Source : Le Grand Soir, Jacques-Marie Bourget, 17-04-2018
L’horreur des bavures, décrite par un grand reporter
D’être vieux comme un naufrage me vaut d’avoir vécu quelques « représailles » de l’histoire. Ces opérations du genre bistouri à la Kouchner sont toujours des catastrophes qui s’empilent. Souvenirs.
Le 23 octobre 1983 à Beyrouth, à une heure si matinale que les rues ne sont occupées que par des plastiqueurs et les petits marchands de café, l’ami libanais, le frère, qui m’aide dans mon travail me téléphone : « Vite, le PC des français vient de sauter… je viens te chercher ». Je n’ai pas le temps de me raser, mais de faire un tour par le toit-terrasse de l’hôtel Commodore. Le pied à peine posé sur les dalles de bitume, un bruit d’apocalypse et une fumée de diable me bouchent l’horizon. Visiblement une seconde bombe vient d’exploser… Mohamed, mon homme essentiel, est déjà devant l’entrée de l’hôtel avec sa vieille Mercedes bleu ciel, toujours lustrée. Quelques mois plus tard Mohamed sera assassiné par les troupes israéliennes.
Peu de temps après les premiers nous arrivons au Drakkar, immeuble au sud de la ville. « Tu sais qu’ils ont aussi fait sauter les Américains à l’aéroport ? ». « Ben non ! Alors on y va ». Là-bas, un grand bâtiment annexe qui sert au stockage et la maintenance des avions n’est plus qu’un millefeuille très à plat. Etonnant changement de cap, la guerre n’est plus une affaire entre Arabes, entre Israéliens et musulmans, voilà qu’elle liquide les forces vives de la « coalition internationale », des Français et des Étasuniens. Cinquante-huit soldats tricolores meurent au Drakkar, deux cent quarante un GI à l’aéroport. Mitterrand se précipite pour montrer « la détermination de la France », tandis que Reagan ordonne à ses survivants de rentrer au pays
Le 17 novembre suivant dans la Bekaa, en représailles, la France bombarde la caserne Cheikh Abdallah occupée par des Gardiens de la Révolution iranienne et des miliciens du Hezbollah. Bilan deux morts, un berger et son âne.
Quelques temps plus tard, afin de châtier aussi les Syriens – quand on n’aime pas on ne compte pas – c’est le futur commandant Mafart, héros de l’affaire Greenpeace qui dirige à Damas un commando chargé de faire exploser le siège du parti Baas. Manque de lunettes ? L’équipe se trompe d’adresse et envoie au ciel une kyrielle de citoyens sans histoire. Deux ans plus tard, à Beyrouth, la CIA venge elle aussi ses pioupious étoilés, et tente de faire sauter le cheikh Fadlallah, chef caché du Hezbollah… Le religieux n’est même pas ébouriffé par le souffle, mais 80 de ses voisins trouvent la mort.
Tout cela pour vous dire que les représailles, type Macron-Le Drian, et autres experts du biniou, c’est d’abord dangereux pour les équidés et les voisins.
En 1991 les Étasuniens bombardent l’abri d’Amiriya à Bagdad. Là encore c’est un ami indigène qui me sort du lit : « Vite, ils ont bombardé un abri… ». Dix minutes plus tard nous sommes devant le cube de béton chauffé par le feu des missiles. De l’intérieur on va sortir 408 corps d’enfants de femmes et de vieillards. La « bavure » de la « frappe » dite « chirurgicale » est énorme, un crime de guerre. Et je ne suis pas très fier d’avoir en poche un passeport de la Communauté bombardeuse.
Heureusement, depuis ma radio ondes courtes je peux capter la vérité venue de Paris, Londres ou Washington. Les journalistes et experts sont d’accord. L’abri d’Amiriya était un objectif militaire utilisé par Saddam Hussein pour se cacher ! A entendre cela, les oreilles m’en tombent. Même le « Jane’s », le super dico qui vous détaille les outils liés à la guerre, est formel, cet abri de Bagdad est bien un « shelter », l’un des 17 édifices civils qui permettent à la population de la capitale irakienne de se protéger des missiles venus d’Iran. Ici donc ni Saddam ni rien de militaire. Mais pas d’excuses, pas de procès, pas de vengeance… N’est-ce pas une chance que de mourir sous le feu de la liberté et de la justice. OTAN en emporte de vent.
Et pourtant, ça bégaie, sa radote sur les ondes. « Saddam caché entre les femmes et les enfants ». « Bullshit » comme on dit au Texas. L’US Air Force, soit intoxiquée, soit froidement, pour tester un missile face à deux mètres de béton, a cyniquement assassiné 408 irakiens qui, signalons-le, étaient aussi des êtres humains !
En 1998 le grand bombing circus de la Communauté internationale plante sa toile au Kosovo. Allons-y gaiment dans les représailles. Contre des ennemis de BHL et de Plenel, donc des ennemis de l’Humanité. Près d’un pont voisin de Pristina, dans la nuit, je crapahute dans un pâturage. Là-haut un bus se rendant à Nis a été confondu avec un char serbe (26 morts). Et j’éprouve alors, dans l’herbe, l’étrange sensation qu’il y a à marcher sur le bras arraché d’un enfant.
Autres représailles plus au sud du Kosovo. Cette fois, les pilotes d’élite ont pris une colonne de tracteurs pour un défilé de chars. Les engins agricoles sont réduits en mâchefer et la soixantaine de corps en boulets de charbon. Le principal étant que la démocratie naisse enfin dans la poussière d’uranium appauvri. Ce qui, à la longue, doit donner de bien jolies fleurs.
Jacques-Marie BOURGET
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Commentaire recommandé
Représailles à Saint-Dié ?
Un dangereux sexagénaire (déjà, rien qu’avec le préfixe sex, c’est suspect !), parfaitement inconnu des services de police, a été placé en garde à vue par les forces de l’ordre nouveau pour avoir fait, à plusieurs reprises, un « doigt d’honneur » en direction de M. Macron. On respire, il n’avait pas de ceinture d’explosifs, juste une paire de bretelles…
Le dangereux contestataire – qui avait trop bien compris où précisément se situe « l’honneur » du représentant de l’oligarchie néo-libérale européenne (*) – sera convoqué devant le tribunal.
Nul doute que la justice sera inflexible face à de tels agissements de délinquance sauvage attentatoires, en même temps, à l’honneur des énarques et des anciens banquiers d’affaires.
Non mais !
* il est déjà en campagne… y perd pas de temps !
18 réactions et commentaires
Nous autres soit-disant en démocratie et en état de droit…..sommes noyés par la propagande comme à l’intérieur des pays autoritaires ou dictatoriaux! Les journalistes ne sont pas si méritants qu’on nous l’affirme puisque la vérité a bien de la peine à être mise au grand jour!!!
+60
AlerterA propos de l’abri d’Ameriya, où plus de 400 civils ont été brûlés à mort par deux missiles le 13 février 1991 :
« un phénomène frappe : les envoyés spéciaux (sauf RTL) parlent d’ « abri » et les rédactions centrales de « bunker » »
(Michel Collon, Attention médias ! Les médiamensonges du Golfe. Manuel anti-manipulation, Bruxelles, EPO, 1992, p. 150).
« Bunker », ça rappelle qui vous savez. Des « Alliés » qui « frappent » un « bunker », ce n’est pas un crime de guerre. Question de langage. Heureusement, les rédactions centrales sont là pour corriger les écarts de langage des envoyés spéciaux.
+31
Alerterquand on voit le CV de Jacques-Marie BOURGET, sur Wikipédia, on ne peut que le féliciter !
le cynisme de l’occident n’a plus de limites.
cet occident qui veut IMPOSER sa manière de vivre à la Terre entière, même s’il le faut, en faisant usage de la force !
Peuple de la Terre entière, vous serez heureux, C’EST UN ORDRE !!!
heureux, mais comme nous, occidentaux, détenteurs de La Vérité !
vous aurez vos smartphones, vos infos, distillées par les milliardaires propriétaires, vous aurez le bonheur de manger dans des Mac Do, avec vos salaires de misère (faut bien enrichir les « puissants ») !
le « bonheur » ou la mort !
tel est votre seul choix !
+32
Alerter« Tout cela pour vous dire que les représailles, type Macron-Le Drian, et autres experts du biniou, c’est d’abord dangereux pour les équidés et les voisins. »
Ne le dites pas comme cela, s’il vous plait. C’est désobligeant pour le biniou.
PS: Attention, le site « Le grand soir » est classé rouge par nos amis du Décodex.
Allez-y, c’est bon.
À lire avec précautions, évidemment.
+16
AlerterMerci Monsieur Jacques-Marie Bourget . JE suis convaincue que les perspectives qui concernent les populations en général, ne sont pas à l’abri, meme ici dans ma cuisine, de frappes chirurgicales. En attendant not ‘bon maite est en train de labourer le terrain pour s’assurer une Europe bienveillante. la Lorraine a été touchée cette semaine. En tout cas Nancy a trouvé le « Dede » aux ordres oui chef, oui chef !!!!!! Strasbourg, saint Die, Épinal…. Metz ?
+3
AlerterJacques-Marie Bourget a la volonté de l’honnête homme (du gentilhomme au sens classique) en rappelant que l’UE, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis ont bien du sang sur les mains en soutenant l’UCK du Kosovo contre la civilisation européenne -serbe ici. Les valeurs du Kosovo : on les connait -un pseudo Etat fantoche, mafieux et porte-avions des Américains. BHL et Plenel seront un jour jugés. Le Kosovo est serbe et son seul avenir viable et de le redevenir sans aucune ambiguïté – la Serbie serbe et l’Albanie albanaise (qui est d’ailleurs aussi un Etat quasi-mafieux et qui cassait les pieds avec ses leçons marxistes-léninistes au temps d’Enver Hoxdja)
+12
AlerterQuand on rassemble des faits épars, en quelques lignes, c’est plus qu’un dégoût, plus qu’une honte, plus qu’une colère qui nous étreignent, une sidération.
Mais dans la vraie vie, une information, dite sur un ton neutre comme le naturel, en chasse une autre dite sur le même ton. Oubliée aussitôt on s’éloigne du poste pour commander sa pizza.
Mais tout cela s’accumule dans notre mémoire et nous ôte toute force et toute joie de vivre en nous laissant dans l’impuissance et c’est la lâcheté d’un aveuglement volontariste qui nous tient lieu de ciment social; l’égoïsme et le renfermement sur soi d’où la colère s’échappe contre l’autre proche et plus touché que soi.
Nous ne sommes pas indemnes de cette bave empoisonnée et nous nous faisons croire que, passant entre les gouttes, ce soir nous ne rentrons pas mouillés.
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AlerterReprésailles à Saint-Dié ?
Un dangereux sexagénaire (déjà, rien qu’avec le préfixe sex, c’est suspect !), parfaitement inconnu des services de police, a été placé en garde à vue par les forces de l’ordre nouveau pour avoir fait, à plusieurs reprises, un « doigt d’honneur » en direction de M. Macron. On respire, il n’avait pas de ceinture d’explosifs, juste une paire de bretelles…
Le dangereux contestataire – qui avait trop bien compris où précisément se situe « l’honneur » du représentant de l’oligarchie néo-libérale européenne (*) – sera convoqué devant le tribunal.
Nul doute que la justice sera inflexible face à de tels agissements de délinquance sauvage attentatoires, en même temps, à l’honneur des énarques et des anciens banquiers d’affaires.
Non mais !
* il est déjà en campagne… y perd pas de temps !
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AlerterC’est un acte de terrorisme digital. Pas de pitié pour ce terroriste.
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AlerterPersonnellement,je doute que le propriétaire de l’endroit
auquel ce doigt vindicatif se voulait destiné aurait pu
être reçu autrement …qu’ avec un gloussement guttural de vrai macho.
+3
Alerterpour info, il écope d’un simple rappel à la loi
+1
AlerterUn convoi de tracteurs agricoles pris pour un convoi de chars; un autobus pris pour un char; un abris civil pris pour un bunker militaire; un boing iranien en vol vers les UAE pris pour un bombardier, des cortèges de mariage pris pour des terroristes, etc etc… Admirons l’extrême précision des renseignements militaires du « camp du bien » qui assurent ces innombrables frappes qualifiées de « chirurgicales ». Aussi efficaces et « morales » que les carpet bombings dont notre maître à tous s’était fait une spécialité.
+24
AlerterC’est sûr que si les journalistes MSM faisaient leur boulot et que ces informations étaient répercutées fidèlement au grand public, ça ferait tache. On en viendrait même à douter de l’efficacité des renseignement ou des forces armées. Dieu merci, nos journaleux veillent au grain et payent de leur personne (de leur vue et de leur ouïe en tout cas) pour sauver les meubles, tandis que Hollywood rivalise de lyrisme pour nous vendre la boucherie comme une épopée héroïco-technologique menée par des chevaliers bardés de métal et de velcro.
Robert Fisk rapportant sur la non-agression au gaz de la Douma signale que la plupart des Syriens qu’il interroge ignorent même que c’est le prétexte utilisé pour leur envoyer des missiles (et pour cause). En fait, que l’Occident les bombarde par caprice, pourrait-on dire, ça ne les surprend même pas. Le show, c’est juste pour nous.
+17
AlerterEn fait, le terme « frappe chirurgicale » ne signifie pas bombardement de prėcision, cela signifie juste qu’il y aura beaucoup de sang et de corps ouverts.
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AlerterQuand je pense qu’à cette époque je ne supposais pas qu’on puisse mentir autant et détruire avec autant de désinvolture. Vaste tromperie à chaque fois bien plus vieille que ce que je pensais…
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Alerter« Nous publions cet article afin d’élargir votre champs de réflexion Cela ne signifie pas forcément que nous approuvons fo la vision développée ici…. » Merci pour le « forcément »… s’il venait à manquer… J’approuve, et je partage, forcément et depuis déjà quelque temps la vision de l’auteur. Ce qui est fascinant dans cet article, ce n’est pas tant que j’y apprenne grand chose mais, bien que ce soit indiqué ici par quelqu’un dont ni l’expérience ni la qualité ni la crédibilité en la matière ne puisse être mise en doute. Mais c’est surtout, dans cet « inventaire » très loin d’être complet…sa brièveté, sa condensation, presqu’un billet, qui rappelle, fige, et crée (sur ma personne en tout cas) un effet complet de sidération. Il me revient le premier soir de la première « »opération » » contre l’Irak de Saddam, filmée et retransmis en direct par la 5 (privatisée et vendue à Berlusconi, fondateur ce qu’ils appelle le populisme par ce très cher Mitterand) premier bombardement de Bagdad, filmé et commenté en direct, du toit du grand hôtel par nos fabuleux « correspondant-nts » de guerre, de la 5, de Berlusconi… avec les répétitions à outrances des « frappes chirurgicales » et autres enfarinades… Nous avons appris, par sur la 5 et bien des semaines plus tard , le nombre de dégâts collatéraux de cette nuit bien étoilée. On nous avait mis comme au spectacle, l’ouverture du feu d’artifice vers minuit..;
Macron ajoute la Syrie à la lybie, au Mali … et à une très longue liste d’opérations à la canonnière , son nom à celle de sarkhollande… (pour le drian c’était déjà fait, merci)
Mais heureusement et ce faisant, notre pays s’affaiblit, s’isole, se rétrécit, au même rythme que ses comparses des States et de London, au profit de grands pays, forts et plein d’avenir, qui n’ont jamais usé de la politique de la cannonnière qui l’ont souvent subie par contre et ont, pour de bon, les moyens de ne plus la subir. Le prochain suez sera grande échelle et fort douloureux . Avaler le biniou, ça va devenir un métier!
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Alerter« Quelques temps plus tard (…) c’est le futur commandant Mafart, héros de l’affaire Greenpeace qui dirige à Damas un commando chargé de faire exploser le siège du parti Baas. Manque de lunettes ? L’équipe se trompe d’adresse et envoie au ciel une kyrielle de citoyens sans histoire »
Et on a parlé à l’époque de 250 morts (civils), désintégrés par l’explosion du véhicule bourré d’explosifs que « Mafart » avait fait garer là.
La série de C+ « Le bureau des légendes » nous présente les agents de la DGSE comme de modernes Lawrence d’Arabie, mais au fond ne serait-ce pas avant tout une bande d’assassins? Et maladroits en plus…
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Alerter« Alors que notre méfiance avait été légitimement aiguisée par les fameux «dommages collatéraux», l’expression récurrente de la guerre du Golfe, en 1991, voilà qu’il nous faut redoubler de vigilance, encerclés que nous sommes par de nouveaux substrats, qu’il s’agisse de «cibles d’opportunité», de «bombes intelligentes» ou encore de «tirs amis». » (…) « Au hit-parade de la supercherie sémantique, les fameuses «bombes intelligentes» (les smart bombs). Et ce pour deux raisons, la première étant que la récurrence de l’expression qui émergea avec la guerre du Golfe ne correspondait pas avec la réalité des faits: leur emploi était minoritaire par rapport aux armes dites «classiques». La seconde est que si elles furent plus utilisées durant la guerre en Irak, l’arsenal américain s’étant modernisé, «ça tue quand même», rappelle Dominique David. » https://www.lexpress.fr/culture/livre/ce-que-la-guerre-a-change-dans-les-mots_808044.html
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