Aujourd’hui nous vous reproposons une archive exceptionnelle traduite par l’équipe Les-Crises : une interview/biographie de George Kennan qui revient sur son parcours et ses analyses, avant de le questionner sur le risque nucléaire et les enjeux de la Guerre froide. Ce passionnant texte riche en informations et analyses a été publié dans le magazine Esquire le 1er janvier 1985.
Source : Classic Esquire, Ronald Steel – 01/01/1985
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
George Kennan a formulé la politique américaine de la guerre froide il y a près de quarante ans. Aujourd’hui [en 1985], il pense que les Russes sont une bureaucratie apeurée, et il appelle à la fin des missiles.
NON, IL N’A PAS INVENTÉ LA GUERRE FROIDE, bien qu’il soit celui qui a donné un nom – et de la consistance intellectuelle – à la politique conçue pour la mener. On a appelé cela l’endiguement. Il n’est pas non plus un pacifiste, bien qu’il fasse l’éloge des manifestants de Ban the Bomb et qu’il souhaite que nous mettions au rebut au moins la moitié de nos armes nucléaires.
Il est plutôt un homme convaincu que les cartes sont sinistrement distribuées dans le sens d’une guerre nucléaire, à moins que nous ne changions radicalement notre façon de penser la défense. Il n’occupe aucune fonction gouvernementale, n’exerce aucun pouvoir politique et ne reçoit aucune rémunération. Mais il est respecté dans le monde entier en tant qu’homme doué de raison et d’intégrité. Il est un témoin des événements historiques qui ont façonné notre monde, un acteur de ce drame et, aujourd’hui, un croisé éloquent engagé dans le combat le plus important de sa vie.
Ronald Steel
George Frost Kennan est notre principale référence pour l’Union soviétique, un critique de premier plan de notre politique étrangère, un historien distingué, un ancien diplomate qui se trouvait au bon endroit à un moment crucial, un auteur de renommée internationale et aujourd’hui, un adversaire farouche des armes nucléaires et de l’idée même que notre sécurité pourrait y trouver son appui. Il y a quarante ans, il a tiré la sonnette d’alarme pour alerter la nation sur la menace soviétique. Aujourd’hui, il la fait retentir de nouveau pour nous dire que les armes que nous utilisons pour nous protéger représentent un danger bien plus grand que celui que représentent les soviétiques.
Les universitaires et les diplomates vivent généralement dans l’ombre. Mais une grande partie de la vie de Kennan a baigné dans la controverse. Il est devenu une figure publique au milieu des années 1940, lorsqu’il a préconisé une politique de fermeté à l’égard de Moscou et formulé la doctrine de l’endiguement. Celle-ci a justifié la chaîne mondiale de nos alliances, de nos programmes d’aide militaire à destinations de régimes en difficulté, de nos guerres telles celles de Corée et du Vietnam, et de notre engagement actuel dans des endroits comme le Liban et le Salvador. Kennan dénonce depuis longtemps la forme hautement militarisée qu’a pris l’endiguement. Mais celui-ci continue cependant d’expliquer une grande partie de ce que nous sommes en train de faire dans le monde aujourd’hui.
Kennan a de nouveau créé la controverse au milieu des années 1950 lorsqu’il a plaidé pour l’unification de l’Allemagne sous le signe de la neutralité et pour le retrait tant des troupes soviétiques que des troupes américaines ; au milieu des années 1970 lorsqu’il s’est attaqué aux ennemis de la détente avec l’Union soviétique, et actuellement, une fois de plus, avec sa croisade contre les armes nucléaires
Ces dernières années, Kennan – qui a depuis longtemps quitté le service gouvernemental pour devenir historien – est devenu un porte-parole clé du mouvement antinucléaire. Dans un flot de discours, d’articles et de livres – dont le récent recueil The Nuclear Delusion – il a attaqué sans relâche l’idée que les armes nucléaires soient un instrument de guerre exploitable. Pour lui, il s’agit d’une « arme suicidaire » qui met en échec tout effort de défense rationnelle. Mais il n’est en aucun cas le défenseur d’un désarmement unilatéral.
Il croit en une défense conventionnelle forte et est favorable à toute augmentation des armes conventionnelles qui pourrait être nécessaire pour respecter nos engagements envers l’Europe occidentale et le Japon. Les armes de destruction massive, insiste-t-il, constituent une classe à part. « Le danger ne réside pas dans la possibilité que quelqu’un d’autre pourrait avoir plus de missiles et d’ogives que nous, mais dans l’existence même de ces quantités déraisonnables d’explosifs hautement toxiques, affirme-t-il. » Pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les pourparlers sur la réduction des armements et le rythme effréné de la technologie des armes, il propose son propre plan : une réduction générale de 50 % des arsenaux nucléaires, une interdiction complète de tous les essais nucléaires, un gel du développement des armes et l’engagement de ne jamais utiliser les armes nucléaires en premier.
« Il n’existe, disait Kennan, nul enjeu qui vaille une guerre nucléaire. »
Kennan est non seulement un participant passionné du débat critique sur les armes nucléaires, mais il est aussi un historien de renom. Il réside à Princeton, dans le New Jersey, où il est professeur émérite à l’Institute for Advanced Study, un prestigieux groupe de réflexion au sein duquel des universitaires distingués poursuivent leurs études.
Il a été invité à l’Institut en 1950 par le physicien J. Robert Oppenheimer, qui en était alors le directeur, et en a fait sa résidence intellectuelle depuis lors. C’est là qu’il a écrit les livres qui lui ont valu une reconnaissance internationale en tant qu’historien et analyste de politique étrangère, notamment American Diplomacy 1900-1950, les deux livres sur les relations soviéto-américaines de 1917 à 1920, Russia Leaves the War et Decision to Intervene ; les célèbres conférences Reith de 1957, publiées sous le titre Russia, the Atom, and the West, et le livre primé Russia and the West Under Lenin and Stalin. Son livre le plus récent, The Fateful Alliance, une étude sur la façon dont les puissances européennes ont glissé inexorablement vers la tragédie de la Première Guerre mondiale, a justement été publié l’automne dernier.
La plupart de ses livres tournent, d’une manière ou d’une autre, autour de la Russie ; aussi bien la Russie des tsars que celle des Soviets. Il est notre plus grand expert concernant la nation qui est notre plus grande rivale, mais au sujet de laquelle il semble que nous en sachions si peu. Il a passé la majeure partie de sa vie d’adulte à essayer de la comprendre et l’expliquer. Son expérience personnelle de l’Union soviétique remonte à près de soixante ans – soit plus que celle de presque tout autre Américain vivant. La Russie a été et est sa carrière et son obsession.
En qualité de diplomate, Kennan a été formé à la langue et à l’histoire russes, a été en poste à l’ambassade à Moscou pendant de nombreuses années, finalement d’ailleurs en tant qu’ambassadeur, il a joué un rôle clé dans la formalisation des relations politiques post seconde guerre mondiale avec l’Union soviétique.
En tant qu’historien – carrière qu’il a entamée après avoir quitté le Foreign Service en 1953 – il a écrit seize livres, dont la plupart traitent de la Russie. Il a remporté deux prix Pulitzer, des diplômes honorifiques, une flopée d’autres récompenses trop nombreuses pour être comptées, et une réputation intellectuelle dans le monde entier. Son autobiographie en deux volumes, Mémoires 1925-1950 et Mémoires 1950-1963, est un classique de la littérature américaine – à la fois un récit personnel de nos relations embrouillées avec la Russie soviétique depuis les années 1920 et une confession remarquable tant par sa franchise que par son éloquence.
Mais Kennan est un personnage qu’on ne peut pas expliquer facilement par les seuls termes de diplomate ou d’historien. C’est aussi un analyste politique qui a des choses tranchantes à dire sur la façon dont les soviétiques et nous-mêmes nous comportons les uns avec les autres. Il déplore leur « vision névrotique » du monde et la « nature conspirationniste » de leur régime, avec sa « méfiance profonde à l’encontre de toute chose et toute personne étrangère » ; et il critique notre propre « immense dépendance » à la dépense pour une « guerre imaginaire avec la Russie », une addiction qui fait que nous « ne maîtrisons plus vraiment notre propre comportement. » C’est également un critique social qui remet en question nombre des valeurs matérielles qui régissent notre propre société. Et c’est un activiste politique à l’avant-garde du débat sur les armes nucléaires. George Kennan, qui aura quatre-vingt-un ans en février [article rédigé en janvier 1985, NdT], est une fois de plus au cœur de la bataille politique.
La plus grande force de Kennan, en tant qu’historien et aussi critique, a été sa capacité à prendre du recul et à adopter une vision à plus long terme. S’il s’est longuement exprimé sur l’image déformée que les Soviétiques ont de l’Occident – une image basée sur leur propre histoire et leur profonde insécurité – il n’en est pas moins critique quant à la façon dont nous les voyons. Nous souffrons, selon lui, d’une sorte d’« hystérie antisoviétique » qui transforme une rivalité politique conventionnelle en une épreuve de force entre le bien et le mal digne d’Armageddon.
Notre establishment militaire, a-t-il écrit, est orienté vers « l’hypothèse non seulement de la possibilité d’une guerre soviéto-américaine, mais de sa probabilité écrasante et même de son imminence ». Notre propre gouvernement, ainsi que les médias, ont évoqué « l’image de l’adversaire soviétique sous son aspect le plus terrible, le plus impitoyable et le plus inhumain : un monstre implacable, incapable de motivations autres que la soif de destruction pure et simple, et auquel on ne peut faire face que dans une lutte militaire ultime ». C’est précisément cette attitude, souligne-t-il en tant qu’historien, qui a conduit l’Europe à une guerre cataclysmique en 1914.
Kennan a été très critique à l’égard du leadership américain au fil des ans, mais jamais autant qu’aujourd’hui, alors qu’il estime que « la vision de l’Union soviétique qui prévaut aujourd’hui dans une grande partie de nos institutions gouvernementales et journalistiques est si extrême, si subjective, si éloignée de ce que tout regard sobre de la réalité extérieure révélerait, qu’elle est non seulement inefficace mais dangereuse pour guider l’action politique. »
Bien qu’il critique la façon dont nous diabolisons les Soviétiques et insiste sur le fait qu’ils n’ont aucune intention d’attaquer l’Europe occidentale, situer Kennan dans la gauche politique serait une erreur. Selon la plupart des critères, c’est un conservateur. Il abhorre le système communiste et n’a aucune hésitation quand il s’agit d’approuver l’utilisation de la puissance militaire américaine lorsqu’il la juge nécessaire et efficace.
Dans le domaine social, il prône la stabilité et respecte l’autorité et la hiérarchie. Comme tout vrai conservateur, il se méfie de la démocratie de masse et pense que la meilleure forme de gouvernement est celle assurée par un petit nombre de personnes éclairées. Mais même les gens éclairés peuvent commettre des erreurs désastreuses. C’est la raison pour laquelle Kennan a maintenant rallié les rangs des protestataires du mouvement antinucléaire.
Pour comprendre l’énigme qu’est George Kennan, pourquoi il dit de lui-même : « Je suis un étrange mélange de réactionnaire et de libéral », il faut d’abord se pencher sur sa carrière de diplomate. Cette carrière a commencé en 1926 quand, alors tout jeune homme récemment diplômé de l’Université de Princeton, il a intégré le service des Affaires étrangères.
Le département d’État commençait alors à former des spécialistes pour le jour où les relations diplomatiques avec la Russie soviétique – rompues après la révolution de 1917 – seraient rétablies.
Kennan, ainsi que de jeunes collègues comme Charles Bohlen et Llewelyn Thompson, qui deviendraient également ambassadeurs à Moscou des années plus tard, a été soumis à un programme de formation rigoureux. Pendant près de six ans, il a étudié la Russie, d’abord en tant qu’agent consulaire dans les États baltes autrefois indépendants d’Estonie et de Lettonie, puis en tant qu’étudiant diplômé à l’université de Berlin. Il a étudié la langue russe, s’est plongé dans les écrits des poètes et romanciers russes et s’est fait des amis parmi les réfugiés russes blancs anticommunistes qui avaient fui la révolution.
Son expérience parmi les émigrés, son dégoût inné pour l’extrémisme et les changements violents, son attachement à un ordre bourgeois et élégant, son horreur des cruautés staliniennes dont il a été témoin au cours de ses dernières années dans la capitale soviétique lui ont inspiré un « pur dégoût intellectuel » pour le marxisme soviétique. « Les preuves de la déchéance de la Russie ont été si évidentes pendant les années où j’ai résidé à Moscou, écrira-t-il plus tard, les impressions de matraquage étaient si persistantes et constantes, toutes plus scandaleuses et déchirantes les unes que les autres, que cette impression ne devait jamais me quitter. »
Et c’est ce qui est arrivé. Même pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Amérique et la Russie étaient alliées dans une bataille contre l’Allemagne nazie, Kennan s’est opposé à toute proposition de soutien moral à l’Union soviétique. « Jamais, ni à l’époque ni à aucune date ultérieure, écrivait-il à propos de cette période, n’ai-je considéré l’Union soviétique comme un allié ou un associé convenable, réel ou potentiel. »
Lorsque Kennan est retourné à Moscou en 1944, vers la fin de la guerre, il a averti ses supérieurs à Washington que les objectifs de la Russie dans le monde de l’après-guerre seraient très différents de ceux des États-Unis. Il souhaitait une épreuve de force politique avec Moscou alors que la puissance militaire américaine était à son apogée en Europe.
« Je crains, a déclaré Kennan, que les planètes ne soient aujourd’hui alignées pour qu’il y ait une guerre. »
Certains politiciens américains partageaient son point de vue, tandis que d’autres pensaient pouvoir endiguer les ambitions soviétiques via des accords politiques et des pressions économiques. Pour Kennan, isolé à Moscou, il semblait que les décideurs de Washington devaient être amenés à prendre conscience du fait que les Russes avaient leur propre vision de la façon dont le monde d’après-guerre devait être géré. Il décida d’appliquer un traitement de choc. Au début de l’hiver 1946, il leur a envoyé un message de plusieurs milliers de mots – le « long télégramme », comme on l’appellera plus tard.
« Ce que nous avons ici, déclarait-il, c’est une force politique qui défend avec fanatisme la conviction qu’il ne peut y avoir de modus vivendi permanent avec (les) États-Unis, qu’il est souhaitable et nécessaire que l’harmonie interne de notre société soit ébranlée, que notre mode de vie traditionnel soit détruit, que l’autorité internationale de notre État soit démantelée si elle veut que la sécurité de la puissance soviétique soit garantie. »
Plus tard, un Kennan bien embarrassé confessera qu’une grande partie de son message enflammé se lisait « exactement comme l’un de ces manuels publiés par les comités inquiets du Congrès, ou par les Filles de la Révolution américaine, et qui avaient pour but de sensibiliser les citoyens aux dangers de la conspiration communiste. » Mais le message correspondait à l’humeur de l’époque.
Il a permis à Kennan de gagner des auditeurs influents et bien disposés, en particulier le secrétaire à la Marine James Forrestal, qui a fait circuler la dépêche auprès des hauts fonctionnaires du gouvernement. Si Kennan pensait être une voix dans le désert, il s’est avéré être le promoteur que tout le monde attendait. Il a offert un plaidoyer passionné et faisant autorité à ceux qui voulaient résilier l’alliance existant du temps de la guerre avec l’Union soviétique mais qui ne savaient pas trop comment expliquer au public américain cette volte-face.
Triomphalement rappelé à Washington, Kennan, alors âgé de quarante-deux ans, était le jeune homme brillant du moment. Il en a été récompensé par des postes importants : d’abord au National War College, puis à la tête du personnel chargé de la planification des politiques au département d’État, c’est à ce poste qu’il a contribué à l’élaboration du plan Marshall pour le redressement économique de l’Europe occidentale.
Au cours de l’été 1947, on a convaincu Kennan d’écrire un article, sous le pseudonyme « X », expliquant une nouvelle politique : la stratégie américaine, y expliquait-t-il, devrait reposer sur « l’application astucieuse et rigoureuse de la contre-offensive au niveau d’une série de points géographiques et politiques en constante évolution, correspondant aux évolutions et aux manœuvres de la politique soviétique. Grâce à un endiguement strict et rigoureux, les États-Unis pourraient, selon lui, amener à l’effondrement ou au déclin progressif de la puissance soviétique. »
Le mot « endiguement » était magnifiquement ambigu. Il avait une connotation plus défensive qu’agressive, et il laissait une marge de manœuvre illimitée pour atteindre ses objectifs. L’endiguement est devenu la base d’un renforcement massif de l’armée américaine destiné à contrer le communisme partout dans le monde. Harry Truman l’a utilisé pour justifier la décision d’intervenir dans la guerre de Corée en 1950, et de réarmer l’Allemagne de l’Ouest.
Dwight Eisenhower s’en est servi pour aider les Français dans leur effort infructueux pour contrôler l’Indochine, et aussi pour expliquer le coup d’État de la CIA qui a renversé le gouvernement de gauche élu au Guatemala en 1954. L’endiguement, qui a commencé à petite échelle par une aide militaire à la Grèce et à la Turquie en 1947, a rapidement pris une dimension mondiale, les États-Unis tentant de combattre l’influence communiste partout, depuis la Corée jusqu’au Brésil. Des programmes d’aide, des bases militaires et un réseau d’alliances ont transformé ce qui n’était qu’une phrase en une présence militaire américaine dans le monde entier.
Il n’a pas fallu longtemps avant que Kennan lui-même se montre sceptique quant à certaines des formes que prenait l’endiguement. S’il n’avait guère de scrupules à utiliser la force militaire pour réprimer les mouvements révolutionnaires dans des endroits comme l’Amérique latine, il pensait que l’endiguement en Europe prenait un tour trop militaire. Il s’est opposé à la division de l’Allemagne et à l’intégration de « notre » Allemagne, la République fédérale, au sein de l’OTAN. Selon lui, cela rendrait la division de l’Europe irrévocable. Ses supérieurs avaient décidé que c’était déjà le cas. Il s’est également démarqué en exprimant son scepticisme quant à la décision de construire la bombe à hydrogène en 1950.
Cette année-là, Kennan a pris un congé pour travailler sur un livre à l’Institute for Advanced Study. En 1952, il a été nommé ambassadeur des États-Unis en Union soviétique. C’était le poste auquel toute sa carrière l’avait préparé. Mais il s’exprime de façon étonnamment imprudente auprès de la presse, en comparant la situation des diplomates dans la Russie de Staline à celle rencontrée dans l’Allemagne nazie. Les Russes, furieux, l’ont alors déclaré persona non grata. Six mois après son départ, il était de retour à Washington.
Il s’y est attardé un certain temps, mais le nouveau secrétaire d’État, John Foster Dulles, ne semblait pas pressé de lui confier une autre mission. Kennan – peut-être trop hâtivement, comme il le pensera plus tard – a alors démissionné du service des Affaires étrangères. Il est ensuite retourné à l’Institut de Princeton pour y commencer une nouvelle carrière, celle d’historien de la diplomatie. Il y est resté depuis, à l’exception d’un bref épisode en tant qu’ambassadeur en Yougoslavie de 1961 à 1963.
C’est à l’Institut, un complexe autonome à la lisière d’une forêt non loin du campus de Princeton, que je suis allé lui rendre visite un matin. Il y a peu de choses chez Kennan, sec et énergique, qui laissent deviner son âge. Il est cordial et extrêmement courtois, mais néanmoins concentré et vif. Ses yeux, d’un bleu froid et cristallin, ne laissent paraître aucun signe d’émotion. Sa tête rappelle le buste en marbre d’un sénateur romain, presque entièrement chauve mais si finement ciselé que les cheveux sembleraient une incongruité.
Homme de taille moyenne, il a les traits fins, une moustache bien taillée et une silhouette élancée. Il est vêtu avec un grand soin d’un costume trois pièces de tissu et de coupe de qualité. Quelque chose dans son allure évoque l’école de préparation militaire qu’il a fréquentée dans sa jeunesse. C’est un homme réservé, sur ses gardes, poli mais résolument distant.
Nous sommes entrés dans son bureau, une pièce spacieuse. Des livres et des journaux, dont beaucoup en russe, débordaient des tables. Derrière le bureau, une immense fenêtre encadrant un champ d’herbe et d’arbres. Il m’a offert du thé puis, à ma grande surprise, s’est à demi allongé sur un canapé paraissant plutôt inconfortable. « J’espère que cela ne vous ennuie pas, m’a-t-il expliqué. Mon dos me fait quelque peu souffrir ces temps-ci, et c’est plus confortable comme ça. » Je me suis assis près de lui, stylo et bloc-notes en main, tandis que George Kennan devisait librement.
J’ai commencé par l’interroger sur la question qui le préoccupait de façon si pressante : les armes nucléaires. Dès 1950, lorsqu’il a commencé à remettre en question la décision de construire la bombe à hydrogène, Kennan estimait que les États-Unis ne devaient considérer ces armes que comme un moyen de dissuasion vis-à-vis de l’autre camp et que la défense ne devait pas en devenir dépendante. « Les engins nucléaires, a-t-il déclaré, sont une arme suicidaire, dépourvue de toute application rationnelle en temps de guerre. »
Son argument était que la possibilité de recours en premier nous empêcherait de construire une défense non nucléaire crédible, de poursuivre une politique efficace de contrôle des armements et d’empêcher la prolifération des armes nucléaires dans d’autres pays. « Après avoir essayé pendant trente-cinq ans de faire reposer notre sécurité sur [les armes nucléaires], a-t-il déclaré, … nous n’avons réussi qu’une chose, créer et inciter nos adversaires à créer une quantité tout à fait grotesque de surarmement nucléaire. »
Récemment, il s’est joint à trois autres anciens responsables gouvernementaux de premier plan (Robert S. McNamara, McGeorge Bundy et Gerard C. Smith, respectivement ancien secrétaire à la défense, chef du Conseil national de sécurité et directeur de l’Agence de contrôle des armements et du désarmement) pour exhorter les États-Unis à déclarer qu’ils ne seront pas les premiers à utiliser des armes nucléaires.
Kennan a été obligé de remettre en question la sagesse des élites.
« Je pars d’un postulat de base, m’a-t-il dit ce matin-là à Princeton. Premièrement, il n’y a aucun enjeu dans nos relations politiques avec l’Union soviétique qui pourrait, de manière concevable, valoir une guerre nucléaire. Deuxièmement, il n’y a aucune possibilité d’utiliser des armes nucléaires dans un combat sans qu’il y ait immédiatement la possibilité – et même la probabilité très grande – d’une escalade vers une catastrophe nucléaire générale. La première frappe est devenue quelque chose d’irrationnel dès lors que les russes ont développé la capacité à y répondre. »
« Pouvons-nous être sûrs que les russes n’utiliseront jamais de telles armes en premier ? » ai-je demandé.
« Ils y ont déjà renoncé de toutes les manières possibles et imaginables, a-t-il expliqué. Ils l’ont fait de manière unilatérale. Ils l’ont fait publiquement, et tout indique qu’ils le pensaient vraiment. C’est nous qui traînons des pieds. S’il n’y a pas de premier recours à ces armes, il n’y aura jamais quelque utilisation que ce soit. »
La clause de non-recours en premier a été rejetée non seulement par Washington mais aussi par ses alliés de l’OTAN. Ils affirment qu’ils ont besoin de l’option nucléaire pour contrebalancer la supériorité soviétique en matière de forces conventionnelles. Kennan, pour sa part, rétorque que l’Occident devrait renforcer sa propre force conventionnelle pour éviter d’être dépendant des armes nucléaires. Mais il soutient également que les gouvernements de l’OTAN, dont le nôtre, surestiment la force soviétique dans le but d’obtenir plus d’argent de leurs parlements.
Kennan n’est pas optimiste quant aux perspectives d’une interdiction des armes nucléaires. « Si nous ne renonçons pas à la clause de premier recours et ne ralentissons pas la course aux armements, poursuit-il, alors nous devrons rechercher un modus vivendi politique avec les Russes de sorte à réduire le risque de guerre.
On ne peut pas demander aux Européens de rester indéfiniment sur le fil du rasoir, avec d’un côté un équilibre nucléaire qui ne cesse de se détériorer et de l’autre rien de moins qu’une catastrophe nucléaire. Il nous faut parvenir à un grand accord avec les Russes afin de permettre un relâchement général des tensions et le démantèlement de tous les établissements militaires en Europe, qu’ils soient nucléaires ou non. »
L’ampleur même de cette injonction a suscité un climat de morosité. « Je vois la situation actuelle avec un pessimisme quasi total », a avoué Kennan. « Nous n’avons que deux alternatives : un équilibre nucléaire en constante déliquescence ou une guerre nucléaire. Je crains que les conditions ne soient aujourd’hui réunies pour une guerre, une guerre terrible et ultime, parce que nous n’avons pas la moindre intention de faire le maximum pour éviter un tel désastre ».
Il s’est arrêté un instant, comme frappé par la force de ses propres mots. « Je ne me balade pas partout en racontant ça parce que je ne pense pas qu’on devrait semer le pessimisme, et surtout pas chez les jeunes. Mais en tout cas – il s’est déridé – la situation n’est peut-être pas désespérée. Je suis assurément en mesure de me tromper. » Voilà encore qui est typique de Kennan : des accès de désespoir ponctués par de sérieux appels à faire quelque chose.
S’il était pessimiste quand aux chances d’éviter une catastrophe nucléaire, il n’avait certainement pas renoncé à essayer. Les solutions proposées étaient précises : des réductions drastiques des missiles stratégiques à longue portée, la dénucléarisation complète de l’Europe centrale et septentrionale, une interdiction totale des essais nucléaires, un gel temporaire de l’accroissement des arsenaux nucléaires. « Le problème, a-t-il insisté, ne réside pas dans le nombre ou la qualité des armes, ni dans les intentions de ceux qui les détiennent, mais dans l’existence même d’armes de cette nature, quelles que soient les mains dans lesquelles elles se trouvent. »
Comment en sommes-nous arrivés là ? En partie par la mécanique de la course aux armements nucléaires, l’innovation technologique dépassant continuellement le processus fastidieux de négociation sur le contrôle des armements. En partie par ce que Kennan a appelé notre « immense dépendance » à la course aux armements et la « quasi militarisation de la pensée » à Washington concernant les relations avec l’Union soviétique. Et en partie par l’influence des pressions intérieures sur la politique étrangère.
Selon Kennan, tant les Soviétiques que nous-mêmes sommes enfermés dans une course suicidaire aux armements dont aucun n’ose sortir par crainte de l’autre. Cela « crée l’illusion d’un conflit d’intérêts total entre les deux sociétés, alors que les problèmes sont dans une large mesure des problèmes communs. » Pour lui, la rivalité nucléaire est devenue une force en soi, « dépourvue de cause ou justification, autre que les craintes qu’elle engendre, corrompant et dénaturant une relation qui, si elle n’est pas exempte de graves dysfonctionnements, n’a jamais eu besoin de se transformer en antagonisme mortel. »
Pourquoi Kennan a-t-il eu si peu de succès quand il s’est agi de persuader les responsables gouvernementaux de ce point de vue ? Le résultat est particulièrement contrariant pour un homme qui croit au règne d’une élite intellectuelle, et qui est convaincu que les gens informés peuvent toujours trouver un terrain d’entente. Cette foi a été ébranlée. Les divergences entre Kennan et ses détracteurs sur les relations Est-Ouest, a-t-il conclu avec regret, « ne concernent pas la compréhension de ce que nous voyons, mais plutôt sur la nature de ce que nous voyons en premier. »
Ce que ses détracteurs voient, c’est un régime agressif qui ne peut être tenu en échec que par une force militaire américaine écrasante – un « empire du mal », selon les mots de Ronald Reagan, désireux de s’emparer du monde. Pour Kennan, il s’agit là d’une « caricature plutôt que du miroir de ce qui existe réellement. Le leadership soviétique est beaucoup plus défensif qu’agressif, a-t-il insisté.
L’Union soviétique n’a aucune envie de guerre majeure, encore moins d’une guerre nucléaire. Elle craint et respecte la puissance militaire américaine, alors même qu’elle essaie de l’égaler, et espère éviter un conflit. Comploter une attaque contre l’Europe occidentale serait, dans ces circonstances, la dernière chose qui lui viendrait à l’esprit. »
Pourquoi Kennan voit-il le monde si différemment des gens qui le critiquent, d’autant qu’il a semblé lui-même un jour partager ce même point de vue ? C’est en partie parce qu’il est convaincu que l’Union soviétique a profondément changé depuis la mort de Staline en 1953.
À la place de ce dictateur sanguinaire se sont succédé des « hommes tourmentés », selon les mots de Kennan, « prisonniers de l’idéologie désuète à laquelle leur sens extrême de l’orthodoxie les lie ». Leur ambition n’est pas de conquérir, ni même de convertir, le monde, mais plutôt de maintenir la cohésion de leur fragile empire. Pourtant, remarque Kennan, il y a un « grand nombre de personnes occupant une position officielle dans ce pays qui ne semblent pas réaliser que Staline est mort. »
Il est clair que Kennan a pris de la distance par rapport à ses positions antérieures. Il est possible, bien que pas toujours facile, de réconcilier l’érudit d’aujourd’hui avec le diplomate remuant qui, à la fin des années 1940, écrivait des analyses du comportement soviétique qui terrifiaient non seulement les bonnes dames de la DAR [Daughters of the American Revolution, société américaine réservée aux femmes qui se fonde sur la généalogie pour accepter ses membres qui doivent prouver leur descendance depuis une personne, civile ou militaire, impliquée dans l’instauration de l’indépendance des États-Unis en 1776, NdT] mais aussi les décideurs politiques et les membres du Congrès.
Quelque chose s’est passé entre alors et maintenant. Il est fort possible que l’Union soviétique soit devenue un endroit très différent, avec une poignée de bureaucrates sans visage au lieu du redoutable Staline. Mais Kennan, lui aussi, a changé. Et bien qu’il continue de haïr le totalitarisme et le caractère conspirationniste de l’État soviétique, il a une vision beaucoup moins alarmiste des capacités et des intentions de ce dernier.
« Il y a, au sujet de l’Union soviétique beaucoup de choses que je n’aime pas comme tout le monde, a-t-il répondu. C’est un pays qui connaît de graves problèmes et ce n’est pas un bon modèle de société. Mais je ne peux pas être d’accord avec ceux qui considèrent les dirigeants soviétiques comme des monstres dépourvus de toute humanité. J’en ai un peu marre qu’on me rappelle sans arrêt que les dirigeants soviétiques ne sont pas des gens bien. Je pense que j’en sais plus sur ce sujet que la plupart de ceux qui me le rappellent. J’ai vécu là-bas pendant l’ère stalinienne, et concernant la bestialité dont ce régime a été capable, j’en sais quelque chose. Après tout, j’ai été chassé de Moscou pour mon anti-soviétisme. »
« Mais, a-t-il ajouté, revenant au thème qui le hante, le plus grand danger reste notre confrontation militaire avec eux. Ce qui est terrible, c’est que nous parlons de tension militaire sans faire quelque référence que ce soit aux désaccords politiques qui sont censés la sous-tendre. L’Afghanistan, la Pologne, les droits humains, tout cela n’est rien à côté de la question cruciale de la guerre et de la paix. Les russes ne veulent pas d’une guerre nucléaire, et il n’existe aucune difficulté politique qui pourrait justifier une telle guerre entre nos deux pays.»
« Mais qu’en est-il de ces autres problèmes ? lui ai-je demandé. Que faudrait-il faire, par exemple, pour alléger le sort des Européens de l’Est ?»
« Ce qui s’est passé après la guerre – l’avancée russe jusqu’au centre du continent, la division de Berlin, le recul des frontières de la Pologne de trois cent ving kilomètres vers l’ouest, l’annexion des anciens États baltes par Moscou – tout cela a été tragique et absolument dévastateur, un coup terrible pour l’Europe. Au moment de l’insurrection de Varsovie en 1944, je pensais que nous aurions dû avoir une confrontation politique avec les Russes. Nous aurions dû nous sentir libres d’aller aussi loin que possible en Allemagne et en Tchécoslovaquie. Nous n’aurions jamais dû permettre aux Russes de faire avancer leurs frontières. »
« Mais nous l’avons fait, et maintenant nous devons vivre avec cette réalité, a-t-il poursuivi. Le cœur du problème reste l’Allemagne. Si rien n’est fait pour répondre aux besoins de sécurité des soviétiques dans ce pays, ils ne peuvent pas relâcher leur emprise sur la Pologne et les autres pays. Si l’un de ces pays veut se dégager de l’hégémonie soviétique, il ne peut aller nulle part, la seule option est une alliance contre l’Union soviétique. Ce que, évidemment, les Russes ne toléreraient jamais. C’est pourquoi je me suis si désespérément opposé au réarmement de l’Allemagne et à son entrée dans l’OTAN. J’ai toujours pensé que les Russes auraient payé bien plus que nous ne le pensions pour faire sortir l’armée américaine d’Allemagne de l’Ouest. Si l’Allemagne avait pu être rendue neutre, comme l’Autriche l’a été, il y aurait eu un espoir de paix en Europe. »
« Quant à la Pologne, poursuit-il, nous aurions dû aller voir les Russes pendant la crise de Solidarność et leur dire : Comment pouvons-nous répondre à votre besoin de sécurité vis-à-vis de l’Allemagne ? Que faudrait-il pour que vous acceptiez une Pologne libre et autonome ? Le régime soviétique est très peu confiant. Cette insécurité est à la fois une aide et un obstacle à la conclusion d’un accord. C’est une aide parce que les russes aimeraient être tirés d’affaire ; un obstacle parce qu’il est difficile de traiter avec eux. Mais le fait est que nous n’avons pas exploré cette voie. »
Kennan a été élevé dans un monde marqué par l’équilibre des forces. Pour lui, les pays qui comptent sont ceux qui ont été le moteur de l’histoire – l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie – ou qui ont accédé au statut de grande puissance, comme le Japon. Tous les autres sont pratiquement marginaux, des zones où les grandes puissances se querellent mais sans que cela n’affectent leurs intérêts vitaux.
Comme de nombreux traditionalistes, il croit en la réalité des sphères d’influence, à savoir que les grandes puissances s’attendent à contrôler les nations faibles qui sont à leurs frontières. C’est ce que les russes font en Europe de l’Est, et que nous faisons en Amérique centrale.
C’est entre autres la raison pour laquelle les questions de moralité en politique étrangère ne l’ont jamais particulièrement inquiété. Il pense que la tempête au sujet des droits humains complique nos relations avec l’Union soviétique, et il semble peu préoccupé par les violations de ces droits en Amérique latine. Il a été l’un des premiers et des plus ardents opposants à l’engagement américain au Vietnam – non en vertu de raisons morales, cependant, mais parce qu’il considérait qu’il s’agissait d’un gaspillage des ressources et du prestige américains pour une question secondaire. A
u plus fort des manifestations anti-guerre, il a écrit pour le New York Times Magazine une attaque virulente contre le mouvement de protestation (cela fera plus tard partie du livre Democracy and the Student Left) qui, selon beaucoup, a montré le côté grincheux plutôt que philosophique de sa nature. Le colonialisme européen ne l’a jamais dérangé, et il a soutenu l’invasion par la Grande-Bretagne et la France du canal de Suez en Égypte en 1956. Il admirait beaucoup la dictature efficacement gérée d’Antonio Salazar au Portugal, où il a été en poste à l’ambassade des États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, et dans l’un de ses livres, The Cloud of Danger, il montrait à peu près autant de sympathie pour les revendications tapageuses du tiers monde que pour une invasion de fourmis.
« Quand je vois qu’on nous déteste simplement pour notre grandeur et qu’on nous rabat les oreilles avec le cliché éculé de l’impérialisme, ma bonne conscience ne pourrait moins s’en émouvoir », a-t-il déclaré. Il ne s’est pas non plus montré particulièrement préoccupé par le soutien américain aux gouvernements répressifs d’Amérique latine d’aujourd’hui. Cette question ne l’intéresse pas particulièrement. En fait, lorsqu’il était au département d’État, il a adopté le type d’approche récemment suivie par l’administration Reagan.
« Nous ne pouvons pas être trop dogmatiques quant aux méthodes utilisées pour gérer les communistes locaux », a-t-il expliqué au secrétaire d’État Dean Acheson après un voyage en Amérique latine en 1950. « … Là où les concepts et les traditions d’un gouvernement populaire se révèlent trop faibles pour faire face avec succès à l’intensité d’une attaque communiste, alors nous devons admettre que de sévères mesures gouvernementales de répression sont la seule réponse possible. »
Kennan est un élitiste, ce qui n’est pas surprenant pour quelqu’un qui a son expérience professionnelle et qui a adopté un certain rang. Mais contrairement à la majorité des gens, il n’essaie pas de s’en cacher. Il a une fois comparé la démocratie à « un de ces monstres préhistoriques qui a un corps aussi grand que cette pièce avec un cerveau de la taille d’une épingle, » et il a estimé que la meilleure façon pour ce pays d’être gouverné serait pour le président de nommer quelques cinq cents ou mille personnes ayant expérience et sagesse, sans se soucier des chicaneries des élections.
Lorsqu’on lui a fait remarquer qu’un gouvernement par l’aristocratie intellectuelle pourrait ne pas être aisément accepté par une société égalitaire comme la nôtre, il a commenté : « Il est évident que si on a des capacités limitées, on devrait se contenter d’une condition modeste dans la vie . »
Ce qui est frappant avec de telles opinions, ce n’est pas que Kennan les ait mais qu’il les exprime publiquement. Il y a quelque chose d’étonnamment peu politique chez cet homme au verbe extrêmement facile. Dans un sens, il est rafraîchissant de trouver une telle franchise chez quelqu’un qui a fait toute sa carrière dans un monde de ruse diplomatique.
Dans un autre sens, cependant, cela montre à quel point Kennan est étranger à une grande partie du monde extérieur. On peut comprendre pourquoi il se sentait si bien dans l’Europe d’avant la Seconde Guerre mondiale, alors que les structures de classe étaient encore respectées, et que les élites intellectuelles avaient un poids considérable. On comprend aussi pourquoi il a souvent eu des difficultés à se faire accepter dans la bureaucratie gouvernementale, et pourquoi il a parfois eu des démêlés avec ses supérieurs hiérarchiques. Psychologiquement, c’est un solitaire, qui montre toute l’impatience de quelqu’un de solitaire face à la médiocrité et qui a cette tendance du solitaire à amplifier les aspects négatifs.
« On m’a décrit comme une figure solitaire et je me suis parfois décrit ainsi, a-t-il déclaré. Je n’entendais pas cela dans un cadre personnel. J’ai eu une famille chaleureuse et aimante. [il est marié à la même femme, à savoir Annelise Soerensen, norvégienne, depuis 1931 et a quatre enfants et de nombreux amis] Mais c’est vrai sur le plan intellectuel. » Il attribue cela au fait qu’il a vécu la moitié de sa vie d’adulte à l’étranger.
Pourtant, ce n’est qu’une partie de la réponse. Kennan est un esthète autant qu’un analyste politique ou un historien, et il vit, la plupart du temps, dans le monde très confidentiel des idées. Son détachement intellectuel lui donne une sensibilité acérée. Mais il se tient également à l’écart de ses collègues et de leurs enthousiasmes.
Cela a créé chez lui une distance par rapport à la vie quotidienne américaine qui frise parfois la froideur. Dans son autobiographie, il a écrit, avec sa franchise habituelle, qu’il était « l’invité de son époque mais pas un membre de la communauté de celle-ci » ; qu’il avait le sentiment, en revenant pour une visite après de nombreuses années à l’étranger, que « je ne pourrais plus faire partie de mon pays, même si ce qu’il avait été pourrait faire partie de moi. »
Cette déconnexion par rapport à son pays est en grande partie une question de style. Kennan est un bourgeois par excellence. On pourrait l’imaginer comme un personnage des Bostonniennes d’Henry James. L’Amérique du football du dimanche après-midi, des centres commerciaux et des franchises de fast-food le bouleversent. Mais plus que tout, c’est la violence, l’exploitation et le cynisme que nous avons fini par considérer comme allant de soi qui l’inquiètent tout autant.
« Ce pays me désespère, m’a-t-il confié dans un de ses moments de déprime. Pas tant du point de vue de ce qu’il fait aux autres peuples, qui n’a pas été si horrible que ça, que du point de vue de ce qu’il se fait à lui-même.» Ce que Kennan voit – et nous le voyons nous-mêmes dans nos moments de vérité – c’est une corruption insidieuse, un matérialisme et une irresponsabilité sociale qui s’infiltrent dans l’énergie et la créativité de la société américaine.
Nous souffrons d’une perte de sens de la communauté, de continuité avec le passé, de cohésion sociale et de stabilité : toutes qualités que les sociétés plus traditionnelles, bien que peut-être moins développées industriellement, valorisent encore. Lorsque Kennan dit qu’il ressent une « partialité héritée » du XVIIIe siècle et un « malaise » à vivre au XXe siècle, il entend souligner le contraste entre les vertus d’une société traditionnelle et l’avidité souvent anarchique de la nôtre.
Il a été attiré par la Russie en partie parce qu’elle était encore une société traditionnelle. Pendant des années, il a caressé l’idée d’écrire une biographie d’Anton Tchekhov, dont les œuvres traitent avec tant de tendresse des émotions exprimées timidement, des rêves ratés, d’une tradition raffinée qui perd peu à peu de sa pertinence. Lorsqu’il a visité la propriété de Léon Tolstoï, il a écrit : « Il m’a été donné de me sentir proche d’un monde auquel, pensai-je, j’aurais vraiment pu appartenir… beaucoup plus facilement et naturellement qu’au monde de la politique et de la diplomatie vers lequel le destin m’a poussé.»
Ce qu’il a trouvé en Russie – la Russie éternelle des paysans, de la religion et des poètes mélancoliques – c’est un écho du monde qu’il avait connu en grandissant dans le Wisconsin au début du siècle. « Il existe un lien tangible entre le sérieux naïf et la sincérité fondamentale de l’Amérique… et l’immense gravité morale qui caractérise les romans d’écrivains comme Tolstoï et Dostoïevski, a-t-il déclaré. Le cœur de l’Amérique est singulièrement en phase avec le message fondamentaliste et introspectif du roman russe du XIXe siècle, et même avec ses variantes actuelles. »
Bien qu’il apprécie cette « sincérité naïve », il insiste sur le fait qu’elle n’a pas sa place dans la prise de décision en matière de politique étrangère. Kennan croit fermement en un gouvernement par une élite éclairée – bien qu’il ne soit plus aussi convaincu qu’une telle élite existe. Son désespoir devant les divagations de l’opinion publique, l’influence des groupes de pression, le déclin de la politique devenue théâtre fait écho à son dégoût pour la démocratie de masse.
« Un pays de cette taille qui compte tellement de gens différents ne peut être gouverné que par un système très élaboré de compromis qui aboutit au plus petit dénominateur commun, m’a-t-il dit. C’est un système primitif, inflexible, ancré dans l’émotion et les préjugés. » Mais il s’est fait à l’idée qu’on ne peut pas y faire grand-chose. « Il est probable que la façon dont ce pays est dirigé soit la seule façon dont il peut être dirigé, soupire-t-il avec regret ce matin-là à Princeton. Mais le fait qu’un pays soit dirigé de cette façon là le disqualifie quant à une implication active dans le monde. »
Voici donc la clé du minimalisme de la politique étrangère de Kennan, la raison pour laquelle il pense que le déploiement des États-Unis dans le monde entier est dangereux. Ce n’est pas parce qu’il croit que les États-Unis n’ont pas un droit d’interférence, mais plutôt qu’ils n’ont pas la capacité de le faire intelligemment.
« C’est le prix à payer quand on est la démocratie chaotique et désordonnée que nous sommes, a-t-il expliqué. Plus je vieillis, plus je vois la raison pour laquelle le type d’isolationnisme qui existait jusqu’à l’époque de la guerre hispano-américaine se justifie. Cette raison ne tient pas à quelque chose qui serait déshonorant pour nous, mais bien à la nature même de notre système politique. »
Les populistes considèrent une telle position comme honteuse ; Kennan la qualifie de réaliste. Dans tous les cas, elle est pessimiste : non pas concernant le droit des peuples à gouverner, mais sur leur capacité à avoir des jugements subtils et nuancés. Mais cette notion est ancienne, et Kennan n’est pas le seul à la défendre.
La question est de savoir si les élites ont fait mieux. Kennan a toujours supposé qu’elles le devaient. Mais alors qu’il combat le fatalisme de la course aux armements, même lui n’est plus aussi sûr. Il continue à blâmer les groupes de pression nationaux pour les caprices de notre politique étrangère. Mais en affrontant des critiques qui, comme il l’a dit, ne sont pas d’accord avec lui, même sur ce qu’ils voient, il a été obligé de remettre en question la sagesse des élites. Notre politique à l’égard de l’Union soviétique a été « essentiellement subjective, et non objective, a-t-il dit, elle a été le reflet d’impulsions émotionnelles et politiques […] non pas de l’opinion publique américaine dans son ensemble […] mais de l’establishment politique professionnel. »
Dans sa croisade contre les armes nucléaires, Kennan s’est donc tourné cette fois non pas vers les experts, avec leurs scénarios aseptisés « d’échanges » nucléaires, mais vers le public dont il a si longtemps ignoré le bon sens inhérent. Il s’adresse à ce public avec une détermination renforcée par l’urgence de la cause. Il n’avait pas besoin, dans sa huitième décennie, de s’attaquer à l’establishment politique américain et de se soumettre aux attaques sauvages de ses adversaires. Il aurait pu continuer de se concentrer sur les seuls ouvrages historiques qu’il écrit avec tant d’éloquence. À son crédit, ce n’est pas ce qu’il a fait. Il a plutôt choisi d’élever la voix et de devenir une cible. Si il l’a fait, c’est qu’il se sent concerné et parce qu’il estime que le temps presse.
J’ai quitté Princeton empli des mêmes sentiments qu’à mon arrivée : George Kennan est un homme d’une profondeur et d’une sensibilité exceptionnelles. Il a souvent fait preuve de sagesse en matière de politique étrangère, et parfois, à mon sens, d’insensibilité et de manque de sens pratique. À bien des égards, en tant que diplomate, il a été un apôtre conventionnel de la realpolitik sous sa forme la plus étudiée et la plus cynique.
Le Kennan que le monde a appris à connaître et à admirer, ce n’est pas le diplomate qui, du moins dans ses écrits publiés, a montré si peu de sensibilité face au fléau moral de la tyrannie nazie ou aux aspirations pathétiques des pays colonisés sous des climats lointains et torrides, mais plutôt l’historien qui prend du recul par rapport au pouvoir pour nous aider à comprendre nos folies à travers les lentilles du passé. Si Kennan n’avait pas quitté le Foreign Service quand il l’a fait, s’il ne s’était pas embarqué dans une seconde carrière d’historien et de critique, on se souviendrait de lui comme d’un ancien diplomate qui a inventé une expression ambiguë plutôt que comme l’une des voix majeures de notre société.
Bien qu’il évite le moralisme, Kennan est, à sa manière, un moraliste. Son esprit va bien au-delà des limites habituelles de la politique, avec ses luttes mesquines pour un bénéfice temporaire. En quoi consiste sa croisade antinucléaire si ce n’est une croisade morale ? Sa plus remarquable intuition, comme il l’a dit un jour de lui-même, pourrait bien ne pas se trouver dans la politique, dont il déteste souvent la mesquinerie et les compromis, mais dans le côté esthétique de la vie. J’aurais aimé qu’il écrive cette biographie de Tchekhov. J’espère qu’il y pense encore.
Kennan est un homme encore plus compliqué que la majorité. Néanmoins, il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec tout ce qu’il a dit ou fait dans le passé pour admirer les normes élevées de rigueur intellectuelle et d’honnêteté qu’il a définies, la qualité remarquable de ses travaux dans le domaine de l’histoire, et peut-être plus que tout, son courage. Il y a quelque chose d’extrêmement touchant, et même d’héroïque, dans la bataille de Kennan contre le spectre de la guerre nucléaire. Le danger pour notre civilisation lui semble si effroyablement clair, la folie de l’homme si évidente, le remède si impératif.
« Si aujourd’hui, les gouvernements sont toujours incapables de reconnaître que le nationalisme et le militarisme modernes sont, lorsqu’associés, des forces autodestructrices…, a-t-il écrit dans son nouveau livre, s’ils continuent… d’essayer de les utiliser comme des instruments à des fins de compétition intéressée… ils vont préparer, cette fois, une catastrophe dont on ne pourra se relever. »
Il a mené un grand nombre de combats solitaires dans sa vie – certains contre de vrais dragons et d’autres contre des moulins à vent. Mais celui-ci est noble. Il a fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en lui. Ses écrits n’ont jamais été aussi puissants et éloquents. Il a contribué à sensibiliser un large public à la question la plus importante, et peut-être la question ultime, de notre temps. Il ne nous conseille pas de désespérer ou de tout ignorer, mais d’agir avec toute la force dont nous disposons. En cela, il a été un exemple admirable.
Source : Classic Esquire, Ronald Steel – 01/01/1985
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
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Commentaire recommandé
Élitiste, insensible, violent… L’archétype du vieux réac avec des accès de clarté quand il comprend que la confrontation à laquelle il aspirait et pour laquelle il a écrit et lutté ne peut que conduire à une destruction massive de l’humanité. Belle prise de conscience, juste un peu tardive pour nous qui sommes les enfants du monde qu’il a contribué à édifier.
Nous pouvons espérer que nous arriverons à arrêter ou au moins à détourner ce train fou pour que nos petits-enfants aient une existence, je ne dis pas « heureuse », juste d’avoir une existence serait déjà un progrès.
8 réactions et commentaires
Whaoo ! Merci Les-Crises pour ce bijou ressorti de l’ombre ! Impressionnant travail des traducteurs. Merci à eux ! Ya que sur Les-Crises qu’on peut lire des trucs passionnants issus d’un taff collaboratif des lecteurs.
+11
AlerterÉlitiste, insensible, violent… L’archétype du vieux réac avec des accès de clarté quand il comprend que la confrontation à laquelle il aspirait et pour laquelle il a écrit et lutté ne peut que conduire à une destruction massive de l’humanité. Belle prise de conscience, juste un peu tardive pour nous qui sommes les enfants du monde qu’il a contribué à édifier.
Nous pouvons espérer que nous arriverons à arrêter ou au moins à détourner ce train fou pour que nos petits-enfants aient une existence, je ne dis pas « heureuse », juste d’avoir une existence serait déjà un progrès.
+18
AlerterOui, un prophète tardif, de repentance peut-être sincère peut-être marketing, mais hors sujet: comme il le dit lui-même, ce qui est fait est fait! Cela s’applique aussi bien à sa vie: même s’il s’en mord les doigts sur le tard, il a contribué à cet établissement de guerre froide, à cette politique de « containment » qui aura tant de succès que Georges Bush senior va derechef la promouvoir vis à vis de la Chine en 1983, avec les résultats et conséquences que l’on sait aujourd’hui.
Finalement il aura fait la même chose que son employeur, Oppenheimer: de belles saloperies suivies d’une grande contrition, mais mise en scène, vendue. Merci!
C’est lui qui aura permis que le pouvoir russe soit aujourd’hui vu comme le pouvoir soviétique d’alors, animé par « la conviction qu’il ne peut y avoir de modus vivendi permanent avec (les) États-Unis, qu’il est souhaitable et nécessaire que l’harmonie interne de notre société soit ébranlée, que notre mode de vie traditionnel soit détruit, que l’autorité internationale de notre État soit démantelée ». Ces balivernes tiennent toujours le haut du pavé.
Qu’a-t-il fait pour montrer, dans les années 40-50 et non 80, que Tchékhov existait, animait la trame des vivants en Russie et pas seulement des souvenirs du XIXème siècle? Mais il valait mieux, pour l’establishment (les payeurs), souligner la rusticité d’un Khroutchev godasse à la main à l’ONU!! Et c’est au fond ce qu’il a fait, brosser dans le sens du poil plutôt que d’éclairer authentiquement.
Sa rebellion est une rebellion de caractère, comme sa vie le montre, pas de vision.
+9
AlerterUne repentance tardive ! Tu parles ! Un historien sur le tard oui , formé à la va-vite oui ! Un piètre russophone oui ! qui ne s’est jamais intéressé vraiment au fond russe de l’Histoire de l’URSS. De Gaulle avait mieux compris que lui la Russie… Obsédé par son anticommunisme et par sa culture de l’hégémonie nord-américaine… Chante de la Guerre froide, c’est bien facile de s’en excuser… Aujourd’hui, à mon avis, il aurait été à la tête des russo-poutinophobes (je préfère revoir les nouvelles de hier à 12.00 du canal 1 de la Russie où au pied du Kremlin une délégation slovaque avec des bikers slovaques a honoré la mémoire du soldat inconnu soviétique contre le nazisme et avec le président de la Douma celle du soulèvement national slovaque de 1944 contre l’Allemagne nazie…)
Et maintenant, la Russie capitaliste (même si sous un certain contrôle d’Etat pour ses intérêts nationaux) n’est pas plus ménagée par les Etats-Unis. C’est même pire, le discours est enragé et pire hystérique parfois. Donc sa « lutte contre le communisme soviétique » était une belle farce pour tout simplement assurer l’hégémonie des USA, Il est plus que temps que cela disparaisse, même si ce ne sera pas la Russie qui sera l’acteur de cette disparition …
+14
AlerterS’il avait un tant soit peu analysé avec un regard neutre et objectif la mentalité russe depuis le moyen-âge, il aurait compris que tout ce que demandent les russes, c’est qu’on leur foute la paix et qu’on les laisse vivre comme ils le souhaitent.
Que ce soit au temps des tzars, des communistes et aujourd’hui sous le « règne de l’ignoble ogre mangeur d’enfants ».
N’oublions jamais que depuis le XIII ème siècle les occidentaux « gentils cathos » ont tenté de convertir de force ce peuple (chevaliers teutons, polonais, suédois etc…) et se sont pris une branlée à chaque fois.
L’origine de la haine occidentale anti-russe remonte à cette époque, sans doute motivée par le fait qu’ils ne sont jamais parvenus à les « mater ».
Même si les communistes étaient loin de faire l’unanimité dans la population, ces derniers avaient au moins un point important pour la population : Ils n’étaient pas des envahisseurs venus de l’étranger pour les asservir.
Une fois passée la phase dure du stalinisme (qui était géorgien, ne l’oublions jamais) le régime s’est largement détendu et même sous la gérontocratie de Brejnev et malgré l’acharnement occidental le régime s’était largement assoupli.
La meilleure preuve : Les concerts de groupes de musique occidentaux qui étaient organisés par les autorités et qui rassemblaient de très nombreux fans…
Boney M à moscou 1978 : https://www.youtube.com/watch?v=2drKvJCdT1w
Elton John à moscou 1979 : https://www.youtube.com/watch?v=NkptszEYQfQ
Sans compter Black Sabbath, Ozzy Osbourne et tous les autres…
+3
Alerterj’ai plutôt le sentiment d’avoir à faire à un être qui connaît sa faiblesse en tant qu’individu et conçoit sa subsistance par les intérêts du groupe auquel il appartient. Si il dénonce les armes nucléaire c’est parce qu’il comprend que cela compromet ses choix antérieurs, il ne semble pas éprouver d’empathie particulière pour ses congénères, déjà il considère que l’on peut classifier les humains pour en trier les éléments. Il déplore la dangerosité de l’establishment américain, mais il ne semble pas le remettre fondamentalement en cause, il recherche des ajustements à la marge pour ré équilibrer ses sentiments d’appartenance à ce groupe. Finalement je trouve son dégoût pour la démocratie trop peu articulé pour que cet article en transpire suffisamment pour commencer un débat à ce sujet. la question du comment « la démocratie de masse divague » est éludée, et nous ne sommes laissés pour seule proposition que la gouvernance éclairée des sachant. C’est insatisfaisant, et c’est bien arrangeant pour cet homme qui se veut une place dans un establishment malgré ses désaccord. Pour résumer, j’ai le sentiment d’avoir à faire à un carriériste pragmatique traversé de contradictions qu’il entend et écoute, inconséquent quand ça l’arrange, fantaisiste quand cela est nécessaire. Les éloges, fort enthousiaste, de l’auteur ne font pas honneur à la sensibilité particulière du personnage qui trouve sa qualité dans les subtils replis de ses humble contradictions humaine.
+3
Alerterhttps://www.les-crises.fr/un-archive-exceptionnelle-entretien-avec-george-kennan-le-risque-nucleaire-1985/?replytocom=691906#respond
George Kennan called me before he died to protest my description of him in « The Belarus Secret » as one of the State Department elite who brought Nazi war criminals to America. Kennan said if I did not delete that from my book, he would sue for libel.
I told him to go ahead but I had read his Top Secret files. He had personally sponsored the American entry of a former Nazi diplomat. Kennan sputtered « Yes, but he wasn’t a war criminal! »
Oh yes he was, I replied, in fact he was a key cog in the Holocaust machinery: the central liaison between the Foreign Office and the Nazi mobile killing units, the Einsatzgruppen.
After I finished describing the atrocities which his diplomatic friend had direct knowledge of during WWII, Kennan went silent.
He then whispered « I didn’t know. » He had never done a background check before helping his old friend. Kennan’s incompetence was only exceeded by his arrogance. He will not be missed.
+3
AlerterMalheureusement il manque une croisade contre un autre type d’armes, plus silencieuses, moins spectaculaires, mais tout aussi dévastatrices: les armes biologiques telles celles qui ont été utilisées durant la guerre de Corée pour éviter une défaite totale des yankees.
+3
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