cette distinction importante qui confirme la centralité de la relation interne/externe. Il ne peut donc y avoir de relations politiques et juridiques, de conflits aussi autour de ces relations, qu’au sein d’une entité souveraine et distincte des autres. La notion de souveraineté est donc primordiale mais aussi centrale à l’existence de la res publica. Cependant, cette « chose publique » ne peut se constituer qu’à travers l’égalité juridique des citoyens qui leur assure (ou doit leur assurer) un droit égal à la participation politique, aux choix dans la vie de la « Cité »[51].
De fait, Cicéron, dans son ouvrage De Officis, analyse la pluralité des possibles forme d’organisation, qu’elles soient liées à la naissance ou la langue. Mais, pour lui, la forme décisive est bien celle qui unit les citoyens. Cette forme n’est pas simplement descriptive mais elle définit une société politique[52], et c’est en cela qu’une « Cité » n’est pas une ville, un simple oppidum. Il faut donc tenir compte des deux niveaux de raisonnement. Pour une simple description, on peut procéder de l’ascendance vers la langue. Mais, pour l’analyse qui doit nécessairement avoir une dimension dynamique, seul compte le concept de citoyen, formant un peuple dans le cadre d’une cité politique. La notion de « peuple » est donc décidément bien politique et non ethnique[53].
Le « peuple » auquel alors on se réfère est donc bien un peuple « pour soi », qui se construit dans l’action politique et dans la mobilisation de sa culture politique (et donc de sa mémoire) et non un peuple « en soi », ce qui ne serait qu’une « multitude ». Cela implique naturellement de se référer en permanence à la notion de souveraineté. Car, se référer à cette notion de souveraineté, vouloir la défendre et la faire vivre, se définir donc comme souverainiste, implique de comprendre que nous vivons dans des sociétés hétérogènes et que l’unité de ces dernières se construit, et se construit avant tout politiquement. Cette unité n’est jamais donnée ni naturelle[54].
Ce corps politique exerce, on l’a dit, dans le cadre de ces frontières, sa souveraineté. Tout cela explique la vigueur, dans les différents pays, des mouvements pour l’affirmation de la souveraineté. Certains de ses mouvements ont pris des caractéristiques « populistes » car le cadre politique dans lesquels ils se déroulent connaissait des pathologies propres, des formes spécifiques de collusion au sein des élites politiques, économiques ou médiatiques, voire des collusions entres ces élites. Nous avons vu ce phénomène se développer tout d’abord en Amérique Latine avec l’émergence d’une gauche populiste qui n’était d’ailleurs pas exempte de contradictions[55]. Il ne faut donc pas s’étonner si certaines des réponses populaires à la mondialisation remettent en cause, en partie ou en entier, le cadre de la démocratie représentative. Ceci est normal en raison des déformations que cette démocratie représentative a elle-même connues. La disparition du politique dans les « démocraties » les vide de tout sens[56].
Misère de « l’alter-mondialisme »
Certains pensent, ou espèrent, que l’on pourrait néanmoins réconcilier la « mondialisation » avec la démocratie. C’est en un sens la philosophie qui inspire le courant que l’on peut proprement désigner « d’altermondialiste ». L’idée est généreuse ; mais est-elle possible ? Autrement dit, peut-on concilier des notions qui semblent aussi opposée ? En réalité, ce mouvement se heurte à une contradiction fondamentale : comment restaurer la démocratie sans définir précisément le « peuple » et sans respecter son identité politique ? L’aporie du gouvernement mondial (ou du gouvernement régional au sein d’un ensemble de nations) se heurte (et se heurtera) toujours au fait que les identités politiques sont des facteurs indispensables de la constitution de ces peuples. Or, ces identités politiques évoluent très lentement, et certainement pas dans la temporalité qui est celle des changements politiques. Il n’est nullement dit que l’on puisse assister à une quelconque convergence.
C’est pourquoi ceux que l’on peut nommer, ou qui se nomment eux-mêmes des « altermondialistes » se condamnent soit à l’impuissance soit seront conduit à reprendre une philosophie ouvertement anti-démocratique, celle de la « démocratie sans démos », autrement dit d’une démocratie hors sol, séparée radicalement de toute responsabilité devant « son » peuple. On peut classer dans cette philosophie les idées de « démocratie par la loi », un système où la définition de la démocratie se réduit à le simple observation d’une conformité des règles. On sait depuis longtemps qu’un tel système est en réalité un « Tyrannus ab Exercitio »[57], autrement dit un système tyrannique[58]. Il a été démontré que la « rule of law » peut parfaitement être le masque de pouvoirs tyranniques. Les études de cas qui sont proposées dans l’ouvrage de David Dyzenhaus, The Constitution of Law, aboutissent, au bout du compte, à mettre en évidence une critique du positivisme. Cette dernière est fondamentale. Car, le positivisme conduit à « naturaliser » dans les représentations ce qui est en réalité d’origine soit historique soit sociale. Une critique du positivisme s’avère donc nécessaire, que se soit en économie ou en droit, si on veut véritablement saisir la dynamique et l’intelligence des situations. Cette critique permet, en ce qui concerne le Droit, de comprendre comment l’obsession pour la rule by law (i.e. la légalité formelle) et la fidélité au texte tourne bien souvent à l’avantage des politiques gouvernementales quelles qu’elles soient. À quelques reprises, l’auteur évoque ses propres analyses des perversions du système légal de l’Apartheid[59] en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu’à leur « positivisme»[60].
Nous comprenons, que cette compréhension soit intuitive pour certains ou le fruit de réflexions élaborées pour d’autres, que la liberté de la communauté politique, de ce que l’on nomme le peuple, passe par la liberté de l’ensemble territorial sur lequel ce peuple vit. On ne peut penser de « Peuple » sans penser dans le même mouvement la « Nation ». Et, la liberté du « Peuple » dans le cadre de la « Nation » s’appelle justement la souveraineté. C’est pourquoi elle est essentielle à l’existence de la démocratie. La souveraineté est une et elle ne se divise pas, n’en déplaise à d’aucuns, mais ses usages sont multiples. Parler alors de souveraineté « de gauche » ou « de droite » n’a pas de sens, ou alors ne peut avoir qu’un sens caché, celui d’un refus, de fait, de la souveraineté. On comprend dès lors le caractère antinomique de la politique, conçue comme expression de la démocratie et de la « mondialisation » qui tend en tout lieu et tout instant au contraire à « détrôner » cette politique[61].
La montée d’une contestation radicale
Les mouvements qui contestent radicalement les formes de mise en place d’éléments tyranniques dans nos systèmes politiques, que ces mouvements se situent dans le cadre de l’économie, de la politique ou de l’écologie, sont donc obligés de se confronter directement et frontalement avec ce que l’on appelle la « mondialisation »[62]. Il en va de même pour les formes régionales prises par cette dernière, comme c’est le cas avec l’euro mais aussi avec l’Union européenne[63]. Ce n’est pas pour rien si une contestation radicale de l’Union européenne tend à émerger, au grand scandale des « chiens de gardes » médiatiques, du mouvement des Gilets Jaunes. Ces différents mouvements tendent tous, sous une forme ou une autre, à la réaffirmation de la souveraineté populaire, que ce soit dans des formes où domine la légitimité charismatique (pour les mouvements proprement populistes) ou dans des cadres mélangeant de manière diverse les formes démocratiques, bureaucratiques et charismatiques de la légitimité. Ces mouvements vont remettre en cause les grands traités mais aussi les institutions qui avaient pu croire possible de stabiliser les formes de dépossession de la souveraineté populaire, formes de dépossession qui sont donc apparues pendant la phase d’expansion de la mondialisation.
Cela ne veut aucunement dire qu’ils se refusent à toute idée de coopération internationale. Mais, cette coopération devra être dans le futur régie par des Nations souveraines. Le Droit International en réalité découle au contraire du Droit de chaque État ; il est un Droit de coordination[64]. C’est la logique développée par Simone Goyard-Fabre[65]. Cette dernière a d’ailleurs rappelé les conditions de l’exercice de la souveraineté et elle a montré que le principe de l’exercice de cette souveraineté ne saurait être remise en cause par des obstacles matériels et techniques. Ainsi, elle écrit : « Que l’exercice de la souveraineté ne puisse se faire qu’au moyen d’organes différenciés, aux compétences spécifiques et travaillant indépendamment les uns des autres, n’implique rien quant à la nature de la puissance souveraine de l’État. Le pluralisme organique (…) ne divise pas l’essence ou la forme de l’État; la souveraineté est une et indivisible »[66]. L’argument prétendant fonder sur la limitation pratique de la souveraineté une limitation du principe de celle-ci est, quant au fond, d’une grande faiblesse. Les États n’ont pas prétendu pouvoir tout contrôler matériellement, même et y compris sur le territoire qui est le leur. Le despote le plus puissant et le plus absolu était sans effet devant l’orage ou la sécheresse. Il ne faut donc pas confondre les limites liées au domaine de la nature et la question des limites de la compétence du Souverain. Mais, la question de la mondialisation, institution humaine, échappe complètement aux lois de la nature.
La question de la souveraineté prend alors tout son sens si l’on considère sa place dans l’ordre symbolique de choses. La souveraineté ne dépend pas seulement de qui prend les décisions, autrement dit de savoir si le processus est interne ou externe à la communauté politique concernée. La souveraineté, telle qu’elle se construit dans l’œuvre de Jean Bodin, réside dans la prise en compte d’intérêts collectifs, se matérialisant dans la chose publique[67]. Le principe de souveraineté se fonde alors sur ce qui est commun dans une collectivité, et non plus sur celui qui exerce cette souveraineté.
C’est pour cela que la récupération de la souveraineté nationale (et de l’exercice de la souveraineté populaire) s’oppose si radicalement à la mondialisation. C’est pour cela aussi que l’un des marqueurs les plus sûrs de la démondialisation réside dans l’affirmation de la souveraineté, et avec elle dans la primauté du politique sur le technique.
III. Le lamento des mondialistes
Le débat sur la mondialisation et la démondialisation est important et il fait actuellement rage. A cet égard, il est intéressant de regarder le sondage d’OpinionWay qui a été réalisé en 2018 sur la « mondialisation » auprès des français. Ses résultats sont en effet sans appels[68]. Les français rejettent dans leur grande majorité cette « mondialisation » et se prononcent même, à près de 66%, pour une forme de retour au protectionnisme. D’ailleurs, le terme est de moins en moins tabou, que cela soit de manière explicite ou implicite. Pourtant, et en réaction justement avec ce processus de démondialisation, s’est développé un discours sur la mondialisation qui tend à la magnifier en la mythifiant. Ce discours tend alors à naturaliser ce processus, et il révèle, à contrario, la pensée et l’impensé des tenants de la mondialisation. Il est donc important de l’analyser, tant dans ses dimensions explicites que dans les représentations implicites qu’il charrie.
Graphique 6
Mondialisation et naturalisation des processus
Philippe Moreau Defarges, qui a écrit un livre plaidoyer contre la démondialisation est clairement un de ceux qui défendront jusqu’au bout la mondialisation. L’intérêt de ce livre vient de ce qu’il décrit en creux les dérives idéologiques des partisans de la mondialisation. Il commence d’ailleurs son livre[69] par une analyse des différences qui existent entre l’alter-mondialisme et les discours de démondialisation. Cette distinction est importante. Et il faut porter au crédit de Philippe Moreau Defarges de bien montrer que les principaux tenants de l’alter-mondialisme partagent les erreurs et les illusions de ceux qui défendent mordicus la mondialisation. Souvenons nous toujours de cette phrase de Bossuet : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance »[70]. Mais, son analyse ne s’accompagne pas de la distinction nécessaire entre le mouvement des flux de marchandises et de capitaux et l’idéologie de la mondialisation. A cela, il y a une raison évidente : Philippe Moreau Defarges reprend, et de manière très a-critique ce discours idéologique de la mondialisation.
Revenons un instant sur la distinction entre l’alter-mondialisme et la démondialisation. La première accepte la mondialisation non comme un fait social mais comme un fait naturel. Elle s’inscrit en réalité dans une logique de naturalisation des processus que l’on peut appeler de « mondialisation ». En ce sens, l’alter-mondialisme, tel qu’il s’exprimait à la fin des années 1990 et au début des années 2000, est bien partie-prenante de l’idéologie de la mondialisation. Les altermondialistes entendent mettre en place de nouvelles formes de mondialisation mais jamais il ne s’interrogent sur ce que représentent socialement et politiquement ces processus car ils considèrent que ces processus sont « naturels ». Or, de ce point de vue, il y a bien communauté avec le discours des « pro-mondialisation » qui eux aussi affectent de considérer ces processus comme « naturels ». On le voit bien dans le discours que tient Moreau Defarges qui donne une place décisive aux techniques et aux technologies, présentés littéralement comme des Deus ex-Machina qui échapperaient aux actions humaines[71]. De même construit-il tout un chapitre autour de l’idée d’une « réunification biologique ». Mais, les sociétés humaines, sauf dans les délires des racistes, ne sont jamais des réalités biologiques mais toujours, au contraire, des réalités sociales, politiques et culturelles. Connaissant personnellement Philippe Moreau Defarges, il n’est pas dans mes intentions de l’accuser de racisme, car je sais qu’il est fort éloigné de cette idéologie nauséabonde qui lui fait profondément horreur. Mais, on doit constater que l’idéologie de la mondialisation, et plus précisément la volonté de construire un cadre idéologique naturalisant les phénomènes qui peuvent relever de ce que l’on appelle la « mondialisation », aboutit à mobiliser des concepts et des notions qui, elles, renvoient à un imaginaire raciste débridé. Disons-le, c’est le cas de toute tentative pour « naturaliser » des phénomènes qui sont tout saufs « naturels ». Car, cette naturalisation, par contre, elle est bien à l’œuvre dans le livre. Ainsi, il y a dans les propos écrits par Moreau Defarges comme une résurgence des discours techniciste de naturalisation du social tels qu’ils étaient constitués dans le socialisme soviétiques de la fin des années 1950 et des années 1960.
Une vision largement idéologique
Quand Moreau Defarges parle des discours de la démondialisation (et ces discours peuvent être divers) il les assimile à des discours idéologiques, autrement dit à des représentations mystifiées du monde réel. Il y a là une inversion des principes. Car, c’est bien dans l’identification de la démondialisation avec la « fermeture » et le « repli » que réside à l’évidence avant tout une construction idéologique. Les discours critiquant le libre échange et l’idéologie de la « mondialisation » appellent à des formes de maîtrise des mouvements de biens et de capitaux, et nullement, et on le répète encore et encore, à l’interruption totale de ces derniers. Cette confusion idéologique, car c’est bien de cela qu’il s’agit, renvoie à la confusion entre protectionnisme et autarcie. Il s’agit pourtant de processus très largement différents, et bien distincts. La confusion entre les deux signe la nature idéologique du livre. De même, les repères temporels qu’il se donne (XVème-XXIème siècles) sont hautement discutables. Les échanges internationaux existaient, et nous l’avons dit, sous la Rome impériale qui commerçaient avec l’Egypte tout comme avec la Chine, voire bien avant. Les cités italiennes, dès le XIIIème siècle, furent, elles aussi, à la pointe tant du commerce international que des pratiques bancaires. Il y a donc quelque chose de profondément faux dans la manière qu’à Moreau Defarges de segmenter l’Histoire, de ne retenir que ce qu’elle peut fournir à l’appui de ses thèses sans reconnaître la présence d’éléments pouvant tout aussi bien nourrir les thèses inverses.
De même, on peut discuter de l’assimilation du nazisme aux discours nationalistes, et de ces discours nationalistes aux discours socialistes[72]. Toute une série de travaux montrent que le nazisme était tout le contraire d’un nationalisme. Le point est ici important car, outre un argument relevant à l’évidence du « point Godwin », il y a une profonde incompréhension dans la radicalité particulière et meurtrière de l’Allemagne hitlérienne. La caractéristique du comportement de Hitler mais aussi des autres chefs nazis résulte du filtre « racial »[73]. L’État Nazi régresse alors vers un modèle archaïque, semi-féodal[74], alors qu’il doit gérer une économie et un système militaire développés. De ce point de vue, il est important de noter que si l’Allemagne nazie a pu donner l’illusion avant 1939 d’être un système « rationnellement organisé » pour faire la guerre[75], cette perception de la réalité a été mise à mal par les travaux exploitant les archives et les témoignages des acteurs. De ce point de vue, le travail de Berenice Caroll[76], a été pleinement confirmé par les recherches historiographiques des trente dernières années. Le système nazi n’était pas seulement monstrueux par sa finalité, il l’était dans son fonctionnement quotidien, qui est profondément pathologique. On est en présence d’une régression vers une forme étatique et administrative « pré-moderne » (au sens de Max Weber) appliquée sur une société et une économie « moderne ». Cette dimension pathologique du système nazi (dont Hitler est bien entendu une des sources, mais qui va largement au-delà de la personne du tyran) a été bien analysée par Ian Kershaw, aujourd’hui reconnu comme la référence sur Hitler[77]. L’Allemagne nazie n’est nullement une suite, radicalisée de l’Allemagne de Guillaume II. En réalité le nationalisme allemand s’est effondré quand il a capitulé devant l’idéologie raciale du national-socialisme[78]. Le nazisme est en réalité une forme radicale, mais aussi une forme profondément perverse d’un « internationalisme » ou plus précisément d’un « a-nationalisme » racial[79]. Car, en construisant la figure mythique de « l’aryen », et en organisant à travers la SS une internationale aryenne[80], le nazisme s’est avéré profondément destructeur de la nation et du peuple allemand, dont il a cherché à éradiquer la culture réelle au profit d’une culture fantasmée.
La manière dont Moreau Defarges traite (et maltraite) l’Histoire, et il y en a de multiples exemples, est ici révélatrice de son projet global : déconsidérer les discours de démondialisation. Alors, peut-on sérieusement faire le reproche d’idéologie à ces discours quand on est soi-même si profondément et si complètement porteur d’une idéologie dont on ne maîtrise même pas les implications ?
De la mondialisation au mondialisme
Les a-priori très négatifs tant à l’égard de la Nation que du nationalisme contenus dans la pensée de Moreau Defarges interpellent. Dans le cas français, il semble ignorer la profondeur du sentiment national qui s’exprime de Jeanne d’Arc[81] à Valmy, en passant par Henri IV et le combat de Fontaine-Française[82]. Il méconnait l’histoire même de la constitution symétrique de la Nation et du Peuple[83]. De fait, cela interdit à Moreau Defarges toute intelligence du processus révolutionnaire français qui opposa une haute noblesse cosmopolite au sentiment national. Cela lui interdit aussi de comprendre comment l’ancienneté de la construction de la Nation dans le cas français va de paire avec celle du peuple compris non pas comme une communauté raciale ou religieuse, mais comme une communauté politique et culturelle. En réalité, nous sommes ici en présence d’une déconstruction du récit national au profit d’un roman national complètement imprégné d’idéologie mondialiste. Et, ce roman national revisité à la sauce du mondialisme, il se retrouve chez de nombreux auteurs qui défendent l’idéologie de la mondialisation alors que le scientifique, lui, se contente d’en faire le constat et d’en mesurer tant les avancées que les reculs et les échecs.
On comprend alors qu’il ne soit pas à l’aise avec les concepts de souveraineté, d’Etat Souverain, et de souveraineté populaire[84]. Pourtant, ces concepts sont fort anciens[85]. On les retrouve à l’œuvre dans la formule de la République Romaine Senatus PopulusQue Romanum et plus encore dans la formule antérieure Populus Plebsque. Les différents contresens que l’on trouve donc dans le livre de Moreau Desfarges renvoient tous à un problème bien plus général : l’ignorance de l’importance et de l’autonomie du politique. C’est la conséquence naturelle du discours de naturalisation des processus de mondialisation dont on a précédemment relevé les dérives. Cela conduit alors Moreau Defarges à porter des jugements que l’on peut trouver comme relevant pour le moins d’une grande légèreté et plus probablement comme traduisant une forme de mépris produis d’une vision autocentrée, sur des pays comme le Japon[86] ou la Russie[87]. Et l’on est alors conduit au paradoxe suivant : l’auteur défend la « mondialisation » mais sur la base d’a-priori culturels que ne renieraient pas le plus endurcis et le plus arriérés des nationalistes. C’est le prix à payer pour ce mépris de l’instance politique, mais aussi de l’instance culturelle. Car, en réalité, les deux sont intimement liées. On ne peut avoir de conscience politique sans une conscience culturelle, et cette dernière intègre, en réalité, l’histoire inconsciente des luttes et des compromis politiques passés.
On comprend bien ici ce qui est en jeu. Dans le discours idéologiques du « mondialisme », discours qui correspond à la naturalisation des processus réels de mondialisation, deux agents opposés se voient attribuer des caractéristiques très particulières : l’élite financière et économique, apatride et mondialisée, et la plèbe, elle aussi mondialisée, mais sur la base d’une perte radicale de sa culture et de son identité politique. De fait, suivant les points de vue, on mettra l’accent sur l’une et sur l’autre, sans comprendre que la première n’est que la reformulation de la haute noblesse d’ancien régime et que l’autre est une masse qui a été privée de sa culture politique et qui se raccroche pour certains, et on peut le comprendre sans pour cela l’approuver, à des éléments religieux, comme c’est le cas avec l’islamisme.
La démondialisation s’avère donc aujourd’hui une nécessité impérieuse, que ce soit pour sauver la démocratie et sauver ce qui peut encore l’être de nos sociétés. Le chaos produit par la mondialisation n’est pas seulement un effet, c’est aussi une forme de gouvernance, mais une gouvernance nécessairement élitaire et violente. Si nous voulons retrouver le pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple, nous n’avons pas d’autres choix que d’œuvrer pour cette démondialisation et de promouvoir des mouvements qui seront, n’en doutons pas, qualifiés de populistes. Mais, le processus est désormais bien engagé. La démondialisation est en train de se produire sous nos yeux. On pourrait alors croire qu’il suffirait d’attendre que cette dernière survienne. Rien ne serait plus faux, rien ne serait plus dangereux. Car, le processus de démondialisation contient lui aussi ses aspects sombres, ses aspects régressifs. Il ne dépend que de nous, et de nos actions, que cette démondialisation se fasse au travers d’un approfondissement démocratique et pour le plus grand bien du plus grande nombre.
[1] Page, B et Gilens, M, Democracy in America: What Has Gone Wrong and What Can be Done About It, Chicago, IL, University of Chicago Press, 2017; Domhoff, W, The Power Elite and the State, Londres, Routledge, 2017.
[2] J’en avais rendu compte dans Sapir J., Le Nouveau XXIè Siècle, le Seuil, Paris, 2008.
[3] Voir le cas de la guerre du Kivu, Autesserre S.,« Penser les Conflits Locaux: L’Echec de l’Intervention Internationale au Congo, » in L’Afrique des Grands Lacs : Annuaire 2007-2008, Paris: L’Harmattan, pp. 179 – 196, 2008.
[4] Voir par exemple Lavergne M., Darfour : impacts ethniques et territoriaux d’une guerre civile en Afrique, http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fgeoconfluences.ens-lsh.fr%2Fdoc%2Fetpays%2FAfsubsah%2FAfsubsahScient4.htm%23popup1
[5] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.
[6] Voir Bivens J., “Globalization, American Wages, and Inequality” Economic Policy Institute Working Paper, Washington DC, Septembre 6, 2007 ; Irvin G., “Growing Inequality in the Neo-liberal Heartland,” in Post-Autistic Economics Review, 43 15 Septembre 2007.
2007), pp. 2–23, <http://www.paecon.net/PAEReview/issue43/Irwin43.htm>;
[7] Guilluy C., La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, Paris, Flammarion, coll. Champs, 2015.
[8] Schmitt C., Légalité, Légitimité, traduit de l’allemand par W. Gueydan de Roussel, Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1936; édition allemande, 1932.
[9] Schmitt C., Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988., p. 16.
[10] Balakrishnan G., The Ennemy: An intellectual portait of Carl Schmitt, Verso, 2002. Voir aussi Kervégan J-F, Que Faire de Carl Schmitt, Paris, Gallimard, coll. Tel Quel, 2011.
[11] Voir Sapir J., Les économistes contre la démocratie – Les économistes et la politique économique entre pouvoir, mondialisation et démocratie, Albin Michel, Paris, 2002.
[12] https://www.citation-du-jour.fr/citation-abraham-lincoln/democratie-gouvernement-peuple-peuple-peuple-13727.html
[13] Pour un commentaire sur ce discours et sa signification tant politique que symbolique, voir Perry R.B., « La Conscience américaine », in Revue de métaphysique et de morale, Société française de philosophie, vol. 29, no 4, 1922.
[14] Sapir J., Le Nouveau XXIè Siècle, op.cit..
[15] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/trump-va-enfoncer-un-premier-coin-dans-les-traites-de-libre-echange_1871797.html
[16] https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/02/donald-trump-veut-mettre-fin-a-l-alena-rapidement_5391562_3210.html
[17] Graaff, ND et Apeldoorn, BV, ‘US–China Relations and the Liberal World Order: Contending
Elites, Colliding Visions?’ in International Affairs, 94, no. 1, 2018, pp. 113-131.
[18] Sapir J., « President Trump and free-trade » in Real-World Economic Review, n°79 (t2), 30 mars 2017, pp. 64-73. (http://www.paecon.net/PAEReview/issue79/Sapir79.pdf )
[19] http://valdaiclub.com/a/highlights/real-us-trade-war/?utm_source=newsletter&utm_campaign=76&utm_medium=email
[20] Goldberg, J, ‘A Senior White House Official Defines the Trump Doctrine’, The Atlantic, 11 juin 2018.
[21] Voir, Joseph Stiglitz : « Il faudra peut-être abandonner l’euro pour sauver le projet européen », entretient avec Benoît Georges, in Les Echos, 16 septembre 2016.
[22] Cafruny, A, Europe’s Twin Crises: The Logic and Tragedy of Contemporary German Power, in Valdai Paper 10, 2015; Ryner, M et Cafruny, A, The EU and Global Capitalism: Origins, Development, Crisis, London: Palgrave, MacMillan, 2017.
[23] Sapir J., “President Trump and free trade”, op.cit..
[24] Sapir J., Le Nouveau XXIè Siècle, op.cit..
[25] Sapir J., La Démondialisation, Le Seuil, Paris, 2011.
[26] « L’OCS est un modèle de coopération internationale, selon un rapport_French.news.cn » (http://french.xinhuanet.com/2018-05/27/c_137210279.htm ) sur french.xinhuanet.com
[27] Soit la Chine, la Russie, l’Inde, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Pakistan. Ont statut d’observateurs l’Afghanistan, l’Iran, la Mongolie et le Belarus.
[28] https://www.lesechos.fr/09/06/2014/lesechos.fr/0203545205622_la-russie-et-la-chine-s-associent-afin-de-creer-une-agence-de-notation-commune.htm
[29] https://www.imf.org/fr/News/Articles/2016/09/29/AM16-NA093016IMF-Adds-Chinese-Renminbi-to-Special-Drawing-Rights-Basket
[30] Farnsworth, Clyde H. (8 mai 1977). « A Secret Society of Finance Ministers, » New York Times.
[31] Ainsi, Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation (XVème-XXIème siècles), Paris, Odile Jacob, mars 2018.
[32] Tooze, A, Crashed: How a Decade of Financial Crises Changed the World, New York, Viking Press, 2018.
[33] Signalons ainsi Brook T., Le Chapeau de Vermeer, Paris, Payot, coll. Histoire, 2010.
[34] Sapir J., « Le vrai sens du terme. Le libre-échange ou la mise en concurrence entre les Nations » in, D. Colle (edit.), D’un protectionnisme l’autre – La fin de la mondialisation ?, Coll. Major, Presses Universitaires de France, Paris, Septembre 2009
[35] Sapir J., « La mise en concurrence financière des territoires. La finance mondiale et les États » in, D. Colle (edit.), D’un protectionnisme l’autre – La fin de la mondialisation ?, Coll. Major, Presses Universitaires de France, Paris, Septembre 2009.
[36] Smith, J, « Imperialism in the Twenty-First Century », New York, Monthly Review Press, 2016.
[37] Cafruny A., Global Trade War ? Contradictions of US Trade Policy in the Trump Era, Valdaï Club Papers n°93, septembre 2018, disponible en ligne à : http://valdaiclub.com/a/valdai-papers/
[38] Sirota O., « Protectionism is a good thing », http://valdaiclub.com/a/highlights/protectionism-is-a-good-thing/
[39] Lissovolik Ya., « Regionalism vs Protectionism : looking ahead to 2019 », http://valdaiclub.com/a/highlights/regionalism-vs-protectionism-looking-ahead-to-2019/?utm_source=newsletter&utm_campaign=104&utm_medium=email
[40] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, éditions Michalon, 2016.
[41] Et l’on avoue ici plus qu’une influence de Lukacs G., Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste. Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, 383 pages. Collection « Arguments »
[42] Moatti C., Res publica – Histoire romaine de la chose publique, Paris, Fayard, coll. Ouvertures, 2018. Voir aussi : Moatti C. et Riot-Sarcey M., (edits), Pourquoi se référer au passé, Paris, Editions de l’Atelier, 2018.
[43] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 26.
[44] Cicéron De la République [De re publica], T-1, Trad. Esther Breguet, Paris, Les Belles Lettres, 1980, I.26.41.
[45] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 27.
[46] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 34.
[47] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 35.
[48] Où « le peuple et la plèbe ».
[49] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 45.
[50] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 43.
[51] Pani M., La politica in Roma antica – Cultura et praxi, Rome, Feltrinelli, 1997.
[52] Cicéron, Des Devoirs [De Officiis], Livre-1, Trad. M. Testard, Paris, Les Belles Lettres, Universités de France, 1965, I.12.85.
[53] Ce que je soulignais dans Souveraineté, Démocratie, Laïcité, op.cit..
[54] Cette question est largement traitée dans le livre écrit pour le Haut Collège d’Economie de Moscou, Sapir J., K Ekonomitcheskoj teorii neodnorodnyh sistem – opyt issledovanija decentralizovannoj ekonomiki (Théorie économique des systèmes hétérogènes – Essai sur l’étude des économies décentralisées) – traduction de E.V. Vinogradova et A.A. Katchanov, Presses du Haut Collège d’Économie, Moscou, 2001. Une partie de l’argumentation est reprise sous une forme différente dans Sapir J., Les trous noirs de la science économique – Essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent, Albin Michel, Paris, 2000.
[55] Voir Laclau E. La Razón Populista, FCE, Buenos Aires, 2005.
[56] Bellamy R., (1994). ‘Dethroning Politics’: Liberalism, Constitutionalism and Democracy in the Thought of F. A. Hayek. British Journal of Political Science, 24, pp 419-441.
[57] Voir Saint Augustin, Œuvres, sous la direction de Lucien Jerphagnon, vol. II, Paris, Gallimard, « La Péiade », 1998-2002.
[58] Ceci est analysé dans Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, op.cit..
[59] Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.
[60] Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, Cambridge University Press, Londres-New York, 2006, p. 22.
[61] R. Bellamy (1994). ‘Dethroning Politics’: Liberalism, Constitutionalism and Democracy in the Thought of F. A. Hayek. British Journal of Political Science, 24, pp 419-441.
[62] Sapir J., Les économistes contre la démocratie – Les économistes et la politique économique entre pouvoir, mondialisation et démocratie, Albin Michel, Paris, 2002.
[63] Sapir J., « La zone Euro : du cadre disciplinaire à la ‘Democrannie’ », in Coll., L’Euro est-il mort ?, Paris, Editions du Rocher, 2016, pp. 111-124.
[64] Dupuy R.J., Le Droit International, PUF, Paris, 1963
[65] Goyard-Fabre S., « Y-a-t-il une crise de la souveraineté? », in Revue Internationale de Philosophie, Vol. 45, n°4/1991, pp. 459-498.
[66] Goyard-Fabre S., « Y-a-t-il une crise de la souveraineté? », op.cit., p. 480-1
[67] Goyard-Fabre S., Jean Bodin et le Droit de la République, Paris, PUF, 1989.
[68] https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/opinionway-pour-le-printemps-de-l-economie-les-francais-et-la-mondialisation-mars-2018/viewdocument.html?Itemid=0
[69] Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation (XVème-XXIème siècles), Paris, Odile Jacob, mars 2018.
[70] Bossuet J.B., Œuvres complètes de Bossuet, vol XIV, éd. L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145. Cette citation est connue dans sa forme courte « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ».
[71] Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation op.cit., p. 37 et 150.
[72] Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation op.cit., p. 18.
[73] Burleigh M. et W. Wippermann, “The Racial State – Germany 1933-1945”, Cambridge University Press, 1991.
[74] Koehl R., “Feudal Aspects of National-Socialism”, in American Political science Review, vol. 54, 1960, n°3, pp. 921-33.
[75] Thèse défendue par O. Nathan, “The Nazi Economic System”, Duke University Press, Durham, NC., 1944, et par L. Hamburger, “How Nazi Germany has Controlled Business”, The Brookings Institution, Washington, D.C., 1943.
[76] Caroll B.A., “Design for Total War”. Arms and Economics in the Third Reich, Mouton, The Hague, 1968.
[77] Kershaw I., Hitler, a Profile in Power, Londres, 1991 ; Nazi Dictatorship : problems and Perspectives of Interpretation, Londres Oxford UP, 1993 ; “Working towards the Führer”, in I. Kershaw et M. Lewin (eds.) Stalinism and Nazism – Dictatorships in Comparison, Cambridge Univ. Press, 1997.
[78] W. Sheridan Allen, “The Collapse of Nationalism in Nazi Germany”, in J. Breuilly (ed), The State of Germany, Londres, 1992.
[79] Evans R .J ., Le Troisième Reich, Paris, Flammarion, coll. « Au fil de l’Histoire », 3 volumes, 2009.
[80] Et, on le sait la Waffen SS organise non l’équivalent d’une « légion étrangère » mais des unités constituées d’aryens étrangers, comme des suédois, des norvégiens, des flamands, etc… Stein G.H., Histoire de la Waffen SS, Paris, Sock, Le Livre de Poche, 1977.
[81] Bensaïd D., Jeanne de guerre lasse, Paris, Gallimard, « Au vif du sujet », 1991.
[82] Berger H., Henri IV à la bataille de Fontaine-Française, Dijon, 1958. Et l’on se souvient de l’apostrophe d’Henri IV dans le courrier qu’il envoya au Duc de Biron « pends toi, brave Biron… ».
[83] Flori J., Philippe Auguste – La naissance de l’État monarchique, éditions Taillandier, Paris, 2002.
[84] Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation, op.cit., p. 163 et suivantes.
[85] Carré de Malberg R., Contribution à la Théorie Générale de l’État, Éditions du CNRS, Paris, 1962 (première édition, Paris, 1920-1922), 2 volumes.
[86] Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation op.cit., p. 60.
[87] Moreau Defarges P., La Tentation du repli – Mondialisation et Démondialisation op.cit., p. 100.
Commentaire recommandé
La mondialisation était l’alibi permanent de nos maîtres. Si elle recule, au nom de quoi veulent-ils nous diriger ? Merci à Jacques Sapir pour sa distinction convaincante entre « démondialisation » et « altermondialisme », ce dernier partageant les présupposés de la mondialisation capitaliste, comme pour sa réfutation de M. Moreau Defarges qui assimile nationalisme et nazisme.
Dan le Monde du 7 décembre 1995, Erik Izraelewicz voyait dans la contestation du plan Juppé (trois semaines de grèves) la « première révolte contre la mondialisation ». Ce n’était qu’un début, le combat continue… Comme le résume M. Sapir, « il est très instructif de voir comment les revendications des Gilets Jaunes ont ainsi évolué d’une révolte antifiscale au départ à une remise en cause de l’injustice fiscale, puis à une remise en cause de la structure économique qui maintient les salaires et les revenus de la majorité au plus bas, et enfin à une remise en cause du cadre politique ».
Oui, les Français se réveillent. Le sondage d’Opinion Way sur les effets de la mondialisation révèle une faille entre le peuple et les gourous en costume-cravate.
11 réactions et commentaires
Extrait de : https://www.dropbox.com/s/1931rl51zdahgay/Comprendre%20l-Arnaque%20capitaliste%20265.pdf?dl=0
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Et la « mondialisation » ?
Pour faire baisser le coût du travail, et « aider » le développement des pays sous-développés, les gouvernements à la solde des « propriétaires », mirent en concurrence ces derniers avec les anciens pays développés socialement avancés, en supprimant progressivement les barrières douanières, dans le cadre de la mondialisation, qu’ils prétendent inéluctable, de l’économie.
Cette concurrence est mortifère pour les droits des travailleurs, qui n’ont d’autre choix que de les abandonner les uns après les autres pour rester dans la compétition mondiale. À terme, il leur faudra se contenter de ce que voudront bien payer ceux qui auront encore à les employer. (…)
Pire encore, cette « mondialisation » détruit des secteurs industriels entiers dans les pays développés, tels le textile, la métallurgie, l’équipement ménager, etc., ce qui les rend dépendants économiquement du reste du monde.
Ils perdent ainsi leur souveraineté, au grand bénéfice de ceux qui contrôlent les échanges et assoient leur pouvoir au détriment des peuples.
Un éventuel retour à la souveraineté des États comme solution prônée par certains est problématique, car il suppose de reconstruire un tissu industriel, et aussi agricole, toujours plus délabré.
+13
AlerterLa mondialisation était l’alibi permanent de nos maîtres. Si elle recule, au nom de quoi veulent-ils nous diriger ? Merci à Jacques Sapir pour sa distinction convaincante entre « démondialisation » et « altermondialisme », ce dernier partageant les présupposés de la mondialisation capitaliste, comme pour sa réfutation de M. Moreau Defarges qui assimile nationalisme et nazisme.
Dan le Monde du 7 décembre 1995, Erik Izraelewicz voyait dans la contestation du plan Juppé (trois semaines de grèves) la « première révolte contre la mondialisation ». Ce n’était qu’un début, le combat continue… Comme le résume M. Sapir, « il est très instructif de voir comment les revendications des Gilets Jaunes ont ainsi évolué d’une révolte antifiscale au départ à une remise en cause de l’injustice fiscale, puis à une remise en cause de la structure économique qui maintient les salaires et les revenus de la majorité au plus bas, et enfin à une remise en cause du cadre politique ».
Oui, les Français se réveillent. Le sondage d’Opinion Way sur les effets de la mondialisation révèle une faille entre le peuple et les gourous en costume-cravate.
+26
AlerterBonjour
« … sanctionné le Canada et le Mexique, et obtenu une renégociation du traité de libre-échange qui unit ces trois pays, le TAFTA » Ne s’agit’il pas plutôt de l’ALENA et non du TAFTA?
Sans pouvoir faire la part des choses entre les aspects économiques et les contraintes en ressources, il y a un faisceau logique entre la démodialisation décrite dans cet article et des aspects d’autres articles parus dans la revue de presse par ex. :
« Avec l’arrivée des pétroles non conventionnels prenant le relai d’une production de pétroles conventionnels (avec lesquels étaient produit du diesel) fléchissante à partir de 2006, A. Turiel explique que le craquage du fuel lourd en fuel léger a permis de maintenir tant bien que mal la production de diesel entre 2006 et 2015. Mais 2015 marque un pic de production du diesel et comme la production de mazout diminue elle aussi, le transport maritime devra se tourner vers le diesel. Cela laisse craindre des tensions sur les approvisionnements » (Qui va se manger le pic pétrolier ? : https://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-15-12-2018/)
« Les conséquences du « supply crunch » qu’envisage l’AIE promettent d’être particulièrement rudes pour l’Europe. » (Pic pétrolier probable d’ici 2025, selon l’Agence internationale de l’énergie : https://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-10-02-2018/)
Ce qui nous amène à la route de la soie, le remplacement du transport par mazout (cargos) par des moyens de transport en parti mûs par de l’électricité charbonnée.
+2
AlerterPour faire simple et en schématisant beaucoup (car en vérité c’est un tout petit peu plus complexe):
1) On verse du pétrole brut dans une immense cuve et on allume le feu dessous, très doucement au début: 20°c
2) La cuve commence alors à « dégazer », et on récupère les gaz: propane, butane, GPL.
3) On augmente le feu vers 150 à 200°c, sortent les vapeurs qui, une fois condensées donnent les essences de pétroles. D’abord les naphtes, pour la pétrochimie, puis l’essence pour nos voitures.
4) On augmente encore la température jusque vers 300°c. Montent alors les huiles: le kérosène pour les avions, le fameux gazole pour nos moteurs diesel, et le fioul domestique et ainsi de suite.
Il ne reste à la fin plus que les résidus: Les bitumes avec lesquels nous faisons nos routes.
Rien ne se perd dans le pétrole.
CONCLUSION: On ne fabrique pas du gazole à la demande. Qu’on le veuille ou pas, qu’on le consomme ou pas, il sort des cuves au cours du process. Et ce gazole représente 21% de la masse du pétrole brut, ce qui est loin d’être négligeable. (45% pour l’essence).
La question c’est: Qu’est-ce qu’on en fait si on ne le consomme plus?
Vers la fin des années soixante, seuls les camions, des bateaux pas trop gros et quelques rares voitures étaient équipés de moteurs diesel. On ne consommait pas tout le gazole issu des raffineries. Le surplus était rejeté à la mer.
Les compagnies pétrolières, devant ce manque à gagner, se sont alors tournées vers les constructeurs automobiles pour leur demander de développer les moteurs diesel, et c’est ce qu’on fait les constructeurs.
+6
AlerterBonjour Aarok, merci pour votre post.
Cependant il faut aller plus loin. Il n’existe pas une seule variété de « pétrole » destinée à être un liquide combustible mais des centaines… des pétroles légers, lourds, schisteux, acides, etc.
Depuis que la production de pétrole conventionnel (avec lequel on produit comme vous le décrivez le diesel, kero, mazout, etc) a commencé à fléchir en 2006, les pétroles non conventionnels et en particulier le pétrole léger de schiste US a pris le relai pour porter la prod mondiale à environ 100 millions de bl/j. Et c’est là où est le problème, car il n’est pas possible de faire du mazout, ni du diesel, ni du kero avec ce pétrole léger de schiste.
Oui, on ne fabrique pas du gazole à la demande, sauf à cracker des distillats lourds en distillats moyens (diesel), mais c’est pas gratuit. Les distillats moyens (diesel, kero) et lourds (fuel lourd, asphalte) sont indispensable à nos modes de vies thermo-industriels et à la modialisation maritime.
+3
AlerterComment macron place-t-il ses démarches chaotiques dans ce courant de démondialisation et de retour de souveraineté aux états ?
La mondialisation a profité à une minorité au détriment d’une majorité à qui on a fait croire ce qu’il devaient croire.
Le mouvement de démondialisation, profitera aux mêmes car ils maîtrisent processus ou l’ont organisé eux-même. Autre option : plus personne ne maîtrise quoi que ce soit parce que l’usine à gaz mondiale, financière, et tous les termes en ‘tique’, est devenue ingérable. Les cheminées ne refumeront pour autant plus car les temps ont changé et le savoir faire n’est plus chez nous. Il suffit de regarder le temps que ça a pris à la Chine de se construire un empire industriel. Par ailleurs, les ressources s’épuisent et on assiste, du moins en France, à un déconsumérisme sensible. En accuser les GJ est une désinformation patente et c’est également être bien aveugle aux changements en cours. Nous assistons plus à un retour naturel vers plus de simplicité, qu’à une démondialisation contrôlée et vertueuse.
Les Brics tentent autre chose. C’est bien.
Quant au gamin, il ne sait pas ce qui arrive, il ne le comprend pas et n’y réfléchit d’ailleurs pas puisque son logiciel interne n’est pas conçu pour embrasser le monde et sa complexité mais pour maintenir un statu quo. C’est un ‘bûcheron’ (pardon à la profession), qui ne sait que frapper pour faire rentrer un cube dans un trou rond. Nous sommes mal … ou biens, juste une question de temps.
Tenons bon, soyons attentifs et créatifs.
+5
AlerterC’est trop tard, la mondialisation étant prévue d’aboutir à l’émergence d’entreprises mondiales, à la réduction du périmètre de souveraineté des Etats anciens et par conséquent à l’émergence de droits d’actionnaires au dessus de droits de citoyens. Au vu des statistiques concernant les redistributions de dividendes, de montée des inégalités, des atteintes à l’environnement et des allègements de compétences des gouvernements, on peut considérer que la bascule est faite. D’autant que les hélicoptères de monnaie ont tellement saupoudré la vraie économie que plus personne ne connait le prix des choses. Ce qui reste de disponible dans ce monde fini va se jouer à la balle au prisonnier où un camp a les mains attachées dans le dos.
+2
AlerterDémondialisation. Et les flux migratoires ?
Il y a un angle mort dans l’article de J Sapir qui n’a pas pour objet d ‘aborder la question des migrations de population entre pays.
Les migrations suivront-elles cette phase de démondialisation ? Diminueront-elles ?
Seront-elles organisées, gérées par des accords responsables ?
Si, par hypothèse, les réponses sont négatives à ces deux questions, on peut craindre alors la prise de pouvoir par des gouvernements autoritaires, au prétexte de la maitrise Souveraine des flux migratoires .Gouvernements,au final, au service de l’oligarchie.
En évitant ce piège, alors oui,il est envisageable que « cette démondialisation se fasse au travers d’un approfondissement démocratique et pour le plus grand bien du plus grande nombre. » (J Sapir)
https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/les-migrations-dans-le-monde/
+1
AlerterÉpatant article. A commencer parce qu’il clarifie la relation mondialisation / appauvrissement des classes populaires. Ensuite parce qu’il démontre l’inéluctable nécessité de recouvrer note pleine souveraineté.
N’y manque que les solutions pour y parvenir SANS renoncer à une coopération européenne sans laquelle nous serons bientôt asservis par l’un ou l’autre des blocs continentaux qui sont en train de se constituer en oeuvrant à nous dépouiller de nos capacités de défense (à commencer en mer que nous désertons au moment où d’autres montent massivement en puissance).
+4
AlerterTrès bon article, riche et intéressant.
Cependant, il me semble que la question du nationalisme, dans ses rapports avec d’autres concepts, est insuffisamment analysée. Peut-être l’est-elle dans les ouvrages cités par Jacques Sapir. Notamment, j’aimerais comprendre le lien que fait l’auteur entre souverainisme et nationalisme. Les deux concepts semblent être pris pour synonymes, dans le corps du texte, ce qui ne me semble pas évident, et en tout cas, me pousse à demander plus d’investigations. En parallèle, la signification du vocable peuple. Il est essentiel de mettre en avant la dimension politique, ce qui est un des grands mérites de ce texte, mais l’invocation de la culture et du social ne me semble pas évacuer complètement la question du racial, au sens d’ethnie. Le texte se montre ici politiquement correct, et son argumentation est faible. Des précisions seraient souhaitables, et notamment dans le contexte actuel, où l’on se retrouve avec des Etats comptant des ethnie différentes, qui portent avec elles des expériences politiques et une mémoire culturelle différente. Comment faire peuple dans ce cadre ? L’histoire romaine fournit-elle des indications ?
+0
AlerterIntéressant article. Dommage qu’il ne soit pas dit ce que représente le graphique numéro 3.
+0
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