Les conseils de Theodor Meron concernant l’inculpation des dirigeants d’Israël et du Hamas interviennent à la fin d’une carrière remarquable et riche en informations.
Source : New Lines Magazine, Shachar Pinsker
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le 20 mai 2024, Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a annoncé qu’il avait demandé des mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants du Hamas et d’Israël, dans ce qu’il a décrit comme « une étape historique pour les victimes ». Les mandats concernent Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh du Hamas, ainsi que le Premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant. Khan accuse les dirigeants du Hamas de meurtres, de viols et de prises d’otages lors de l’attaque du 7 octobre contre Israël, au cours de laquelle des hommes armés sous leur commandement se sont infiltrés depuis Gaza, ont tué environ 1 200 personnes et en ont enlevé environ 240. Il accuse les dirigeants israéliens d’avoir utilisé la famine comme arme de guerre et d’avoir dirigé intentionnellement des attaques contre la population civile de Gaza, où l’armée a tué environ 35 000 personnes et en a blessé 77 500. Toutes les parties sont accusées d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Avant son annonce, Karim Khan a convoqué un groupe de six experts en droit international. Leur tâche consistait à examiner les preuves et évaluer si elles constituaient des « motifs raisonnables de croire » que les suspects avaient commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en Israël et à Gaza. Le groupe d’experts a approuvé à l’unanimité la décision du procureur. Le 20 mai, le jour de l’annonce de Khan, le Financial Times a publié un article d’opinion rédigé par les six experts dans lequel ils résumaient leur rapport et décrivaient la guerre à Gaza comme « sans doute sans précédent dans la mesure où elle a donné lieu à des malentendus quant au rôle et à la compétence de la CPI, à un discours particulièrement clivant, et parfois même dans certains cas à de l’antisémitisme et à de l’islamophobie. » Dans un tel contexte, poursuivent les experts-conseils, ils « ont estimé qu’ils avaient le devoir de souscrire à la demande et de fournir un avis juridique impartial et indépendant, fondé sur des preuves. »
L’un des experts coauteur du rapport et de l’article du Financial Times est Theodor Meron, âgé de 94 ans, spécialiste renommé du droit international et humanitaire. Survivant de l’Holocauste, il a été emprisonné pendant quatre ans dans un camp de concentration nazi. Au début de sa carrière, le polymathe Meron a été avocat, diplomate et ambassadeur représentant l’État d’Israël. Depuis la fin des années 1970, lorsqu’il a quitté Israël pour s’installer à New York, il a été professeur de droit international, juge et spécialiste des droits humains.
À ce titre, il a enseigné à la New York University Law School, où il est titulaire de la chaire Charles L. Denison. Il a également été professeur invité à Harvard, à l’université de Californie, à Berkeley et, plus récemment, à Oxford. La recherche juridique de Theodor Meron est fondamentale pour le droit international contemporain. En 2001, il a été nommé juge au sein du groupe des Nations unies chargé de juger les crimes commis pendant les guerres qui ont éclaté après l’éclatement de la Yougoslavie, puis président de la cour d’appel du tribunal pendant plusieurs années.
One of the most interesting questions about Meron is how his experience and understanding of the Holocaust shaped his career in international law and affected both his scholarship and the evolution of his worldview. There is significance in the fact that a Jewish genocide survivor and former refugee who once served as an Israeli diplomat is now advising the ICC on Israel’s prosecution of the war in Gaza, which has caused the deaths and injuries of tens of thousands of Palestinian civilians and the displacement of hundreds of thousands, most of whose families have been refugees since 1948.
Quand on s’intéresse à Meron, il est fascinant de découvrir comment son expérience et sa compréhension de l’Holocauste ont façonné sa carrière dans le droit international et ont influé à la fois sur ses études et sur l’évolution de sa vision du monde. Ce n’est pas anodin qu’un survivant juif du génocide et ancien réfugié, qui a été diplomate israélien, conseille aujourd’hui la CPI sur les poursuites engagées contre Israël dans le cadre de la guerre à Gaza. Cette guerre a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés parmi les civils palestiniens et provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes, dont la plupart des familles sont sous statut de réfugiées depuis 1948.
Theodor Meron est né en 1930 dans une famille juive de classe moyenne à Kalisz, l’une des plus anciennes villes de Pologne. Kalisz est connue pour le Statut des Juifs, promulgué en 1264 par Boleslas le Pieux, souverain de la Grande Pologne, qui a conféré aux Juifs d’Europe centrale et orientale un statut juridique et une protection contre les persécutions dont ne bénéficiaient pas à l’époque leurs coreligionnaires d’Europe de l’Ouest. En 1939, alors que Meron avait 9 ans, l’Allemagne nazie a envahi la Pologne et, au cours des six années d’occupation du pays, a procédé à l’extermination systématique des Juifs, aujourd’hui qualifiée de génocide (le mot a été inventé et utilisé pour la première fois pour décrire l’Holocauste). Meron a finalement été déporté à Czestochowa, un ghetto et un camp de concentration, où il a passé quatre ans. Lorsqu’il a été libéré à l’âge de 15 ans, la plupart des membres de sa famille avaient été tués. Dans un article paru en 2004 dans le New York Times, Meron a déclaré que sa décision d’étudier le droit provenait de son expérience dans le camp de concentration nazi, qui l’a incité à « explorer les moyens d’éviter les mauvais traitements, à se concentrer sur les moyens de protéger la dignité humaine. »
Orphelin et privé d’éducation de 11 à 15 ans, Meron a immigré en 1945 en Palestine mandataire, où il a été adopté par un oncle et une tante qui s’y étaient installés avant la guerre. Pendant de nombreuses années, il dit n’avoir pas voulu parler de la Pologne ou de ses expériences en temps de guerre parce qu’il se sentait gêné d’être une victime. Lors d’une conférence donnée en 2008, il a expliqué qu’il faisait des cauchemars dans lesquels il échappait à des Allemands en uniforme noir qui le poursuivaient, et qu’il se réveillait en sueur. « J’ai essayé en vain d’oublier. Je ne pouvais même pas imaginer revenir face à des lieux qui avaient laissé une empreinte si douloureuse et traumatisante dans ma vie. »
Après avoir terminé ses études secondaires à Haïfa et servi dans l’armée israélienne, Meron a étudié le droit à l’Université hébraïque de Jérusalem. En 1961, alors qu’il n’a que 31 ans, il rejoint la mission permanente de l’État d’Israël auprès des Nations unies à New York. Dans ses mémoires, Meron décrit son implication dans les discussions de l’ONU visant à trouver une solution pour la situation des réfugiés palestiniens. Il a noué des relations étroites avec les responsables de la Commission de conciliation des Nations unies pour la Palestine (CCP), créée en 1948 pour promouvoir une solution durable pour les réfugiés palestiniens. Après le rétablissement de la CCP en 1961, avec la participation des États-Unis, de la France et de la Turquie, Meron a estimé que plusieurs idées « devraient être discutées et testées et qu’une solution raisonnable devrait être trouvée pour mettre fin à la situation critique des réfugiés. » Cependant, Meron a écrit plus tard que ses rapports étaient « une source d’embarras » pour Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères, qui s’opposait à la renaissance du PCC : elle lui a demandé de « cesser et de s’abstenir. » La position d’Israël, telle que Meir l’a formulée pour la première fois en 1959, est restée remarquablement constante au cours des 65 dernières années. Les réfugiés palestiniens qui étaient des enfants en 1948 ont été endoctrinés dans leurs écoles, par le biais de leurs manuels, à haïr Israël et à chercher à le détruire. C’est pourquoi, a-t-elle dit, « ce serait suicidaire » pour Israël si le retour d’un grand nombre de réfugiés était accepté. Elle a ajouté qu’Israël avait absorbé un million de réfugiés juifs des pays arabes au cours des dernières années et a suggéré que les terres et les propriétés qu’ils ont récemment quittées pourraient être réaffectées à l’installation de réfugiés palestiniens puisque, a-t-elle dit, ils parlent tous l’arabe.
Les études et les conférences de Theodor Meron donnent l’impression qu’il essayait de trouver une solution humaine pour les réfugiés palestiniens de 1948 dans le cadre de ses obligations légales en tant que représentant d’Israël. Au cours de cette guerre, qu’Israël appelle la guerre d’indépendance et que les Palestiniens appellent la Nakba, ou catastrophe, quelque 850 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux par l’armée israélienne nouvellement établie ou ont fui les combats en pensant qu’ils reviendraient bientôt. Mais l’État d’Israël a empêché la grande majorité d’entre eux de revenir après la fin des hostilités. Ces personnes et leurs descendants, dont le nombre est estimé à 6 millions, sont toujours considérés aujourd’hui comme des réfugiés apatrides. Meron a été limité dans ses tentatives de trouver une solution pour les réfugiés palestiniens par la politique de son gouvernement qui, à l’époque, excluait toute discussion ou négociation sur la question. Parce que Meron a servi son gouvernement, certains l’ont impliqué dans l’échec de la résolution de la question des réfugiés palestiniens. D’après ses conférences et ses écrits, il semble avoir conclu, à la fin de sa vie, qu’il était effectivement impliqué, malgré ses efforts en tant que diplomate aux Nations unies. L’évolution de ses opinions est peut-être la plus explicite dans ses mémoires de 2021, Standing Up for Justice, dans lesquelles il évoque « la perception croissante que les droits humains des Palestiniens, ainsi que leurs droits en vertu de la quatrième Convention de Genève, ont été violés, et que la colonisation de territoires peuplés par d’autres peuples ne peut plus être acceptée à notre époque. »
L’affirmation selon laquelle Meron était complice des souffrances des Palestiniens est compliquée par le fait que, bien qu’il ait servi l’État, il n’a jamais été en mesure d’en influencer les décisions politiques. La complicité peut donc être difficile à évaluer. Michael Rothberg, titulaire de la chaire d’études sur l’Holocauste à l’université de Californie à Los Angeles, apporte des éclaircissements dans son ouvrage de 2019 intitulé The Implicated Subject (Le sujet impliqué). Un sujet impliqué, selon l’analyse de Rothberg, n’est pas une victime ou un criminel, mais une personne « alignée sur le pouvoir et le privilège » qui, bien qu’elle ne soit ni un « agent direct de préjudice » ni en mesure de contrôler les actions du « régime de domination » qu’elle sert, contribue à son existence ou en bénéficie. Ceux qui ont reproché à Meron sa complicité l’attribuent à la dynamique décrite par Rothberg.
Un autre élément de l’analyse de Rothberg se rapporte à la vie et à l’œuvre de Meron. Rothberg s’intéresse principalement à la reconnaissance de la responsabilité politique collective et à construire la solidarité, mais son cadre conceptuel est également un outil utile pour comprendre les limites du droit international dans la lutte contre le pouvoir et l’injustice. Peut-on dire que ces limites « accusent » le droit international humanitaire d’être l’incapable de résoudre les injustices subies, par exemple, par le peuple palestinien ?
Meron a travaillé à l’ONU jusqu’à ce que la Guerre des Six jours éclate en juin 1967. À la fin de cette guerre, Israël occupait Gaza, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, le plateau du Golan et le Sinaï. L’occupation militaire a créé une nouvelle vague de réfugiés palestiniens. Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 237, qui demandait au gouvernement israélien de « faciliter le retour des habitants qui ont fui ces régions depuis le début des hostilités. » Israël n’a cependant pas respecté cette résolution.
À ce moment crucial de l’histoire israélo-palestinienne, le gouvernement israélien a proposé à Meron le poste de conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem. Quelques semaines après avoir pris ses fonctions, le Premier ministre Levi Eshkol a demandé à Meron de fournir un avis juridique sur la question de l’établissement de colonies israéliennes dans les territoires palestiniens nouvellement occupés. Eshkol était à la tête du parti travailliste (Mapai), qui avait formé une large coalition gouvernementale de partis représentant la gauche et le centre d’Israël. Aujourd’hui, le projet de colonisation est associé aux messianistes et aux nationalistes religieux, mais l’initiative de construire des colonies dans les territoires nouvellement occupés a également été prise par un gouvernement laïque et prétendument libéral. La réponse de Meron à l’initiative de colonisation, documentée dans un mémo top secret qui n’a été déclassifié qu’au début des années 2000, comprend ce qui suit :
« Je crains que la question de l’implantation juive dans les territoires administrés soit très sensible dans le monde et que tous les arguments juridiques que nous essaierons de trouver ne contrecarreront pas la forte pression internationale qui sera exercée sur nous, même par des pays amis qui se fonderont sur la Quatrième convention de Genève. Ces pays peuvent prétendre que, alors qu’ils attendent d’Israël qu’il réinstalle les réfugiés arabes, Israël est occupé à installer ses citoyens dans les territoires administrés.
Le 12 mars 1968, Meron écrit dans un autre mémo top secret que la démolition de maisons palestiniennes et les déportations de Palestiniens soupçonnés d’activités subversives sont des violations des Conventions de Genève et constituent une punition collective. Réfléchissant à ses notes bien des années plus tard dans Standing Up for Justice, Meron écrit : « Même si je savais que ce n’était pas l’avis que le Premier ministre aurait souhaité que je donne, je n’avais aucun doute sur le fait que les conseillers juridiques des gouvernements doivent être fidèles à la loi et l’appliquer comme ils la considèrent. »
Lorsque Meron a rédigé ses avis juridiques sur les territoires nouvellement occupés, Israël avait déjà affirmé que son contrôle militaire de la Cisjordanie et de Gaza ne correspondait pas à la définition de « l’occupation » et ne devait donc pas être soumis aux règles strictes du droit de l’occupation énoncées dans la Convention de Genève. Dans un article paru en 2017 dans le Journal of Palestine Studies, Noura Erakat, juriste palestino-américaine, écrit que les conseils juridiques de Meron n’ont pas dissuadé Eshkol de construire des colonies. En fait, il a fourni au Premier ministre une voie à suivre. L’intention de Meron était peut-être d’avertir le gouvernement que les colonies violeraient le droit international, mais dans son mémo, il écrit que si le droit de l’occupation « interdit catégoriquement » les implantations civiles dans les territoires occupés, il autorise en revanche les campements militaires temporaires.
Le journaliste israélien Gershom Gorenberg, spécialiste de l’histoire des colonies, a écrit : « Une semaine après avoir reçu le mémo, Eshkol a informé le cabinet que Kfar Etzion serait rétabli par la brigade Nahal », qui combine le service militaire avec l’établissement de communautés agricoles civiles. (De nombreuses colonies actuelles dans les territoires occupés et des communautés en Israël ont été établies à l’origine par des unités Nahal). Fin septembre, les colons sont arrivés à Kfar Etzion, situé au sud-ouest de Jérusalem et de Bethléem. Kfar Etzion revêt une importance historique et idéologique pour le gouvernement israélien : c’est le site d’un kibboutz de la Palestine mandataire qui est tombé sous le contrôle du Royaume hachémite de Jordanie en 1948, à la suite d’une bataille de deux jours qui a fait un grand nombre de victimes et qui est devenue un élément bien connu du récit historique d’Israël sur sa guerre de 1948. C’est pour cette raison qu’Israël a fait de Kfar Etzion la première colonie établie après la guerre de 1967.
En 1968, Meron et Michael Comay, conseiller politique au ministère des Affaires étrangères, ont rédigé ensemble un autre câble top secret destiné à Yizhak Rabin, alors ambassadeur d’Israël aux États-Unis. Comay et Meron ont exposé les considérations liées au refus de reconnaître officiellement l’applicabilité de la Quatrième convention de Genève, qui interdit à une puissance occupante de transférer des membres de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe. Ils ont écrit : « Une reconnaissance expresse de notre part de l’applicabilité de la Convention de Genève mettrait en lumière de graves problèmes liés à la Convention en termes de dynamitage de maisons, de déportations, de colonies, etc. » Ils ont également indiqué que l’annexion de facto de Jérusalem-Est par Israël et l’expropriation de terres étaient contraires au droit international : « Il n’y a aucun moyen de réconcilier nos actions à Jérusalem avec les restrictions émanant de la Convention de Genève et du Règlement de La Haye. » (Moshe Dayan a donné des ordres en 1967 qui équivalaient à une « réunification » de facto de la ville, qui avait été divisée de 1948 à 1967. Depuis que la Knesset a voté en 1980 pour officialiser l’annexion, la position officielle d’Israël, telle qu’elle est inscrite dans les lois fondamentales quasi-constitutionnelles du pays, est que Jérusalem dans son intégralité est la capitale d’Israël).
Une autre considération qui a conduit à éviter la reconnaissance de la convention était : « Pour laisser ouvertes toutes les options concernant les frontières, nous ne devons pas reconnaître que notre statut dans les territoires administrés est simplement celui d’une puissance occupante. » La deuxième partie du câble demandait à Rabin « d’éviter d’entrer dans une discussion ou un débat sur ces questions, mais de simplement écrire […] les réponses et de laisser les questions à l’ambassade, sans communiqué, et sans – je répète – sans la participation de la délégation de l’ONU. »
Le gouvernement Eshkol n’était pas satisfait de l’insistance de Meron sur le fait que les territoires occupés étaient soumis aux Conventions de Genève. Il a donc décidé d’adopter l’approche du professeur de droit de l’Université hébraïque Yehuda Zvi Blum, qui a soutenu qu’Israël ne pouvait pas être considéré comme un occupant dans les territoires en droit et a consacré ce que le gouvernement israélien avait déjà établi de manière informelle. Dans un article paru en 2017 dans l’American Journal of International Law, Meron a résumé la question comme suit : « L’histoire montre que ces avis ont été ignorés par le gouvernement d’Israël et dans les années qui ont suivi, la divergence entre les exigences du droit international et la situation sur le terrain en Cisjordanie s’est plutôt aggravée. »
Meron a servi l’État d’Israël à divers titres de 1967 à 1976, notamment en tant qu’ambassadeur auprès des Nations unies à New York et à Genève. Il a ensuite démissionné du ministère des Affaires étrangères et a quitté définitivement Israël pour les États-Unis, où il a enseigné à la faculté de droit de l’université de New York. Dans ses mémoires, Meron indique que c’est la recherche d’un foyer intellectuel qui l’a poussé à interrompre sa carrière dans le service des Affaires étrangères d’Israël. La faculté de droit, écrit-il, « lui faisait signe ». Il ne dit pas s’il était également motivé par des raisons idéologiques ou éthiques, mais il ne fait aucun doute qu’au cours de la seconde moitié de sa carrière, après avoir quitté Israël, la réflexion de Meron sur la question de la complicité a évolué. Il est devenu un éminent spécialiste des droits humains et a participé à la création de la CPI.
En tant que membre de la délégation américaine à la conférence de Rome pour la création de la CPI en 1998, Meron a participé à la rédaction des dispositions relatives aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. La CPI a pour mandat de tenir des individus, et non des États ou des collectivités, responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. C’est pourquoi Khan n’inculpe pas Israël ni le Hamas, mais Benjamin Netanyahou, Yoav Gallant, Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismaïl Haniyeh.
Meron a écrit sur ce passage de la responsabilité de l’État à la responsabilité individuelle dans The Humanization of International Law (L’humanisation du droit international) en 2006. Alors que le droit international codifié au cours du XXe siècle était axé sur l’État, au XXIe siècle, il est axé sur l’individu. En tant que juge et universitaire, Meron se préoccupe de plus en plus de « la répression de la dignité humaine, qui se produit dans un continuum de situations de conflit, de la normalité au conflit armé international à part entière », et s’efforce de faire en sorte que, dans toutes ces situations, le droit international assure la protection des êtres humains individuels. C’est pourquoi la question de la responsabilité de Meron pour ses actions passées et présentes en tant que diplomate, expert juridique et juge n’est pas seulement intéressante, mais cruciale.
Dans ses mémoires, Meron écrit qu’il était « à peine conscient » des procès de Nuremberg contre les hauts responsables nazis en 1946, alors qu’il avait 16 ans. Mais sa vie, écrit-il, a été « formée et modifiée à jamais par la guerre ». Il a ajouté : « Bien que ma carrière ait suivi un chemin détourné, le thème constant a été une tentative d’affronter le chaos et la douleur de la guerre. La guerre a brisé mon enfance et a fait naître en moi à la fois un désir d’éducation et le désir que la loi répare les torts et mette fin aux atrocités. » Les raisons pour lesquelles Meron soutient la demande de mandats d’arrêt de Khan sont cohérentes avec ses études et son implication dans la codification du droit international humanitaire qui rend les individus responsables de leurs crimes de guerre. Nous ne savons pas si l’opposition à la politique du gouvernement israélien à l’égard des Palestiniens a joué un rôle dans sa décision de démissionner du service des Affaires étrangères d’Israël et de s’installer aux États-Unis à l’approche de la quarantaine. Mais dans la carrière universitaire et juridique qu’il a poursuivie depuis les années 1980, en particulier sa participation à l’élaboration des fondements juridiques des tribunaux pénaux internationaux, son engagement en faveur des droits humains est incontestable.
La leçon que Meron a tirée du génocide qui a tué sa famille et lui a volé son enfance n’est pas que l’Holocauste a été une tragédie uniquement pour le peuple juif, mais pour l’humanité. Dans le discours qu’il a prononcé lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste organisée par les Nations unies à l’occasion du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz, Meron a souligné que la machine à tuer nazie ne visait pas seulement les Juifs, mais aussi les Roms, les Polonais, les Russes, les dissidents politiques et d’autres groupes. Il a également rendu hommage aux non-Juifs qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs. Enfin, il a conclu en exprimant l’espoir que « ni nous ni nos enfants ne seront victimes ou, pire encore, auteurs d’un génocide. » La perspective universaliste de Meron sur l’Holocauste n’est pas la norme dans le discours israélien ou juif, qui tend à adopter une vision nationaliste du génocide nazi. Mais pour Meron, « plus jamais ça » ne s’applique pas seulement aux Juifs, mais à tous les êtres humains.
Sayed Kashua, un auteur palestino-israélien qui vit aujourd’hui aux États-Unis, a écrit dans un article paru en 2021 dans la New York Review of Books : « L’histoire palestino-israélienne a prouvé que le fait d’éprouver l’angoisse d’être un réfugié ne garantit pas une sensibilité à la souffrance des autres réfugiés – pas même parmi ceux qui sont la cause première de cette souffrance. » Kashua a ajouté : « Même ceux qui ont été eux-mêmes des victimes ne peuvent pas être censés développer une compassion particulière, et ceux qui ont souffert de persécution ne peuvent pas non plus être censés rechercher la justice pour tous. »
Theodor Meron a été victime des crimes nazis lorsqu’il était enfant et réfugié en Pologne lorsqu’il était adolescent. Il a immigré en Palestine, où il a reçu une première formation juridique, et a commencé sa carrière juridique et diplomatique en Israël. Parce qu’il travaillait pour l’État d’Israël, il a été impliqué dans certaines de ses politiques les plus controversées, en particulier l’établissement de colonies dans les territoires palestiniens occupés, alors même qu’il tentait d’influencer le gouvernement pour qu’il s’oppose à cette mesure. Ses réflexions récentes sur son expérience de témoin et d’acteur de divers cas historiques et contemporains de violence et d’injustice constituent une leçon cruciale sur l’importance et la valeur de l’examen de ses opinions et sur la possibilité de changer d’avis. Aujourd’hui, Meron est l’un des experts qui ont rédigé la déclaration publiée dans le Financial Times sur « l’étape historique [franchie par la CPI] pour garantir la justice aux victimes en Israël et en Palestine en délivrant des demandes pour cinq mandats d’arrêt accusant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par de hauts responsables du Hamas et d’Israël. » L’intuition de Sayed Kashua concernant l’effet de la souffrance – à savoir qu’elle ne confère pas nécessairement à ses victimes de la sensibilité ou de la compassion – semble être, et est très probablement, généralement correcte. Dans l’évolution de ses opinions, Theodor Meron constitue pour le moins une exception.
Shachar Pinsker est professeur d’études judaïques et d’études sur le Moyen-Orient à l’université du Michigan, à Ann Arbor.
Source : New Lines Magazine, Shachar Pinsker, 09-07-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
« Il faut croire que la CPI reste un garde fou »…
Euuuhh…
Sauf pour les USA qui ont clairement menacé sans se cacher les juges de ladite CPI de diverses mesures de rétorsion s’ils avaient l’idée saugrenue d’enquêter sur les personnels US malgré l’existence de preuves irréfutables.
Bref, pour l’occident la CPI ne sert qu’à inculper des « ennemis » politiques qui s’opposent à la mainmise occidentale sur le reste du monde.
Comme la CPI a eu l’intelligence de mettre les criminels du HAMAS et les dirigeants israéliens dans le même panier (de crabes) les occidentaux n’osent pas trop hurler au loup vis à vis de cette décision de leur « chose » mais ils continuent encore à inviter et à discuter sans se cacher avec des criminels de guerre potentiels -du moins parmi leurs « alliés » (censés être innocents tant qu’ils ne sont pas condamnés contrairement à Slobodan Milosevic ou à Laurent Gbagbo déclarés coupables avant que le dossier d’inculpation n’ait été ouvert).
Et sans doute les USA sont à la manœuvre pour « persuader » la CPI d’abandonner les poursuites contre leur « grand ami » qui ne fait pas pire qu’eux.
Manque de bol, l’hypocrisie occidentale a atteint un niveau totalement insupportable pour le reste de la population de cette planète (au moins les 3/4) et la montée des BRICS et la dédolarisation en cours n’arrangent pas les affaires d’un occident violent, vampirisatieur mais surtout décadent suite à sa suffisance (regardez simplement le mépris de Micron en Afrique).
Et c’est bel et bien la population des « gueux » qui paiera pour les dirigeants, comme toujours.
7 réactions et commentaires
Le nombre de morts à Gaza tués par l’armée israélienne ( 35000 ) est largement sous évolué d’après d’autres sources . Il serait de plus de 50.000 morts. Je ne comprends pas comment fonctionne un état et les luttes internes mais je suis certain que l’influence des lobbies pétroliers, » les cinq sœurs « , joue un rôle important .Elles veulent le gaz et le pétrole qui se trouve à 50km au large de la côte de la Palestine. Les hommes politiques ne sont que les marionnettes des forces économiques américaines et anglo-saxonne avec Total en plus. Le monde de l’industrie ,la pharmacie et le médical , le commerce , médias etc. TOUT , absolument TOUT, est sous la domination des forces financières comme le dit le fils de Kennedy dans une conférence récente.
+21
Alerter« il a conclu en exprimant l’espoir que « ni nous ni nos enfants ne seront victimes ou, pire encore, auteurs d’un génocide. » »
C’est la leçon universaliste qu’on peut tirer de cette tragédie. Celle qui prévaut en Occident, c’est hélas la leçon essentialiste, mise au service d’un projet politique, le Grand Israël à tout prix. Toute personne ou entité qui s’oppose à ce but est aussitôt taxée d’antisémitisme, que ce soit l’ONU, l’Afrique du sud, ou autre :
https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/le-chef-de-la-diplomatie-israelienne-qualifie-lonu-dorganisation-antisemite-DBWBXJTE4JH35J3USCPWSYZHIA/
https://www.aa.com.tr/fr/monde/lieberman-l-afrique-du-sud-doit-payer-le-prix-du-d%C3%A9p%C3%B4t-de-son-dossier-aupr%C3%A8s-de-la-cij/3108171#
En matière d’instrumentalisation, on atteint une sorte d’acmé.
+17
AlerterBel article sur l’altérité, la complexité du monde, les motivations, les contingences et les marchandages…
Il faut croire que la CPI reste un garde fou dans un monde pétrit de passions, d’intérêts, de désirs.
Le droit international ou en tout cas ses composants ne se peuvent plus être contraignants (exception faite du « conseil de sécurité »), nous en sommes à l’enfance d’un système démarré en 1648 – Westphalie, et qui ne va pas manquer d’être révisé dans les décennies à venir, ça bouge…
+4
AlerterIsraël procède à un massacre à visée génocide explicite en plein public et personne ne fait rien.
Lorsque le maire de Nagasaki n’invite pas l’ambassadeur d’Israël à la commémoration du bombardement atomique de la ville, les représentants du G7, dont les Etats-Unis auteurs du bombardement, protestent et refusent de s’y rendre, ce qui au passage serait un boycott bien qu’il s’agisse de seulement sept pays se vantant d’être la-communauté-internationale, et ils organisent une pseudo-prière avec un représentant isráélien séparemment dans un temple de la ville. Ce qui ajoute une double insulte éthique aux japonais comme aux palestiniens, en sus du crime colossal en cours. Mais tout va bien.
Le « nettoyage » du ghetto de Cracovie, et pensons par exemple à sa mise en film dans « La liste de Schindler », au vu et au su de tous avec Nétanamachin dans le rôle de Goeth et les ultra-orthodoxes juifs isráliens pâles de teint et souvent rouquins immigrés depuis les Etats-Unis et dont on se demande d’où ils seraient sémites, dans le rôle des allemands.
Et ne pas oublier que Israël viole les souverainetés joyseument en bombardant Syrie, Liban, etc.
La CPI discute celà nous fait une belle jambe.
+23
Alerter« Il faut croire que la CPI reste un garde fou »…
Euuuhh…
Sauf pour les USA qui ont clairement menacé sans se cacher les juges de ladite CPI de diverses mesures de rétorsion s’ils avaient l’idée saugrenue d’enquêter sur les personnels US malgré l’existence de preuves irréfutables.
Bref, pour l’occident la CPI ne sert qu’à inculper des « ennemis » politiques qui s’opposent à la mainmise occidentale sur le reste du monde.
Comme la CPI a eu l’intelligence de mettre les criminels du HAMAS et les dirigeants israéliens dans le même panier (de crabes) les occidentaux n’osent pas trop hurler au loup vis à vis de cette décision de leur « chose » mais ils continuent encore à inviter et à discuter sans se cacher avec des criminels de guerre potentiels -du moins parmi leurs « alliés » (censés être innocents tant qu’ils ne sont pas condamnés contrairement à Slobodan Milosevic ou à Laurent Gbagbo déclarés coupables avant que le dossier d’inculpation n’ait été ouvert).
Et sans doute les USA sont à la manœuvre pour « persuader » la CPI d’abandonner les poursuites contre leur « grand ami » qui ne fait pas pire qu’eux.
Manque de bol, l’hypocrisie occidentale a atteint un niveau totalement insupportable pour le reste de la population de cette planète (au moins les 3/4) et la montée des BRICS et la dédolarisation en cours n’arrangent pas les affaires d’un occident violent, vampirisatieur mais surtout décadent suite à sa suffisance (regardez simplement le mépris de Micron en Afrique).
Et c’est bel et bien la population des « gueux » qui paiera pour les dirigeants, comme toujours.
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AlerterLes états unis ne reconnaissent pas la CPI, donc même s’ils bougent les bras on s’en fiche un peu et on se doute qu’ils ne se priverons d’aucune action pour imposer leur version de l’histoire.
Il n’empêche que dans l’idée, comme dans ces actions, la CPI garde une partie des fous.
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AlerterEntretemps Ismail Haniyeh s’est fait dégommer par Netanyahu, il ne reste donc plus à ce dernier qu’à dégommer les deux autres pour qu’il ne reste plus que lui-même et Yoav Gallant dans l’équation. Et comme ne mettre qu’Israël dans les mandats est inimaginable, case closed, comme pour la dernière tentative…
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