« Paradoxalement, l’attaque des missiles iraniens ne se produira que si nous aidons Israël à frapper l’Iran en premier », déclare Mann.
Source :Truthout, Amy Goodman, Juan González, Democracy Now!
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
L’administration Biden envoie un système avancé de défense antimissile et 100 soldats américains en Israël avant les frappes de représailles prévues contre l’Iran. Il s’agit du premier déploiement significatif de troupes américaines en Israël depuis le début de l’assaut contre Gaza, bien que les États-Unis aient dépensé des dizaines de milliards de dollars pour l’armée israélienne et les opérations connexes. « L’ironie de la chose, c’est que l’attaque des missiles iraniens ne se produira que si nous aidons Israël à frapper l’Iran en premier », déclare Harrison Mann, de Win Without War. Avec le déploiement de troupes dans les installations militaires israéliennes, dit Mann, « Israël a maintenant ses propres boucliers humains américains » et « un nouveau mécanisme pour entraîner l’Amérique dans une guerre avec le Hezbollah et l’Iran ». Mann, qui est juif, est un ancien major de l’armée américaine qui a démissionné de son poste à la Defense Intelligence Agency (DIA) pour protester contre le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël à Gaza, une décision qu’il dit avoir été inspirée par les manifestations d’étudiants contre la guerre sur les campus américains.
TRANSCRIPTION
Il s’agit d’une transcription brute. La copie peut ne pas être dans sa forme finale.
Amy Goodman : Le Washington Post rapporte qu’Israël prévoit de lancer des frappes de représailles contre l’Iran dans les trois prochaines semaines, avant les élections américaines. Le 1er octobre, l’Iran a tiré près de 200 missiles balistiques sur des sites militaires et de sécurité israéliens. À l’époque, l’Iran avait déclaré que ces frappes étaient des représailles à l’assassinat du chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, tué dans une explosion à Téhéran en juillet, le jour de l’investiture du nouveau président iranien. Selon le nouveau rapport du Washington Post, Israël envisage désormais de frapper des sites militaires à l’intérieur de l’Iran, mais pas les installations pétrolières ou nucléaires du pays.
Ceci intervient alors que l’administration Biden envoie un système avancé de défense anti-missile et 100 soldats américains en Israël en prévision de l’attaque d’Israël contre l’Iran. Dans un communiqué, un porte-parole du Pentagone a déclaré, citation : « Cette action souligne l’engagement sans faille des États-Unis à défendre Israël et à défendre les Américains en Israël contre toute nouvelle attaque de missiles balistiques par l’Iran », fin de citation. Le système de défense antimissile est connu sous le nom de THAAD (Terminal High Altitude Area Defense). Au cours de l’année écoulée, les États-Unis ont envoyé plus de 50 000 tonnes d’armements et d’équipements militaires à Israël, mais il s’agit du premier déploiement significatif de troupes américaines en Israël au cours de l’année écoulée. Une nouvelle étude réalisée par le projet Cost of War de l’université Brown estime que les États-Unis ont dépensé près de 23 milliards de dollars pour l’armée israélienne et les opérations connexes au cours de l’année écoulée.
Nous sommes rejoints par Harrison Mann, un ancien major de l’armée américaine qui a travaillé à la DIA. Il s’agit de l’Agence de renseignement de la défense. Mann, qui est juif, a démissionné pour protester contre le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël contre Gaza. Il est aujourd’hui membre de Win Without War, un réseau d’activistes et d’organisations qui œuvrent en faveur d’une politique étrangère américaine plus pacifique et progressiste.
Harrison Mann, bienvenue dans l’émission Democracy Now! Pouvez-vous nous parler de l’importance de ce que font les États-Unis en ce moment, en envoyant les missiles THAAD et les 100 soldats américains ?
Harrison Mann : Oui. Merci, Amy.
Je pense que ce déploiement envoie un message très fort, malheureusement, au gouvernement Netanyahou, à savoir que si vous continuez l’escalade avec l’Iran, vous serez récompensés par la protection de systèmes et de troupes américains supplémentaires. Malheureusement, le message est aussi que nous avons vu des gens brûler dans des tentes et que nous avons vu évoquer publiquement l’idée de faire mourir de faim tout le monde dans le nord de Gaza, et que ce n’est pas une raison suffisante pour rompre l’accord.
En ce qui concerne la capacité de ce système, le radar dont il dépend, l’AN/TPY-2, est déjà installé dans le sud d’Israël depuis 2008, sous le contrôle des troupes américaines. Cette capacité de détection existe donc déjà. Nous envoyons maintenant une batterie d’environ six lanceurs avec un total de 48 missiles intercepteurs. Et si je tiens à mentionner ce chiffre, c’est parce qu’en réalité, tout ce que nous avons ajouté matériellement, c’est la capacité d’abattre 48 missiles balistiques supplémentaires si l’Iran les ajoute à un tir de barrage. Je considère donc qu’il s’agit, à bien des égards, d’une démonstration symbolique de soutien qui peut être facilement neutralisée si l’Iran tire simplement plus de missiles la prochaine fois.
L’autre problème, c’est que nous mettons incontestablement plus de troupes américaines en danger en les envoyant en Israël. Ils vont opérer à partir d’installations militaires israéliennes. Et nous avons vu, tant avec l’attaque iranienne du 1er octobre qu’avec les attaques plus récentes du Hezbollah, que les adversaires d’Israël peuvent pénétrer ses défenses aériennes et frapper des cibles à l’intérieur des bases israéliennes. Nous devons donc être très clairs sur le fait que ces troupes entrent dans une zone de combat. Ils seront exposés à des risques, en particulier si l’escalade se poursuit. Et malheureusement, elles ont été envoyées là-bas, je pense, sans consultation du Congrès, sans justification légale claire, sans l’argument selon lequel elles sont nécessaires pour répondre à des besoins urgents d’autodéfense.
Juan Gonzalez : Et, Harrison Mann, je voulais revenir spécifiquement sur cette question. Avez-vous l’impression que pour envoyer des troupes de ce type dans une guerre en cours, en fait, au combat, il faut… quelles sont les exigences en termes d’approbation par le Congrès ?
Harrison Mann : Oui, pour introduire des troupes dans des hostilités, conformément à la loi de 1973 sur les pouvoirs de guerre, il faut soit une autorisation du Congrès, soit une menace urgente et imminente d’autodéfense. Dans ce cas, la prétendue menace d’autodéfense est une attaque de missiles iraniens. Mais l’ironie de la situation, c’est que l’attaque de missiles iraniens ne se produira que si nous aidons Israël à frapper l’Iran en premier.
Juan Gonzalez : Et je voulais aussi vous interroger sur un article du New York Times, un article en première page, l’article principal du New York Times aujourd’hui, qui parle de l’utilisation par Israël de détenus palestiniens comme boucliers humains à Gaza, forçant les détenus, selon le New York Times, à aller dans les tunnels, au cas où ils seraient piégés, avant les troupes israéliennes, en substance, les utilisant comme des victimes potentielles afin de protéger les troupes israéliennes.
Harrison Mann : Oui.Tout ceci est basé sur les rapports et les enquêtes d’un groupe israélien appelé Breaking the Silence (Rompre le silence). J’ai eu l’honneur de rencontrer son directeur général, Nadav Weiman, lors de son passage à Washington il y a quelques mois. Il m’a parlé de ce projet et de ses efforts pour documenter ce processus. Je peux donc dire que c’est très réel. Il s’agit malheureusement d’une pratique systémique des troupes israéliennes, qui kidnappent des Palestiniens, leur mettent parfois des caméras GoPro, des uniformes israéliens, de sorte que s’ils se rendent à une position ennemie, ils ressembleront à des soldats israéliens.
Et à ce stade, c’est en quelque sorte la chose la moins offensive et la moins illégale que les forces de défense israéliennes fassent dans ce conflit. Donc, encore une fois, pour en revenir au déploiement de THAAD, j’aimerais que le gouvernement américain ne renforce pas et n’encourage pas un tel comportement.
Amy Goodman : Que pensez-vous, Harrison Mann, des raisons qui poussent le président Biden à agir de la sorte ? Ce n’est pas comme s’il approuvait Netanyahou, même si, sans aucun doute, en matière d’envoi d’armes, il ait pleinement agi en ce sens. Il reconnaît que Netanyahou est clairement un allié de Trump. Il est clair qu’il souhaite la victoire de ce dernier. On a là un ancien président des États-Unis qui pourrait être emprisonné s’il ne gagne pas, et un Premier ministre, Netanyahou, qui pourrait être emprisonné s’il n’est plus Premier ministre. Leurs destins sont liés. Alors pourquoi Biden le soutient-il ainsi ?
Harrison Mann : Oui. L’année dernière, l’administration a adhéré à cette stratégie de l’étreinte, l’idée étant que nous devons continuer à apporter à Israël soutien et protection, et que c’est la seule façon d’obtenir qu’il nous écoute. Je pense qu’il est évident que cela n’a pas fonctionné. L’idée actuelle est qu’en offrant ce système à la défense d’Israël, nous pouvons au moins le convaincre d’éviter de frapper des cibles plus sensibles en Iran, comme des installations nucléaires ou des infrastructures pétrolières. Et, vous savez, cela pourrait effectivement réussir à court terme, mais nous devons comprendre qu’une fois que ces troupes et ce système seront déployés en Israël, je ne sais pas quelle motivation aura Netanyahou pour continuer à tenir sa parole et ne pas poursuivre l’escalade.
Et si vous demandez pourquoi nous continuons à soutenir ou pourquoi le président continue à soutenir Netanyahou, même s’il sait qu’il préférerait avoir un président républicain, Donald Trump, au pouvoir, je pense qu’ils ne peuvent tout simplement pas imaginer une autre stratégie. Et il est vraiment malheureux de voir que cette administration – et dans une certaine mesure, la campagne de Mme Harris – préfère risquer son élection plutôt que de se distancer d’Israël et du génocide.
Juan Gonzalez : Et quel est votre sentiment sur l’impact de cette récente décision de déployer ces batteries en Israël, l’impact que cela aura sur l’Iran ou d’autres ennemis d’Israël dans la région ?
Harrison Mann : Oui. À court terme, je ne pense pas que cela aura un grand impact, parce que l’Iran sait où ces troupes [américaines, NdT] seront déployées, et s’il répond à la prochaine frappe d’Israël, il pourra probablement éviter de les frapper ou d’éviter de frapper près d’eux. Malheureusement, si l’escalade se poursuit et si nous passons des frappes symboliques à une véritable guerre d’anéantissement, ces troupes deviendront des cibles, même si c’est par accident, n’est-ce pas ? Elles ont probablement un plan de survie. Cela signifie qu’elles se déplacent vers un autre endroit dans une situation de combat. Nous allons donc en arriver à un point où, même s’ils veulent éviter de tuer des Américains, l’Iran et le Hezbollah pourraient le faire par accident.
D’autre part, Israël dispose désormais de ses propres boucliers humains américains qu’il peut utiliser pour essayer d’éviter un certain niveau d’attaques de la part de l’Iran, sachant que l’Iran ne veut pas tuer d’Américains. Et il sait qu’il dispose d’un nouveau mécanisme pour entraîner l’Amérique directement dans une guerre avec le Hezbollah ou l’Iran, puisqu’il est désormais beaucoup plus probable que des troupes américaines soient tuées sur le sol israélien.
Amy Goodman : Je voudrais vous demander quelque chose qui n’est pas exactement dans vos cordes, mais je suis curieux de savoir ce que vous pensez, en tant qu’ancien responsable de la Defense Intelligence Agency, de l’appel de Donald Trump à déployer la Garde nationale ou l’armée américaine sur le sol américain pour cibler ce qu’il a appelé les « fous de la gauche radicale ». Trump a lancé cet appel lors d’une interview sur Fox News. Voici ce qu’il a dit :
Donald Trump : Je pense que le plus gros problème, ce sont les gens de l’intérieur. Nous avons de très mauvaises personnes. Nous avons des malades, des fous de la gauche radicale. Et je pense qu’ils sont, et cela devrait être très facilement géré par – si nécessaire – par la Garde nationale ou, si c’est vraiment nécessaire, par l’armée, parce qu’ils ne peuvent pas laisser cela se produire.
Amy Goodman : Votre réponse, Harrison Mann ?
Harrison Man : Oui, je dirai simplement, en tant que personne ayant des amis et des collègues qui ont été déployés à Washington en 2020 ou dans le cadre de la mission frontalière, que je fais confiance aux sous-officiers et aux officiers de l’armée et de la Garde nationale pour ne pas être agressifs à l’égard de l’activité politique. Mais je pense que le danger ici est que si vous effectuez ce déploiement, que les unités pourraient ne pas refuser, vous vous retrouvez dans une situation où les directives ne sont pas claires quant à ce que vous êtes censés faire avec les manifestants ou ce que vous êtes censés faire avec n’importe quel groupe que le président vous a dit de cibler. Je pense donc que, heureusement, nos forces armées savent ce qu’il faut faire. Mais lorsqu’elles se retrouvent dans une situation où les directives sont très peu claires, voire contradictoires, entre ce que le président dit publiquement et ce que leurs propres commandants leur disent, il y a un risque de violence involontaire ou incontrôlée.
Amy Goodman : Enfin, Harrison Mann, nous venons d’entamer une séquence sur l’une des plus importantes actions d’arrestation devant la Bourse de New York. Plus de 200 militants juifs et leurs alliés ont été arrêtés pour demander aux États-Unis de cesser d’armer Israël. En tant qu’ancien major de l’armée américaine qui a démissionné pour protester contre le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël contre Gaza, en tant qu’Américain juif, qu’en pensez-vous ? Je pense souvent à Dan Ellsberg lorsque je réfléchis à cette question. Il travaillait au Pentagone et à la RAND Corporation et il a parlé des manifestants qui se trouvaient à l’extérieur. Vous étiez à l’intérieur. Qu’est-ce que cela signifie – vous êtes sorti maintenant, mais beaucoup de vos collègues sont encore à l’intérieur – quand ils voient ce genre d’actions de masse ?
Harrison Mann : Oui. Tout d’abord, j’apprécie que vous ayez mentionné que je suis également juif. Et en ce qui concerne ces manifestants et mon propre plaidoyer, je pense qu’il est incroyablement important pour les juifs américains d’en parler, en particulier pour démontrer que le sionisme israélien n’est pas la même chose que le judaïsme, et que les actions de l’État israélien ne représentent pas tous les juifs et ne représentent certainement pas les juifs américains, parce que, malheureusement, c’est une affirmation que les politiciens israéliens et américains aiment faire, à savoir que si vous vous souciez des Juifs, vous devez soutenir ce qu’Israël fait à Gaza, en Cisjordanie et au Liban en ce moment, et c’est tout simplement manifestement faux.
Et puis, je peux vous dire que moi-même et certains des autres fonctionnaires qui ont démissionné publiquement, nous avons été influencés et affectés par les activités de protestation que nous avons vues. Dans notre cas, en ce qui concerne le calendrier, les manifestations étudiantes ont eu une influence considérable sur le sentiment – je ne parlerai que de moi – que je ne pouvais plus justifier de rester silencieux, alors que des jeunes de 19 ans allaient se faire tabasser et risquer leur avenir pour cette cause. Je ne peux donc pas promettre que cela va tout arranger, mais les personnes à l’intérieur de nos institutions remarquent, dans l’ensemble, cet activisme.
Amy Goodman : Harrison Mann, je tiens à vous remercier d’être avec nous. C’est un ancien major de l’armée américaine, un juif américain, qui a démissionné pour protester contre le soutien des États-Unis à la guerre d’Israël contre Gaza. Il est aujourd’hui chercheur principal à Win Without War, un réseau de militants et d’organisations qui œuvrent pour une politique étrangère américaine plus pacifique et plus progressiste.
À notre retour, nous serons rejoints par l’une de ces militantes devant la Bourse de New York, dont on pense qu’il s’agit de l’une des plus importantes arrestations massives de l’histoire des États-Unis. Elle a été arrêtée. Elle fait partie de Jewish Voice for Peace. Restez avec nous.
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Amy Goodman est l’animatrice et la productrice exécutive de Democracy Now!, un programme d’information national, quotidien, indépendant et primé, diffusé sur plus de 1 100 chaînes de télévision et stations de radio publiques dans le monde entier. Le Time Magazine a nommé Democracy Now! son « Pick of the Podcasts », aux côtés de Meet the Press de NBC.
Juan González co-anime Democracy Now! avec Amy Goodman. Il est journaliste professionnel depuis plus de 30 ans et chroniqueur au New York Daily News depuis 1987. Il a reçu deux fois le prix George Polk.
Source :Truthout, Amy Goodman, Juan González, Democracy Now! – 15-10-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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