Les Crises Les Crises
10.août.202310.8.2023 // Les Crises

Taïwan renforce sa diplomatie économique malgré les pressions de la Chine

Merci 117
J'envoie

Les chiffres ne mentent pas : à Taipei les revenus du commerce en 2022 ont augmenté pour atteindre 907 milliards de dollars par rapport aux 508 milliards de 2016. Mais cela est-il susceptible de garantir son indépendance ?

(Shutterstock/ William Potter)

Source : Responsible Statecraft, Emanuele Scimia
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le 21 juin, les autorités fidjiennes ont rebaptisé le bureau de représentation de Taiwan – de facto l’embassade – pour l’intituler « Bureau commercial de Taipei » sous la pression de la Chine. Cette décision intervient à peine trois mois après que le gouvernement fidjien a rétabli le nom officiel, qui reprend le mot Taiwan, malgré l’opposition de Pékin.

Comme la plupart des nations, Les îles Fidji ont seulement des liens informels avec Taiwan, que la Chine considère comme une « province rebelle » à rattacher au continent par la force si nécessaire.

Le Honduras, pour sa part, a rompu ses liens officiels avec Taipei au profit d’une reconnaissance de Pékin en mars. Depuis que la présidente de Taïwan Tsai Ung-wen du Parti démocrate progressiste pro-indépendance est arrivée au pouvoir en 2016, la Chine a fait main basse sur sept autres partenaires diplomatiques : le Burkina Fasso, le Panama, São Tomé et Principe, la République dominicaine, le Salvador, les îles Salomon, Kiribati et le Nicaragua.

Ces évolutions donnent à penser que tandis que Pékin poursuit son ascension mondiale, Taipei perd rapidement de sa force diplomatique. Mais les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Alors que Taïwan perd des « alliés diplomatiques » au profit de la Chine continentale, elle renforce en réalité sa diplomatie économique, ce qui lui permet d’étendre et de renforcer son réseau de relations extérieures informelles.

En réalité, les multiples agressions diplomatiques de la Chine à l’encontre de Taïwan n’ont pas entraîné de pertes substantielles pour l’île autonome, qui a pu transformer sa vitalité économique en gains géopolitiques en misant sur les besoins en technologie de ses partenaires informels. Les chiffres ne mentent pas.

Le total des échanges commerciaux de Taïwan est passé de 508,4 milliards de dollars en 2016 à 907 milliards de dollars en 2022. Alors que 39 % des exportations taïwanaises étaient destinées à la Chine et à Hong Kong l’année dernière, la valeur des exportations de Taipei vers les États-Unis a grimpé à 74,9 milliards de dollars, soit 45 milliards de dollars de plus qu’en 2016. Les ventes de l’île aux dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ont atteint 80,8 milliards de dollars, un bond notable par rapport aux 51,3 milliards de dollars de 2016.

Au cours du mandat de Mme Tsai, Taïwan a également augmenté de manière significative son commerce extérieur avec l’Union européenne et renforcé son commerce bilatéral avec des pays tels que le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, l’Inde et le Mexique.

Si la majorité des investissements étrangers sortants taïwanais continuent d’aller vers la Chine, le stock total situé dans le reste du monde est passé de 25 à 28 % depuis 2016. Plus important encore, les investissements entrants consentis par Taïwan ont atteint leur plus haut niveau en 15 ans, à 13,3 milliards de dollars l’année dernière, avec le Danemark, les Territoires britanniques des Caraïbes, le Japon, l’Australie et les Pays-Bas en tête de peloton. Les investissements de la Chine se sont élevés à seulement 38,7 millions de dollars.

Les entreprises technologiques taïwanaises, fleurons de l’économie de l’île, ont également réussi à concilier les demandes des clients étrangers de délocaliser la production à l’étranger pour des raisons géopolitiques et la nécessité de conserver le cœur de l’activité dans le pays. Et même si l’économie taïwanaise est aujourd’hui moins performante, les entreprises locales renforcent leur présence à l’étranger tandis que les entreprises étrangères en font de même sur l’île.

La Taiwan Semiconductor Manufacturing Company qui est, en 2021, la plus importante fonderie de semiconducteurs indépendante au monde, en est un bon exemple. Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffett, a récemment vendu sa participation dans TSMC par crainte que la Chine n’attaque l’île. TSMC travaille sur des projets aux États-Unis et au Japon et envisage d’investir en Allemagne, mais son président Mark Liu a déclaré le 6 juin que 90 % de la capacité de production de l’entreprise resterait à Taïwan.

Taipei se démène pour devenir un rouage indispensable au fonctionnement de l’économie mondiale. Le souhait de l’île est qu’une éventuelle invasion par la Chine se révèle trop coûteuse économiquement parlant pour la communauté internationale, y compris pour le continent chinois, et que cela freine les dirigeants communistes de Pékin.

Des géants étrangers de la tech semblent adhérer à la stratégie taiwanaise. La société américaine Nvidia — qui est l’un des principaux fournisseurs de systèmes informatiques pour l’intelligence artificielle — est prête à construire deux superordinateurs à Taiwan. Le constructeur danois de composants semi-conducteurs ASML Holding, le premier fabriquant de machines de lithographies pour la fabrication de semi-conducteurs, devrait, selon les rapports recevoir 9.27 millions de dollars de subventions de Taiwan pour son projet « 2-nanomètres » à New Tapei City.

De leur côté, les industriels taïwanais de la tech étendent leurs opérations partout dans le monde. En plus des investissements de TSMC aux Etats-Unis et au Japon, Foxconn va commencer à produire des IPhones dans l’état indien du Karnataka d’ici avril 2024, ont annoncé les autorités locales le premier juin. Foxconn s’intéresse aussi à la construction d’usines de batteries aux Etats-Unis, en Inde et en Indonésie pour soutenir son programme de véhicules électriques.

Le constructeur de batteries de véhicule électrique ProLogium — autre grande entreprise taiwanaise de la tech — est en phase finale de pourparlers pour obtenir des subventions du gouvernement français en vue de construire une usine de batteries dans le nord de la France à hauteur de 5.7 milliards de dollars. Autre avancée récente, le 30 mai l’association taïwanaise pour les standards de l’information et de la communication a conclu un accord avec un groupe industriel affilié à l’UE afin d’accélérer le développement de la technologie 6G.

Taiwan essaie actuellement de contrer les coups d’éclat diplomatiques de Pékin par un engagement économique à l’étranger. En rehaussant le niveau des échanges commerciaux bilatéraux, Taipei « internationalise » sa position. Le réseau croissant de connexions économiques et technologiques de l’île avec le reste du monde pose un dilemme à la Chine, qui est elle-même un maillon clé de la chaine d’approvisionnement pour l’électronique.

L’un des défis diplomatiques de taille pour Taiwan est celui de sa participation aux organisations internationales et aux forums commerciaux, que la Chine a jusqu’à présent été en mesure de bloquer. Les projecteurs sont maintenant braqués sur le prochain sommet de l’Accord global et progressif pour le partenariat transpacifique (CPTPP), le pacte local régional qui a remplacé le Partenariat trans-Pacifique, prôné par l’ancien président des Etats-Unis Barack Obama et démantelé par son successeur Donald Trump.

Les dirigeants du CPTPP se réuniront en juillet et pourraient discuter de l’élargissement à d’autres acteurs. Le Japon, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Singapour ont tous manifesté leur soutien à l’adhésion de Taipei. Selon le gouvernement japonais, l’île pourrait rejoindre le groupement commercial en tant que « territoire douanier distinct », un statut qui a permis à Taiwan d’accéder à l’Organisation mondiale du commerce.

Tout bien considéré, on peut dire que plus la Chine tente d’affaiblir Taïwan, plus l’île semble en mesure d’améliorer sa position internationale en créant une dépendance mondiale vis-à-vis de son secteur technologique, en particulier celui des microprocesseurs. Bien qu’il ne s’agisse pas de la seule stratégie adoptée par Taiwan pour garantir son autonomie et éviter une guerre avec la Chine, c’est probablement la plus intelligente à l’heure actuelle, parce qu’elle permet à l’île de se positionner face à Pékin d’une manière « asymétrique » et moins conflictuelle.

Source : Responsible Statecraft, Emanuele Scimia, 03-07-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs - et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. 

Commentaire recommandé

Patrique // 10.08.2023 à 10h12

Les EU font la guerre à la Russie jusqu’au dernier ukrainien. Ils feront la guerre à la Chine jusqu’au dernier « taïwanais »

6 réactions et commentaires

  • Myrkur34 // 10.08.2023 à 08h13

    Faut dire que pour les taïwanais de base, les exemples du Tibet, de Hong-Kong et des Ouïghours n’incitent pas au rattachement fraternel et dans l’allégresse.

    https://lcp.fr/programmes/ouighours-mecanique-d-un-genocide-annonce-138829

    Ah les fameux centres de formation professionnelle..

      +3

    Alerter
  • Daniel // 10.08.2023 à 08h54

    C’est une vision très US de la question de Taiwan, sans prendre en compte la base de la diplomatie chinoise sur ce sujet qui est : « un État, deux systèmes ». Cette base diplomatique est toujours partagée officiellement par les USA, même si les faits prouvent le contraire !
    reformulation du dernier paragraphe en ce sens :
    Plus les USA tenteront d’isoler Taiwan de la Chine, plus la guerre sera présente… laisser Taiwan décider de son avenir sans ingérence extérieure (USA principalement) serait une bonne chose pour dé escalader la menace militaire !

      +21

    Alerter
    • AigriMaisPasTrop // 10.08.2023 à 23h36

      Il me semble que les Taiwanais décident déjà d’eux-mêmes de leur avenir puisqu’ils choisissent des dirigeants pro-indépendance depuis fort longtemps.

        +6

      Alerter
  • Patrique // 10.08.2023 à 10h12

    Les EU font la guerre à la Russie jusqu’au dernier ukrainien. Ils feront la guerre à la Chine jusqu’au dernier « taïwanais »

      +31

    Alerter
  • Dominique65 // 10.08.2023 à 11h28

    Lorsque Nvidia construit des ordinateurs, ce n’est pas une action commerciale mais une manœuvre contre la Chine, nous dit ce texte. Oubliez donc la concurrence libre et non faussée, imposée par ceux qui la baffouent.

      +6

    Alerter
  • Hiro Masamune // 18.08.2023 à 20h46

    Je me demande ce qui diraient ces journalistes si les Chinois soutenaient l’indépendance de la Corse …et leur envoyaient 350 millions de dollars d’armes … et patrouillaient avec leurs porte-avions entre Marseilles et Bonifacio …
    Je pourrais continuer longtemps à les égrainer les conneries du genre mais ça serait vraiment trop facile et j’aurais pas assez de place pour tout mettre.

      +2

    Alerter
  • Afficher tous les commentaires

Les commentaires sont fermés.

Et recevez nos publications